Chapitre 12

Leïmy ne se prépara pas à son épreuve en se reposant comme l'avait proposé Sire Délèk mais en s'entraînant avec Negg.
Comme l'avait supposé le rouquin, il y avait effectivement une salle d'entraînement pour les gardes du palais. Quelques uns étaient en train d'échanger des coups amicaux lorsque les deux mercenaires étaient entrés. Ils s'étaient installé à l'écart, s'étaient rapidement échauffé puis avaient commencé à combattre à mains nues. Toutes les personnes présentes s'étaient alors arrêté pour observer les deux mercenaires, impressionnées par leur vélocité et leur technique d'affrontement. Les deux combattants ne s'étaient pas laissé distraire et avaient multiplié les coups.
Leïmy voulait s'assurer qu'elle ne s'était rouillé durant le voyage et vérifier que ses réflexes étaient toujours aiguisés. Le bilan avait été positif et ils étaient repartis satisfaits après des heures d'exercice.
Au milieu de la nuit, ne trouvant toujours pas le sommeil, Leïmy décida d'aller prendre l'air un instant. Elle se dégagea délicatement des bras de Negg pour ne pas le déranger et enfila ses vêtements.
De son habituelle démarche silencieuse, elle sortit de sa chambre. Alors qu'elle s'attendait à trouver les couloirs plongés dans une épaisse obscurité, elle les découvrit éclairés par des chandelles placées à intervalles réguliers. Certainement était-ce pour les hommes montant la garde. Leïmy ne se posa pas la question bien longtemps et elle arpenta le couloir sans un bruit. Elle se dirigea vers la sortie du palais pour gagner le jardin mais elle n'alla pas jusque là.
Elle stoppa devant une porte-fenêtre donnant sur un grand balcon en marbre blanc et gris. Ce ne serait pas la peine de marcher jusqu'aux jardins.
La porte n'était pas verrouillée et elle l'ouvrit sans peine. La balustrade du balcon était chargée de fleurs grimpantes tombant sur la façade. L'air de la nuit renforçait le parfums des fleurs qui devaient appartenir à une espèce nocturne puisqu'elles étaient ouvertes malgré l'heure tardive. Dans le coin gauche, une belle table en fer forgé peinte de blanc était installée en compagnie de deux chaises assorties.
Leïmy alla s'accouder à la balustrade en soupirant. Elle ne regarda pas la cité s'étendant en contrebas mais elle s'abîma dans la contemplation des étoiles mouchetant le sombre ciel.
Elle ne put profiter du calme et de l'air pur de la nuit qu'à peine quelques minutes.

« Je crois que c'est cette vue que je préfère de tout la palais.

Leïmy crispa les mains sur la balustrade en marmonnant son énervement. Ne serait-elle donc jamais tranquille dans ce maudit désert ?
Sans se retourner vers Sire Délèk, elle grommela :

- On ne voit pourtant pas grand chose.

- Je ne parlais pas de la ville.

Leïmy grinça des dents. Là, elle n'en pouvait plus. Elle avait trop de choses à penser et à gérer pour rajouter un séducteur d'opérette sur la liste de ses préoccupations. Si il était incapable de le comprendre par lui-même, elle allait lui expliciter clairement les choses.
Elle se retourna vivement vers Sire Délèk, le stoppant dans sa progression vers elle et elle s'énerva :

- La gifle de tout à l'heure ne vous a t-elle pas suffi ? Faut-il que je vous en donne d'autres parce que ce n'est pas un problème ! Je pensais que vous n'auriez pas l'arrogance de continuer votre pitoyable petit numéro alors que vous savez ce que je suis !

- Pourquoi cela aurait-il dû me gêner ? Ça ne peut qu'être une motivation supplémentaire. Maintenant, je suis certain que vous n'êtes pas avec quelqu'un digne de vous.

- Vous savez que nous sommes sur un balcon. Il est donc très simple pour moi de vous faire passer par-dessus bord. Réfléchissez-y. Je vous souhaite une mauvaise nuit. »

Là-dessus, Leïmy quitta le balcon avant de malencontreusement tuer ou blesser le souverain de la ville. Elle se défoulerait sur les créatures magiques des souterrains le lendemain.
À pas furieux, elle regagna sa chambre. Comme elle aurait pu s'en douter, Negg avait été réveillé par son départ mais, ayant deviné qu'elle avait besoin de solitude, il ne l'avait pas suivie et s'était contenté de l'attendre.
Sans un mot, elle retira ses bottes qu'elle jeta au sol et se recoucha sans un mot. Negg lui passa un bras autour de la taille et lui demanda :

« Où étais-tu ?

- Sortie prendre l'air. Répondit Leïmy dans un grognement.

- En tout cas, ça t'a détendue.

Ironisa Negg en se retournant sur le dos, un bras sous la nuque.
Leïmy lui décocha un regard noir avant d'expliquer :

- J'ai rencontré notre bon souverain sur un balcon.

- Tu aurais dû le pousser.

- J'y ai songé.

- Essaye de ne plus penser. Tu auras certainement suffisamment de choses sur lesquelles te concentrer demain.

Negg déposa un baiser dans le cou de Leïmy qui ne put que lui donner raison. C'était exactement la réflexion qu'elle avait mené sur le balcon avant de menacer Sire Délèk.
À présent, elle devait se reposer. Même si elle avait constaté un peu plus tôt que ses forces étaient excellentes et qu'elle pouvait résister à la fatigue sans aucune peine, elle serait moins efficace après une nuit blanche.
Elle se blottit contre Negg et ferma les yeux avec l'intention de chercher le sommeil mais elle n'eut pas vraiment le temps de commencer.
Negg se redressa sur un coude et l'observa. Leïmy rouvrit les paupières et lui demanda :

- Quoi ?

- Ce serait plutôt à moi de poser la question. Je sens que tu as quelque chose à me dire.

Leïmy poussa un soupir.
Parfois, c'était agaçant que Negg voit aussi clair en elle mais c'était aussi pratique lorsqu'elle ne savait pas comment exprimer ses sentiments, comme actuellement. Elle se mordilla la lèvre inférieure en cherchant ses mots et hésitant à les utiliser.
N'ayant aucune envie d'y passer des heures, elle prit les premières paroles lui venant à l'esprit :

- Il y a une possibilité pour que j'échoue demain ou que mon refus obstiné me coûte une punition des dieux. Peut-être que je ne serai plus là dès demain alors il faut que tu saches que...enfin...tu es... Bon. Je ne suis pas douée avec les mots et tu le sais alors je vais y aller un peu comme une brute. Tout le monde devine qu'il y a une chance pour je meurs dans quelques heures alors il faut que tu saches que je t'aime, sûrement depuis le premier jour et que tu es le seul. Tu pourras aussi dire à ton idiot de frère, parce qu'il peut toujours espérer l'entendre de ma voix, que...c'est un peu mon frère à moi aussi en plus d'un ami de confiance. Pour Leïje, tu lui transmettras que c'est le pire et le meilleur des amis à la fois. Quant à Maige, elle mérite le bonheur et pour Rilin, il faudra le remercier car c'est grâce à lui si nous nous sommes retrouvés et que nous avons rencontrés tous les autres. »

Negg acquiesça en embrassant à nouveau Leïmy en espérant profondément ne jamais avoir à communiquer ces adieux auxquels il ne s'attendait pas, surtout de la bouche de Leïmy.

Les deux mercenaires dormirent assez mal, l'un comme l'autre, pensant encore et encore aux mots qu'avait prononcés Leïmy. Si bien qu'ils somnolaient encore aux premières lueurs de l'aube, contrairement à leur habitude et ils furent réveillés par des coups frappés contre la porte. Ils grommelèrent d'abord puis se souvinrent de l'importance de ce jour.
D'un mouvement simultané, ils repoussèrent les draps de soie et bondirent sur leurs pieds. Negg réunit ses vêtements gisant encore sur le sol de marbre. Il s'agissait du pantalon et de la chemise qu'il portait le soir du bal mais sans la redingote, le foulard et le veston.
Pendant ce temps, Leïmy alla chercher la tenue de cuir dans laquelle elle était arrivée il y avait quelques jours et qui avait été nettoyée depuis. Elle demanda à Negg de l'aider à lacer les liens s'entrecroisant deux fois sur son dos et maintenant la pièce de cuir sur sa poitrine. L'épaisse ceinture vint ceindre ses hanches et ils furent prêts.
Lorsqu'ils ouvrirent la porte, ils constatèrent que le domestique qui les avait réveillés était parti en leur laissant un plateau de nourriture. Au moins, ils échappaient à Sire Délèk en ce début de mâtinée.
Ils s'installèrent sur les divans. Si Negg avait l'estomac trop noué pour pouvoir avaler quelque chose, Leïmy se força à manger plusieurs tranches de pain marinées dans du lait sucré puis cuites dans du beurre. Même si elle n'en avait pas nécessairement besoin, elle devait prendre des forces pour affronter son épreuve au mieux.
Tout en mâchant, elle étudia Negg du coin de l'œil. Il lui apparut comme pâle avec les traits tirés. Nul doute qu'elle était la cause de cette angoisse ainsi imprimée sur son visage, que ce soit car elle avait accepté de passer l'épreuve sur ce qui lui paraissait de plus en plus être un coup de tête ou à cause du message d'adieu qu'il devrait livrer aux personnes concernées. Peut-être aurait-elle mieux fait de s'abstenir sur ce coup-là, l'appréhension de Negg n'aurait pas été aussi intense, à son avis.
Une idée saugrenue se faufila dans son esprit au milieu de ses autres pensées. Elle dégaina l'une de ses dagues, choisissant exprès celle dans le manche de laquelle Negg avait gravé un "L" majuscule lorsqu'elle avait quinze ans, et d'un mouvement très rapide qu'il ne put esquiver, elle lui trancha une de ses boucles rousses qu'elle attacha avec un lacet vert satiné provenant de sa robe de bal.

« Je peux savoir ce qui te prend ? S'étonna Negg, ne comprenant absolument pas ce geste.

- Ça me portera chance, tout comme l'anneau. Répondit-elle en glissant la mèche dans la poche fixée à sa ceinture.

- Depuis quand es-tu à ce point superstitieuse ?

- Depuis que des dieux cherchent à me recruter.

Répliqua Leïmy en se levant du divan, imitée par Negg. Laissant le petit déjeuner pas vraiment entamé dans la chambre, ils sortirent dans le couloir et se dirigèrent vers la grande porte.
Ils ne tardèrent pas à tomber sur Dévlin, portant éternellement sa cape aussi blanche qu'avait dû l'être sa nuit à en juger par son visage aussi fatigué que celui de son frère et à ses cheveux encore désordonnés.
Il échangea un regard inquiet avec Negg avant de le poser sur Leïmy qui s'énerva de se sentir ainsi couverte et également pour extérioriser sa propre angoisse :

- Oh, mais arrêtez de faire ces têtes ! J'ai survécu à l'union des magies alors je devrais être capable de ressortir entière de ces souterrains !

- Nous nous étions pourtant mis d'accord sur le fait que tu ne devais pas passer les épreuves, pas maintenant du moins. Reprocha Dévlin à Leïmy.

- Ça fait partie d'un plan pour faire définitivement comprendre à tout le monde qu'elle ne sera jamais une déesse. Répondit Negg à la place de la jeune fille.

- En quoi consiste exactement ce plan ?

- À montrer à ces dieux arrogants qu'on ne peut pas me manipuler comme il le font.

Déclara hargneusement Leïmy, serrant les poings comme si elle s'apprêtait à combattre.
Dévlin ne la questionna pas plus, devinant, tout comme Negg la veille, qu'elle ne leur donnerait aucune précision. Ils comprendraient en même temps que tout le monde.
Ils se turent durant le reste du trajet et franchirent la grande porte du palais en silence.
Iléany se trouvait déjà là, assise non loin de la porte. Elle se leva en voyant sortir les trois Welkonniens. Ils vinrent vers elle dans l'intention d'attendre Sire Délèk.
Le regard fixé sur Leïmy et les doigts jouant nerveusement avec ses colliers en griffes et en crocs, Iléany hésitait à aborder la mercenaire. Cette dernière l'effrayait de par son caractère et par son statu mais elle tenait à lui parler alors elle inspira profondément pour se donner du courage et se plaça face à Leïmy qui, plus grande, baissa les yeux sur elle.

- Je...je voulais seulement vous faire savoir que je vous admirais même si vous m'effrayez souvent. Ce n'est pas seulement parce que je censée servir ceux de votre "espèce" mais parce que je n'ai jamais rencontré de personne aussi courageuse et déterminée que vous. Vous êtes impressionnante. Je sais que, chez vous, vous n'êtes pas quelqu'un de très recommandable mais, moi, je m'en moque et, juste entre nous, je crois que ça me plairait assez que vous fassiez faux-bond aux dieux !

Les trois Welkonniens écarquillèrent les yeux, ne s'attendant absolument pas à de tels propos dans la bouche de ce qui s'apparentait à une grande prêtresse.
Iléany s'amusa de cette réaction. Un petit rire la secoua, fissurant un peu son angoisse puis elle se justifia sur le ton de la confidence :

- Après tout, c'est à cause d'eux que je suis forcée de rester ici sans choisir la vie que je veux, à obéir à des règles abusives et aussi que j'ai toutes ces cicatrices. Je ne me serais jamais mutilée sans eux.

- Vous semblez pourtant avoir une foi inébranlable. Fit remarquer Dévlin.

- Je suis une personne pleine de contradictions.

A peine Iléany terminait-elle sa phrase avec un clin d'œil que Rilin sortit du palais avec une besace en toile solide et la jeune femme reprit immédiatement son masque d'inquiétude, oubliant la légèreté du trop court instant précédent.
Rilin salua tout le monde d'un hochement du menton, le visage grave. Ses cernes paraissaient plus marqués qu'à l'accoutumée et, alors qu'il était toujours rasé de près depuis son arrivée à Arancha, l'ombre d'une barbe noircissait ses joues.
Avisant son sac, Leïmy lança avec moquerie, dans le but évident de dissiper son appréhension :

- Je n'avais pas compris que le Temple était aussi éloigné.

- Ce n'est pas pour moi, c'est pour vous.

Répondit Rilin en tendant la bandoulière à Leïmy qui la prit.
Elle ouvrit le sac pour voir ce qu'il contenait mais Rilin lui énumérait déjà :

- Il y a des bandages de différentes tailles, des chandelles de rechange, de quoi fabriquer une torche au cas où, un second briquet, de l'eau et un peu de nourriture. On ne sait jamais. J'ai aussi confectionné de l'onguent cicatrisant et ceci.

Rilin sortit une petite fiole de sa poche et la donna à Leïmy qui l'observa d'un air circonspect. La couleur du liquide lui évoquait celle de la boue. En résumé : pas très appétissant. Elle retourna le flacon à la recherche d'une étiquette lui indiquant ce qu'elle tenait dans sa main mais, comme elle n'en trouva pas, elle releva son regard sur Rilin en une question silencieuse.
Le magicien lui expliqua :

- C'est un philtre qui empêche de ressentir la douleur mais il peut se montrer piège. Si vous ne ressentez plus la moindre douleur, vous risquez de pousser votre corps trop loin et d'écoper de séquelles fâcheuses.

- Je serai prudente, assura Leïmy en laissant tomber la fiole dans le sac, mais n'est-ce pas tricher ?

- Pas du tout ! Répondit Iléany. Par contre, vous ne pouvez pas garder votre fantôme.

- Il faudrait un miracle pour que ce soit "mon" fantôme.

Grogna Leïmy en dénouant la chaîne du talisman toujours passé à sa ceinture. Elle confia la médaille à Dévlin en dissimulant au mieux l'inquiétude que ce geste engendrait.
En effet, les épreuves les plus difficiles à traverser avaient été l'année dernière et, même si elle s'était souvent retrouvée à devoir les affronter seule, elle avait toujours pu appeler Molwen en cas d'urgence. Là, elle ne pourrait même pas compter sur l'esprit de l'adolescente.
La mercenaire s'obligea à se reprendre. Elle n'avait jamais eu besoin de quiconque pour s'en sortir et certainement pas de cette teigne décédée. Elle le prouverait une fois de plus, voilà tout.
Rilin lui serra le bras, l'arrachant de ses pensées.
Avec un sourire tiré à la fois à cause de l'épuisement et de l'inquiétude mais également car il n'en avait plus l'habitude, le magicien lui dit :

- Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne chance.

- Vous ne m'accompagnez pas au Temple ? S'étonna Leïmy.

- Non, je ne préfère pas.

Rilin eut une moue d'excuse et il serra à nouveau le bras gauche de Leïmy en un geste d'encouragement puis il regagna le palais.
Leïmy leva un sourcil, surprise par ce comportement. Elle se retourna vers les autres en quête d'une explication. Negg et Dévlin haussèrent tout deux les épaules, n'en devinant pas plus qu'elle, mais Iléany leur apprit :

- Il ne quitte jamais le palais.

Leïmy hocha lentement la tête, plus du tout étonnée. Rilin détestait quitter l'abri d'un endroit familier lui donnant l'impression d'être moins exposé au chagrin.
Le silence s'étendit sur plusieurs minutes puisqu'il n'y avait plus grand chose à dire.
Tout les quatre attendaient Sire Délèk et commençaient à s'impatienter, surtout Leïmy et Negg mais le pire était la nervosité ambiante. Elle était presque palpable et se traduisait chez chacun par des mouvements angoissés et presque involontaires. Iléany jouait avec ses colliers, les faisant cliqueter entre eux, Dévlin ne cessait de passer la main dans ses cheveux, Negg tapotait le pommeau d'une de ses dagues et Leïmy triturait ses longues mèches noires.
La jeune fille soupira, excédée par cette attente. Elle se dit qu'elle patientait encore deux minutes, pas une de plus, puis qu'elle irait chercher Sire Délèk, le sortant du lit si besoin.
Au moment où elle se levait pour exécuter son intention, le souverain les rejoignit, accompagné du Capitaine Sulfurd. Cela semblant être une constante en cette journée, Sire Délèk et le capitaine paraissaient manquer de sommeil.
Le souverain se passa une main sur le visage et s'excusa :

- Pardonnez-moi mais le levé a été dur aujourd'hui.

- Comme pour tout le monde. Murmura Negg.

- Je pense que nous avons perdu suffisamment de temps alors en route. »

Décréta Leïmy en s'enfonçant déjà dans le jardin.
Les autres s'empressèrent de la rattraper. Sire Délèk prit la tête du groupe, guidant les autres. Iléany venait juste après lui et elle se retournait fréquemment. Dévlin marchait presque au même niveau que Leïmy et Negg qui avançaient côte à côte. Sulfurd fermait la marche, le visage impassible.
Ils franchirent le portail noir en fer forgé et la fraîcheur dispensée par l'épaisse végétation s'évapora pour être remplacée par une chaleur étouffante qui s'abattit sur leurs épaules. Les Aranniens, habitués à ce climat torride n'en furent absolument pas incommodés contrairement aux Welkonniens qui sentirent leurs gorges se dessécher presque instantanément.

Ils traversèrent la place rectangulaire s'étalant devant le mur du palais et qui n'était en réalité qu'un élargissement de la rue.
Juste en face de la muraille du palais s'en élevait une seconde, moins haute et peinte de scènes se déroulant au milieu de la nature représentées avec une incroyable finesse et grand talent. Le rempart s'interrompait sur plusieurs mètres avant de se dresser à nouveau plus loin, permettant le passage.
Ils entrèrent dans le Grand jardin central et la chaleur s'atténua, soulageant les Welkonniens. Ici, les arbres étaient plus grands et plus épais que dans le parc du palais, les buissons étaient plus touffus, les fleurs plus vivaces et odorantes mais les plantes étaient également plus clairsemées. Certainement car l'endroit était plus fréquenté. De nombreux sentiers parfaitement entretenus partaient dans toutes les directions et, même si ils ne les voyaient pas, ils entendaient plusieurs personnes.
Sire Délèk s'engagea sur le chemin qui se dirigeait droit vers le sud et qui était aussi le plus large.
Tous progressaient en silence, pensant davantage à l'épreuve, exceptée Leïmy qui savait qu'elle serait plus efficace si elle ne s'obsédait pas avec ça. À la place, elle contemplait la végétation d'un œil critique.
Même si la nature était un peu plus libre ici que dans le jardin du palais, Leïmy la trouvait artificielle comme si on avait fait en sorte de la rendre le plus présentable possible avant une réception, comme une mendiante habillée en noble trop maquillée.

Ils marchèrent durant environ une heure et quart et cinq kilomètres, Leïmy compta, puis Sire Délèk fit stopper le groupe.
Devant eux, se dressait un immense édifice de marbre blanc dans lequel était incrusté du verre formant des frises. Il était composé de trois parties carrées. La première, qui était aussi la plus grande, était encastrée entre les deux autres plus petites. Toutes trois étaient surmontées d'une coupole d'or se terminant par de hautes pointes décorées de sphères alternant neuf couleurs sur toutes leur longueur. Elles semblaient pouvoir transpercer le ciel. Des colonnes torsadées se terminant en flèche entouraient le bâtiment sans réel ordre apparent et, encore une fois, de fins traits de neuf teintes différentes coloraient leur marbre blanc.
Les fenêtres du Temple ne possédaient pas de vitre et perçaient les murs trop haut pour qu'on puisse y regarder. Elles ne devaient servir qu'à laisser passer la lumière tamisée du jardin. Le sol autour de l'édifice religieux était pavé de gris mais, régulièrement, des plaques de verre, jaune vif, brun, gris-blanc, pourpre, doré, violet, vert, rougeoyant ou bleu pâle brisaient la monotonie des pavés.
Quelques personnes se trouvaient sur cette placette. Dès que leurs regards se posèrent sur Sire Délèk, elles le saluèrent toutes d'une profonde révérence.
Dévlin examina les insignes que portaient ces gens et il remarqua qu'il y en avait des différents. Toujours révolté par ce qu'il avait lu la veille, le nécromancien critiqua, acerbe :

« Je vois que c'est le seul endroits où on laisse les gens se mélanger.

Sire Délèk se retourna, surpris par la véhémence dans les propos de Dévlin qui s'était montré le plus diplomate des trois Welkonniens jusqu'ici.
Le nécromancien reprit en s'adressant précisément à Sire Délèk :

- Je me demandais, si deux familiers, par exemple, ont un enfant qui fait de la magie des éléments, leur arrache t-on leur bébé pour le placer dans le quartier qui lui correspond ?

- C'est fort rare que deux personnes porteuses de la même magie aient une progéniture ayant d'autres pouvoirs que la leur.

- Donc, si ton gamin est un mentaliste, pose-toi des questions !

Lança Leïmy à Dévlin en lui donnant une forte tape dans le dos du nécromancien, davantage pour tuer son angoisse que pour véritablement se moquer de Dévlin. Ce dernier lui lança un regard noir, guère amusé par cette remarque.
Sire Délèk se racla la gorge, ne comprenant pas pourquoi la conversation avait pris cette tournure :

- Je crois que nous ferrions mieux d'en revenir à ce pourquoi nous sommes ici.

- Évidemment.

Grogna Leïmy avant de se diriger vers l'une des trois portes s'ouvrant sur chacune des parties. Les autres lui emboîtèrent le pas et ce fut ensembles qu'ils entrèrent dans le Temple.
L'intérieur de celui-ci était étrangement vide. Il n'y avait que les neuf statues qui, ici, faisaient cinq mètres mais les très nombreuses fresques peintes sur les murs donnaient une impression d'étouffement.
Leïmy s'approcha des statues pour mieux les observer. Là aussi, comme au temple du palais, le dieu de la magie du temps avait le visage détruit mais le plus singulier était qu'une maigre lueur émanait de chacune des statues. Selon la sculpture, la lumière adoptait une couleur différente. Intriguée, Leïmy voulut poser la main sur l'une des représentations mais Iléany l'en empêcha d'un cri :

- Non !

Leïmy ramena sa main vers elle et posa un regard contrarié et interrogatif sur Iléany.
Cette dernière s'empressa de venir à la hauteur de Leïmy et des statues pour expliquer à la jeune file :

- C'est très dangereux de faire ça. Toutes les personnes qui ont essayé ont été foudroyées sur le champ. C'est que les dieux ont placé une infime partie de leurs pouvoirs dans ces statues.

- Celle-ci à l'air vide. Remarqua Leïmy en montrant le dieu au visage éclaté.

- Venez par ici !

Les appela Sire Délèk. Leïmy et Iléany délaissèrent les statues et Dévlin s'arracha à l'examen des fresques qui auraient pu lui apprendre plus de choses sur Arancha.
Tous rejoignirent le souverain qui se trouvait dans le fond de l'édifice. Ils passèrent devant un autel au-dessus duquel flottaient quatre cristaux irradiant de magie.
Sire Délèk attendait devant une entrée s'ouvrant comme une bouche obscure. Un courant d'air chaud monta du tunnel en sifflant une note plutôt mélodieuse.
Les poings sur les hanches, Leïmy étudia le début du souterrain. À part le fait que personne n'y avait jamais fait la poussière depuis très longtemps, il n'y avait rien à en dire. Il ne semblait pas menaçant ou effrayant. De là, les ruines d'Elkbo paraissaient bien plus dangereuses.
Leïmy passa la bandoulière du sac préparé par Rilin en travers de sa poitrine et déclara en se tournant vers le reste du groupe :

- Bon, nous nous revoyons dans quelques heures. »

Sans attendre d'éventuelles réponses, encouragements ou conseils, la mercenaire entra dans le souterrain et fut immédiatement engloutie par l'obscurité.

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