Chapitre 14

Maige se réveilla au milieu de la nuit. Ne reconnaissant pas l'endroit où elle se trouvait, elle paniqua avant de se souvenir que madame Simmbel l'avait autorisée à dormir sur place comme d'autres invités.
Lidian n'avait pas tenu à rester, la soulageant d'un poids. Elle savait très bien qu'il ne lui ferait aucun mal mais elle craignait qu'il ne trouve une alternative, un moyen pour l'empêcher de fouiller davantage dans la conspiration mais sûrement que Leïje viendrait la "sauver" avec l'aide d'Oriol.
Elle renfonça la tête dans l'oreiller moelleux et ferma les yeux. Elle n'avait aucune idée de l'heure mais elle avait besoin de sommeil.
Celui-ci ne vint pas. Maige s'inquiétait pour trop de choses, son esprit bouillonnait et le bébé donnait des coups furieux contre son ventre. Comprenant qu'elle ne se rendormirait pas, la jeune femme écarta les draps et se leva.
Trouvant l'air un peu trop frais, elle s'enveloppa dans la fine couverture et s'approcha de la fenêtre, les mains croisées sur son ventre rond.
À l'extérieur, tous les lampions n'avaient pas terminé de se consumer et les jardins étaient encore suffisamment éclairés pour que Maige puisse clairement distinguer les formes des arbres, des buissons de fleurs, des fontaines mais, surtout une silhouette humaine assise sur un banc placé sous un prunier.
La nécromancienne plissa les yeux pour tenter de reconnaître la personne traînant encore dehors alors que l'aube colorait l'ourlet du ciel. Maige discerna une large robe de bal, donc, c'était une femme. Elle pouvait immédiatement éliminer madame Simmbel puisque la silhouette était trop fine pour être la sienne. Alors que Maige regardait toujours la femme noyée d'ombres, cette dernier se leva et s'approcha du mur d'enceinte se trouvant non loin. Elle décrocha un lampion et retourna s'asseoir, la petite lumière entre les mains. Maige put alors clairement observer le visage de la femme qu'elle identifia comme celle sur qui Leïje avait usé de ses charmes pour la faire parler : Miden Simmbel.
Se disant que, quitte à être réveillée, autant s'occuper et qu'elle pourrait peut-être apprendre un élément utile, Maige décida de la rejoindre pour discuter un peu. Elle quitta la chambre qu'on lui avait prêtée. En passant devant une porte fermée, elle constata qu'elle n'était pas la seule à être debout à cette heure précoce mais aussi que certains préféreraient se distraire autrement qu'en conversant. La nécromancienne baissa la tête et se pressa de traverser le couloir. Elle descendit le premier escalier qu'elle rencontra mais elle s'égara.
Elle ne connaissait pas la demeure et ne savait pas où elle se trouvait. Se doutant qu'elle ne croiserait pas de domestique à une heure pareille, elle continua à chercher une porte donnant dans le jardin.
Elle finit par en trouver une dans un salon. Heureusement, elle n'était pas verrouillée et la jeune femme n'eut aucune peine à l'ouvrir.
Elle resserra la couverture sur ses épaules alors qu'un souffle de vent venait ébouriffer ses cheveux. Elle avait de la chance et Miden se trouvait juste en face d'elle.
La jeune fille releva le regard absorbé par la flamme du lampion à l'approche de Maige. Cette dernière lui sourit et lui demanda la permission de s'asseoir à ses côtés :

« Puis-je ?

- Bien sûr.

Répondit Miden en s'écartant de quelques centimètres pour faire une place suffisante à Maige qui s'installa.
La nécromancienne remarqua que les yeux de Miden étaient très brillants. Une larme roula sur la joue toujours maquillée de la jeune fille qui l'essuya d'un geste élégant. Maige reconnut sans difficulté le type de chagrin habitant la fille des Simmbel puisqu'elle ressentait exactement le même. C'était celui causé par la perte d'un être cher.
Avec compassion, la nécromancienne posa une main sur celle de Miden et lui demanda :

- Pourquoi êtes-vous triste ?

- Ce n'est pas important. Je ne veux pas vous importuner avec mes histoires.

En répondant, Miden agita la main entre Maige et elle comme pour chasser les inquiétudes de cette dernière tout en épongeant les nouvelles larmes qui traçaient des sillons dans la poudre blanchissant son visage.
Maige hésita à insister mais elle choisit finalement le faire. Miden avait besoin d'être consolé. Rester seule dans le noir n'était pas une bonne chose.
La nécromancienne devina :

- C'est à cause de la disparition de votre frère.

Miden écarquilla les yeux, très surprise, et les fixa sur Maige qui se sentit gênée d'être ainsi dévisagée. Peut-être aurait-elle dû se montrer moins directe ou bien se taire comme l'en avait prié Miden.
Cette dernière s'étonna sincèrement :

- Co...comment savez-vous pour Vargram ?

- J'ai appris sa disparition et je sais ce que l'on ressent lorsqu'une personne qu'on aime nous laisse sans nouvelle.

- Il n'y a aucune trace de lui nulle part et avec cette affaire de meurtres, je crains le pire. J'ai peur qu'on le retrouve au coin d'une ruelle.

- Je comprends. Moi, j'ai peur qu'un membre de la Garde vienne m'annoncer la mort de mon époux dès que je me réveille.

Maige sentit les larmes lui brûler les yeux. Miden lui sourit tristement. Il n'y avait pas qu'elle qui avait besoin d'être réconforté mais aussi Maige. Cette dernière poussa un soupir lourd de chagrin.
Le silence s'étala sur plusieurs minutes, rythmées par le chant des insectes nocturnes peuplant le jardin puis Miden reprit la parole :

- Ce qui me blesse le plus est le comportement de mes parents. Ils sourient et paradent comme si de rien n'était. Ça me fait enrager. Surtout que c'était exactement la même chose lorsque c'est arrivé la première fois.

- La première fois ?

Répéta Maige, se rappelant de ce que lui avait raconté son amie à propos de Vargram.
Miden fut secouée d'un rire sans joie, se souvenant de la conversation qu'elle avait eu durant la réception avec le séduisant jeune homme qui avait voulu danser. Il avait posé exactement la même question.
Revenant à la réalité et laissant de côté la pensée du charmant jeune homme, Miden expliqua à Maige, n'éclatant pas en sanglots comme quelques heures plus tôt :

- Ce n'est pas la première fois que Vargram disparaît. Quand c'est arrivé, il avait onze ans et moi sept. Il était parti à l'école ou chez un ami, je ne me souviens pas très bien, mais il n'est jamais revenu. C'est moi qui ais averti mes parents que Vargram n'était pas rentré. La Garde de la ville l'a fouillée, du port aux hauts quartiers mais ils n'ont rien découvert. Des mois ont passé sans la moindre nouvelle de mon frère et les recherches ont peu à peu été abandonnées. Mes parents se comportaient comme si ils n'avaient jamais eu de fils, à croire qu'ils avaient oublié Vargram mais, moi, je continuais à penser à lui et à espérer sauf que j'ai bien été forcée de le croire mort lorsque les années ont commencé à passer. Un jour, j'avais douze ans, des hommes de la Garde sont venus chez nous. Ils étaient très fébriles. Ils l'avaient retrouvé et vivant. J'avoue avoir eu de la peine à le reconnaître. Premièrement car, en cinq ans, il avait beaucoup grandi mais surtout car il ressemblait davantage à un vagabond à l'affut d'une bourse à subtiliser qu'à un fils de nobles. Ses vêtements étaient rapiécés, usés et sales. Il était mal rasé, ses cheveux avaient poussé et il ne paraissait pas être nourri à sa faim. C'était effrayant ! Il nous a raconté qu'il avait été enlevé par des malfrats qui comptaient exiger une rançon de mes parents mais, je n'ai pas bien compris comment à l'époque, Vargram était parvenu à leur faire gagner de l'argent alors ils l'ont gardé avec eux. Mon frère a vécu durant cinq ans dans les bas-quartiers d'Igga.

Maige demeura pensive à la fin du récit de Miden.
Une idée saugrenue venait de lui passer par l'esprit. Les Simmbel étaient originaires de la cité d'Igga, tout comme Leïmy. Maige le savait car Dévlin le lui avait raconté. Il lui avait également appris que la guilde des mercenaires y avait été basée durant quelques temps, environ à l'époque où Leïmy l'avait intégrée et cette période correspondait aussi aux années que Vargram avait passé comme un vagabond. Une coïncidence troublante.
Leïmy, Negg et Vargram avaient fréquentés les ruelles mal famées d'Igga à la même époque alors qu'ils se trouvaient tous trois dans la même tranche d'âge. Se seraient-ils rencontré ? Auraient-ils été amis ? Ennemis ? Cette hypothèse pouvait expliquer la raison pour laquelle Vargram se renseignait jusqu'à l'obsession sur les deux mercenaires, même si il manquait encore des éléments à Maige pour en être certaine.
La jeune femme fit une seconde supposition qui, elle, proposait une piste sur la disparition de Vargram. Elle la partagea avec Miden :

- Pensez-vous que votre frère ait pu retourné à la vie de son adolescence ?

- Cela me surprendrait énormément. Il ne parlait pas souvent de ces années-là mais aux quelques mots qu'il avait déjà lâchée à ce sujet, il a beaucoup souffert.

Maige eut une moue désolée. Elle aurait souhaité aider Miden. Cette dernière bailla, rattrapée par son épuisement.
Elle constata en levant le visage vers le ciel :

- Le jour va bientôt se lever. Je ferais mieux d'aller me reposer un peu.

- Il serait sage, en effet. »

Miden sourit à Maige qui avait tout de même réussi à la consoler un peu.
La jeune fille retourna à l'intérieur où elle gagna certainement sa chambre.
Maige attendit un instant que Miden s'éloigne puis elle se leva à son tour du banc. Elle devait absolument parler à Leïje de son hypothèse. Peut-être allaient-ils enfin avancer.
Elle savait très bien que Leïje se trouvait toujours dans la demeure. Il l'aurait attendue avant de partir ou il l'aurait au moins prévenue mais, à l'heure, qu'il était, il devait dormir profondément. Maige ralentit à cette réflexion. Ce n'était pas vraiment correcte de le déranger aux aurores mais puisque c'était pour lui faire part de nouvelles informations, il ne lui en tiendrait sûrement pas rigueur, elle espérait.
Se sentant tout de même mal-à-l'aise, Maige retrouva les escaliers qu'elle avait descendus et les monta. Il lui fallait encore dénicher la chambre attribuée à Leïje et elle n'allait tout de même pas ouvrir toutes les portes jusqu'à tomber sur la bonne, c'était indécent. Elle ne savait donc pas comment faire.
Elle s'immobilisa et regarda une horloge meublant le couloir et elle constata que, si les nobles conviés par les Simmbel étaient encore endormis pour un moment, les domestiques commençaient leurs tâches respectives.
Maige redescendit et erra dans les couloirs jusqu'à trouver un serviteur occupé à changer les chandelles s'étant consumé durant la nuit. Maige s'en voulu de déranger ainsi une personne en plein travail. Elle se racla la gorge pour signaler sa présence, faisant se retourner le domestique et elle commença par s'excuser :

« Pardonnez-moi mais je cherche la chambre de l'homme qui m'accompagnait hier soir.

- Bien sûr. Comment s'appelle t-il ?

- Je ne pense pas qu'il ait donné son nom mais il est grand, le teint mat, les cheveux mi-longs bruns cuivrés, les yeux noirs...

- Oui, je vois, l'interrompit le domestique, suivez-moi.

Maige emboîta le pas à l'homme qui changea de couloir, monta l'escalier que Maige avait déjà descendus puis ils furent dans le couloir où la nécromancienne avait sa chambre.
Le domestique avait veillé à ne pas marcher trop vite par égard pour l'état de Maige qui l'en remercia mentalement. Ses allers-et-retours dans la résidence et son réveil précoce l'avaient fatiguée et elle désirait juste retourner se coucher, ce qu'elle ferait dès qu'elle aurait averti Leïje de son hypothèse.
Le serviteur stoppa devant une porte située non loin de celle de la porte de la chambre de Maige et indiqua à cette dernière :

- C'est ici.

- Merci. »

Le domestique rendit son sourire à Maige puis retourna à sa tâche.
La jeune femme frappa doucement contre la battant de bois pour ne pas déranger les personnes dans les chambres voisines. La voix de Leïje lui répondit d'un grognement aux allures d'assentiment.
Sans attendre, Maige entra en commençant :

« Désolée de vous importuner aussi tôt mais...

Maige stoppa d'elle-même dans sa phrase en découvrant scène que dissimulait la porte.
Leïje, la couverture remontée jusqu'au torse qu'il avait nu, comme tout le reste d'ailleurs, les cheveux encore en bataille, avait chacun de ses bras passé autour des épaules des deux jeunes filles qu'il avait séduit durant le bal et qui se trouvaient chacune d'un côté du voleur, leur poitrine cachée par la couverture.
Maige devint aussi rouge que ses cheveux, plus gênée qu'elle ne l'avait jamais été dans sa vie.
Le jeune femme balbutia :

- Je...je...je vous attends à l'extérieur !

Elle s'empressa de ressortir, en oubliant même de s'excuser.
Leïje pinça les lèvres en une expression navrée, désolé d'avoir mis Maige mal-à-l'aise. Peut-être aurait-il dû vérifier qui frappait avant d'autoriser à entrer. Il pensait qu'il s'agissait d'un domestique venant le prier de libérer les lieux.
Quoi qu'il en était, Maige avait besoin de lui. Il lâcha ses deux compagnes de la nuit et tenta de se dégager des draps en écartant les deux filles.

- Bon, désolé mais il faut que je file.

Il poussa la fille de droite, qui poussa un petit cri de surprise, pour pouvoir sortir du lit. Il promena son regard dans la pièce en quête de ses vêtements mais ne vit que les robes et les jupons des deux aristocrates.
Le voleur s'allongea sur le tapis pour regarder sous le sommier. Il repéra son pantalon et sa botte gauche. Il enfila le premier et garda la deuxième à la main. Une bosse au pied du rideau lui indiqua où pourrait se cacher la droite. Il écarta le pan de tissu et, effectivement, sa botte se trouvait derrière. Leïje la ramassa en fronçant les sourcils. Comment sa chaussure avait-elle atterrit là ? Il haussa les épaules. Ça n'avait pas d'importance. Il se chaussa puis fit un tour sur lui-même, cherchant toujours le reste de sa tenue.
Il demanda :

- Où est ma chemise ?

- Aucune idée.

Répondit la brune. Leïje grommela. Il vérifia derrière les oreillers, pliant les deux jeunes filles en deux et elles glapirent à l'unisson. Le voleur ne trouva rien.
Il n'avait ni le temps ni l'envie de se lancer dans des recherches approfondies pour retrouver un vêtements ne lui appartenant même pas. Tant pis. Il trouverait bien quelque chose pour se couvrir en route.
Il salua les deux nobles d'une révérence et de quelques paroles quelques peu mensongères :

- En espérant vous revoir, mesdemoiselles. Nira, Lacie.

D'abord souriantes, les deux jeunes filles baissèrent le menton en dévisageant Leïje, la même expression vexée sur leurs visages. Ne comprenant pas cette réaction, le voleur demanda :

- Quoi ?

- Moi, c'est Ira, pas Nira.

- Et moi, je m'appelle Laolie.

- Vous êtes sûres ?

- Oui. Répondirent-elles à l'unisson.

- Ouais bon bah salut. »

Sans plus de cérémonie, Leïje sortit. Maige l'attendait à l'extérieur.
Le rouge de la gêne n'avait pas encore quitté ses joues et elle se sentait trop mal-à-l'aise pour regarder le voleur en face mais elle remarqua tout de même qu'il était toujours torse nu.
Leïje expliqua :

- Je n'ai pas retrouvé ma chemise. J'espère que ça ne dérangera pas votre cousin.

Maige redevint immédiatement cramoisie, n'osant pas imaginer ce qu'il s'était passé dans cette chambre pour que Leïje puisse y égarer un vêtement.
Ne s'apercevant pas du trouble de la nécromancienne, le voleur continua :

- Que se passe t-il ? Ça avait l'air urgent.

Se reprenant et tentant d'ignorer le fait que Leïje était moitié nu, ce qui semblait nullement le déranger, preuve d'une certaine habitude, Maige rapporta sa discussion avec Miden et surtout ses révélations sur l'adolescence de Vargram ainsi que l'hypothèse qu'elle en avait tiré. Bien partie, la jeune femme lui confia également se crainte à propos de Lidian car elle ne doutait plus qu'il l'ait démasquée.
À la fin, Leïje réfléchit puis il proposa :

- Peut-être serait-ce mieux pour vous et votre sécurité que vous vous éloigniez de cette affaire durant quelques temps. Pourquoi pas jusqu'à votre accouchement ? Si vous refusez, il faudra au moins que je cesse de venir chez vous durant une certaine période.

- De quelle durée ?

Leïje haussa les épaules et répondit comme au hasard alors que c'était parfaitement et délibérément choisi :

- Le temps d'un aller-et-retour au mont Kieff, par exemple.

- Vous ne renoncez pas à trouver cette Iphamme à ce que je constate.

- Nous piétinons et, personnellement, je ne peux pas faire grand chose d'autre que d'attendre des nouvelles de Dabielle ou d'Oriol alors autant s'occuper et être utile à quelque chose d'autre.

- Vous avez sans doute raison mais soyez prudent et ne tardez pas trop, s'il vous plaît.

- Je ferai au mieux. Je vais vous indiquer le point de rendez-vous convenu avec mon amie. Par contre, pourrions-nous passer chez vous ? J'aimerais récupérer mon manteau. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top