Chapitre 8

Leïje se promenait dans les rues d'Orquia à la recherche de bourses mal surveillées par leur propriétaire mais la ville était désertée à cause de la chaleur déjà élevée en cette mâtinée. Se résignant, le voleur chercha une autre occupation.
Il avait dit à Leïmy et Negg qu'il veillerait sur leurs arrières mais, pour le moment, il n'avait pas grand chose à surveiller à part peut-être l'état de Maige.
Il prit la direction des quartiers aisés situés à quelques rues du palais du Conseil. Cela faisait un an que Leïje ne s'était pas rendu chez Dévlin mais il parvint à retrouver le chemin sans trop de difficultés.
Le portail était verrouillé mais ça ne posait pas de problème à Leïje qui sortit deux crochets des poches intérieures de son manteau et les introduisit dans la serrure. La forcer ne lui prit que quelques secondes. Il entra dans le jardin et remonta l'allée, faisant crisser les graviers sous ses semelles.
Trouvant mal venu d'entrer sans avertir les habitants de sa présence, il frappa contre la porte et attendit. Il entendit des pas sur un tapis puis la domestique de la maisonnée vint ouvrir. Leïje lui offrit un large sourire, renforçant son allure de séducteur déjà bien appuyée, et lui demanda :

« Vous vous souvenez de moi ? Je viens voir comment vous allez dans les parages.
- Myrthe, qui est-ce ?

S'enquit Maige en entrant dans le vestibule derrière sa domestique en se tenant le ventre.
Elle mit quelques secondes à reconnaître Leïje qu'elle n'avait dû rencontrer qu'une ou deux fois. Lorsqu'elle se souvint de qui il était, la surprise marqua ses traits délicats.
Le voleur lui expliqua :

- Je suis passé voir si vous teniez le coup, sur demande de Negg plus que de Leïmy.
- Je vais bien.

Assura Maige en essuyant une larme de plus perlant au coin de son œil gauche, se contredisant elle-même. Leïje leva un sourcil pour montrer qu'il n'était guère convaincu.
Cherchant à la consoler sans paraître trop proche de la jeune femme, il lui proposa :

- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez vous tourner vers moi enfin, si vous parvenez à me mettre la main dessus.
- Je vous remercie mais j'attends la venue de mon cousin et, je ne voudrais pas vous sembler impolie mais, est-ce que...
- Je pourrais partir avant qu'il n'arrive ? Bien sûr ! Portez-vous bien, mesdames. »

Après un second sourire, Leïje regagna la rue.
Cette visite n'avait pas été très utile, il devait bien l'avouer mais il pourrait au moins affirmer qu'il s'était assuré que Maige allait bien.
La rue se terminait en un angle donc Leïje tourna et il découvrit cinq gardes en patrouille. Le voleur jura et rabattit la capuche de son manteau sur son visage puis continua son chemin en tentant de paraître le plus décontracté possible.
Depuis son court séjour en cellule la veille, le voleur se méfiait encore davantage de la Garde.
Après avoir dépassé le petit groupe de soldats, Leïje s'empressa de pénétrer dans la première venelle qu'il croisa. Là, il se remémora son arrestation et se demanda comment les membres de la Garde avaient fait pour les trouver.
En quête de réponses, il changea totalement de secteur de la ville et se rendit dans les bas-quartiers. De là, il prit la route de la boutique de Veren, leur revendeur favori.
Le magasin était vide, comme bien souvent. Leïje patienta en tapotant le parquet du bout de son pied droit, impatient.
Le commerçant ne tarda pas à sortir de l'arrière-boutique et le sourire qu'il s'était composé se fana immédiatement lorsqu'il avisa Leïje dans sa boutique. Inquiété par la présence du voleur, il recula, prêt à s'enfuir à tout moment. Leïje s'avança jusqu'au comptoir et y posa les deux mains à plat.
Gêné par le silence qui s'étendait, Veren le rompit avec la première chose qui lui vint à l'esprit :

« Alors, ils t'ont relâché, c'est bien ?
- Oui, j'en suis bien content. D'ailleurs, je me demandais si tu n'avais pas une idée sur la manière dont la Garde avait pu remonter jusqu'ici.

Veren jeta un regard par la vitrine crasseuse pour vérifier que personne n'arrivait puis il s'assura auprès de Leïje :

- Es-tu seul ?
- Ai-je l'air d'être accompagné ?
- Je voulais seulement savoir si ta belle amie était dans les parages parce que, sans vouloir te vexer, j'ai plus peur d'elle que de toi. Bon, quoi qu'il en soit, il y a une semaine environ, des membres de la Garde sont venus m'interroger sur tes deux amis. J'ai prétendu que je ne les connaissais pas mais ils ont mis mon magasin sous surveillance au cas où. Je n'y suis pour rien !
- Tu aurais pu nous prévenir.
- Et aller en prison pour avoir protégé des criminels recherchés en plus d'avoir revendu des objets volés ? Non merci.
- Tu n'as pas tort. Dis-moi, tu n'aurais pas entendu parler d'un larcin que je pourrais faire ? Je me sens désœuvré.

Veren secoua négativement la tête, soulagé de ne pas subir de représailles.
Il se saisit d'un vase et d'un chandelier en argent pour les ranger sur l'une des étagères poussiéreuses alors que Leïje s'accoudait au comptoir. Il semblait s'être installé pour rester. Veren ne fit aucun commentaire. Il n'avait rien contre un peu de compagnie et il s'entendait bien avec le voleur.
Ce dernier lui signala :

- Tu devrais faire le ménage ici.
- Ne t'en prive pas. Tu m'as dit que te ne savais pas comment t'occuper alors...

Veren fut interrompu par le grincement de la porte qu'on ouvrit.
Leïje détailla le nouvel arrivant. Il s'agissait d'un homme âgé d'un peu plus de vingt ans de belle prestance. Ses longs cheveux blonds descendaient jusqu'au milieu de son dos et encadraient parfaitement son visage aux mâchoires carrées. Il était richement vêtu et portait une rapière dont le pommeau était serti d'une grosse émeraude à son côté.
Ses yeux, plus pâles que la gemme, examinaient la pièce, la bouche tordue en un rictus dé dégoût comme si il observait une famille de cafards courant dans son assiette.
Son regard s'arrêta sur le chandelier que Veren venait de placer sur l'étagère et il serra les poings.
Leïje s'enquit :

- Vous cherchez quelque chose, mon vieux ?
- Des réponses et si vous m'en donnez suffisamment, j'oublierais ce manque de respect dont vous venez de faire preuve à mon égard.
- Si ça vous amuse. Répliqua Leïje avec un sourire moqueur.
- Lequel de vous deux et le gérant de cet endroit ?
- Vous pouvez dire bouge !

Lança Leïje, très fier de se plaisanterie, ce qui lui valut un regard réprobateur de la part de Veren qui reporta ensuite son attention sur son client alors que le voleur riait silencieusement.
Le commerçant se désigna :

- C'est moi. Que puis-je pour vous aider ?
- Je sais quelle activité vous exercez ici mais je ne suis pas là pour vous faire chanter en vous menaçant de tout révéler aux autorités, ce n'est pas mon but. Je veux seulement savoir si quelqu'un est venu vous vendre les objets d'un vole récemment.
- Je ne vérifie pas les provenance de mes marchandises.

Répondit calmement Veren en passant de l'autre côté de son comptoir.
Le noble, car c'était certainement ce qu'il était, frappa violemment du poing sur le bois usé. Veren ne sursauta pas. Il traitait régulièrement avec des criminels et était donc habitué à ce genre de tentatives d'intimidation qui ne fonctionnait que rarement.
Leïje rapprocha la main droite de son poignard dissimulé sous son manteau. Cet homme n'était pas là pour plaisanter.
Comme pour confirmer la pensée de Leïje, le blond siffla :

- Je ne suis pas d'humeur alors je vous conseille de ne pas jouer au plus malin avec moi ! Dîtes-moi si on vous a vendu une bague !
- Soyez plus précis. J'ai un tas de bijoux.
- Un anneau en argent représentant un serpent se mordant la queue. Ses yeux sont deux onyx, alors ?
- Je n'ai rien qui y ressemble. Désolé.

Leïje releva la tête, cessant de chercher un moyen de s'emparer de l'émeraude du pommeau, son intérêt s'étant éveillé à cette description.
Pourquoi cet homme souhaitait-il trouver la bague que portait Leïmy ? Serait-il son légitime propriétaire ?
Leïje se concentra sur lui pour graver chaque détails de cet homme pour pouvoir le reconnaître, le décrire, mais il n'en eut guère le temps.
Le client céda à la colère qui semblait l'habiter depuis qu'il était entré. Il saisit Veren par le col de sa belle chemise et s'emporta :

- Elle devrait pourtant être ici puisqu'elle a été volée à mon domicile il y a deux nuits comme certains objets que je vois ici ! Où est-elle ?
- On ne me l'a pas vendue avec le reste. Le voleur a dû la garder. Je ne peux rien vous dire d'autres.
- Qui est le voleur ? Ne me mentez pas !

Veren adressa un regard interrogatif à Leïje pour savoir si il lui permettait de révéler les identités de Leïmy et Negg, même si ils ignoraient leurs noms. Leïje ne sut pas si il devait acquiescer ou lui interdire alors Veren fit à son idée.
Les membres de la Garde étaient peut-être encore dans les parages et il ne souhaitait pas les ameuter avec des cris.
Il répondit donc :

- Je ne sais pas comment ils s'appellent.
- Ils ?
- Oui, ils sont deux, une femme et un homme de vingt ans. Elle est plutôt grande pour une femme, elle a les yeux gris et de longs cheveux noirs. Elle est très belle, sans exagérer ! Lui, il est roux et le plus reconnaissable ce sont ses yeux. Ils ont une couleur noisette mais ses pupilles sont cerclées de vert.
- C'est une blague ? Siffla le blond, comprenant enfin pourquoi le portrait que lui avait dressé son domestique lui avait paru familier. Vous venez de me faire la description du frère de l'un des Conseillers. Celui qui a été déchu puis réhabilité.
- V..vraiment ?
- Et oui ! Répondit Leïje. Tu devrais sortir plus souvent, Veren.
- Mais c'est lui ! Dis-lui, Leïje !

Le noble relâcha Veren, qui lissa son vêtement. L'homme colérique se tourna vers Leïje qui ne cilla pas. Au contraire, il leva juste un sourcil d'un air désintéressé.
Il confirma seulement :

- Il vous dit la vérité. Ce sont Leïmy et Negg. »

Sur cette déclaration, Leïje quitta le magasin, l'esprit empli de questionnements et d'hypothèses plus saugrenues les unes que les autres, laissant les deux hommes ébahis.
Le voleur ne s'éloigna pas. Il escalada rapidement et souplement la façade de la boutique miteuse. Le bâtiment étant bas, il put s'installer sur le toit au moment où le jeune noble sortait. Leïje le vit prendre la direction des quartiers riches. Pas de grande surprise.
Leïje hésita un instant, se demandant si il devait le suivre ou non. Il choisit de ne pas le faire. Il apprendrait davantage sur lui en interrogeant certains membres de la guilde qu'en le filant.
Leïje attendit que le noble soit suffisamment loin pour descendre du toit puis il se mit en route.
Grâce aux épais feuillages de la forêt d'Yolle, les rayons du soleil peinaient à passer, créant une atmosphère fraîche et bienvenue par ces temps de fortes chaleurs.
Leïje ignorait qui serait ou non présents au campement. Certainement beaucoup de monde puisque les voleurs officiaient surtout la nuit.
Leïje dépassa les premières tentes à la recherche de Dabielle, qui était la première sur sa liste de personnes à questionner car il était sûr qu'elle lui répondrait sans détour.
Il gagna le centre du camp où trônait la tente d'Arick devant laquelle était attaché un sublime étalon à la robe blanche. C'était inhabituel car presque aucun voleur n'avait de cheval et ceux qui en possédaient les laissaient à l'extérieur du campement.
Intrigué, il s'approcha de l'animal qui, parfaitement dressé, ne bougea pas. Il était richement harnaché et devait donc appartenir à un bourgeois ou un autre noble. Leïje soupira. Encore un ! Il en avait déjà eut sa dose pour la journée et peut-être même la semaine.
Quelque chose attira le regard de Leïje sur le destrier. Une couverture était passée sous la belle selle de cuir, une couverture aux allures d'étendard car un blason y était brodé. Cinq tours de briques devant un grand arbre, celui de la famille De Iyrté.
Encore quelque chose de trouble en cette journée. Qu'est-ce que cela signifiait et était-ce lié à l'homme à la recherche de sa bague ?

« Leïje, où avais-tu disparu ?

L'interpellé se retourna vers Dabielle qui vint vers lui avec un sourire langoureux sur les lèvres. Ses cheveux châtains étaient réunis en un chignon rudimentaire.
Leïje lui demanda avec brusquerie :

- A qui appartient ce cheval ?
- A un homme qui est arrivé il y a environ une heure. Il s'entretient avec Arick.

Leïje fronça les sourcils, de plus en plus intrigué.
Les bras croisés sur la poitrine, il fixa la tente comme si il espérait parvenir à voir à travers la toile ce qui ne fut, bien évidemment, pas le cas.
L'un des pans servant de porte fut écarté par un homme de taille moyenne et vêtu d'une armure légère. Il enfourcha son cheval et l'éperonna. Il quitta le campement sous le regard suspicieux de Leïje qui trouvait que, décidément, une ou peut-être même deux affaires peu claires se tramaient aux alentours de la capitale.
Pourquoi cet homme tenait-il tant à retrouver sa bague ? Certainement pas parce qu'il s'agissait d'un héritage de famille. Il ne se serait pas emporté de la sorte si ce n'était que ça. Et qu'est-ce que Mauvaise Patte préparait ?
Leïje avait promis à Leïmy et Negg qu'il couvrirait leurs arrières, il devait donc enquêter, à moins que ce ne soit sa propre curiosité qui le poussait.

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