Chapitre 26
Tous stoppèrent de surprise en entendant Leïmy s'écrier.
Semblant avoir retrouvé toute son énergie, elle bondit souplement à terre depuis le dos d'Icrann, s'enfonçant dans le sable meuble jusqu'aux chevilles.
Le reste du groupe était hébété. Ils ne revenaient pas de ce que Leïmy venait d'annoncer.
Dévlin, le souffle coupé par l'étonnement, balbutia :
« Tu...tu...enfin...es-tu sûre ?
- Je suis parfaitement confiante en mes capacités et en ce que j'ai repéré.
- Serait-ce la fameuse ville ? Demanda Negg en retrouvant une bonne dose d'espoir.
- C'est trop indistinct pour l'affirmer mais, en tout cas, c'est dans la bonne direction.
- Alors ne perdons pas de temps ! »
Déclara Dévlin, également galvanisé par cette nouvelle.
Ils avaient tous la sensation que l'épuisement du voyage s'était envolé pour un regain de courage.
Leïmy sourit à Negg qui lui répondit par un clin d'œil. Le soulagement se lisait sur ses traits. C'était enfin la fin de ce voyage infernal.
Leïmy avait déjà enchaîné plusieurs semaines de marche, faisant le tour de Welkonn mais ces derniers jours resteraient comme la pire des expéditions qu'elle avait faite et pourtant, elles étaient nombreuses.
En progressant d'heure en heure, ce vers quoi ils avançaient se précisait et ils trouvaient que ça ne ressemblait guère à une cité. Premièrement car c'était bien trop petit, ça n'atteignait même pas la taille d'un bourg. Il y avait bien des choses s'élevant vers le ciel mais elles étaient bien trop fins pour être des bâtiments.
La déception s'abattit durement sur les épaules du petit groupe mais ses membres continuèrent tout de même à avancer, puisque c'était toujours la même direction.
Les pas suivaient les autres, sans interruption mais, au moins, Batquisse s'était réveillé.
Bientôt, ils purent identifier clairement ce qui leur faisait face et ils stoppèrent de surprise pour la seconde fois de la journée. Il ne s'agissait pas de la ville mais c'était presque aussi bien. Des sourires béats de soulagement fendirent leurs visages à tous.
Ce qu'ils avaient devant eux n'était autre qu'un petit lac où le bleu azure du ciel ainsi que les rayons du soleil se reflétaient entouré d'étranges arbres. Leur tronc, qui semblaient recouverts d'écailles, se terminaient par des feuilles qui, elles, évoquaient de très larges feuilles d'un vert foncé. Ils ne s'attardèrent pas à détailler l'endroit, uniquement focalisés sur l'eau.
D'un même mouvement, ils se ruèrent tous dans le lac. Bien que réchauffée par le soleil de la journée, l'eau conservait encore le froid de la nuit, lui conférant une tiédeur qui, comparée à la chaleur torride qu'ils supportaient, leur parut d'une fraîcheur bénéfique. Au centre de la petite étendue, soit l'endroit le plus profond, l'eau leur arrivait juste en dessous de la poitrine sauf pour Icrann qui n'était mouillé que jusqu'au milieu du ventre.
Pressée de ne plus sentir l'étau étouffant l'envelopper, Leïmy plongea et le reste du groupe ne se fit pas prier pour l'imiter. L'eau était incroyablement claire et on pouvait sans peine distinguer le fond sableux dépourvu de toutes végétations.
Leïmy fit quelques brasses, heureuses de se laver de la sueur ainsi que du sable la recouvrant depuis les derniers jours. Elle remonta à la surface en rejetant ses longs cheveux noirs en arrière, envoyant une myriade de gouttelettes en l'air. Elle recueillit de l'eau dans ses mains en coupe et but aussi longuement qu'avidement, apaisant sa gorge enflammée et étanchant sa soif. Même ses coups de soleil ne lui semblaient plus aussi douloureux.
Elle n'aurait jamais cru que découvrir un peu d'eau aurait pu lui procurer un tel bonheur.
D'un rapide regard peu intéressé, elle constata que son immense soulagement était partagé par ses compagnons de voyage. Ils barbotaient tous avec allégresse sauf Negg que Leïmy ne voyait pas aux alentours.
Elle fronça les sourcils. Comment se faisait-il que le rouquin ait disparu et que personne à part elle ne s'en formalise ?
Elle ouvrit la bouche pour questionner les autres mais elle n'en eut pas le temps. On la saisit par la cheville et la tira violemment sous la surface. Leïmy poussa un petit cri de surprise. Pour une fois, elle ne l'avait absolument pas vu venir. Elle remonta en recrachant l'eau étant entrée dans sa gorge puis vrilla un regard noir sur Negg qui s'esclaffait comme un enfant très fier de sa farce.
« Tu trouves ça drôle ?
Grogna Leïmy en écartant quelques mèches mouillées lui barrant le visage. Negg lui répondit par un large sourire insolent, son étrange regard pétillant de malice.
Leïmy se jeta sur lui, le submergeant à son tour avec fortes éclaboussures. Negg toussa en recrachant de l'eau et ce fut à Leïmy de rire aux éclats.
Dévlin les observa, un sourcil arqué, vraiment surpris de voir les deux mercenaires jouer ainsi.
Ils se battirent durant quelques minutes, l'eau ayant chassé l'épuisement précédent. Ils arrêtèrent, se défiant mutuellement du regard, essoufflés, puis ils se tournèrent tous deux vers Dévlin avant de revenir l'un vers l'autre alors que leurs lèvres s'étiraient en deux sourires carnassiers.
Le nécromancien s'inquiéta. Il recula d'un pas mais ne put faire plus. Avec une synchronisation parfaite, les deux mercenaires bondirent sur lui. Il n'eut pas le temps de comprendre ce qu'il se passait qu'il se retrouvait sous l'eau. Il nagea un peu pour s'éloigner de Negg et Leïmy qui s'amusaient beaucoup puis il remonta.
Contrairement au reste du groupe, il ne fut pas contaminé par la bonne humeur de cet instant de légèreté qui avait même gagné Leïmy. Il se traîna sur la berge où il s'assit puis il essora ses longs cheveux dont la natte s'était défaite depuis un moment déjà.
Leïmy leva les yeux au ciel, son air rieur remplacé par une expression excédée. Elle reprocha à Dévlin :
- Ton sérieux est vraiment trop insupportable ! Même dans ces circonstances, tu ne peux pas faire l'effort de te retirer l'épée que tu as dans...
- Pas la peine de terminer, l'interrompit Dévlin. J'ai compris. »
Leïmy appuya son agacement pour le comportement de Dévlin par un regard de mépris adressé à ce dernier. Negg trouva que la situation habituelle était étrangement inversée mais il ne fit aucun commentaire, préférant se baigner plutôt que d'intervenir.
Dévlin remonta les genoux contre sa poitrine et les entoura de ses bras. L'eau gouttant de ses vêtements et de ses cheveux formait de petits cratères dans le sable de la rive.
Si il ne parvenait pas à se sentir enthousiasmé par la découverte du lac que ses compagnons de voyage c'était éternellement pour la même raison : il pensait à Maige. Elle lui manquait trop pour qu'il se réjouisse de quoi que ce soit.
Leïmy retrouva lentement son calme ainsi que son côté sombre de toujours. Elle remarqua alors que, toute à sa joie de pouvoir enfin se désaltérer, elle avait omis de retirer sa ceinture. Negg fit la même constatation et ils retirèrent tout deux leurs armes qu'ils déposèrent prudemment sur le sable avant de retourner nager.
Ils profitèrent de la fraîcheur de l'eau durant encore une bonne demie-heure puis, se faisant rattraper par l'épuisement, ils s'allongèrent sur la grève sous les étranges arbres. Leïmy laissa les rayons la sécher en reprenant doucement son souffle.
Negg resta à côté d'elle un instant avant de se relever pour remplir les gourdes. Ce simple geste rappela à chacun que ce soulagement n'était qu'éphémère et qu'ils devraient à nouveau subir la brûlure du soleil et la soif. Ce n'était qu'un court répit avant de recommencer de plus belle.
Le rouquin revint s'installer à côté de Leïmy qui leva les yeux vers le ciel pour évaluer l'heure. La nuit ne tarderait pas.
Elle se releva de manière à pouvoir dominer ses compagnons de voyage pour appuyer les directives qu'elle s'apprêtait à donner :
- Il est clairement inutile de se remettre en route maintenant. Passons la nuit ici. Les arbres nous protégerons peut-être du froid.
Les autres acquiescèrent à la fois du même avis et également soulagés de pouvoir se reposer. Dévlin fut le seul à demeurer immobile, toujours perdu dans ses pensées. Leïmy et Negg remirent leur ceinture.
D'un commun accord, ou plutôt en accord avec les deux mercenaires qui ne leur laissaient pas le choix, ils décidèrent d'allumer un feu pour tenter de passer la nuit au chaud.
Les deux mercenaires étudièrent les arbres les surplombant, tentant de trouver le meilleur moyen de les escalader. Ils ne mirent pas longtemps à s'accrocher. Les troncs comme recouverts d'écailles de bois offraient d'excellentes prises, encore plus qu'un mur lézardé.
Leïmy adressa un regard de défis à Negg qu'il comprit sans peine. Son amante voulait faire la course. Parfait. Lui aussi se sentait d'humeur joueuse comme il l'avait déjà montré dans le lac.
Leïmy s'éleva rapidement, saisissant avait habilité les prises. Icrann et Batquisse les regardèrent se hisser au-dessus de sol, impressionnés par la rapidité et l'aisance avec lesquelles ils le faisaient. Quant à Dévlin, il était habitué à l'habilitée des deux mercenaires.
Leïmy atteignit le sommet avant Negg mais elle le précéda seulement de quelques secondes. Ce qui n'empêcha pas la jeune fille d'adresser un sourire victorieux à son compagnon.
Cette halte rendait Leïmy fort enjouée et taquine. C'était étrange mais, pour une fois qu'elle ne sentait pas une sourde détresse lui peser sur les épaules, autant en profiter.
Se re-concentrant sur leur tâche première, ils examinèrent les feuilles qui serviraient de combustible. Ils s'aperçurent qu'elles étaient plus solides que prévu. Leïmy dégaina une lame et entreprit de sectionner la feuille la plus proche d'elle, tout comme Negg.
Ils parvinrent finalement à couper trois larges feuilles qui s'écrasèrent les unes à la suite des autres sur le sable. En bas, Icrann les récupéra et les plaça en tas.
Les deux mercenaires redescendirent aussi facilement qu'ils étaient montés et il purent constater que les autres avaient eu la bonne idée d'arracher les "écailles" de bois pour le foyer. Il ne restait plus qu'à enflammer. Heureusement pour eux, Negg conservait toujours un briquet dans l'une de ses poches et les combustibles s'embrasèrent sans peine.
Ils se regroupèrent tous autour du feu, le plus proche possible des flammes. Ils mangèrent avec appétit pour la première fois depuis leur arrivée dans ce désert maudit.
Entre deux bouchées, Dévlin, qui avait abandonné sa morosité pour le repas, constata mi-amusé, mi-soulagé :
- Au moins, il n'y a pas de monstres ici. »
Le nécromancien récolta quatre regards peu convaincus, particulièrement appuyés dans le cas de Leïmy et Negg. Ils ne savaient pour quelle raison mais les deux mercenaires avaient la forte impression que les paroles de Dévlin sonnaient faux et le très mauvais pressentiment qu'ils en auraient la triste confirmation sans tarder.
Sans un mot de plus, ils allèrent se coucher en décidant de se relayer tout au long de la nuit pour réapprovisionner les flammes.
Leïmy se replia sur elle-même, tentant de trouver un peu de chaleur dans cette position. Negg s'installa contre elle en l'enlaçant, se transmettant mutuellement un peu de chaleur.
Leïmy se réveilla soudainement en ignorant pourquoi.
Un regard au ciel lui apprit que l'aube serait là dans quelques minutes et le feu terminait lentement de se consumer. Comme le jour arriverait sous peu, Dévlin avait préféré ne pas raviver les flammes.
Leïmy délaissa l'observation de leur petit campement pour se concentrer sur les environs. Elle cherchait ce qui avait pu la tirer de son sommeil.
Ses yeux se posèrent sur Negg et elle devina que ce n'était pas un mauvais rêve qu'elle avait aussitôt oublié qui l'avait réveillée puisque le rouquin était également éveillé, tous les sens en éveil aussi. Ce devait être leurs sens et leur intuition communes qui les avaient alertés.
Ils échangèrent un regard entendu, n'ayant pas besoin de parler pour se comprendre puis Negg s'accroupit avec lenteur, la main sur l'une de ses dagues.
Se plaçant dos à dos, ils scrutèrent le désert encore peuplé d'ombres, les sourcils froncés. Leïmy se raidit brusquement. Le sentant, Negg se tourna vers elle. Comprenant le sens de sa question silencieuse, Leïmy lui indiqua une dune à sa droite. Juste derrière, elle avait cru apercevoir une paire d'yeux luisants mais cela avait été très bref ce qui la faisait douter.
Alors que les deux mercenaires se focalisaient sur ce point, un bruit sur leur gauche dévia leur attention. Ils ne leur en fallut pas davantage pour déterminer que Leïmy avait bien repéré un regard brillant et que celui à qui il appartenait n'était pas seul. Ils étaient en train de se faire encercler.
Leïmy et Negg échangèrent quelques paroles à voix basse pour établir une rapide stratégie et ils reprirent leur position omoplates contre omoplates laissant croire, en toute logique, qu'ils prolongeaient leur observation puis, subitement, ils se séparèrent.
Leïmy bondit vers la dune où elle avait détecté la présence et Negg se dirigea vers leurs compagnons endormis qu'il entreprit de réveiller.
En trois grandes foulés énergiques, Leïmy dépassa la dune. Elle repéra une petite silhouette humanoïde cherchant à s'enfouir dans le sable. Avant qu'elle ne disparaisse parfaitement, la mercenaire la saisit par la nuque et l'extirpa de son terrier.
Préférant mettre immédiatement fin à cette proximité pour éviter une éventuelle contre-attaque, Leïmy rejeta la chose au sol qu'elle venait de récupérer et qu'elle ne parvenait pas encore à identifier. Un étrange grognement produit par la créature fut reprit par d'autres. Leïmy put ainsi constater qu'elles se trouvaient tout autour du lac.
Sans plus attendre, la mercenaire dégaina deux longues lames en détaillant ce qu'elle n'hésitait pas à qualifier d'ennemi.
Comme elle l'avait déjà constaté, l'étrange être ne dépassait pas la taille d'un enfant de moins de dix ans. Sa peau extrêmement bronzée semblait brûlé par endroits mais, à cause de la faible luminosité, Leïmy n'en était pas certaine. Il ne portait aucun vêtement mais une épaisse fourrure ocre le recouvrait de la poitrine à mi-cuisse. Ses muscles sec et noueux témoignaient de son habitude à évoluer dans le milieu désertique mais ces détails sur lesquels le regard de Leïmy passa brièvement n'étaient ni les plus surprenants ni les plus effrayants. Ce sur quoi Leïmy se focalisa fut le visage où brillaient de petits yeux jaunes profondément enfoncés dans leurs orbites et dont la moitié gauche avec l'exacte apparence de la pierre.
La mercenaire dut s'arracher à sa contemplation fascinée pour esquiver un coup des griffes qui devaient faire la taille de l'avant-bras de la jeune fille et qui terminaient les doigts de la créature. A présent Leïmy en était sûre, cette chose était encore moins humaine que Vargo.
Il n'en fallut pas davantage pour que la mercenaire réagisse.
Lorsque la créature l'attaqua à nouveau, elle para en se décalant sur le côté et planta son arme dans la main de son adversaire. Un éclat de douleur éclaira son regard. Cela ne posa pas le moindre état d'âme à Leïmy qui, d'un vif mouvement, enfonça sa seconde dague dans la gorge de la créature qui s'écroula dans le sable avec un gargouillis.
Leïmy récupéra ses armes, qu'elle ne prit pas le temps d'essuyer, puis elle s'empressa de regagner le camp où tour le monde était maintenant réveillé. Negg tenait toujours fermement ses longues dagues et la rapière de Dévlin était au clair.
Leïmy déclara en les rejoignant :
« Nous avons un problème.
- Nous l'avions remarqué.
Marmonna Negg en réponse, son regard passant d'une créature s'approchant à l'autre.
Même si ils avaient deux mercenaires dans l'équipe, ils craignaient de ne pouvoir tenir face à la vingtaine de créatures qui les encerclait.
Ils n'eurent pas le temps de mettre un plan au point car les monstres sautèrent sur les cinq voyageurs, ongles en avant. Ceux armés levèrent leurs lames devant eux de manière à se protéger.
Batquisse eut le réflexe de rouler sur son épaule, l'impact étant amorti par le sable meuble. Espérant que ces monstres avaient un comportement similaire à celui des animaux sauvages de son continent qu'il avait bêtement quitté, il se saisit d'une branche se consumant toujours et l'agita devant lui et les quatre autres. Cela eut l'effet escompté. Les créatures reculèrent avec des sifflements furieux mais ceux progressant dans leurs dos redoublèrent de vitesse.
Leïmy enfonça sa lame sur toute sa longueur dans le poitrail d'une créature, l'empêchant ainsi de labourer le dos de Dévlin. Ce dernier se retourna vivement, décapitant un autre monstre au visage de pierre d'un revers de sa rapière.
Plusieurs minutes s'écoulèrent de cette manière, les membres du groupe se protégeant les uns les autres, davantage mus par les réflexes et l'instinct que par la réflexion et la stratégie mais les créatures ne cessaient d'affluer, surgissant de terrier creusés dans le sable et ils furent rapidement submergés par ce nombre immense.
Si ils parvenaient tout de même à se débarrasser de leurs agresseurs, ils se fatiguaient très rapidement sans compter que le soleil qui s'était levé dardait sur eux ses rayons brûlants qui ne paraissaient pas importuner les créatures, certainement habituées à cet environnement torride. La sueur, provoquée aussi bien par les mouvements de l'affrontement que par la chaleur, coulait dans leur regard et rendait leurs paumes glissantes. Leïmy s'était déjà entaillé trois fois sur ses propres lames mais n'y prêtait pas la moindre attention, continuant à blesser et tuer sans stopper ni s'interroger.
Avec l'épuisement et la chaleur, leur concentration baissait inévitablement et Negg ne visa pas juste. Au lieu de la jugulaire, ce fut dans l'épaule de la créature lui faisant face que pénétra sa dague. En réponse, le monstre, rendu furieux par la douleur, griffa brutalement l'avant-bras du rouquin qui, malgré la profondeur de la blessure, ne fit que grogner.
Comme il n'avait pas lâché son arme, il fit violemment remonter sa lame vers la gorge du monstre qui produisit un affreux gargouillement avant de s'affaisser, teintant encore davantage le sable de rouge.
Negg ne cessa pas de se battre pour s'occuper de sa blessure cependant, celle-ci l'élançait et son sang s'échappait par de larges filets.
Le remarquant entre deux coups bien placés, Dévlin lui ordonna alors que Leïmy se chargeait spontanément de le couvrir :
- Negg, met-toi à couvert entre nous !
- Hors de question !
S'opposa farouchement le mercenaire en supprimant une créature de plus. Il refusait d'abandonner mais son énergie s'évaporait de seconde en seconde.
Le sang s'écoulant en abondance de ses plaies poissait sa main gauche si bien que sa lame finit par lui échapper. Negg la suivit, trop affaibli pour supporter son poids. Le rouquin s'écroula dans le sable sanglant.
Leïmy bondit, s'interposant entre son amant et la créature voulant profiter de son évanouissement pour l'achever. Elle enfonça entièrement sa dague en travers de la gorge du monstre le plus proche et s'attaqua ensuite au suivant alors que Icrann tirait Negg entre eux quatre pour le protéger.
Même si le jeune homme n'était plus en danger immédiat, ils avaient un combattant en moins et tous fatiguaient à une vitesse inquiétante, contrairement aux créatures qui continuaient à les assaillir toujours plus nombreuses et plus vives.
Si Dévlin parvint à se baisser juste à temps pour esquiver les griffes dangereusement acérées et que seules quelques mèches furent tranchées, ce ne fut pas le cas de Leïmy. Déjà aux prises avec une créature, elle ne vit le coup venir que du coin de l'œil mais, heureusement pour elle, l'attaque ne lui étant pas initialement, les sers ne la touchèrent pas gravement. Les griffes s'enfoncèrent tout de même suffisamment profondément dans la chair de son épaule gauche, juste au-dessus de sa mitaine, pour lui arracher un cri.
Batquisse asséna la branche enflammée sur la créature ayant blessé Leïmy, l'embrasant.
Le fait que Leïmy soit touchée s'exprimait comme une défaite pour le reste du groupe. Les deux mercenaires souffraient de blessures et ils ne tiendraient pas plus de quelques minutes.
Dévlin ne comprit pas vraiment comment mais sa rapière lui fut violemment arrachée et un monstre sauta droit sur lui, ses redoutables griffes brandies mais, avant qu'elles ne déchirent son visage, l'attaquant fut fauché d'une flèche.
Le nécromancien se tourna vers Leïmy qu'il pensait responsable de ce sauvetage in-extrémis mais, chose rare, la mercenaire semblait sincèrement surprise.
Avant que l'un ou l'autre ne puisse prononcer un mot, une pluie de flèches s'abattit sur les créatures.
Une voix leur cira :
- Couchez-vous !
Leïmy n'avait pas besoin d'attendre cet ordre pour se plaquer au sol et les trois autres ne se le firent pas répéter, quant à Negg, il était déjà étalé de tout son long dans le sable.
Leïmy rampa jusqu'à lui sous l'averse de flèches qui continuait à tomber sans pitié pour les créatures qui mourraient par dizaines. L
a jeune fille prit le pouls de Negg et le sentit avec soulagement battre sous ses doigts. Ce contact tira Negg de sa brève inconscience. Il posa son étrange regard sur Leïmy qui comprima comme elle put la blessure du rouquin. Ce dernier serra les entailles parallèles s'ouvrant sur l'épaule de la jeune fille.
Les créatures rescapées s'enfuirent avant de s'enfouir dans le sable.
Dévlin se releva le premier, curieux découvrir leurs sauveurs, qui devaient être nombreux. Leïmy soutint Negg, toujours très affaibli par sa perte de sang. Icrann ramassa la rapière du nécromancien qu'il rendit à ce dernier puis tous attendirent.
Ils ne tardèrent pas à voir une douzaine de silhouettes gravir une dune de sable. Il était impossible de déterminer si il s'agissait d'hommes ou de femmes car tous étaient vêtus de longs habits amples passant par toutes les nuances de jaune et de brun. Tous tenaient encore leur arc à la main.
Ils s'arrêtèrent à quelques mètres du petit groupe excepté l'un d'entre eux qui s'avança jusqu'à sa hauteur. Là, il retira sa capuche ainsi que le foulard masquant le bas de son visage.
Il s'agissait d'un jeune homme d'approximativement le même âge que Dévlin mais leur ressemblance s'arrêtaient là. Sa peau avait la même teinte marron que ses cheveux châtains bouclant légèrement sous ses oreilles. Ses yeux où brillait un éclat bienveillant étaient d'un vert incroyablement clair. Sous son nez droit, ses lèvres se fendaient d'un sourire chaleureux.
Il prit la parole en déclarant :
- Vous avez eu de la chance que nous soyons dans les parages. Les taharkis ne sont pas du genre à abandonner leur proie et vous sembliez à leur goût. Enfin bref, vous êtes vivants et c'est une chance. Excusez-moi. Je parle et j'oublie complètement de me présenter. Je me nomme Léano. Je suis le meneur des Itinérants. Je suppose que vous désirez nous rejoindre puisque vous vous trouviez dans le désert. On ne s'y aventure pas pour une promenade digestive après un repas en famille.
Léano rit de sa plaisanterie mais il s'interrompit bien vite en s'apercevant que le groupe lui faisant face ne partageait pas son amusement.
Les sourcils froncés, il détailla plus attentivement ces cinq interlocuteurs. Il constata quelques caractéristiques étranges. A commencer par leur teint clair fort incongru dans cette région, en particulier celui laiteux de Leïmy. Il y avait également leurs vêtements qui ne ressemblaient à rien de ce qu'il avait déjà vu.
Soupçonneux, il demanda, cherchant à qu'on le détrompe :
- Vous venez bien d'Arancha ?
Leïmy, contre l'épaule de qui Negg avait à nouveau perdu connaissance à cause de la perte de sang, arriva au terme de sa courte patience. Elle confia le rouquin à Icrann sans demander l'avis de ce dernier puis elle se piqua face à Léano, bousculant Dévlin au passage.
La mercenaire s'écria en réponse à la question du jeune homme, très agressive :
- Non, nous n'en venons pas ! J'ignore même ce que c'est de même que les taharkis ou les Itinérants mais Negg a besoin de soins et il est hors de question qu'il meurt parce que vous aimez vous écouter parler !
Léano recula d'un pas, surpris par tant de véhémence sortant d'une bouche aussi belle que celle de Leïmy.
Il promena rapidement son regard sur le petit groupe et notamment sur le rouquin gisant contre Icrann.
Il prit vite sa décision et acquiesça :
- Suivez-moi. Nous allons vous conduire à notre camp où nous aurons de quoi vous soigner.
- Merci, sourit Dévlin en emboîtant le pas à Léano. C'est à notre tour de nous présenter. Je m'appelle Dévlin. Voici Batquisse et Icrann. Le blessé est mon frère cadet, Negg, et, pour terminer en beauté, celle qui vous a crié dessus est Leïmy. Ne vous inquiétez pas, elle comme ça avec tout le monde.
Leïmy envoya un regard noir à Dévlin qui, depuis le temps, ne s'en formalisait plus. Léano retrouva son sourire éblouissant.
Leïmy vérifia l'état de Negg qui l'inquiétait malgré son air neutre puis elle se plaça à la gauche de Léano qui se mettait en route, laissant Batquisse et Icrann à l'arrière.
La mercenaire grogna :
- Au lieu de dire des choses inutiles, si vous nous expliquiez ce que sont les Itinérants.
- D'où venez-vous pour ignorer cela ?
- De Welkonn.
Répondit laconiquement Leïmy en fixant l'horizon. Le choc de cette information fit s'arrêter Léano et les autres, qu'ils avaient rejoints, écarquillèrent les yeux en lâchant toutes sortes d'exclamations de surprise ou d'incompréhension.
Léano bafouilla :
- Mais...mais c'est impossible ! Welkonn...ce continent n'existe plus ! Co...co...comment...
- Nous vous expliquerons tout mais une fois que Negg sera hors de danger. »
Léano opina puis il se remit en route d'un bon pas, pressé d'entendre les réponses à ses très nombreuses interrogations. Il ne pouvait croire ce que Leïmy venait de lui apprendre mais, en un sens, il lui semblait aussi que c'était l'unique explication logique.
Ils arrivèrent en vue d'un grand campement un quart d'heure plus tard.
Des roulottes peintes de motifs bariolés étaient stationnées un peu partout sans ordre apparent. Une cinquantaine de personnes vaquaient à leur occupation sous le signe de la bonne humeur. De nombreux rires et mêmes quelques chansons s'envolaient ça et là.
Les gens n'étaient pas les seuls êtres vivantes à peupler le camp. À côté des roulottes, se reposaient des animaux semblables à des chevaux mais à la robe ocre, sans queue avec une crinière presque inexistante mais le plus frappant était qu'ils ne possédaient pas de sabots. Leurs pattes se terminaient par cinq courts doigts pourvus de petites griffes. Cela devait faciliter la marche dans le sable.
Léano les guida à travers son campement jusqu'à une roulotte qui devait certainement être la sienne.
Negg, qui avait repris conscience à peine une minute avant leur entrée dans le campement, se laissa tomber sur un petit banc de bois.
Léano fit signe à l'un de ses compagnons de venir. L'homme d'une trentaine d'années au teint aussi halé que celui de Léano et aux cheveux noirs réunis en courte queue de cheval les rejoignit.
Léano lui expliqua :
« Nos amis ont besoin de soins (il se tourna vers les nouveaux venus). Ersien va se charger de vos blessures.
Negg remonta sa manche lacérée pour exposer ses plaies. Le dénommé Ersien examina rapidement les profondes entailles sans rien laisser paraître sur son visage. Il fouilla dans le sac qu'il portait en bandoulière et en sortit une gourde d'eau avec laquelle il nettoya les blessures. Negg fronça les sourcils, le contact lui étant douloureux, mais il ne montra rien de plus. Ersien rangea ensuite sa gourde pour s'emparer d'une fiole emplie d'un épais liquide jaunâtre qu'il fit également couler sur l'avant-bras du rouquin qui, encore une fois, ne laissa rien transparaître sur son visage de marbre. Le guérisseur termina en enveloppant les blessures dans d'épaisses bandes de tissus.
Ersien tendit sa gourde précédemment utilisée à Negg pour qu'il puisse se désaltérer.
Ersien s'approcha ensuite de Leïmy il tendit les doigts vers l'épaule de Leïmy mais cette dernière le stoppa en refermant sa main autour du poignet du guérisseur.
Elle demanda d'un ton vibrant de colère :
- Que faîtes-vous ?
- Je vous soigne.
- C'est superficielle et ne avisez plus jamais de faire mine de vous approcher de mon bras gauche. Est-ce clair ?
- Comme vous voulez.
Ersien haussa les épaules avant de retourner se charger de ses affaires plus loin dans le campement.
Léano laissa ses invités boire et se reposer quelques minutes puis il chercha un moyen d'aborder le sujet de leurs origines.
Il se lança, incertain :
- Donc, vous venez de Welkonn.
- En effet. La traversée n'a pas été de tout repos. Nous sommes venus suite à un message d'un homme condamné à l'exile de l'autre côté de la mer. Nous croyions qu'il n'y avait rien d'autre que le sable ici mais l'homme que j'ai déjà cité nous a affirmé le contraire et nous sommes bien forcés de constater qu'il avait raison.
Un large sourire fendit encore le visage de Léano suite à la dernière remarque de Dévlin. Leïmy soupira d'exaspération. Cet enthousiasme perpétuel commençait à l'agacer sérieusement.
Reprenant un visage grave, Léano leur dit :
- Navré mais je ne peux pas confirmer la présence de cet homme dont vous me parlez. Le seul moyen pour vous de tirer tout cela au clair est de gagner Arancha. Nous vous y conduirons dès demain. Pour ce qui est de Welkonn, cela ne me concerne pas. Je peine suffisamment à maintenir mon peuple en vie sans en plus me mouiller dans cette histoire. »
Dévlin opina, soulagé de cette déclaration car il ne savait comment s'expliquer exactement puisqu'il ignorait tout des légendes circulant sur Welkonn.
Encore très faible, Negg s'assoupit en s'appuyant contre Leïmy.
Cette dernière était plongée dans ses pensées.
À présent, ils étaient certains que Rilin ne leur avait pas menti.
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