Chapitre 24
Oriol quitta la clinique alors que le soir s'étendait doucement sur la capitale.
Il se passa une main sur le visage, en proie à une immense lassitude. Il prit le chemin de son domicile mais, contrairement aux autres jours, il ne parvenait pas à se détendre et à laisser ce qui concernait son travail derrière lui.
Ils en étaient à trois cadavres dont la cause de la mort demeurait un mystère, même pour les médecins ou les magiciens. Le dernier macchabée en date avait été découvert l'après-midi même à deux rues du palais du Conseil par un garde en patrouille. Les trois assassinés, qui comptait bien évidemment la regrettée Peronne De Iyrté, appartenaient tous à l'aristocratie de Welkonn, ce qui ne facilitait en rien la situation.
En plus d'enquêter sur le coupable de ces crimes, Oriol devait également subir la famille des défunts qui, du haut de leur statu de nobles, se croyaient tout permis et réclamaient justice. Comme si ils pensaient que c'était aussi simple.
Le Capitaine soupira bruyamment.
Le pire était ce qu'il pressentait. Il avait acquis suffisamment d'expérience ces dernières années pour se douter que ces trois assassinats n'étaient que les premiers et qu'il y en aurait d'autres, rendant cette situation, déjà complexe, totalement inextricable.
Il soupira encore. Il regrettait grandement l'époque où il poursuivait Leïmy et Dévlin, qui avait été injustement soupçonné de traîtrise.
Il arriva devant la caserne où il devait passer pour donner ses directives aux soldats de garde cette nuit. Lorsqu'il entra, il découvrit une personne qui lui donna immédiatement envie de faire demi-tour mais il était trop tard. Vargram Simmbel l'avait vu et il vint vers lui, un air contrarié sur le visage.
Le comportement et l'entêtement du jeune noble n'arrangeaient en rien les actuels problèmes. Cela aurait fortement soulagé le capitaine de retrouver son cadavre dans les prochains jours. Oriol s'en voulut de penser une telle chose mais il atteignait ses limites.
Il préféra se taire et laissa Vargram parler, ce qu'il fit sans se faire prier :
« Cela fait des heures que je vous attends et des jours que j'essaye d'avoir une entrevue avec vous !
- J'ai été plutôt occupé ces derniers temps.
Répondit Oriol d'une voix fatiguée en prenant place derrière son bureau sur lequel s'éparpillaient une vingtaine de documents aussi diverses que variés. Il en prit un au hasard qu'il parcourut rapidement avant de passer à un suivant.
Vargram frappa du plat des deux mains sur la table de travail pour rappeler sa présence, qui n'était pas dénuée d'importance, au capitaine qui, lassé et agacé, ne releva même pas les yeux.
Le noble déclara :
- Je suis venu m'enquérir des avancées sur l'affaire de mon cambriolage.
- Il n'y en pas. Répondit stoïquement Oriol, toujours sans regarder son interlocuteur.
- Quoi ? C'est inadmissible ! Comment osez-vous m'ignorer et vous moquer de moi de la sorte ?
Oriol reposa enfin la feuille qu'il lisait pour vriller sur lui son regard empli de lassitude dans celui vert foncé de Vargram.
Son énervement commençait à poindre dans sa voix :
- Nous avons des priorités autrement plus importantes à traiter. Nous sommes face à une série de meurtres qui ne semble pas près de s'arrêter donc, pour le moment, le vole à votre demeure, bien qu'affreusement tragique, est relégué au plan secondaire.
- C'est intolérable !
- Mais c'est comme ça.
De rage, Vargram balaya tous les documents se trouvant sur le bureau d'Oriol, les projetant au sol, puis il sortit en claquant la porte.
L'un des soldats, sans grade, se précipita pour aider son capitaine à ramasser en lui conseillant :
- Vous devriez rentrer chez vous. Il est tard et vous en avez suffisamment fait pour aujourd'hui. »
Oriol accepta sans rechigner. Il était effectivement épuisé et ses nerfs n'allaient certainement pas tarder à craquer. Une soirée tranquille ne pourrait que lui être que bénéfique.
Il termina de ranger son bureau en vitesse puis il prit la direction de son domicile dans les quartiers qui, sans être vraiment aisés, n'étaient pas totalement modestes.
Il progressa dans les rues de plus en plus sombres sans remarquer la silhouette qui le suivait depuis la caserne.
Il arriva devant une maison d'un étage recouverte d'un crépi beige et épais dans lequel des pierres jaunes étaient encastrées aux angles des murs. De petites fleurs poussaient dans des pots placés sur les rebords des fenêtres.
Oriol poussa la porte en commençant à déboutonner son uniforme bleu marine. Lorsqu'il entra, une appétissante odeur de viande rôtie ainsi que de légumes grillés assaillirent ses narines, l'aidant à se détendre un peu.
Il referma la porte sans douceur, comme il en avait l'habitude ce qui permit à une personne, qui se manifesta par une voix féminine, de deviner :
« Saymmon, c'est toi ?
L'intéressé répondit par un grognement se rapprochant davantage de celui d'un animal que de celui d'un homme.
Il termina de déboutonner son uniforme qu'il suspendit au pater placé à côté de la porte d'entrée.
Inquiétée de l'entendre répondre de la sorte, Ylonne sortit de la cuisine pour le rejoindre. La femme blonde s'essuyait les mains sur son tablier.
Elle demanda :
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Rien, ne t'inquiète pas.
Répondit Saymmon avant d'embrasser sa femme qui n'en fut pourtant pas pleinement convaincue.
Il s'assit sur une chaise, soulagé de pouvoir enfin penser à autres choses qu'à tous ces problèmes. Ylonne s'installa en face. Elle étudia son époux qu'elle trouva très fatigué.
Elle devina :
- Ton travail est difficile en ce moment.
- Je ne veux pas que tu te tracasses avec ça. Où sont les filles ?
- Elles ne devraient pas tarder.
Sourit Ylonne en jetant un regard dans le couloir avant de s'écarter pour laisser le passage à deux fillettes aux même cheveux blonds cendré qu'elle.
Toutes deux accoururent pour sauter sur les genoux de Saymmon en s'exclamant à l'unisson :
- Papa !
- Ludice, Dirma, doucement, les réprimanda gentiment Ylonne. Papa est fatigué.
Les deux fillettes se calmèrent puis enlacèrent leur père pour s'excuser de leur agitation.
Saymmon les reposa à terre en souriant. Elles filèrent à nouveau dans leur chambre.
Saymmon soupira mais d'aise cette fois. Il ne savait pas ce qu'il ferait sans sa famille.
Ludice passa la tête dans le couloir et demanda :
- Papa, tu viens jouer avec nous ?
- J'aide Maman à mettre la table et j'arrive.
- D'accord !
La petite retourna dans sa chambre.
Pendant que Ylonne allait chercher une nappe propre, Saymmon sortit les assiettes. Il les posait sur la table lorsqu'on frappa à la porte.
Saymmon s'immobilisa et fronça les sourcils. Qui pouvait venir leur rendre visite à une heure pareille ? Certainement pas un ami.
Ylonne posa un regard interrogatif sur son époux comme si il était capable de deviner de qui il s'agissait.
Tendu à cause des derniers jours et ayant un mauvais pressentiment, Saymmon s'empara de son épée avant d'aller ouvrir.
Il marqua un temps d'arrêt, surpris de découvrir qui se tenait sur le palier.
Leïje pesta :
- Ah bah quand même ! Vous trouvez ça normal de laisser les gens attendre dehors comme ça ? Bon, ce n'est pas grave. Alors comme ça, on s'appelle Saymmon ? C'est mignon ! Vous avez une jolie maison. Puis-je aller saluer votre femme qui, j'en suis sûr, est charmante ?
- Non.
- Allons Oriol, détendez-vous ! Ça sent très bon. Vous m'inviterez bien à souper avec vous ?
Sans attendre une réponse, Leïje bouscula légèrement le capitaine pour se faufiler dans la pièce derrière lui. Saymmon le saisit par la capuche de son long manteau, le freinant, et le tira en arrière pour le remettre dehors, l'étranglant à moitié.
- Saymmon, que se passe t-il ? Demanda Ylonne en s'approchant.
- Ce n'est rien ma chérie. Il va partir.
- Mais pas du tout. S'opposa Leïje.
- Si, si.
Assura Oriol avant de violemment refermer la porte au nez de Leïje qui vociféra.
En désespoir de cause, il donna un coup de pied contre le battant de bois. Il n'allait pas abandonner pour si peu. Les enjeux étaient trop importants.
Il attendit quelques minutes, le temps qu'Oriol et sa famille se mette à table, puis il cogna contre une fenêtre.
Il vit le capitaine se crisper puis soupirer d'exaspération mais il ne se tourna pas vers lui, contrairement aux trois autres qui ouvrirent des yeux ronds en faisant voyager leur regard de Saymmon à l'importun qui menaça :
- Oriol, ouvrez-moi ou je passe par la fenêtre !
A cette idée, le capitaine se leva, sa fourchette toujours à la main. Il ouvrit, pas la porte mais la fenêtre, et rugit sur le voleur :
- Quoi ?
- Il faut absolument que je vous parle.
- Vous ne pouviez pas passer à la caserne ?
- Moi ? Je n'en serais jamais ressorti, de votre caserne ! Je ne suis pas fou non plus !
- Qu'avez-vous de si urgent à me communiquer ?
- Moquez-vous mais c'est suffisamment important pour que je vienne vous trouver. Pour résumer rapidement, certains chefs de guildes fomentent un complot.
Oriol écarquilla les yeux, ne s'attendant absolument pas à une telle révélation.
Il se pencha vers le voleur pour éviter que les mots ne se glissent jusqu'aux oreilles de sa famille :
- Que me racontez-vous là ?
- La vérité. Faîtes-moi rentrer et je vous donne les détails.
Saymmon se résigna et fit entrer Leïje. Ce dernier lui adressa un sourire fanfaron et victorieux puis il effectua une révérence théâtrale adressée à la famille du capitaine.
- Mesdames, bonsoir et bon appétit.
- Je n'en ai pas pour très longtemps.
Indiqua Saymmon à son épouse, à qui Leïje faisait déjà de l'œil.
Il saisit le voleur par un bras et le conduisit brusquement à une pièce qui, à en juger par les deux petites lits et les jouets dispersés un peu partout, servait de chambre aux jumelles. Leïje se vautra sur l'un des matelas qu'il trouva très confortable malgré la couverture en laine teintée de rose. Oriol lui lança un regard courroucé.
Le voleur s'assit sur le bord du sommier et, sans plus attendre, expliqua à Oriol tout ce qu'il était parvenu à réunir sur la conspiration et, à l'inverse de ce qu'il avait fait pour Dabielle, il ne dissimula rien.
Lorsqu'il eût terminé, Saymmon resta pensif un instant puis il constata :
- Il y a encore beaucoup d'inconnus...
- Je sais mais j'ai certainement un moyen pour découvrir quelques détails très prochainement.
- Navré mais je ne peux rien faire de plus que vous écouter. Je suis débordé avec ces meurtres.
- Ces meurtres ? Au pluriel ? Combien y en a t-il eu ?
- Cela ne vous concerne pas.
- J'ai tout de même été soupçonné de celui de Peronne De Iyrté.
- Peut-être mais ça ne vous donne pas le droit de connaître les informations liées à l'enquête. Pour ce qui est de cette machination, j'ouvrirai l'œil mais je doute de pouvoir faire plus. Ce qui ne signifie pas que je vais rester passif. Si jamais je remarque quelque chose, quoi que ce soit, j'agirais. Sur ce, au revoir.
- Merci de m'avoir écouté, capitaine. Bonne soirée, navré de vous avoir dérangé et saluez bien votre charmante famille de ma part. »
Leïje ne gratifia pas Oriol d'une de ses courbettes. Son visage était très sérieux. Cette attitude fit réellement comprendre à Saymmon à quel point les choses étaient graves et inquiétantes.
Ils échangèrent une poignée de main puis le voleur laissa Oriol à sa famille.
Leïje commença à marcher sans se diriger vers un endroit en particulier. Il se contentait de se déplacer, ses pas résonnant dans la nuit l'aidant à un peu à réfléchir.
A présent, il savait qu'il pourrait se tourner vers Oriol si besoin car, malgré ce qu'il lui avait dit, il savait que le capitaine n'ignorerait pas cette affaire. Il n'était pas question que quelque chose menaçant Welkonn se trame tant Saymmon Oriol veillerait.
Seulement, Leïje ne pouvait se reposer sur les lauriers de s'être fait écouter du capitaine. Il devait continuer à s'impliquer totalement.
***
Saymmon raccompagna Leïje à la porte et s'assura que le voleur parte. Ce n'était pas parce qu'il le soutiendrait dans cette affaire si le besoin s'en faisait sentir qu'il l'appréciait.
Son soupir d'aise se mua en soupir de fatigue, la lassitude de la journée revenant à la charge.
Il reprit place à la table. Sa nourriture était froide et les autres en étaient à la tarte aux cerises qu'avait cuisinée Ylonne l'après-midi même.
Saymmon avala un morceau de viande froide alors que le silence s'étirait. Ce fut finalement la petite Dirma qui le rompit en demandant :
« C'était qui, Papa ?
- C'est pour mon travail. Ne t'en fais pas ma puce.
Rassurée par la phrase et le sourire de son père, la fillette croqua avec enthousiasme dans son dessert.
Saymmon ne conserva pas son sourire bien longtemps. Dès que sa fille redevint insouciante, son visage s'assombrit. Il repoussa son assiette, l'appétit coupé par les dernières nouvelles. Les mains croisées sous le menton, il se taisait, plongé dans de sombres pensées qui refusaient de le laisser en paix.
Après toute cette psychose sur la fin de Welkonn, c'était au tour des hommes de causer des problèmes. Entre ces étranges meurtres et cette conspiration mystérieuse, le capitaine de la Garde ne savait plus que penser. Ce monde qu'il chérissait et dans lequel ses filles grandiraient deviendrait-il fou ?
Ludice et Dirma terminèrent leur part de tarte puis allèrent se coucher après avoir embrassé leurs parents.
Saymmon réunit les assiettes les unes dans les autres pendant que Ylonne allait border les enfants. Elle revint et aida son époux à débarrasser.
Lorsqu'ils eurent terminé, Saymmon alla pour souhaiter une bonne nuit aux jumelles mais Ylonne le retint en le saisissant tendrement par le poignet.
- Saymmon, attend s'il te plaît. Est-ce que... Peut-on s'asseoir un moment ?
Saymmon acquiesça. Ylonne semblait très préoccupée ce qui l'inquiéta. Ils s'installèrent à nouveau à table l'un en face de l'autre.
Saymmon prit la main de son épouse dans la sienne et s'enquit :
- Qui y a t-il, ma chérie ?
- Je m'inquiète pour toi.
- Il ne faut pas, mon amour.
- Pourtant si. On dirait...j'ai l'impression que ton travail commence à peser lourdement sur tes épaules et ça m'angoisse.
- Il est vrai que la situation est plutôt compliquée ces derniers jours mais je vais faire en sorte que cela n'influence pas sur mon comportement et l'ambiance à la maison. Tout ira mieux lorsque j'aurai tiré toute cette histoire au clair car je le ferai. »
Ylonne fut rassurée d'entendre son époux s'exprimer ainsi. Cette détermination le caractérisait et c'était une des raisons pour lesquelles elle l'aimait.
Ils se mirent au lit, se sentant l'un et l'autre mieux qu'en début de soirée.
Ils furent réveillés aux aurores par des coups pressés contre la porte.
Saymmon grommela. Il se leva en veillant à ne pas déranger Ylonne davantage. Il attrapa une chemise au hasard qu'il enfila puis il alla ouvrir.
De l'autre côté de la porte, il découvrit un de ses subalternes, essoufflé et totalement paniqué, voir même hystérique.
Il annonça à son capitaine entre deux halètements :
« Il...il y en a eu un...un autre ! »
Oriol soupira bruyamment. La journée débutait très mal.
Ils en étaient à quatre à présent.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top