Chapitre 3

Le soleil était levé depuis de nombreuses heures déjà mais la nuit avait été longue et la fête animée.
Vargram se retourna sous ses draps de satin. Le jeune homme de vingt-trois ans était réveillé mais il se sentait encore trop fatigué pour se lever. Rien ne pressait et, si il y avait eu une urgence, un serviteur serait venu le prévenir. La lumière du jour filtrait en de fins rayons par les fentes des volets clos.
Vargram ne se souvenait plus de l'heure à laquelle les derniers invités étaient rentrés chez eux, son esprit encore embrumé par l'alcool qu'il avait bu sans modération. Il se rappelait seulement que la réception avait été une réussite. Presque tous les nobles d'Orquia étaient présents, aussi bien ceux qu'il appréciait que ceux qu'il avait conviés par politesse. Il avait dansé avec de jeunes aristocrates, également pour respect envers l'étiquette, mais leurs noms refusaient de remonter à sa mémoire embrouillée. Il fallait dire qu'il s'en moquait un peu également.
Le jeune homme changea une nouvelle fois de position en poussant un soupir d'aise alors qu'il enfonçait la tête dans le moelleux de son oreiller rembourré de plumes d'oie.
Son estomac qui gargouilla lui signala qu'il ne pouvait pas passer sa journée à somnoler de la sorte.
À contrecœur, il repoussa sa couverture et posa les pieds sur le sol de marbre. Si ça n'avait pas été la chaude saison, il n'aurait pas mis sa voute plantaire directement en contact avec le sol qui aurait été glacé. Il ouvrit son armoire et en tira une chemise blanche à jabot au col et aux manches rehaussées de fils d'or. Il l'enfila puis ouvrit les volets des quatre fenêtres, s'habituant peu à peu à la soudaine clarté. La lumière inonda la pièce.
Vargram s'étira et fit quelques pas puis son cœur rata un battement.
Juste à côté des trois fauteuils et de son armoire, un pan du lambris était décalé. Si cela avait été ailleurs, Vargram aurait simplement pensé que la décoration commençait à vieillir mais c'était à cet endroit exacte que le bois été déplacé.
Craignant le pire, il se précipita vers la paroi. En appuyant sur un point précis, il actionna le mécanisme et une partie du lambris pivota pour révéler une minuscule pièce entièrement vide.
Vargram manqua de défaillir en découvrant cela et il eut besoin de s'appuyer sur le dossier d'un des fauteuil.
Il n'avait plus rien. Toutes ces richesses avaient été rangées là en prévision de la fête. Un voleur avait dû avoir vent de l'information et avait profité de la soirée pour le détrousser. Il n'était pas ruiné pour autant. Il en fallait plus pour que tout l'argent de sa famille disparaisse. Il pouvait toujours revendre quelques meubles ou des tableaux mais ce n'était pas le pire, loin de là. L'argent était secondaire. Ce qui le préoccupait était bien plus grave.
Espérant encore, il se rua dans la pièce dissimulée et examina le sol ainsi que les recoins mais il ne trouva rien. Le voleur n'avait rien oublié.
Le poing de Vargram s'abattit contre le mur.
Cette bague qu'il   savait si puissante, volatilisée, subtilisée pendant qu'il festoyait à l'étage inférieur.
Il ouvrit la porte et rugit dans le couloir, ordonnant au premier domestique qui l'entendrait :

« Allez me chercher la Garde, immédiatement ! »

La Garde d'Orquia mit un quart d'heure à arriver. La famille Simmbel étant un membre éminent de l'aristocratie, dont Vargram était l'héritier, la Garde avait préféré ne pas le faire attendre.
Trois hommes vêtus de l'uniforme bleu marine entrèrent dans la chambre du maître des lieux. Vargram y faisait les cents pas avec contrariété.
Il se tourna vers les soldats et grogna :

« Ce n'est pas trop tôt !
- Mon seigneur, je suis le Capitaine Oriol. Pouvez-vous vous calmer et nous expliquer ce qu'il se passe ?
- Ce qu'il se passe ? Il se passe que j'ai été cambriolé ! Vous avez tout intérêt à retrouver le coupable !
- Que vous a t-on pris ?
- Tout ! Absolument tout ! Allez-vous rester là à poser des questions stupides ou faire votre travail ?

Oriol serra les poings.
Il avait en horreur les personnages tel que Vargram Simmbel. Imbu de lui-même, égocentrique, se croyant au-dessus des autres et parfois des lois mais, contrairement à la plupart des autres individus de son espèce, Vargram n'était pas idiot, loin delà.
Oriol se força à s'apaiser et à rester stoïque ainsi que respectueux, comme ses subalternes l'accompagnant.
Il expliqua d'une voix grave :

- Nous avons besoin de détails pour commencer les recherches. On nous a informés que vous donniez une fête hier soir.
- Accuseriez-vous la noblesse d'Orquia ?
- Pas du tout. Je pense plutôt que quelqu'un de mal intentionné à profité de la réception.
- Merci mais j'ai déjà mené ce raisonnement seul ! Vous ne m'êtes pas utiles !
- Que vous a t-on dérobé exactement ?
- Vous pensez que je tiens un registre avec mes effets notés dedans ? Tout ce qu'on m'a pris était précieux, sachez-le ! Mais il y a une chose que je souhaite particulièrement récupérer. Le reste est secondaire à côté. Il s'agit d'une bague en argent d'une rare finesse. Elle représente un serpent et ses yeux sont deux onyx, ce sont des pierres noires.
- Je sais ce qu'est une onyx, mon seigneur. Vos domestiques ont-ils remarqué quelque chose ?
- Je l'ignore. C'est à vous de les interroger !

Oriol fit de gros efforts pour conserver son calme. Il préférait cent fois avoir à faire aux malfrats plutôt qu'aux nobliaux comme Vargram Simmbel mais il ne serait jamais arrivé où il se trouvait si il n'avait pas su se maîtriser.
Le Capitaine se tourna vers l'homme se tenant à sa droite et lui ordonna :

- Gellan, réunissez les domestiques rapidement, s'il vous plaît.

Le soldat acquiesça puis s'exécuta.
Oriol fit un signe à Vargram pour le prier de les laisser mais le jeune aristocrate s'offusqua :

- Vous me congédiez ? Dans ma propre demeure ? J'ai l'intention d'assister aux interrogatoires !

Oriol se résigna et accepta.
Inutile d'énerver Vargram davantage.
Plusieurs serviteurs se succédèrent et tous racontèrent la même histoire. Ils avaient passé la soirée à remplir la tâche qui leur avait été assignée et n'avaient rien relevé qui sortait de l'ordinaire.
Vargram s'impatientait un peu plus à chaque réponse négative et son énervement commençait à faire perdre son sang-froid à Oriol. Le Capitaine ignorait qui exploserait le premier et il espérait que ce ne serait pas lui mais il n'était pas sûr de tenir longtemps.
Il ordonna à Gellan de faire entrer le prochain domestique d'un signe de la main.
L'attention d'Oriol s'éveilla immédiatement lorsque le serviteur entra. C'était un homme d'une trentaine d'années à l'air inquiet. L'instinct et l'expérience du capitaine l'avertirent que le domestique avait quelque chose à cacher.
L'homme leva les yeux vers son maître, peu rassuré par la fureur qu'il sentait émaner de lui. Vargram lui adressa à peine un regard désintéressé. Pour lui, ce n'était qu'un banal domestique comme les dizaines d'autres qu'il avait à son service et dont il ne connaissait pas le nom.
Oriol se pencha vers l'homme et dit ce qu'il ne cessait pas de répéter depuis son arrivée :

- Bien, veuillez nous raconter ce qu'il s'est produit durant la fête.
- R...rien de spéciale. Ça s'est déroulé co...comme n'importe qu...quelle fête.
- Alors pourquoi êtes-vous si tendu et vos paroles si incertaines ?

Le domestique se raidit et sa respiration s'accéléra. Cette réaction confirma les soupçons d'Oriol qui se renfonça dans son fauteuil mais Vargram interpréta mal cette attitude.
Le jeune noble bondit sur ses pieds et saisit son serviteur par le col en rugissant :

- C'est vous qui m'avez volé ? Où est ma bague ? Où est-elle ?

Oriol se pressa d'intervenir. Il se leva prestement et obligea Vargram à lâcher son domestique avant de le jeter dans son fauteuil. D'un regard autoritaire, le capitaine de la Garde le dissuada de se relever.
Il perdit momentanément son calme et cria à Vargram :

- Calmez-vous, par tous les dieux ! Ce n'est pas parce que cet homme est à votre service que vous avez le droit de le traiter de la sorte et, si vous levez à nouveau la main sur lui, je vous arrête sur le champs !
- Vos oseriez ? Siffla Vargram.
- Il...il y avait un homme, révéla le domestique, recentrant l'attention sur lui. Il est entré par une fenêtre et m'a dit qu'il n'était qu'un serviteur qui s'était offert une pause non autorisée mais il était évident que c'était faux. Il n'avait pas du tout l'allure d'un domestique mais avant que je ne puisse donner l'alerte, il m'a assommé et je me suis réveillé dans un des petits salons alors que la fête se terminait.
- Vous avez donc pu voir cet intrus. À quoi ressemblait-il ?
- De taille moyenne, les cheveux roux légèrement bouclés et les yeux très étranges, couleur noisette à la pupille cerclée de vert.

Oriol jura à voix basse. C'était la dernière chose qu'il désirait entendre.
Vargram réfléchit à la description, les sourcils froncés. Il demanda, même si c'était davantage pour sa propre réflexion que pour les quatre autres :

- Pourquoi ai-je l'impression que je connais cette personne ?

Oriol s'abstint de lui répondre, ignorant que faire de cette information et préférant en avertir le
Conseil avant de prendre une décision.
Il posa une dernière question au domestique :

- Quelqu'un d'autre a t-il vu cet individu ?
- Et bien... J'ai parlé à un garde qui m'a raconté qu'il l'avait surpris mais que, la seconde suivante, il avait disparu.
- Je pense qu'il est mieux pour monseigneur Simmbel que cette affaire ne s'ébruite pas. Vous pouvez retourner à votre travail.

Le serviteur ne se fit pas prier et quitta la pièce.
Oriol se passa une main sur le visage. Il voyait déjà les problèmes qui allaient s'abattre sur ses épaules se profiler à l'horizon avec, d'un côté, un aristocrate hargneux et colérique et de l'autre, le Conseiller ayant sauvé le monde de Welkonn.
Comment s'en sortir ?
Le capitaine se leva et ses deux subalternes en firent de même.
Ils se dirigèrent vers la porte que Oriol ouvrit mais Vargram la referma brutalement avant qu'ils ne la franchisse.

- Que comptez-vous faire ? Se renseigna le jeune noble.
- Mettre la main sur le coupable enfin, si vous nous laissez sortir. »

Vargram s'écarta en grinçant des dents et les trois membres de la Garde sortirent. Il les regarda s'éloigner dans le couloir en serrant les poings.
Il ne doutait pas de la compétence des soldats de la Garde d'Orquia mais il continuait à se méfier d'eux et il ne pouvait leur permettre de régler cette histoire à sa place, surtout qu'ils risquaient de lui confisquer sa bague.
Il se chargerait de cela lui-même.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top