Chapitre 6
Leïmy se réveilla tôt dans les bras de Negg.
Elle ne souvenait pas de quand le rouquin l'avait rejointe. Elle devait déjà dormir à ce moment-là. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pu s'entretenir avec son frère et ils avaient dû parler longuement.
Laissant de côté les suppositions sur ce qui avait retardé Negg la veille, Leïmy vérifia la position du soleil sur le carré de ciel apparaissant par la fenêtre dont les volets n'avaient pas été fermés. L'heure était précoce et l'astre diurne n'avait pas encore fait son apparition. Constatant cela, Leïmy décida de profiter de la quiétude que lui offrait cette mâtinée et qui risquait de se faire fort rare ces prochains jours.
Negg se retourna et serra son amante contre lui en respirant l'odeur se dégageant de ses cheveux.
Il lui glissa d'une voix encore endormie :
« Je sais à quoi tu penses.
Leïmy ne fut pas surprise de l'entendre. Ils avaient tous deux l'habitude de s'éveiller avant ce qu'on pouvait appeler les gens normaux.
La jeune fille se blottit contre Negg et attendit qu'il continue, ce qu'il fit :
- Tu te dis que nous n'aurons plus de réveils aussi calme comme que celui-ci.
- Exactement.
Leïmy embrassa Negg. Il n'y avait que lorsqu'ils n'étaient que tous les deux qu'elle se montrait tendre et démonstrative. Negg fonctionnait de la même manière. C'était leur façon de s'aimer.
Ils restèrent enlacés sans bouger durant plusieurs minutes puis le soleil se leva, annoncé avec majesté par des couleurs or et sang enflammant le ciel. La chambre se nimba d'une riche lumière.
Les deux mercenaires échangèrent un regard reflétant le même avis. Negg repoussa la couverture et Leïmy s'étira. La jeune fille secoua sa chevelure, faisant tomber quelques cheveux qui se déposèrent sur l'oreiller en plumes d'oie. Negg qui, lui avait retiré ses bottes, les remit puis se leva.
Après s'être mis d'accord, ils sortirent dans le couloir et allèrent frapper à la porte de la chambre de Dévlin et Maige. Comme aucune réponse ne vint, ils insistèrent et Leïmy toqua à nouveau avec plus de force. Toujours aucune réaction de l'autre côté de la porte.
Se disant qu'il était impossible que les deux nécromanciens aient un sommeil aussi lourd, Negg entra et, comme il s'y attendait, découvrit la chambre vide. Les draps étaient défaits des deux côtés du lit, indiquant que deux personnes y avaient dormi.
Leïmy posa la main sur le matelas et constata à voix haute :
- C'est froid. Ils sont partis il y a un moment.
Negg hocha la tête, le visage grave.
Ils décidèrent d'explorer le rez-de-chaussée en premier avant de remonter au premier si besoin. Ils se séparèrent pour chercher plus rapidement. Negg vérifia les pièces ouest et Leïmy se chargea de l'est. La jeune fille jeta un regard dans un bureau et dans une bibliothèque sans rien trouver, s'agaçant de plus en plus de cette disparition.
Dévlin avait-il choisi dans la nuit de ne pas obéir à ses collègues Conseillers et de s'enfuir avec Maige ? Cette hypothèse semblait hautement improbable à Leïmy pour deux raisons. La première était qu'elle les aurait entendus, leurs déplacements peu furtifs l'ayant réveillés, et la deuxième était que Dévlin n'aurait jamais mis la vie de Maige ou de son enfant en danger en fuyant alors que le terme de la grossesse n'aurait su tarder. Il y avait une autre explication.
Leïmy ouvrit une nouvelle porte, celle d'un petit salon aux teintes mauves et violines.
Dévlin et Maige étaient là, assis sur le divan, enlacés. Maige dormait, lovée contre son époux mais les marques que les larmes ayant coulées sur ses joues avaient laissées étaient encore visibles.
- Ah bah quand même !
S'exclama Leïmy en levant les bras au ciel avant de poser les mains sur ses hanches, tirant Maige de sa somnolence dans un sursaut. Dévlin fusilla la mercenaire du regard pour avoir réveillé la jeune femme alors qu'elle avait besoin de repos.
Ne se souciant absolument pas de ce reproche silencieuse, Leïmy reprit avec le même ton contrarié :
- Vous auriez pu laisser un mot pour nous expliquer où vous étiez ! Nous nous sommes inquiété, enfin surtout Negg.
- Pourquoi aviez-vous besoin de nous à une heure pareille ? Demanda Dévlin dans un grognement.
- Nous étions debout et nous pensions qu'il était temps de gagner le palais du Conseil.
- Avec trois heures d'avance ? Pas question ! J'ai bien l'intention de rester avec Maige aussi longtemps que je peux avant mon départ. »
Maige s'accrocha à la chemise de Dévlin alors que ses yeux se remplissaient encore de larmes.
Leïmy soupira. Ils l'agaçaient à ne pas vouloir se lâcher.
Laissant les nécromanciens à leurs adieux larmoyants et humides, la mercenaire quitta le petit salon puis rejoignit Negg pour l'informer du fait qu'elle avait retrouvé son idiot de frère.
Ne pouvant qu'attendre, les deux mercenaires prirent leur mal en patience, Leïmy en faisant les cents pas tout en marmonnant son énervement envers Dévlin et Negg en passant en revue les connaissances provenant des légendes sur la Mer Désertique et le désert de Soow qu'il possédait.
Les trois heures passèrent comme au ralenti pour Leïmy et Negg et comme en accéléré pour le couple de nécromanciens.
Ils se tenaient sur le palier de la demeure. Leïmy et Negg patientaient déjà dans le jardin. Dévlin promettait pour une énième fois d'être prudent à Maige qui serrait les mains de son époux dans les siennes de manière presque compulsive en pleurant sous le regard désapprobateur de Peronne.
L'heure filait et ils risquaient d'être en retard si ils tardaient davantage. Negg le signala à son aîné d'un discret raclement de gorge. Dévlin hocha la tête à l'attention de son cadet pour lui indiquer qu'il arrivait et il prit délicatement le visage de Maige entre ses mains. Il déposa un baiser sur les lèvres de son épouse qui sanglota de plus belle.
- Je te promet que ça ira.
Assura Dévlin à Maige. Cette dernière ne parvint pas à articuler, la gorge nouée par les larmes et elle ne put que secouer la tête. Impossible de déterminer si c'était de manière positive ou négative.
Elle serra encore une fois les mains de Dévlin lorsqu'il les eût retiré de son visage puis il l'embrassa encore et ils se séparèrent. Le nécromancien replaça une courte mèche rousse derrière l'oreille de Maige puis il rejoignit les deux mercenaires qui commençaient à s'impatienter, surtout Leïmy.
Ils se mirent tous trois en chemin en prenant la direction du palais du Conseil.
Maige les suivit du regard et resta à la porte après que le trio ait disparu plus loin dans la ville. Peronne dut la forcer à rentrer à l'intérieur.
Dévlin marchait en baissant les yeux sur le bout de ses bottes en cuir brun, un air triste dans le regard.
Leïmy prit le temps de le détailler pour avoir une idée de l'équipement qu'il emportait. Le nécromancien était vêtu d'une paire de chausses camel, d'une chemise vert clair renforcée de métal au niveau des poignets ainsi que de la poitrine et son éternelle cape blanche fermée par une fibule en argent. Sa rapière ouvragée pendait également à son côté.
Leïmy commenta :
- Tu sais que tu ressembles à un arbre habillé comme ça ?
- C'est sa façon de te dire qu'elle a de la peine pour toi.
Décrypta Negg pour Dévlin qui haussa les épaules. Il se moquait bien de savoir si Leïmy avait de la compassion pour lui et il se doutait que ce n'était pas le cas.
Préférant changer de sujet, Negg fit remarque à ses deux compagnons :
- Je ne sais pas si vous avez vu mais nous n'avons rien pour le voyage, pas même des vivres.
- Cela nous sera fournis par le Conseil. Répondit Dévlin.
- Tes collègues ont-ils aussi un navire ou doit-on ratisser tout le port d'Igga jusqu'à trouver un équipage suffisamment fou pour nous faire traverser la Mer Désertique ? Se renseigna Leïmy avec agacement.
- Nous avons fait construire un bateau sur la rive de la Mer Désertique. Oui, nous préparons cette expédition depuis longtemps. Vous trouver était l'avant-dernière étape. Il va seulement nous manquer les marins.
Negg s'abstint de signaler qui si le Conseil était parvenu à les persuader, il devait être capable de convaincre un petit équipage.Leïmy réfléchit puis un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres.
Elle déclara :
- Je sais qui nous conduira dans le désert de Soow. Allez, dépêchons-nous. Je ne voudrais pas faire attendre les Conseillers.
Leïmy accéléra le pas, forçant les deux frères, nageant en pleine incompréhension, à en faire de même.
Finalement, ils arrivèrent à l'heure du rendez-vous du Conseil.
À en juger par les traits tirés qu'avaient ceux les attendant, ils n'avaient pas l'habitude de se lever aussi tôt. En cette saison, la nuit ne durait que six heures à Welkonn. Iquion somnolait, appuyé contre un mur et Marga peinait à conserver ses paupières ouvertes.
Le soulagement descendit sur le visage ridé de Domilla. Elle redoutait grandement que les mercenaires ne se présentent pas aujourd'hui.
- Bon, déclara Leïmy. Nous sommes là alors ne traînons pas. Dévlin nous a expliqué que vous n'aviez pas d'équipage. Si nous avons le temps de nous rendre à Igga et d'en revenir, je sais exactement où en trouver un et le capitaine ne refusera pas.
Les Conseillers, y compris Dévlin, échangèrent des regards où brillaient le même éclat que Leïmy et Negg ne parvinrent pas à identifier. Marga semblait le plus enthousiaste du groupe.
Domilla répondit à Leïmy :
- Nous pouvons vous y envoyer. C'était ce qui était prévu.
- Nous y envoyer ? Releva Negg, bloquant sur le mot employé.
- Vous allez comprendre. Suivez-nous.
Ordonna Garhil avant de quitter la salle de réunion, suivi par ses confrères.
Leïmy leva un sourcil, circonspecte. Qu'est-ce que les Conseillers pouvaient bien avoir en tête ? Devinant la question que se posait sa compagne, Negg haussa les épaules. Le meilleur moyen de savoir était de voir.
Ils emboîtèrent le pas aux cinq magiciens, méfiants.
Ils conduisirent les mercenaires dans le couloir où se situaient les chambres. Leïmy fronça les sourcils. Qu'est-ce que cela signifiait ? Domilla sortit une clé de l'une des deux poches de sa robe et l'introduisit dans la serrure de l'une des portes.
Elle l'ouvrit.
Des odeurs s'échappèrent de la pièce, âcres et piquantes mais également douçâtres et écœurantes. D'un signe de la main, Domilla invita les mercenaires à entrer. Negg chercha le regard de son frère en quête de réponses mais il n'y vit que de l'inquiétude.
Leïmy haussa les épaules à son tour et pénétra dans ce qui s'avéra être une ancienne chambre aménagée en laboratoire. Des fioles et des alambiques remplis de toutes sortes de substances solides ou liquides étaient posés sur des tables disposées dans toute la pièce. Leïmy reconnut des éclats des pierres de pouvoirs. Ils étaient ternes et vides de toutes magie, comme lorsque les magies s'étaient uni.
Leïmy examina les plans de travail sans rien exprimer ni par des mots ni par son visage.
Negg demanda :
- Qu'est-ce que cet endroit et qu'y faîtes-vous ?
- Rien ne s'est produit depuis l'union des magies, à part la survie de Welkonn, bien sûr. Nous cherchons donc à découvrir si cela a changé quelque chose à travers des expérimentations. Expliqua Domilla.
- C'est follement passionnant. Commenta Leïmy, sarcastique.
- Avez-vous trouvé des choses ? se renseigna Negg, qui semblait plus intéressé que sa compagne.
- Pas vraiment, répondit Dévlin. Nous sommes seulement parvenus à reproduire les voyages magiques de Rilin mais sans épuiser les voyageurs. C'est comme cela que nous allons gagner Igga et si nous ne pouvons pas nous rendre dans le désert de Soow de la même manière, c'est car cela ne fonctionne que vers un lieu connu.
- Bon, ne perdons pas de temps.
Leïmy poussa un lourd soupir. Elle gardait un très mauvais souvenirs de ses voyages magiques, de longues inconsciences, des migraines et autres désagréments du genre.
Dévlin se plaça au centre de la pièce où le parquet était marqué d'un grand symbole circulaire.
Leïmy remarqua qu'il s'agissait en réalité d'un mélange entre différents signes appartenant aux cinq magies qui s'employaient dans d'anciens rituels. La jeune fille écarquilla les yeux. Comment savait-elle cela ? Elle n'avait jamais ouvert un traité de magie de sa vie.
Negg la tira à l'intérieur du cercle à ses côtés et à ceux de Dévlin.
Les autres Conseillers se placèrent en rond autour du symbole. L'air ne tarda pas à vibrer de puissance.
Avant d'achever le sort, Domilla signala :
- Une dernière chose : ce n'est pas encore tout à fait stable.
- Quoi ? S'exclama Leïmy. Il est hors de question que je serve de sujet à vos expériences !
Leïmy tenta de bondir hors du cercle mais elle n'en eut pas le temps. Ils disparurent.
Leïmy eut la sensation que tout tournait autour d'elle et qu'elle tombait en arrière dans un gouffre béant alors que ses organes restaient en haut, le tout dans un noir complet puis elle revint à elle après quelques secondes qui lui parurent durer une éternité.
Elle se redressa vivement et tâta son corps pour s'assurer qu'elle était entière. Rassurée, elle vérifia ensuite son équipement. Rien ne manquait.
Negg se releva en se tenant le crâne. Dévlin se portait mieux que ses deux compagnons. Il avait déjà tenté ces voyages.
Leïmy prit appuie sur le mur crasseux à côté d'elle. Ce n'était pas aussi éprouvant qu'avec Rilin mais elle se sentait tout de même un peu faible.
Elle étudia les alentours. Ils se trouvaient dans une ruelle proche des quais à en juger par l'odeur
d'iode et l'agitation lui parvenant. Sa connaissance de la ville le lui confirmait également.
Elle lança à Dévlin :
- Au moins, tes collègues savent viser. Ne traînons pas. »
Leïmy vacilla et dut se rattraper à nouveaux aux briques puis elle quitta la venelle, retrouvant peu à peu son assurance sur ses pieds, entraînant les deux frères à sa suite.
L'effervescence était presque palpable. Des marins et des employés de toutes catégories couraient en tous sens, transportant des caisses de marchandises ou d'autres choses pendant que les capitaines beuglaient des ordres aussi fort qu'ils le pouvaient.
Leïmy promena son regard sur la foule pour commencer puis se laissa entraîner par le flot des personnes.
Negg la saisit par le poignet pour ne pas la perdre et de l'autre côté, il referma ses doigts sur la cape de Dévlin. Ils furent ballotés de gauche à droite sans réussir à se déplacer d'eux-mêmes, comme si leur volonté dépendait de la cohue autour d'eux mais, rapidement, les passants évitèrent le trio. Les nombreuses lames et l'air antipathique de Leïmy en étant les causes principales.
Cette crainte les arrangeait car, avec la distance qu'on mettait entre eux et les autres, ils parvenaient à se diriger comme ils le souhaitaient.
Ils longeaient les navires amarrés en examinant la taille des bâtiments et de leur équipage.
Après une heure et demie de recherche, ils avaient passé en revue presque tous les équipages mais aucun n'avait satisfait Leïmy, qui avait obligé les deux frères à continuer.
La jeune fille stoppa et croisa les bras sur sa poitrine, de l'agacement sur le visage.
Elle pesta :
« Ce ne devrait pas être introuvable, bon sang !
- Non, ce n'est pas introuvable mais tu as refusé tous les équipages qui auraient pu faire l'affaire. Grogna Dévlin.
- Parce que je sais déjà lequel prendre ! J'ignore seulement où il est.
Dévlin comprit à qui Leïmy pensait depuis le début. Les épaules du nécromanciens s'affaissèrent et son visage se durcit en une expression de désapprobation.
- Leïmy, ne me dis pas que...
- Oh que si ! Moi, je trouve que c'est une excellente idée.
- Tu ne vas pas les exploiter à nouveau ! Certains sont déjà morts à cause de toi !
- Ce n'était pas totalement de ma faute.
Dévlin fusilla Leïmy du regard. La jeune fille haussa les épaules avec un sourire en coin.
Elle se détourna pour reporter son attention sur leur environnement. À travers la foule compacte qui continuait à ne pas les approcher, elle avisa un nom peint en brun sur la façade d'un bâtiment bordant le quai : Le vent dans les voiles. Une auberge, elle aurait dû y songer plus tôt.
Elle décroisa les bras et se dirigea vers l'établissement.
Negg la suivit. Il n'avait pas saisi de qui parlaient Leïmy et son frère et il comptait bien le découvrir en accompagnant son amante, contrairement à Dévlin qui resta sur place.
Negg se tourna vers lui et lui fit signe de lui emboîter le pas mais le nécromancien secoua négativement la tête. Il refusait de participer au plan de Leïmy.
Cette dernière conseilla à Negg :
- Laisse-le. Peut-être espère t-il se faire engager comme coursier.
Dévlin poussa un grognement agacé avant de les rejoindre. Ils entrèrent ensemble dans Le vent dans les voiles.
La salle était quelque peu enfumée à cause de l'huile des lanternes et il y avait des odeurs prononcées de poissons grillés et de bière. Des conversations se menaient sans animation excessive. En bref, il y régnait une ambiance chaleureuse et plaisante.
Leïmy promena son regard d'acier sur les clients puis, ne reconnaissant personne, elle ressortit alors que Negg et Dévlin avaient à peine posé un pied à l'intérieur.
Ils visitèrent ainsi cinq auberges presque au pas de course, imposé par Leïmy. La mercenaire poussa la porte de la sixième.
L'atmosphère de celle-ci était plus agitée que dans les autres mais pas dans le mauvais sens du terme. Un homme grattait les cordes d'un banjo en une mélodie simple mais enjouée et de nombreux rires s'élevaient partout. Certainement y avait-il aussi davantage d'alcool.
Leïmy commençait grandement à s'impatienter puis ses yeux se posèrent sur une tête blonde appartenant à un homme à peine plus âgé que la jeune fille. Il plaisantait de bon cœur avec un marin à la carrure de colosse.
Un sourire mi-carnassier mi-concupiscent fendit le visage de Leïmy. Dévlin tenta de la retenir mais elle esquiva la main du nécromancien cherchant à se refermer sur son bras. La mercenaire se faufila entre les buveurs, imperméable à la bonne humeur ambiante.
L'homme blond, absorbé par sa joyeuse conversation et le dos tourné, ne la vit pas arriver. Elle le saisit par l'épaule et le retourna pour le plaquer sur la table à laquelle il était assis, le soulevant de sa chaise.
L'insouciance quitta le regard du marin pour être remplacé par un air de pure frayeur. Leïmy savoura cette expression.
Elle ironisa :
- Alors, tu ne salues pas ta petite sœur ? (du coin de l'œil, elle vit le colosse qui, sa surprise passée, s'apprêtait à s'interposer). Ne bouge pas si tu tiens à tes doigts !
Pour appuyer sa menace, elle dégaina une dague qu'elle planta dans le bois de la table à quelques centimètres de la tête de Batquisse qui se retint pour ne pas défaillir.
Dévlin se pressa de venir à la hauteur de Leïmy pour l'empêcher de tuer quelqu'un.
La mercenaire l'ignora et continua de s'adresser à son demi-frère :
- Tu ne me demandes pas ce que je fais dans les parages ?
- Qu'est-ce qu...que...tu...tu...tu...
- Étant donné le temps que tu vas utiliser pour me poser cette question, je vais te répondre immédiatement. J'ai besoin de toi ou plutôt, nous avons besoin de toi et de ton équipage.
Cette annonce réveilla le souvenir de son naufrage chez Batquisse et la colère lui donna le courage ou l'inconscience de s'opposer à Leïmy. Il tenta de se dégager mais la poigne de la mercenaire était trop forte.
Sa position d'infériorité ne l'empêcha pas de résister à Leïmy :
- C'est hors de question ! La dernière fois que je t'ai acceptée à mon bord, j'ai perdu mon navire et la moitié de mon équipage a péri !
- C'est la vie et puis, ton gagne-pain ne sera pas mis en danger puisque nous te fournissons le navire.
- Parce que tu as un navire ?
- Pas moi personnellement mais le Conseil. Veux-tu une preuve ? (elle donna une tape sur l'épaule de Dévlin pour le présenter). Voici Dévlin, tu te souviens de lui. Avec tout ce qu'il s'est déroulé l'année dernière, tu dois forcément connaître son poste ainsi que son frère qui m'accompagne également.
Batquisse n'eut pas le temps de répondre par l'affirmative. Negg se racla la gorge, de l'agacement sur le visage. Il aurait bien aimé que Leïmy lui explique qui était cet homme qu'elle cherchait à convaincre de manière à l'efficacité douteuse, de son point de vue.
Il plaça son bras entre Leïmy et le capitaine pour rappeler à sa compagne qu'il existait. Leïmy lui adressa un regard furieux en grinçant des dents.
Negg exigea :
- Pourrais-je avoir quelques précisions sur ce qu'il se passe ici ?
- Je recrute un équipage ! C'est ce que nous sommes venus faire !
Negg n'avait pas ressenti une telle rage émaner de Leïmy depuis des mois et il n'y avait que quelques sujets bien précis qui la mettaient dans cet état : son départ à lui, ses cicatrices et sa famille. À partir de cette réflexion, ce ne fut pas difficile pour Negg de deviner qui était le marin et, comme il savait parfaitement de quoi Leïmy était capable ainsi que les paroles haineuses qu'elle avait souvent eues à l'encontre de ses proches, il préféra intervenir.
Il écarta Leïmy de Batquisse, la forçant à le relâcher. La fureur déforma les traits pourtant sublimes de la mercenaire. Negg esquiva de justesse la gifle qu'elle voulut lui décocher. Dévlin les éloigna l'un de l'autre avant qu'ils n'en viennent réellement aux mains.
Batquisse profita de cette diversion inespérée pour se glisser à terre et, se faisant aussi petit que possible, il se dirigea vers la sortie de l'auberge.
Negg retira la main de Dévlin de son épaule et le rattrapa. Il le plaqua violemment contre le mur de pierres, l'assommant à moitié, et il appuya son avant-bras sur sa gorge, l'empêchant de respirer librement.
Le rouquin demanda :
- Alors, tu es lequel, Erko ou Batquisse ? Oui, je vous connais. Je ne suis pas Leïmy mais ça ne veut pas dire que je n'ai pas envie de t'éclater le crâne contre ces briques !
- Ça suffit maintenant !
Le cri de Dévlin fut si fort que tous l'entendirent. La salle était si animée que seules les personnes les plus proches avaient remarqué l'incident. Après ce hurlement, ils devinrent le centre de l'attention et le banjo se tut.
Dévlin repoussa les deux mercenaires vers la porte en les réprimandant avec véhémence :
- Ce n'est pas parce que vous êtes en mission que vous pouvez tout vous permettre ! Sortez d'ici !
- Écoute-moi bien...
Siffla Leïmy en s'avançant vers Dévlin, extrêmement menaçante mais elle fut interrompue par Negg qui lui posa une main sur l'épaule. Leïmy se concentra sur sa respiration pour s'apaiser. Ses muscles se relâchèrent quelque peu.
Après un dernier regard de haine à Batquisse, elle fit volte-face et alla pour sortir, Negg à sa suite.
Avant de franchir la porte, elle se retourna et lança à son demi-frère :
- Si tu n'acceptes pas, tu es mort.
Leïmy sourit avec moquerie puis quitta l'établissement.
Elle sentit ses doigts se rapprocher dangereusement de ses lames sans qu'elle n'exerce le moindre contrôle dessus. Elle avait besoin d'extérioriser sa rage où elle risquait de poignarder le premier passant à sa portée et elle préférait vraiment éviter. D'autant plus que le plus proche d'elle était Negg.
Elle se prit la tête dans les mains et poussa un cri de détresse en se repliant sur elle-même. Elle en avait assez d'être l'esclave de sa colère. Lorsque sa voix s'éteignit, elle se releva en rejetant ses cheveux en arrière.
- Ça va mieux ? S'enquit Negg.
- Nous allons dire que oui. Je me suis emporté. J'ai encore du travail avant de parvenir à maîtriser ma fureur.
- J'aurais été à ta place, j'aurais aussi perdu mon sang-froid. Était-ce Erko ou Batquisse ?
- Batquisse. Il est devenu capitaine. Nous avons eu recourt à ses services, Dévlin et moi pour traverser le Golf de Benlok. Manque de chance, il y a eu une tempête. Le navire a coulé, la moitié de l'équipage est mort et c'est évidemment de ma faute puisque je suis responsable de tous les malheurs du monde.
- Penses-tu qu'il va à nouveau prendre le risque ?
- Bien sûr car je ne suis plus la fillette chétive et craintive de mon enfance mais la redoutable Leïmy.
Negg pinça les lèvres en une expression de compassion envers son amante qui haussa les épaules. Elle avait l'habitude et détestait qu'on la prenne en pitié. Negg le savait et il cessa de la fixer avec cet air.
Dévlin les rejoignit après une dizaine de minutes en déclarant :
- Nous avons un équipage. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top