Chapitre 29
Leïmy, Negg, Dévlin, Icrann et Batquisse reprirent la route en compagnie des Itinérants aux aurores. Rassasiés, désaltérés et reposés, ils se sentaient prêts à affronter le désert et la suite des événements et cela ne s'était produit depuis leur départ.
Leïmy, Negg et Dévlin se serraient sur le banc de la roulotte de Léano à côté de ce dernier.
Le chef de ce groupe nomade ouvrait la marche de la caravane de roulottes sans se défaire de son perpétuelle bonne humeur qui commençait d'ailleurs à agacer Leïmy.
Le silence s'étendait depuis une heure maintenant, uniquement rythmé par le son des pas des étranges chevaux tractant les maisons mobiles et qui s'appelaient des arants.
Même si il avait reçu des soins, Negg était encore faible et qu'il n'ait pas à marcher durant le voyage le soulageait bien qu'il ne l'avouerait sous aucune raison. Leïmy également était rassurée que son amant puisse se reposer sans que leur temps ne leur fasse défaut.
Quant à Dévlin, il restait plongé dans ses pensées qui avaient pour sujet Maige, son futur bébé, la ville vers laquelle ils se rendaient, les découvertes qu'ils faisaient depuis leur départ.
Il s'extirpa de ces préoccupations pour revenir au présent où il demanda à Léano :
« Vous ne nous avez pas expliqué ce que sont exactement les Itinérants.
- C'est vrai.
Se souvint Léano avec un sourire supplémentaire qu'il perdit pour adopter une mine sombre et sérieuse.
Il prit une inspiration puis raconta :
- La première chose que vous devez savoir, à la fois pour comprendre l'histoire de mon peuple et également car cela pourra sûrement jouer en votre faveur lorsque vous serez dans l'enceinte de la ville, est que Arancha est l'unique lieu viable dans ce désert. Alors pourquoi en partir me diriez-vous. Simplement car tous ceux refusant ses lois sont impitoyablement chassés, exilés, bref, bannis de la cité. Il y a plusieurs années ces "criminels" ont décidé de se regrouper pour s'organiser en communauté et ainsi augmenter leurs chances de survies. Cela a parfaitement fonctionné comme vous pouvez le constater vous-même. Arancha ne nous a pas totalement oubliés puisqu'elle nous permet de nous abriter en son sein en cas de tempêtes.
- Encore des criminels.
Soupira Dévlin en posant un regard lourd de sens sur Leïmy et Negg qui l'ignorèrent copieusement jusqu'à ce que la jeune fille intervienne dans la conversation, surtout pour relever le manque ainsi que l'idiotie du nécromancien :
- Tu as écouté la réponse qu'il t'a donnée ou pas ? Si tu parvenais à connecter tes deux neurones, tu aurais sans doute remarqué l'ironie dans sa voix. Je ne sais pas à quelles lois ils ne se plient pas mais elles doivent être répressives et verser dans l'injustice.
- En effet, approuva Léano. Vous comprendrez lorsque nous serons arrivés à destination. »
Ils durent se contenter de cette phrase en guise de conclusion et, pour bien leur signifier qu'il était inutile d'insister ou de revenir sur le sujet, Léano enchaîna sur une autre conversation qu'il mena presque exclusivement seule. Dévlin lui répondit parfois et Leïmy et Negg émettaient des grognements de temps à autres.
Les heures brûlantes furent là trop rapidement au goût des voyageurs et surtout à celui des cinq Welkonniens qui, malgré leurs journées déjà passées dans les dunes, étaient bien peu habituées à ce climat torride.
Dès que les rayons s'étaient fait davantage agressifs, les Itinérants avaient dissimulé leur crâne et leur visage sous de grands foulards. Les cinq Welkonniens ayant été équipés d'une façon identique avant le départ, ils se couvrirent de la même manière, protégeant chaque centimètres de leur peau du soleil et ne laissant qu'un mince espace pour les yeux.
Ils mangèrent leur repas de midi, composé de fines galettes de céréales inconnue des Welkonniens accompagnées de fruits séchés tout aussi étrangers pour eux, sans cesser leur progression.
Malgré son non intérêt presque constant, Leïmy se demanda où se rendait les Itinérants si il n'y avait rien d'autre que la ville dont ils avaient été bannis dans ce désert. Peut-être voyageaient-ils d'un point d'eau à l'autre sans réelle destination. Ce fut la conclusion qu'adopta finalement la jeune fille puis elle se désintéressa totalement de cette question ainsi que toutes celles se rapportant à ce groupe nomade.
Elle se tourna vers Negg dont elle ne voyait que les yeux qui, même après ces années en commun, la fascinaient toujours autant et qu'elle trouvait toujours aussi déconcertants.
Même si ses lèvres étaient dissimulées sous le foulard, son regard souriait pour lui. Leïmy le lui rendit, sachant parfaitement que cet échange silencieux ne serait pas surpris et, surtout, pas compris.
Se détourant de son amante, le rouquin massa son avant-bras blessé. Leïmy lui demanda d'un regard éloquent si c'était toujours douloureux. Il répondit d'un haussement d'épaule. Leïmy leva les yeux au ciel en s'apercevant de la stupidité de sa question. Si jamais Negg souffrait, il ne l'avouerait pas. Ses plaies à elle n'étaient plus douloureuses depuis la veille, contrairement à ses coups de soleil qui continuaient à la tourmenter mais ce n'était plus qu'une question de temps pour qu'ils guérissent.
Leur situation s'était déjà grandement amélioré depuis leur rencontre avec les Itinérants et ce serait certainement encore mieux lorsqu'ils seraient dans la cité d'Arancha. Même si la mercenaire n'était pas du genre à se plaindre, du moins, pas de celui de montrer sa faiblesse, elle avait hâte de voir la fin de ce désert ou d'arriver dans un lieu avec un peu moins de sable.
Les heures s'égrainèrent ainsi, chacun vagabondait dans ses pensées, passant d'un sujet de réflexion à l'autre sans réel lien logique entre eux.
Leïmy se sentait de plus en plus incommodée par la chaleur mais, comme elle semblait être la seule à éprouver ce malaise, elle se demandait si c'était normale ou si elle était victime d'elle ne pouvait déterminer quoi.
Avec tous les événements étranges auxquels elle avait assisté et même parfois participé, elle voulait bien croire qu'une chose inconnue la prenait pour cible.
La faiblesse s'abattit aussi brusquement que violemment sur ses épaules. Incapable de se maintenir assise sur le banc de la roulotte, elle chuta contre Negg qui lui retourna un regard surpris.
Constatant l'état de la jeune fille, il comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas malgré les foulards la dissimulant. Il lui passa un bras dans le dos pour la soutenir et il réclama à Léano :
« Peut-on s'arrêter ?
Léano se tourna vers le mercenaire en s'apprêtant à lui répondre qu'il n'était pas question de s'arrêter sans raison valable mais il se ravisa sur le champs en découvrant l'état de Leïmy. Sans avoir besoin de davantage d'explications, le chef des Itinérants siffla entre ses dents pour avertir les autres puis il tira sur les rênes, freinant les deux arants qui tractaient la roulotte.
Negg prit Leïmy dans ses bras et sauta à terre ou, plutôt, s'enfonça dans le sable. Il étendit la jeune fille qui avait perdu connaissance au sol.
Dévlin et Léano s'approchèrent mais en restant prudemment derrière Negg. Le chef des Itinérants avait compris que, tout comme sa compagne, le jeune homme n'était pas quelqu'un à froisser.
- Est-ce que...
Commença Dévlin en faisant un pas vers son frère mais le regard de ce dernier lui suffit et il suspendit sa phrase.
Batquisse et Icrann, suivis de quelques curieux, les rejoignirent.
- Que se passe t-il ? Pourquoi n'avançons-nous plus ?
Demanda l'ancien capitaine mais, en découvrant sa demie-sœur gisant à terre, il se traita d'idiot en se disant qu'il aurait mieux fait de se taire. Icrann, lui, resta silencieux.
Les deux marins avaient déjà assisté aux crises de Leïmy mais ils en ignoraient la cause puisqu'on ne leur avait rien expliqué.
- Vous n'allez tout de même pas la laisser comme ça !
S'offusqua Léano en allant pour s'agenouiller auprès de Leïmy pour la relever mais, avant qu'il n'exécute ses intentions, la jeune fille fut prise de convulsions qui remuèrent le sable autour d'elle.
Le chef des Itinérants eut un brusque mouvement de recul qui n'était pas dû à la surprise comme on pourrait s'y attendre et Negg était persuadé d'avoir vu un éclat de peur passer dans son regard vert. Le mercenaire examina les autres Itinérants présents. Tous étaient effarés et craintifs.
Negg fronça les sourcils. Il concevait parfaitement que le mal dont souffrait Leïmy pouvait étonner grandement, principalement car il était inconnu, mais il ne voyait pas en quoi il pouvait effrayer. À moins que les habitants du désert connaissent des choses que lui ignorait. Negg préféra ne pas se torturer avec ces pensées.
Comme le répétait si bien Léano, il comprendrait sans doute mieux lorsqu'ils seraient entre les murs d'Arancha.
Léano, semblant surpasser sa crainte que Negg ne saisissait pas, ouvrit l'une des paupières de Leïmy alors qu'elle convulsionnait toujours, dévoilant une iris dorée.
Il la vit parfaitement avant que Negg ne le repousse violemment, le faisant chuter dans le sable.
Le rouquin rugit :
- Ne vous approchez pas d'elle.
- Negg ! Le tança Dévlin. Il veut seulement nous aider.
Le nécromancien tendit la main à Léano pour l'aider à se relever. Le chef des Itinérants la saisit et Dévlin le remit sur ses pieds.
Léano ne dit rien. Il avait perdu son habituelle expression enjouée et fixait Leïmy d'un air indéchiffrable mais où se mêlaient tout de même le respect et la peur.
Sans prononcer un mot à l'attention des Welkonniens, il réunit à l'écart les membres de son peuple ayant assisté à la scène pour leur parler mais les quatre étrangers ne comprirent pas la teneur des propos échangés.
Negg ne moquait bien de cette conversation et des états d'âme de leurs sauveurs. Il se souciait uniquement de Leïmy et il n'avait pu s'empêcher de remarquer que les crises étaient de plus en plus rapprochées dans le temps.
Il s'assit en tailleur à deux pas de son amante et attendit.
Léano les rejoignit au même instant, le visage aussi fermé que celui des autres Itinérants qui rejoignirent leur roulotte respectives tout comme Icrann et Batquisse.
Léano se réinstalla sur le banc de sa roulotte.
Dévlin se sentait coupable pour la réaction de Negg qu'il jugeait excessive. Il tenta donc de s'excuser auprès de Léano :
- Pardonnez à mon frère. Il s'inquiète énormément pour son amie.
- Il a raison et je ne vous en tiendrai pas rigueur. Je ne peux que vous féliciter de prendre soin d'elle de cette manière. Vous avez une amie extraordinaire. »
Negg fronça les sourcils pour une fois supplémentaire. Il chercha le regard de Dévlin en quête d'éclaircissement sur cette étrange phrase mais le nécromancien ne put que hausser les épaules. Lui non plus ne comprenait pas ce Léano cherchait à dire avec cette déclaration pouvant prêter à confusion.
Décidant que, pour l'instant, le plus pressant était de gagner la cité promise, ils placèrent ceci dans un coin de leur esprit, au même endroit que celui où Negg avait rangé la crainte qu'il avait observée chez tous les Itinérants, puis ils installèrent tant bien que mal Leïmy sur le banc de la roulotte et s'assirent à côté.
Léano vérifia que tous étaient prêts puis il fit claquer les rênes sur le dos des arants qui se mirent paisiblement en route.
Leïmy reprit conscience quatre heures plus tard.
La première chose qu'elle constata fut qu'elle ne se souvenait pas de ce qu'il s'était passé. La chaleur était toujours étouffante et elle sentait toujours la roulotte se déplacer. Le nuage de fines particules de sable soulevées par les nombreuses roues lui irritait la gorge. Elle percevait également la présence des trois autres assis à côté d'elle. Sa joue était appuyée contre l'épaule de Negg dont l'odeur emplissait ses narines.
Tout cela était parfaitement normal. Elle n'avait pas de nausées ni la moindre migraine annonçant habituellement ses fins de crises alors que s'était-il produit ? L'un de ses malaises serait pourtant l'explication la plus logique à ce vide dans sa mémoire.
Elle remua, signalant aux autres qu'elle était réveillée.
Negg l'aida à se redresser puis il lui tendit une gourde qu'elle lui arracha des mains. Elle retira prestement le bouchon et but avidement en ayant, bien évidemment, préalablement retiré le foulard lui recouvrant le bas de son visage. Cela faisait tellement de bien de ne plus se rationner en eau.
Sa soif apaisée, elle s'essuya la bouche d'un revers de la main et demanda :
« Que s'est-il passé ?
Les deux frères lui renvoyèrent des regards surpris. D'habitude, même si elle perdait connaissance, Leïmy avait toujours conscience de chacune de ses crises.
La mercenaire s'agaça. Elle désirait une réponse, pas des regards vitreux comme présentement.
Le devinant parfaitement, Negg réagit le premier mais il ne fournit pas d'explication à Leïmy comme elle l'attendait. Il lui posa une question :
- Tu as oublié ?
- Étant donné que j'étais inconsciente, je pouvais difficilement emmagasiner des souvenirs donc, je me répète, que s'est-il passé ? Pourquoi me suis-je évanouie ?
- Tu as simplement fait une crise.
Leïmy fronça les sourcils. Elle avait donc vu juste dans ses suppositions mais pourquoi se sentait-elle comme après une banale nuit de sommeil ? C'était incompréhensible mais, finalement, elle se dit que l'important était qu'elle n'ait pas besoin de se remettre d'un de ses trop nombreux malaises et qu'elle soit en forme et parée pour toutes éventualités.
Comme bien souvent, elle se moquait du pourquoi du comment tant que le résultat lui convenait mais peut-être aurait-elle dû s'interroger davantage comme le faisait Léano.
Ce dernier était resté silencieux depuis qu'ils avaient repris leur chemin et s'était contenté d'adresser l'un de ses innombrables sourires à Leïmy.
L'Itinérant réfléchissait, tentant d'en apprendre un maximum sur les Welkonniens, et plus particulièrement sur Leïmy, grâce à leur comportement. Il avait parfaitement noté le "simplement" dans la réponse de Negg qui indiquait clairement que les crises dont était victime la jeune fille étaient devenues banales pour eux, presque quotidiennes bien qu'ils semblent ignorer complètement ce qu'elles signifiaient ou impliquaient.
Dévlin, qui ne perdait que rarement de vue le but de leur mission, interrogea Léano, tirant ce dernier de ses pensées :
- D'après ce que j'ai compris, il vous arrive fréquemment de retourner à Arancha ?
- Je n'irais pas jusque là mais nous nous y rendons une à deux fois par an, en effet.
- Y êtes-vous allés récemment ?
Léano réfléchit un instant avant de répondre :
- Notre dernière visite doit remonter à quelques mois.
- Peut-être avez-vous donc entendu parler d'un certain Rilin.
Même si Léano leur avait déjà dit qu'il ne connaissant pas l'existence de l'homme leur ayant envoyé un message depuis Arancha, Dévlin voulait tout de même tenter la question sous un autre angle.
Léano secoua négativement la tête avec une moue d'ignorance sur les lèvres puis il se renseigna à son tour :
- Qui est-ce ?
- Un Welkonnien, comme nous. C'est lui qui nous a appris que ce désert était habité contrairement à ce que nous croyions depuis toujours. Nul doute qu'il se trouve à Arancha.
- Sûrement mais je ne peux pas vous le confirmer. Je ne m'intéresse guère aux affaires d'Arancha.
- Je comprends.
- Le seul moyen d'obtenir les réponses que vous espérez est de...
- ...gagnez la ville. »
Compléta Leïmy d'un ton exaspéré. Léano acquiesça en gardant le regard rivé sur l'horizon.
Leïmy se fit la remarque que le chef des Itinérants faisait tout son possible pour ne pas la regarder en face et ce depuis son réveil. Elle ne s'en préoccupa pas davantage. Encore une fois, elle n'avait que faire de ce que Léano pensait.
La nuit et son manteau glacial descendirent tout aussi rapidement que le soleil s'était levé le matin même. Les voyageurs resserrèrent leurs foulards autour d'eux pour tenter de conserver un peu de chaleur.
Ils progressèrent encore une heure dans l'obscurité avant que Léano ne déclare une halte. Leïmy grommela contre ce qu'elle qualifiait de contre-temps. Ils voyageaient tranquillement installés sur des roulottes alors ils ne se fatiguaient pas. L'arrêt n'était pas utile ou vital. Ils pouvaient très bien manger en route puisqu'ils l'avaient fait plus tôt dans la journée mais elle se rendait compte que manifester son désaccord était inutile alors elle se contenta de marmonner pour elle-même.
Elle sauta à terre et alla s'installa à l'écart.
Les Itinérants se chargeaient de nourrir et brosser les arants, qui le méritaient amplement. Dévlin et Negg s'assirent avec la jeune fille. Eux non plus ne souhaitaient pas se mélanger, surtout dans le cas de Negg.
Léano les rejoignit bientôt, un fagot de bois sous le bras. Il dressa un feu de camp avec une rapidité qui témoignait d'une certaine habitude puis il entra dans sa roulotte, sûrement pour chercher quelque chose. Il revint avec une petite marmite qu'il suspendit à une branche montée sur quatre autre dressées en triangle. Il emplit le récipient d'eau et ajouta différents ingrédients que les Welkonnien ne purent pas tous identifier.
Une odeur alléchante ne tarda pas à monter du ragoût.
Léano disparut à nouveau dans sa roulotte pour en rapporter quatre assiettes et autant de cuillères en bois.
Dévlin chercha Batquisse et Icrann du regard. Il les repéra assis, comme eux, au bord d'un feu. Rassuré sur le sort de leurs compagnons de voyage, le nécromancien revint poser son attention sur leur petit groupe.
Avec la nuit, ils avaient retiré les foulards masquant leurs traits ainsi que leur crâne et ils pouvaient sans difficulté discerner les émotions sur chacun de leur visage, ce que Leïmy ne se gêna pas de faire.
Elle constata que, fidèle à lui-même, Dévlin réfléchissait, aussi bien à ce qui les attendait qu'à ce qu'il avait abandonné à Welkonn. Negg ne montrait rien, conservant une expression neutre mais Leïmy le connaissait suffisamment pour distinguer l'inquiétude dans son étrange regard. Elle ne doutait pas que ses crises étaient la cause de cette angoisse. La jeune fille passa ensuite à Léano qui, malgré son air enjoué, semblait tendu pour une raison inconnue.
Elle remarqua également que le chef des Itinérants posait les yeux partout sauf sur elle. Toujours ce comportement singulier, pourquoi ?
Elle s'apprêtait à le lui demander avec toute la douceur la caractérisant mais il la prit de vitesse en déclarant d'un ton satisfait et enthousiaste :
- C'est prêt !
Il remplit les quatre assiettes et en tendit trois aux Welkonniens.
Negg observa le contenu de son écuelle et demanda, quelque peu méfiant :
- Qu'est-ce que c'est ?
- Ce qu'on pourrait appeler le plat officiel des Itinérants.
Sourit Léano avant de prendre une généreuse bouchée. Puisqu'il en mangeait, il ne devait pas y avoir de danger avec cette nourriture. Constatant cela, les deux mercenaires commencèrent à se sustenter à leur tour.
Même si Leïmy ne pouvait pas vraiment identifier ce qu'elle avalait, la saveur s'en dégageant lui en évoquait d'autres, notamment celle du gingembre. Pour quelque chose cuisiné en quelques minutes, c'était plutôt bon mais Leïmy ne féliciterait pas Léano pour autant.
Ils mangèrent en écoutant plus ou moins le flot de paroles dont Léano les submergeait.
L'air sombre qui l'avait saisi dans la journée semblait s'être dissipé mais ce n'était qu'une apparence. Ce à quoi il avait assisté continuait à le travailler grandement.
Ils terminèrent tranquillement leur repas mais le bonne humeur qu'ils avaient goutée la veille paraissait alourdie, comme si elle n'était plus tout à fait sincère.
Léano ramassa les assiettes vides mais n'alla pas les ranger tout de suite. Il les laissa seulement à côté du feu.
La forte fraîcheur fit frissonner Leïmy. Negg s'en aperçut. Il enleva le manteau couleur châtaigne que lui avait prêté Léano et le déposa sur les épaules de la jeune fille en lui faisant un clin d'œil.
Devant ce signe d'affection, Léano fronça les sourcils.
Avant qu'il ne dise quoi que ce soit, Ersien arriva. Heureusement pour lui d'ailleurs car, sinon, Leïmy lui aurait fait amèrement regretter sa remarque avortée.
Le guérisseur annonça :
- Je suis venu voir l'état de vos différentes blessures.
Ersien fouilla dans sa besace qu'il avait toujours en bandoulière et en sortit un pot en écorce qu'il tendit à Leïmy. Comme cette dernière ne se donna pas la peine de se lever pour venir le prendre, il le lui apporta en indiquant :
- C'est pour vos coups de soleil. J'ai cru comprendre hier que vous préférez l'appliquer seule.
- En effet.
Approuva Leïmy froidement avant de ramasser le pot et d'aller s'isoler derrière une roulotte.
Là, elle retira les vêtements prêtés par les Itinérants ainsi que son haut de cuir mais pas sa mitaine qu'elle gardait en toutes circonstances puis elle entreprit de soigner ses blessures.
Un peu plus loin, Negg remonta sa manche pour permettre à Ersien d'examiner ses plaies. Le guérisseur défit délicatement les bandages qu'il jeta ensuite dans les flammes.
Les entailles étaient propres et ne saignaient plus. Pour être certain qu'il n'y aurait aucune infection, Ersien les badigeonna tout de même d'onguent cicatrisant avant de les envelopper dans des bandes de tissus neuves puis il se tourna vers Dévlin qu'il questionna :
- Et vous ? Rien à signaler, tout va bien ?
- Il me semble que oui.
- Tout va parfaitement bien, merci Ersien.
Même si la méthode restait subtile et polie, Ersien comprit très bien que Léano le congédiait. Il sourit puis s'en fut.
Léano changea de position. Il remonta une jambe et posa le bras sur son genoux puis, en le fixant étrangement, il demanda à Negg :
- Dîtes-moi, Leïmy et vous, êtes-vous mariés ?
Dévlin s'étrangla avec l'eau qu'il était en train de boire, un fou rire étant involontairement monté à la question de Léano. Il toussa et rit en même temps, s'étouffant encore davantage sous le regard courroucé de Negg.
Lorsqu'il eut retrouvé son souffle, il répondit à la place de son cadet :
- Non, ils ne le sont pas ! Negg a bien compris qu'il valait mieux éviter de faire ce genre de demandes à Leïmy !
- Je lui ai tout de même passé la bague au doigt.
Répliqua Negg, incroyablement calme. Il savait très bien quelle était la pensée de son frère sur la relation qu'il entretenait avec Leïmy, particulièrement au départ, mais il avait été forcé de se faire une raison.
- Vraiment ? S'étonna Léano.
- Oui, pourquoi ? Cela poserait-il un problème ?
Grogna Negg, subitement moins stoïque. Léano secoua négativement la tête avec empressement, ne souhaitant absolument pas se mettre le rouquin à dos.
Il précisa :
- C'était seulement par pure curiosité. »
Il n'ajouta rien car Leïmy, rhabillée, revint.
Ils discutèrent encore un peu puis ils se préparèrent tous à aller dormir, s'enveloppant dans d'épaisses couvertures les protégeant du froid.
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