Chapitre 19
Oriol se retourna vers la porte du palais du Conseil encore ouverte.
Il était inquiet de laisser la jeune fille qu'il venait de rencontrer seule et sans protection. Déléguer son travail à des civils lui déplaisait fortement. Si jamais il lui arrivait quelque chose, ce serait de sa faute et la culpabilité le rongerait à jamais mais il n'avait pas le choix. Il ne pouvait se charger officiellement de cette affaire de conspiration et n'avait donc aucune autres solution que des faire confiance à trois personnes, dont deux auraient dû se trouver en prison.
Il y avait un an, il n'aurait jamais pensé que sa vie prendrait ce tournant. Le destin réservait des éléments bien inattendus, il devait l'avouer.
Contrairement à ses hommes, Oriol ne rentra pas à la caserne. Le grimoire calé sous son bras et les trois talismans en poche, il se dirigea vers un autre quartier.
Tout en réfléchissant et formulant des hypothèses, il ouvrit le portail en fer forgé fermant le jardin de la demeure aux murs crèmes. Oriol remonta l'allée de graviers qui crissèrent sous les semelles de ses solides bottes de soldat. Il gravit les quelques marches du perron et frappa à la porte.
De l'autre côté, il entendit des pas se précipiter et on ouvrit prestement. Oriol fut sincèrement surpris de découvrir Lidian et non la domestique de la demeure. Le rouquin était essoufflé, indiquant clairement qu'il avait couru pour venir lui-même ouvrir avant Myrthe.
Les sourcils froncés, Oriol le salua d'un signe respectueux de la tête puis il demanda :
« Monsieur De Iyrté, votre domestique serait-elle souffrante, vous obligeant à vous charger vous-mêmes des corvées ?
- C'est possible, en effet. Que puis-je pour vous, Capitaine ?
- Je voudrais m'entretenir avec votre cousine à propos de son époux. »
Lidian dévisagea Oriol, soupçonneux, mais il s'écarta pour lui permettre d'entrer puis il referma la porte derrière lui.
Myrthe entra alors dans le vestibule. La vieille domestique stoppa, stupéfaite de constater que son maître avait ouvert à sa place mais, sachant rester à sa place, elle s'abstint de tout commentaire.
Oriol la salua poliment puis se tourna vers Lidian pour lui signifier clairement qu'il savait qu'il mentait tout comme il avait connaissance de son implication dans le complot. Ce qui pouvait passer pour une fanfaronnade était osé mais Oriol ne pouvait dissimuler son dégoût pour cet home qui, malgré le confort que lui avait offert la vie, en désirait plus en cherchant à contrôler le Conseil des Mages. Il y avait également son aversion naturelle pour la tromperie qui se révoltait alors que lui-même venait de mentir sur la raison de sa présence, ce qui le désolait profondément. Il n'aurait jamais eu à s'abaisser à de telles méthodes si Lidian ne complotait pas.
Sans s'attarder davantage, Oriol se dirigea vers le petit salon où se trouvait Maige sans avoir besoin de guide. Il avait bien compris la dernière fois que la jeune femme passait ses journées dans cette pièce.
Alors qu'il s'éloignait dans la demeure, le capitaine sentit le regard de Lidian rivé sur lui.
Oriol frappa contre la porte du salon et l'invitation à entrer ne se fit pas attendre. Il pénétra dans le salon et salua Maige d'une révérence polie. Elle, elle méritait cette courbette contrairement à son cousin.
La nécromancienne eut un petit sourire toujours teinté de tristesse.
« Capitaine. Que se passe t-il ? Que tenez-vous sous le bras ?
Oriol s'approcha du divan où se reposait Maige et lui tendit le grimoire qu'elle prit avec précaution pour les vieilles pages craquantes. Il lui donna également les trois pendentifs qu'il sortit de sa poche.
Les grands yeux de Maige s'arrondirent encore plus lorsqu'elle reconnut les talismans. Elle prit celui serti d'une pierre violette. Elle l'étudia en murmurant :
- Ce sont ceux qu'avait ce garçon...
- Nous les avons effectivement trouvés dans une pièce mise à disposition d'un apprenti. L'amie envoyée par notre "cher" Leïje le trouve suspect.
- Qu'a t-il dit à propos de ces talismans ?
- Pas grand chose. Il m'a confié ce grimoire en me disant que toutes les explications étaient dedans.
Maige reporta son attention sur le volume posé sur ses genoux mais elle ne l'ouvrit pas tout de suite, préférant observer encore un peu les pendentifs.
Elle passa le doigts sur l'un des symboles gravés dans le métal. Le reconnaissant, elle ouvrit un coffret en merisier posé sur le guéridon à côté du divan et en sortit le talisman de protection ayant appartenu à monsieur De Rannier. Le signe magique brisant les autres était identique à celui qu'elle avait repéré sur le carré de métal.
Elle montra sa découverte à Oriol qui fronça les sourcils. À présent, il n'y avait plus de doute possible. Il y avait bien un rapport entre la saisie de meurtres, le palais du Conseil et surtout cet étrange adolescent mais il fallait encore déterminer la rôle qu'il tenait exactement ainsi que la fonction de ces talismans singuliers.
Pour cela, Maige se plongea dans le grimoire après avoir invité Oriol à prendre place à côté d'elle. La jeune femme parcourut rapidement les premières pages qui ne se révélèrent pas intéressantes. Il ne s'agissait que de documents sur les talismans, les différentes utilisations qu'on pouvait en faire ainsi que les moyens de les créer. Maige lut en diagonale sans s'attarder, donnant mal au crâne à Oriol qui peinait à suivre le mouvement des pages, peu habitué à cet technique de lecture.
Il posa soudainement la main sur le volume, stoppant Maige dans son feuilletage rapide en s'exclamant :
- Là !
Sur la page de droite était dessiné en grand une représentation des talismans étranges avec un nom inscrit en épaisses lettres noires : Talisman de Lônlgha.
Le descriptif de l'artefact se trouvait sur la page suivante. Maige la tourna et lut à voix haute :
- Il n'a qu'une unique utilisation très simple à résumer : il sert à canaliser les pouvoirs trop puissants d'une personne. Il n'agit pas comme un inhibiteur mais plutôt comme un stabilisateur. Porté par une personne peinant à contrôler sa magie, il l'aidera à gérer ses pouvoirs, évitant ainsi de possibles accidents. Inutile de préciser qu'il est très pratique dans l'apprentissage de la magie.
Sous ces brèves mais néanmoins très claires explications, était écrit la marche à suivre pour fabriquer ce talisman que ni Maige ni Oriol ne regarda.
Ils se redressèrent tout deux après s'être penchés sur le volume, incrédules et stupéfaits. Il n'y avait pas la moindre logique.
Totalement dépassée par cette découverte, Maige manifesta ouvertement son incompréhension :
- Mais ça n'a aucun sens ! Visiblement, ces talismans sont plus qu'inoffensifs ! C'est à peine si ils contiennent de la magie alors comment leurs pouvoirs ont-ils pu briser ceux de protection de monsieur De Rannier ? C'est proprement impossible !
- Sauf si ces informations sont fausses.
Supposa Oriol. Maige pinça les lèvres, réfléchissant à cette possibilité avant de secouer négativement la tête. Non, ce n'était pas possible. Elle ne voyait pas comment le jeune apprenti magicien aurait pu simuler l'âge avancé du grimoire ni comment il aurait pu prévoir la visite de la Garde.
Elle détrompa donc Oriol :
- Cela me semble proprement improbable. Il n'aurait pas pu fabriquer de telles preuves à moins que...
Maige laissa sa phrase en suspend, repensant à la remarque silencieuse qu'elle s'était faite durant sa lecture à savoir que la page lui paraissait plus épaisse que les autres, comme si...quelqu'un en avait collé deux l'une contre l'autre.
Pensant qu'elle avait certainement la solution, elle entreprit de séparer les deux parchemins très délicatement pour ne surtout pas risquer de les déchirer.
Ayant mené une réflexion semblable et voyant qu'elle peinait, Oriol dégaina le poignard qu'il conservait sur lui en plus de l'épée de la Garde puis, avec sa permission, il prit la volume des mains de Maige. Avec de grandes précautions, il glissa sa lame entre les deux pages et les décolla ainsi sans altérer les lignes. Il rendit le grimoire à Maige, sachant parfaitement qu'elle comprendrait bien mieux ce qui y était écrit, et rangea son arme.
Maige commença par rapidement parcourir le paragraphe silencieusement et ses yeux s'écarquillèrent. Pas de stupeur cette fois mais d'effroi.
Horrifiée, elle lut à voix haute pour Oriol qui était fébrile :
- Les talismans de Lônlgha sont parmi les artefacts les plus abjectes qui soient. L'histoire de leur invention est elle-même effroyable. Durant des années, certains magiciens ont cherché avec acharnement un moyen de reproduire les pouvoirs des plus grands mages et les talismans de Lônlgha ont vu le jour mais ils ne créent pas la magie. Ils la volent et avec un prix élevé : la mort de la personne à qui on dérobe la magie. Cette dernière est alors emprisonnée dans un carré de métal qui prend la forme d'un talisman de Lônlgha sous son effet. Les couleur de la pierre en leur centre dépend des pouvoirs contenus. Elle peut bien sûr être réutilisée par n'importe qui mais ce n'importe qui en question aurait du sang sur les mains.
Maige referma le grimoire après avoir jeté un bref regard sur la longue formule permettant de réaliser cette abomination. Les mains de la jeune femme tremblaient. Elle se sentait très mal après cette lecture et avait la nausée. Choquée, elle baissa les yeux sur les talismans toujours posés sur ses genoux.
Elle déglutit et résuma :
- Donc, ce sont la vie de toutes ces personnes. Ma mère a été tuée pour sa magie. Pour que quelqu'un augmente sa puissance.
Les larmes roulèrent sur les joues rosées de Maige qui ne contenait son dégoût qu'à grande peine.
Oriol lui retira le grimoire et les talismans des mains puis lui serra le bras en un geste de réconfort. La nécromancienne ne s'apaisa pas, au contraire, elle avait de plus en plus envie de vomir, mais elle s'obligea au calme.
Elle inspira profondément pour chasser les sanglots qui montaient et, en revenant à la préoccupation d'importance, elle signala :
- Cela ne nous indique pas quelle place a ce garçon dans la conspiration ni si c'est bien lui qui les a tous tués (un gémissement lui échappa), ou quel rôle ont exactement ces talismans.
- Ne vous inquiétez pas. Je promets de le découvrir grâce à une petite discussion qui sera tous sauf amical avec ce jeune homme. »
Les mâchoires d'Oriol étaient contractées en une expression de fureur. Un tel crime le révoltait et il ne comptait pas laisser une abomination pareille impunie.
Il se leva et salua Maige d'un mouvement sec qui reflétait sa colère puis il prit congé de la jeune femme.
Il se rendit à la caserne de la Garde. Il avait l'attention de réunir quelques hommes avant de retourner au palais du Conseil pour en ramener Ptarion, enchaîné si besoin.
À peine fut-il entré dans le bâtiment qu'un sous-officier s'empressa de venir vers lui pour l'informer :
« Il y a quelqu'un pour vous. Elle attend depuis une heure.
Oriol suivit des yeux le mouvement de la tête de l'homme pour voir de qui il s'agissait. Il reconnut la jeune fille infiltrée au palais qu'il avait quitté il y avait environ deux heures, en comptant les trajets qu'il avait effectué.
Elle se leva à son approche. Le capitaine lui fit signe de se rasseoir sur la chaise qu'on lui avait amenée en face de son bureau et lui-même s'installa derrière.
Il lui demanda :
- Que se passe t-il ?
- Après votre départ, Ptarion m'a révélé quelque chose qu'il faut absolument que vous sachiez.
Oriol leva un sourcil, intrigué et intéressé. Il fit un signe de la main pour encourager Dabielle à poursuivre.
La jeune fille prit une inspiration. Elle paraissait fortement troublée ou peut-être même bouleversée.
Elle continua :
- Il m'a avoué qu'il participait à la conspiration. Il m'a expliqué en détails que cinq chefs de guildes et un membre de la haute aristocratie en faisaient partie mais que seul le chef des mercenaires est au courant de son implication. Il travail exclusivement pour lui. Il réunit un maximum de magies pour que, une fois le but des conspirateurs atteint, le chef des mercenaires puisse les éliminer et jouir seul de leur succès.
Oriol écarquilla les yeux devant ces informations. Il ne s'attendait pas à ce que Ptarion ait été aussi honnête avec Dabielle ni de découvrir un complot à l'intérieur du complot. Cela se compliquait.
Restant tout de même méfiant, Oriol questionna la jeune fille :
- Pourquoi vous a t-il fait cette confidence ?
- Il...il m'a dit qu'il ne pourrait pas tenir son engagement auprès de Gammon et qu'il avait besoin d'aide. Comme j'ai visiblement du potentiel, il a pensé à moi.
Dabielle éclata en sanglots, très secouée.
Elle s'écria, faisant se retourner toutes les personnes présentes dans la pièce :
- C'est lui ! C'est lui qui a tué ces personnes ! Il me l'a avoué !
- Je sais. Calmez-vous.
Oriol posa sa main sur celle de Dabielle pour tenter de l'apaiser en se disant qu'il consolait beaucoup aujourd'hui.
Dabielle renifla en cherchant à se reprendre. Elle parvint à ravaler ses larmes et inspira profondément pour dénouer sa gorge. À présent qu'elle s'était un peu calmé, Oriol lui raconta ce qu'ils avaient découvert en compagnie de Maige. Dabielle demeure horrifiée et muette.
Oriol lui conseilla :
- Je pense qu'il est mieux pour vous et votre sécurité d'abandonner cette infiltration.
Contrairement à ce que pensait Oriol qui s'attendait à une réaction calme et à un assentiment, Dabielle bondit sur ses pieds, faisant basculer sa chaise en arrière.
Elle frappa le bureau du plat des deux mains et elle s'opposa farouchement au capitaine de la Garde :
- Hors de question ! J'ai l'occasion de faire partie de la conspiration et de récolter de précieuses informations alors je dois me saisir de cette chance !
- Cet adolescent est très dangereux.
- Je le sais parfaitement, c'est à moi qu'il a fait ses aveux ! Vous et tous les hommes qui sont présents dans cette pièce, vous prenez des risques pour la partie de l'humanité ne pouvant se défendre. Je suis la seule à pouvoir intervenir sur ce coup-là. Je peux et veux faire ce sacrifice, prendre ces risques. Faîtes-moi confiance et laissez-moi faire quelque chose de bien dans ma vie.
Oriol écarquilla les yeux, ne se doutant pas qu'il allait constater une telle détermination chez Dabielle.
Reprenant son expression impassible, il se s'adossa dans le fond de sa chaise tout en songeant aux paroles de la voleuse qui avait parfaitement raison. Actuellement, elle était l'unique moyen de réunir les éléments leur faisant encore défaut sur le complot mais, encore une fois, cela lui causait un sérieux problème d'éthique de se reposer sur une civile pour une mission périlleuse.
Devinant parfaitement son dilemme, Dabielle le rassura en haussant les épaules :
- Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas n'importe qui. Je suis une voleuse de la guilde. »
***
Maige tentait de se calmer ou d'au moins retenir ses larmes mais sans grand succès. Elle était parvenu à se contenir jusqu'au départ d'Oriol mais juste après, elle avait éclaté en sanglots. Connaître les causes mais surtout les raisons du décès de sa mère ne l'avait en rien apaisée, au contraire. Être tuée pour de la magie, c'était tellement sordide et l'idée que Lidian était probablement lié à la mort de Peronne donnait la nausée à Maige.
« Ça t'arrive de faire autre chose que de gémir en jouant les délicates jeunes filles de service ?
Maige releva le visage qu'elle avait dans les mains, les yeux ronds de surprise.
Face à elle, se tenait Molwen, les bras croisés sur la poitrine avec un air de mépris affiché sur son visage incolore. D'étonnement et d'espoir, les larmes cessèrent de rouler en nombre sur les joues rosées de la nécromancienne.
Elle se leva avec difficulté et raideurs puis elle demanda :
- Est-ce Dévlin qui t'envoie ?
- Évidemment, qui d'autre ? Alors, il s'excuse donc de ne pas avoir donné signe de vie plus tôt mais le voyage et les jours qui ont suivi ont été mouvementés. Ils ont été attaqués puis attaqués et encore attaqués. Ah oui, et encore attaqués mais ton époux a conservé tous ses membres et ils ont réussi à gagner la ville dont le souverain essaye de séduire Leïmy. Il va falloir m'expliquer ce qu'il lui trouve. Pour en revenir à Dévlin, il te fait dire que tu es dans toutes ses pensées comme le bébé. Vous lui manquez tant qu'il ne trouve plus d'intérêt à se lever et ce genre de choses faussement dramatiques et très mielleuses. Par contre, il ne pourra sûrement pas revenir avant un moment car, pour faire simple, Leïmy est devenue une déesse et les autres dieux refusent de la laisser partir tant qu'elle ne les aura pas rejoint. Voilà ! Et de ton côté, quelque chose à signaler ? »
Maige demeura tout d'abord interdite, stupéfaite par l'information que venait de lui livrer Molwen. Cette dernière se montrait indifférente, un air de profond désintérêt sur le visage.
Se remettant de sa surprise, Maige éclata à nouveau en sanglots et cette fois, Molwen chercha à la réconforter comme elle put avec quelques paroles de consolation.
La nécromancienne s'apaisa quelque peu puis raconta d'une voix larmoyante tout ce qu'il s'était produit depuis le départ de l'expédition pour le désert de Soow. Elle conclut en demandant de l'aide et en confiant son angoisse à propos de Lidian.
Molwen s'empressa de disparaître pour aller rapporter tout cela à Dévlin même si elle savait que ça le rendrait proprement intenable.
À peine l'esprit de l'adolescente se fut-il dématérialisé que Myrthe toqua à la porte et entra sans attendre l'autorisation, ce qui signifiait que quelque chose de grave car jamais la vieille domestique n'aurait à ce point manqué de politesse et de respect en temps normal.
Inquiétée par cette attitude, Maige lui demanda :
« Y aurait-il un problème, Myrthe ?
- Et bien, je comptais entretenir un peu le jardin cet après-midi mais impossible d'ouvrir la porte. Elle est verrouillée et la clé n'est pas à l'endroit habituel.
- Seriez-vous en train de me dire que nous sommes enfermées ? »
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