Chapitre 15
Cela faisait déjà quatre jours que l'expédition pour le désert de Soow était partie, pourtant, le temps n'avait pas aidé Maige à s'apaiser. Au contraire, son angoisse n'avait fait qu'augmenter et la présence de sa mère n'améliorait pas les choses. La jeune femme n'avait donc qu'une seule hâte, après le retour de Dévlin, que son cousin arrive.
Elle s'entendait très bien avec lui et il parvenait souvent à remettre Peronne à sa place, bien qu'il ait un peu la même vision des choses qu'elle mais, malheureusement, Lidian avait été retardé dans son voyage. Maige n'avait pas eu plus de précision sur ce qui l'avait retenu.
La jeune femme somnolait allongée sur l'un des divans du petit salon, la tête appuyée sur l'accoudoir et la main sur son ventre. Elle sentait le bébé s'agiter de temps à autre.
La porte de la pièce fut soudainement ouverte, sans violence mais cela suffit pour tirer Maige de son sommeil. Elle se redressa avec quelques difficultés à cause de la taille de son ventre puis elle posa un regard interrogateur sur sa mère.
Peronne était piquée devant sa fille, les poings sur les hanches et un air de contrariété sur son visage ridé. Maige devina qu'elle avait certainement des reproches ou des remarques peu agréables à lui faire.
Avant que Maige ne puisse ouvrir la bouche, Peronne demanda d'un ton sec en faisant les cents pas dans la pièce :
« Comptez-vous réellement recevoir votre cousin dans cette maison ?
- Pour...pourquoi ?
- Dois-je vraiment vous l'expliquer ? Cet endroit est ignoble ! On se croirait dans un bouge vulgaire ! C'est indigne du rang de votre famille ! Si votre père vous voyait, que dirait-il ?
Maige ne répondit pas. Elle rentra le cou dans ses épaules en cherchant inconsciemment à se protéger de la véhémence de sa mère qui ne semblait pas vouloir cesser :
- Quand je pense que vous comptez élever votre enfant ici. Vous n'avez qu'une seule domestique ! Mais enfin Maige, réveillez-vous. Je n'ai rien dit à votre mariage mais là, vous dépassez les limites !
- C'est donc Dévlin le problème.
- Évidemment ! Ne pouviez-vous pas épouser quelqu'un de votre rang ? Notre sang va être mélangé à celui d'un...d'un...
Peronne ne trouva pas de mot approprié pour désigner Dévlin mais la moue de dégoût que portait son visage en disait plus qu'un discours.
Maige éclata en sanglots en se prenant la tête dans les mains.
- Vous croyez vraiment que j'ai besoin de ça maintenant ? Gémit-elle. Laissez-moi tranquille, sortez ! »
Il était rare que Maige hausse le ton, surtout à l'encontre de sa mère, mais c'était plus qu'elle ne pouvait supporter. Peronne fut tellement surprise qu'elle obéit sans discuter ni rien ajouter.
Maige se laissa tomber sur le côté, s'allongeant à nouveau. Elle se recroquevilla sur elle-même en prenant garde à ne pas appuyer sur son ventre sur lequel elle serrait ses mains.
Ses larmes continuaient à ruisseler sur ses joues roses. Elle se sentait dans une telle détresse qu'elle ne voyait pas comment se calmer.
Dévlin était parti pour un voyage aux innombrables dangers dont il ne reviendrait peut-être jamais, sans compter que sa grossesse renforçait son hypersensibilité naturelle et la seule chose que trouvait sa mère était de profiter de l'absence de Dévlin pour le diaboliser d'une manière ignoble. Elle avait même osé s'en prendre au bébé.
Sûrement avait-ce était la goutte d'eau. Ce que Peronne avait dit sur Dévlin l'avait extrêmement blessée mais personne ne toucherait à son enfant.
Comme pour signaler son soutien à sa mère, le petit donna un coup. Maige sourit faiblement à travers ses sanglots.
Elle resta un sangloter durant plus d'une heure et demie. Malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à tarir le flot de larmes ou à repousser sa peine au fond d'elle.
Elle entendit vaguement frapper à la porte d'entrée mais elle s'en moqua. Ce devait être Leïje qui revenait s'enquérir de son état. La nécromancienne ne se dérangea pas. Elle ne s'en sentait pas capable. Myrthe alla ouvrir, remplissant ses fonctions de domestique.
Maige se désintéressa bien vite du visiteur inconnu, n'ayant que sa tristesse à l'esprit.
Ce sentiment ne fut plus aussi intense lorsque quelqu'un entra dans le salon.
Il ressemblait à Maige, même si l'homme avait les traits bien plus durs que la jeune femme et le visage bien moins rond. Grand, les cheveux roux tirés en arrière, les joues couvertes de taches de sons et les yeux d'un brun plus clair que ceux de Maige, il était l'archétype du membre de la famille De Iyrté.
Maige se redressa, encore une fois avec un flagrant manque de souplesse. Lidian s'empressa de venir aider sa cousine à s'asseoir puis il prit place à côté d'elle. Maige essuya ses joues pour éviter de paraître trop humide.
Elle chercha ses mots pour le saluer mais, ayant moins de mal à rassembler ses idées, il la prit de vitesse :
« Et bien ma chère cousine, que se passe t-il ? Tu as l'air proche du désespoir.
Maige s'efforça de répondre en maîtrisant ses émotions exacerbées par une accumulation de choses : le départ de Dévlin, les reproches de Peronne, sa grossesse, mais elle ne parvint qu'à éclater en sanglots. Elle se laissa tomber contre l'épaule de son cousin qui lui passa un bras réconfortant dans le dos.
Connaissant parfaitement Maige et son caractère fortement émotif, Lidian ne la pressa pas de questions et il attendit simplement qu'elle se calme en lui frottant gentiment le dos. Il pensa premièrement que cette cascade de larmes était due aux hormones que remuait la grossesse puis il se dit qu'il y avait une trop grande tristesse en sa cousine pour que ce ne soit que cela.
Encore une fois, il patienta avant de l'interroger.
Maige se força à s'apaiser, ne serait-ce que pour le confort de Lidian. Elle épongea ses larmes en inspirant profondément pour chasser le nœud que ses émotions formaient dans sa gorge.
Lidian s'assura qu'elle ne risquait pas de se retransformer en fontaine puis, avec un regard prévenant, il lui demanda :
- Alors, quel est le problème ?
- Tu n'as pas croisé ma mère ?
- Non, pas encore. Est-ce elle la cause de tant de malheurs ?
- Ne te moque pas de moi s'il te plaît.
- Je n'insulterais jamais ma famille, cousine, tu le sais. »
Maige hocha la tête.
Lidian était bien trop fier d'appartenir à l'ancienne famille royale de Welkonn pour se gausser d'une personne partageant son sang.
***
Quatre jours que Leïmy et Negg étaient partis pour lui mission suicidaire. Pour le moment, l'absence des deux mercenaires n'avait pas encore été remarquée mais cela ne tarderait pas et ce serait forcément à Leïje de répondre aux questions.
Le voleur était installé sur la fourche d'un arbre surplombant le campement de sa guilde et plus particulièrement la tente d'Arick.
Depuis qu'il avait vu l'homme roux qu'il avait identifié comme appartenant à la famille De Iyrté, Leïje surveillait Mauvaise Patte de près. Il sentait que quelque chose se tramait et il avait bien l'intention de découvrir quoi mais, en quatre jours, il n'avait pas appris grand chose et il s'était surtout ennuyé.
Un souffle de vent souleva les pans de son manteau bleu nuit et manqua de le déséquilibrer puisqu'il avait commencé à s'endormir sans s'en rendre compte à force d'ennui. Il se rattrapa à la branche en serrant ses mains autour. Ce manque de vigilance ne lui ressemblait guère mais ce que faisait Mauvaise Patte avait un degré d'intérêt proche du néant. Leïje soupira en passant une mains dans ses cheveux cuivrés.
Agacé, devinant que, si il ne s'était rien passé depuis quatre jours, il ne se produirait rien de plus dans le prochain quart d'heure, le voleur descendit de l'arbre. Il était plus à l'aise sur une façade ornementée que sur l'écorce mais il parvint à sauter souplement à terre.
Il poussa un nouveau soupir. Au lieu de perdre du temps à espionner ce qui n'avait rien d'intéressant, il se dit qu'il aurait mieux fait de trouver un larcin à commettre. Il se dirigea vers la sortie du campement mais il ne fit même pas une dizaine de pas que Dabielle le repéra et elle vint vers lui.
Leïje ne sut si il devait se composer un des sourires charmeurs dont il avait le secret ou si il devait encore soupirer. Ces derniers temps, il trouvait que Dabielle s'accrochait un peu trop à lui. Elle avait pourtant saisit que le beau voleur ne ressentait rien pour lui, que c'était juste de l'amusement, il le lui avait clairement fait comprendre mais, depuis, elle se cramponnait avec une insistance qui commençait à sérieusement énerver Leïje.
Ce dernier choisit tout de même de l'attendre les bras croisés. La jeune fille le rejoignit et posa son menton sur son épaule puis elle demanda en papillonnant des cils :
« Où étais-tu passé ? Ça fait des heures que je te cherche.
- J'avais besoin de m'isoler un peu.
- Si tu as besoin de respirer, j'ai eu vent d'une affaire. Ça t'intéresse ?
Un sourire fendit le visage de Leïje et Dabielle fut satisfaite d'avoir éveillé l'attention du voleur.
Avant qu'elle ne puisse donner des précisions, les pans de toiles de la tente d'Arick s'écartèrent pour laisser sortir le chef de la guilde. Mauvaise Patte promena un regard possessif sur le campement qu'il considérait comme le sien mais Leïje comprit qu'en réalité, il vérifiait qu'aucun voleur ne faisait attention à lui. Leïje feignit d'être totalement absorbé par le regard de Dabielle.
Arick ne se soucia pas d'eux puis s'enfonça entre les arbres. Peut-être se passait-il quelque chose finalement.
Leïje attendit que Arick s'éloigne de quelques pas puis il repoussa Dabielle qui, outrée, s'exclama :
- Que fais-tu ? »
Leïje ne lui répondit pas. Il lui fit seulement signe de se taire avant de disparaître derrière Arick.
Il s'assura que Dabielle ne le suivait pas mais, visiblement, il l'avait vexée et elle ne souhaitait pas rester avec lui. Parfait, aussi bien pour sa filature que pour sa vie au quotidien.
Il repéra Arick à travers les arbres et, sans un bruit, il marcha dans ses pas, au sens littéral. Leïje se savait meilleur que son chef et il ne craignait donc pas de se faire découvrir.
Il ne s'interrogea pas sur les raisons de cette escapade, il le suivait justement pour le savoir mais il pouvait déjà deviner qu'il ne se rendait pas à Orquia pour commettre un acte répréhensible car la capitale était dans la direction opposée.
Un craquement de brindille retentit dans le silence de la forêt. Leïje baissa les yeux sur son pied droit sous lequel gisait une branche brisée en deux. Le voleur se maudit pour son manque d'attention. Il eut juste le temps de se jeter dans un fourré d'épineux avant qu'Arick ne se retourne pour s'assurer qu'il était seul. Si le vent ne s'était pas levé à cet instant en agitant tous les feuillages, le chef de la guilde aurait sans peine repérer les branches du fourré dérangées par la soudaine intrusion de Leïje.
Ce dernier songea à un moyen discret pour suivre Arick. Il laissa la distance entre eux se creuser puis il escalada le frêne qui était l'arbre le plus proche de lui. Là, il entreprit de passer d'une frondaison à l'autre. Peut-être que ses mouvements étaient moins agiles et gracieux que ceux de Leïmy mais il y parvint, notamment grâce à la proximité des arbres.
Il rattrapa Arick sans trop de mal. Il vacilla une ou deux fois et peut-être que son pied glissa mais il avait trouvé un bon moyen de suivre le chef de la guilde.
Il voulait bien reconnaître que son manteau l'entravait dans ses mouvements et surtout dans ses sauts mais il refusait d'abandonner son vêtement. Il en avait déjà perdu un dans le fond du fleuve Nord.
Arick avança durant environ une bonne demie-heure et Leïje espérait que le trajet était proche de sa fin car il commençait à fatiguer et si il n'était guère à l'aise dans cette exercice dès le départ, il craignait vraiment l'incident à présent qu'il ne se sentait plus aussi sûr de ses muscles.
Heureusement pour lui, sa discrétion et sa nuque qu'il ne risquait plus de se briser, Arick s'arrêta bientôt dans une petite clairière qui se rapprochait davantage d'une simple trouée entre les arbres.
Le nouveau chef des voleurs n'était pas le seul à se trouver là. En tout, ils étaient cinq et tous des hommes.
Leïje s'agenouilla sur une branche épaisse en se tenant au tronc de la main droite et il détailla les participants à cette réunion qui avait tout l'air d'être secrète.
Le premier que le voleur reconnut fut Gammon. Les cheveux auburn, le regard froid et vide de toute émotion, il était devenu le chef de la guilde des mercenaires en tuant l'ancien dirigeant il y avait un an mais il était également l'ennemi juré de Leïmy et Negg. L'unique chose qui les unissaient tous les trois était une haine puissante et farouche.
Leïje ne l'avait jamais réellement rencontré mais il en avait suffisamment entendu parler pour l'identifier et puis, le voleur aimait beaucoup savoir tout ce qu'il y avait à savoir sur le plus de monde possible et il réussissait toujours à se renseigner. Cela l'aida à déterminer qui étaient les trois derniers.
Celui se tenant à la gauche d'Arick avait une morphologie assez semblable à celle d'une montagne et l'un de ses yeux était dissimulé sous un bandeau de cuir. Un signe distinctif qui le signalait comme étant Méorque, le chef de la guilde des chasseurs de primes qui étaient ceux se rapprochant le plus des mercenaires. Son surnom était "le borgne". Leïje avait toujours été stupéfié par l'imagination dont les criminels faisaient preuve.
Ensuite, venait Chimm qui dirigeait la guilde des contrebandiers. Si quelque chose le distinguait du reste des mortels, c'était son apparence famélique ainsi que sa nervosité qui en faisait quelqu'un de particulièrement irritable.
En dernier, il y avait Ayolle à qui obéissaient les brigands. Il portait les cheveux rasés exceptée pour une queue de cheval à l'arrière de son crâne. Si les chasseurs de primes se rapprochaient des mercenaires, les brigands possédaient un esprit semblable à celui des voleurs mais là où la guilde de Leïje adoptait la discrétion ainsi que l'infiltration, les brigands tendaient des embuscades, souvent à des convois de marchandises traversant les villes, les détroussaient puis tuaient les légitimes propriétaires.
Les cinq chefs des guildes les plus importantes de Welkonn étaient réunis dans le secret d'Yolle mais pourquoi ?
Si cette entrevue n'avait été qu'un tête à tête entre Arick et Gammon, Leïje aurait pensé que le nouveau chef des voleurs comptait vendre Leïmy et Negg à leur ennemi. Le voleur se demandait d'ailleurs régulièrement pourquoi est-ce qu'il ne l'avait encore jamais fait. Certainement avait-il appris aux dépends de Leïje que mieux valait éviter de passer des accords avec les mercenaires. Ce qui aurait également pu surprendre était qu'Arick s'approche encore de Gammon alors que c'était ce dernier qui l'avait privé de sa main sauf que Leïje savait qu'il n'en voulait pas à celui qui tenait la lame l'ayant mutilé mais à la raison pour laquelle il avait agi de la sorte : Leïmy.
Leïje se concentra sur ce qui se déroulait plus bas où la conversation débutait par Méorque qui reprochait à Arick dans un grognement :
« Pas trop tôt.
Désolé mais vous savez parfaitement que je ne peux pas accorder ma confiance à tous mes hommes.
- Peut-être que ta guilde pourrait se montrer plus sélective sur les personnes qu'elle accepte dans ses rangs. Railla Ayolle qui jouait avec un petit poignard.
- A commencer par interdire les femmes. Renchérit Méorque en bon misogyne.
- C'est vrai que nous avons tous vu ce que cela a pu donner chez les mercenaires.
Répliqua Chimm avec un sourire moqueur.
Leïje sourit, amusé par ces premiers échanges. Lui qui cherchait justement à se distraire un peu plus tôt, il était servi. Les chefs de guildes se chamaillaient tel un vieux couple ou certains gamins des rues que le voleur avait connus.
L'amusement de Leïje disparut bien vite alors que Gammon remettait chacun à sa place en s'écriant :
- Ça suffit ! On croirait avoir à faire à des enfants !
Leïje hocha la tête. Il était du même avis, bien que cela ne flatte absolument pas le voleur qui se demandait tout de même si ce haussement de ton n'était pas aussi dû à la vexation causée par la remarque sur sa guilde.
Quoi qu'en pense Leïje, Gammon continua sur un ton très calme qui le rendait inquiétant si ce n'était effrayant :
- Dois-je vous rappeler pourquoi nous nous sommes réunis ? Si vous êtes incapables d'oublier vos rivalités stupides, partez. Je me chargerais de cette affaire seul.
- Pour mieux t'en attirer toutes les gloires. Siffla Méorque.
- Moi, au moins, je suis capable de mettre mes inimitiés de côté. Si je n'avais pas besoin de lui pour cet important dessein, j'aurais déjà torturé Arick pour qu'il me révèle où se cachent Leïmy et Negg.
Ayolle se racla la gorge pour centraliser l'attention de la petite assemblée puis il fit un pas en passant une main sur son crâne rasé et suggéra :
- Peut-être serait-ce une bonne chose de revenir au sujet qui nous amène ici.
- En effet.
Acquiesça Gammon d'un ton dur après une dernière œillade meurtrière à Méorque. Le chef des chasseurs de primes aurait grand intérêt à surveiller ses arrières lorsque cette alliance atypique prendrait fin.
Tous se tournèrent vers Arick qui, pour le moment, était le seul qui apportait une information vraiment utile.
Le chef des voleurs raconta:
- Monseigneur De Iyrté est passé s'entretenir avec moi. Il a dû gagner la capitale à l'heure qu'il est mais il est avec nous, sans problème. Il faudra fixer une nouvelle entrevue où nous serons tous présents.
L'ironie avec laquelle Arick prononça le titre "monseigneur" était presque palpable.
Leïje sourit triomphalement. Il avait vu juste en devinant que l'homme roux faisait partie de la famille de Maige. Sûrement son cousin dont elle attendait la visite.
Au pied de l'arbre, Gammon s'enquit :
- Quelqu'un a t-il quelque chose à ajouter ?
Les autres chefs secouèrent négativement la tête. Ils semblaient contrariés d'avoir été importunés dans leurs occupations quotidiennes pour si peu mais aucun ne le signala à voix haute, certainement bridés par la crainte que leur inspirait, même inconsciemment, Gammon.
Ce dernier monopolisait décidément la parole.
Encore pire que moi ! Songea Leïje avant d'écouter le mercenaire :
- Bon, chacun sait ce qu'il a à faire alors inutile de perdre du temps et si l'un d'entre nous découvre quoi que ce soit, il a obligation d'en informer les autres. Est-ce clair ?
- Parfaitement. »
Grogna Méorque avant de s'éloigner entre les arbres centenaires.
Leïje se demanda depuis combien de temps durait ce qui ressemblait fortement à un complot et combien de temps cela durerait avant que tout n'explose entre les chefs de guildes et leurs caractères dominateurs. Cela allait obligatoirement se produire puisque, comme le voleur venait juste de le constater, cette alliance provoquait des étincelles, beaucoup d'étincelles.
Les chefs se séparèrent et chacun repartit par là où il était venu.
Leïje n'emboîta pas le pas à Arick comme à l'allée. Il n'aurait aucun mal à le retrouver, ce qui n'était pas le cas des autres. Il choisit de suivre Ayolle qui lui avait paru être le plus sensé.
Tant qu'il ne possédait pas davantage d'informations que celles qu'il venait tout juste d'entendre, Leïje préférait ne pas prendre de risques. Contrairement à une certaine mercenaire qu'il ne nommerait pas, il n'était pas spécialisée pour se tirer des actions normalement suicidaires et il tenait à la vie, énormément.
Restant perché dans les frondaisons, Leïje se tint derrière Ayolle qui semblait connaître chaque racine du chemin qu'il empruntait. Le camp de sa guilde ne devait donc pas être mobile à la différence de celui des voleurs.
Tout à ses pensées et à ses réflexions, Leïje manqua une fois de plus de vigilance et il ne parvint pas à se rattraper. Il se réceptionna mal et son pied ripa sur l'écorce noueuse. Il chuta mais parvint à saisir une branche plus basse que celle d'où il était tombé. Son poids tira fortement sur son poignet lui arrachant une grimace de douleur.
Alors qu'il croyait qu'à présent son seul problème était de trouver une manière de remonter sur la fourche de l'arbre, il entendit un craquement. Il soupira en se disant qu'il aurait mieux fait de rester couché aujourd'hui puis la branche se brisa, le laissant sans prise ni secours.
La chute ne fut pas longue et il parvint sans trop de peine à atterrir souplement, se donnant un semblant de contenance et de talent mais, malheureusement pour lui, sa discrétion était fortement compromise.
Ayolle se retournant vivement en dégainant un poignard.
Leïje réfléchit rapidement à un moyen de s'en sortir et il fit la première chose qui lui passa par l'esprit, sauvant du même coup les apparences. Il se releva, épousseta son long manteau bleu nuit puis déclara à l'attention d'Ayolle :
« Exactement celui que je voulais voir ! Comment ça va, mon vieux ?
- Qui es-tu ?
- Mon nom n'a pas grande importance. Ce qui importe c'est ce que je sais et je connais beaucoup de choses sur les personnes avec qui tu traites, à commencer par le fait qu'ils vont se débarrasser de toi dès que que tu ne leur seras plus utile. Je ne sais pas quels sont les détails de vos intentions mais je peux te certifier qu'ils feront tout pour avoir le moins de partage à faire, en supprimant leurs alliés par exemple.
- Et je serais la première victime parce que...
- Tu sais parfaitement pourquoi.
Ayolle contracta les mâchoires mais Leïje avait raison. Ce qui faisait la force des brigands était qu'ils attaquaient en bande mais, individuellement, ils ne valaient pas grand chose et leur chef n'échappait pas à la règle. Si Gammon ou Méorque jugeait qu'il était de trop, il n'aurait pas la moindre difficulté à se débarrasser de lui.
Il croisa les bras sur la poitrine et demanda à Leïje :
- Que proposes-tu pour m'aider ?
- Changer de camp. Tes chances de survie seront plus élevées.
- De quel camp parles-tu ? Tu es seul, totalement seul.
- Je compte des personnes puissantes parmi mes amis.
- Où sont-ils ces puissants amis ? Tant que je n'aurai pas la preuve que te rejoindre peut être intéressant, je ne vois pas pourquoi je t'écouterais. Au revoir. »
Là-dessus, Ayolle fit volte-face et partit entre les arbres.
Leïje n'insista pas et il le laissa s'éloigner sans tenter de le retenir mais il se sentait plutôt satisfait. Finalement, cette petite erreur d'atterrissage lui offrait une ouverture qu'il n'aurait certainement pas eu si il n'était pas lamentablement tombé. Un grand merci au destin.
Leïje sourit en imaginant que, si Leïmy avait été là, elle l'aurait raillé en lui signalant que le destin n'existait pas.
Bon, ne restait plus qu'à trouver quelqu'un qui puisse convaincre Ayolle de lui livrer des informations.
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