Chapitre 1
L'obscurité de cette nuit sans lune était épaisse et des rires ainsi que la musique d'un orchestre s'échappaient avec allégresse de l'imposante demeure.
Elle appartenait à un noble quelconque d'Orquia.
À l'occasion de cette fête qu'on organisait, la sécurité avait été doublée et les gardes effectuaient des rondes régulièrement. C'était le cas de Dékar, un jeune soldat qui avait accepté cet emploi pour la somme qu'on lui avait promise.
Soudainement, il se figea. Il avait cru apercevoir une ombre sur le mur d'enceinte ceignant le jardin. La main sur le pommeau de son épée, il examina les environs, s'éclairant de sa lanterne mais il ne remarqua rien de suspect. Ce ne devait qu'être un effet de son imagination ou les branches d'un arbre agitées par le vent.
Tout à son inspection, il ne vit pas deux silhouettes sauter souplement depuis le mur à plusieurs mètres de lui. L'une des deux personnes se permit même d'adresser une grimace dans le dos du garde avant de rejoindre son comparse.
Se déplaçant furtivement d'un point d'obscurité intense à un buisson de fleurs, ils s'approchèrent de la demeure aux fenêtres brillamment éclairées.
L'un des deux intrus, le plus fluet, s'arrêta devant une fontaine de marbre vert représentant une procession de poissons ailés sur une vague. L'individu se demandait qui pouvait apprécier ce genre de choses aussi laides et qui pouvait bien les acheter mais surtout, il s'interrogeait sur le bon goût des nobles.
Son comparse revint vers lui et le tira par le bras pour le forcer à se remettre en route.
Ils coururent jusqu'à la façade à pas silencieux.
Là, ils se séparèrent. Le premier, celui qui n'avait pas examiné la fontaine, contourna la demeure en rampant au sol pour éviter que la lumière sortant des fenêtres ne l'éclaire. Les épines des rosiers poussant contre les murs lui entaillèrent les mains.
Il continua jusqu'à la porte desservant les cuisines et un juron franchit ses lèvres lorsqu'il constata qu'il y avait trois gardes postés devant. Il ne s'attendait pas à tant de précautions. Il fit demi-tour et se glissa à nouveau entre les roses tout en réfléchissant à comment s'introduire dans la bâtisse.
Au même instant, son comparse escaladait la glycine grimpant sur la façade à la faveur de l'ombre.
Un garde passa à côté de lui et il s'aplatit encore davantage sans bouger et attendit avant de reprendre sa progression.
Il arriva sous une fenêtre par laquelle ne s'échappaient pas tous les sons de la fête. Avec prudence, l'homme se releva et glissa un œil à l'intérieur.
De l'autre côté de la vitre s'étendait un couloir au sol recouvert d'un long tapis rouge et aux murs garnis de tableaux plus laids les uns que les autres. Un domestique se tenait à côté d'un guéridon où était posé un plateau de verres en cristal emplis d'un vin aux reflets dorés. Le domestique buvait en surveillant les alentours. Apparemment, il n'avait pas la permission de déguster le couteux breuvage et avait profité de l'agitation pour en voler quelques gorgées.
Décidant de tenter le tout pour le tout, l'intrus cogna contre le carreau de la fenêtre. Le domestique sursauta et renversa une partie de son verre sur son vêtement.
Intrigué, il vint ouvrir la fenêtre à guillotine. L'intrus se glissa par l'ouverture et donna une tape amicale sur l'épaule du domestique en lui disant avec le ton le plus naturel qui soit :
« Merci. Je me suis offert une petite pause non autorisée. Si tu ne racontes rien au patron, je garderais ma langue pour le vin
- Bah, euh...d'accord.
Accepta le domestique avant de se raviser.
Il détailla celui qui se prétendait comme son collègue, les sourcils froncés. Premièrement, il n'avait jamais vu cet homme aux cheveux roux et au visage évoquant quelque peu celui d'un chat. Sans compter que sa carrure musclée tout en restant svelte n'avait rien de celle d'un servant mais plutôt d'un combattant. Certes, il y avait de nombreuses personnes qui travaillaient dans la demeure et il ne pouvait pas toutes les connaître mais celui lui faisant face avait un regard difficile à oublier : couleur noisette à la pupille cerclée de vert. Aucun doute, si le domestique l'avait déjà croisé, il s'en serait souvenu.
Sentant que l'autre avait compris qu'il n'avait rien à faire ici et qu'il s'apprêtait à donner l'alerte, le rouquin s'empara d'un chandelier avec une impressionnante rapidité et il en asséna un violent coup sur le crâne du serviteur qui chuta, assommé. L'intrus vérifia qu'il était toujours en vie, ce qui s'avéra être effectivement le cas. Il aurait une belle bosse doublée d'une migraine mais rien de plus grave.
Le rouquin le saisit sous les aisselles et le traîna sur le tapis.
En passant devant, il prit l'un des verres posés sur le plateau et goûta une lampée de vin. Il émit un claquement de langue appréciateur. Il comprenait mieux pourquoi le domestique s'était dissimulé pour savourer la boisson volée.
Le rouquin reposa la coupe de cristal et tira le serviteur jusqu'à la première porte se présentant à lui. Il l'ouvrit et abandonna le domestique dans la pièce.
Cet incident étant clos, il se concentra totalement sur la tâche qu'il venait accomplir dans cette demeure. Il n'était pas entré par le passage prévu mais ils avaient tellement examiné et observé la maison qu'il savait parfaitement où il se situait.
Sans hésiter, il emprunta un autre couloir partant vers la droite. Des bougies piquées sur des chandeliers éclairaient le corridor à intervalle régulier, produisant suffisamment de lumière pour que le rouquin ne se sente pas à son aise.
Pressant le pas, il trouva les escaliers qu'il gravit. Le premier étage était plongé dans l'obscurité. Il stoppa et attendit que son regard s'habitue aux ténèbres puis il reprit sa marche en comptant les portes perçant le mur à sa gauche.
Lorsqu'il arriva à la huitième, il sortit un fin crochet de fer de l'une des nombreuses poches fixées à sa double ceinture et l'introduisit dans la serrure. Il agita au hasard la tige métallique, ne souhaitant pas prendre le risque d'allumer une chandelle.
Il ne sut pas comment il fit mais un cliquetis se fit entendre et la porte s'ouvrit. Un sourire de satisfaction étira les lèvres du rouquin.
Ce dernier se retourna et examina le couloir à la recherche d'un signe de la présence de son acolyte mais celui-ci restait invisible. Peut-être avait-elle rencontré quelques difficultés. Le rouquin haussa les épaules sans s'inquiéter davantage. Elle savait se défendre, sûrement mieux que lui.
Il entra dans ce qui était une grande pièce luxueuse. Là, il fut bien forcé de s'éclairer. Une autre de ses poches recelait un morceau de chandelle ainsi que son briquet à amadou. La lueur révéla une imposante armoire en ébène et trois fauteuils aux coussins moelleux recouverts de brocart.
Le rouquin ne se préoccupa pas du riche mobilier et examina le mur ouest en y promenant rigoureusement les doigts.
Il entendit un bruit de pas provenant du couloir. Il s'immobilisa en portant la main à l'une de ses dagues passées, elles aussi, à sa ceinture. Ce ne pouvait être sa comparse. Elle se déplaçait trop silencieusement.
Lame au clair, il s'approcha de la porte qu'il avait refermée. À peine fut-il à quelques centimètres du battant qu'il s'ouvrit violemment, le percutant de plein fouet.
Il tituba en arrière en se tenant le nez sur lequel le bois s'était écrasé alors qu'une dizaine de gardes entrait, épées aux poings.
Le rouquin brandit deux dagues, prêt au combat. N'importe qui de normal se serait rendu sans discuter mais il ne craignait pas les défis et il avait toujours l'espoir que son acolyte arrive. Les gardes se mirent en position en une parfait synchronisation. Ils n'étaient pas de simples citadins sachant tenir une lame spécialement engagés pour l'occasion mais de véritables combattants.
Celui venant en tête fit un pas, la pointe de son arme dirigée sur la poitrine de l'intrus. Il ouvrit la bouche pour parler mais aucun son ne franchit ses lèvres.
Tous les hommes se figèrent, excepté le rouquin qui regardait les gardes d'un air hébété. Il essuya le sang coulant de son nez et contourna le groupe d'hommes en les observant à la recherche d'une explication sur ce qu'il s'était produit.
Il l'obtint en entendant une voix féminine s'élever depuis le couloir :
« Je trouve que tu te rouilles pour te faire surprendre de la sorte. On croirait voir un débutant.
La lumière de la chandelle, qui avait commencé à incendier une partie du couteaux tapis, éclaira parfaitement la jeune fille qui entra.
Âgée d'une vingtaine d'années, sa peau pâle était nimbée de l'éclat orangé des flammes qui rendait les taches de rousseur parsemant son nez invisibles. Elle était vêtue d'un pantalon de cuir noir souple et d'une pièce du même matériaux couvrait son torse en étant maintenue par des lacets s'entrecroisant dans son dos qu'elle laissait nue. Une longue mitaine, également de cuir, dissimulait son bras gauche et deux lames étaient passées autour de sa taille svelte mais ce qui l'habillait le mieux était assurément sa longue chevelure sombre comme la nuit lui arrivant à mi-cuisses. Son corps aux muscles noueux était taillé pour le combat.
En voyant la couleur dorés de ses iris, le rouquin comprit ce qu'il s'était passé.
Elle s'adossa contre le chambranle en croisant négligemment les bras sur sa poitrine alors que ses yeux reprenaient leur teinte grise acier naturelle et elle lança :
- Tu pourrais me remercier, mon cher Negg.
- Je n'avais pas besoin de ton aide, Leïmy.
La jeune fille leva le regard au ciel avec un sifflement désapprobateur et agacé et elle entreprit d'étouffer l'incendie naissant sous sa botte.
Elle ordonna à Negg :
- Trouve ce coffre secret avant que le temps ne reprenne son cours autour d'eux. Je tiens bien plus longtemps que les autres magiciens mais ce n'est pas infini.
Negg acquiesça puis se retourna étudier le mur ouest. L'oreille plaquée contre la paroi, il donnait de petits coups contre le lambris, attentif au son que cela provoquait.
Leïmy se posta près de la porte et surveilla le couloir tout en vérifiant régulièrement que les gardes autour de qui elle avait gelé le temps restaient bien paralysés.
Negg cogna une nouvelle fois contre le mur qui sonna creux.
Les deux intrus échangèrent un regard de connivence avec un éclat de convoitise au fond des pupilles.
Le rouquin chercha une rainure entre les planches. Il donna un coup d'épaule contre le bois. Un pan de la paroi pivota, révélant une petit pièce remplie de richesses.
Les deux voleurs avaient appris que le propriétaire de cette demeure avait l'habitude de mettre ses objets de valeur en sécurité lorsqu'il organisait une fête. Une sécurité qui semblait faillible au plus haut point à présent.
- Ne perdons pas de temps.
Conseilla Negg. Leïmy opina en lançant un grand sac de toile au rouquin qui commença à le remplir. La jeune fille vint lui prêter main forte.
En quelques minutes, la cachette fut vidée et le sac plein à craquer.
Leïmy regarda l'espace totalement désert et railla :
- J'en connais qui vont devoir ralentir leur train de vie.
Negg hocha la tête en refermant la porte de la petite pièce.
Leïmy força la fenêtre à l'aide d'une de ses dagues puis elle s'accrocha au rebord extérieur. S'aidant des ornementations garnissant la façade, elle descendit. À quelques centimètres du sol, elle lâcha ses prises et atterrit souplement sur la pelouse.
Elle écarta une mèche rebelle qui venait chatouiller sa joue puis elle plaça ses mains de manière précise autour de sa bouche et siffla en imitant le chant d'un grillon.
Réagissant au signal, Negg lui envoya le sac. Alourdi par ce qu'il contenait, il chuta rapidement. Leïmy grimaça en le rattrapant. L'impact du sac contre ses bras fut semblable à un violent coup et elle en garderait certainement des hématomes.
Negg la rejoignit de la même façon que la jeune fille. Cette dernière lui adressa un sourire qu'il eut du mal à déchiffrer dans l'obscurité puis ils filèrent sans attendre davantage.
Refaisant le trajet en sens inverse, ils coururent vers le mur d'enceinte. Après s'être assuré qu'aucun garde ne s'approchait, Negg s'agenouilla en joignant les mains pour faire la courte échelle à Leïmy, toujours chargée du sac. Propulsée par Negg, elle se saisit du bord de la muraille et s'y hissa. Elle déposa le sac à son côté et tendit la main à Negg. Ce dernier s'y suspendit et, s'aidant de ses pieds, il grimpa à son tour sur le mur.
D'un bond souple, ils regagnèrent le rue dans laquelle ils s'éloignèrent à grands pas.
Leurs rires résonnèrent entre les manoirs alors qu'ils imaginaient l'expression des gardes qui devaient être en train de revenir à eux.
Leur hilarité les suivit jusqu'à un quartier plus que modeste.
Là, ils se calmèrent puis se rendirent dans une petite écurie située derrière une auberge bon marché où les attendait leur monture.
Une petite jument grise releva la tête de son auge. Leïmy la gratifia de nombreuses caresses sur le museau. La jeune fille aimait énormément la jument répondant au nom de Brume. Negg la laissa cajoler l'animal et fixa le sac à la selle puis ils montèrent en croupe. Brume quitta l'écurie avec ses deux cavaliers, ses sabots claquants sur les pavés.
Ils prirent la direction de la sortie de la capitale et de la forêt d'Yolle.
Un quart d'heure plus tard, ils chevauchaient sous les épais feuillages de la forêt qu'on racontait maudite mais Leïmy et Negg savaient parfaitement que ces légendes étaient fausses. Ils avaient l'un et l'autre passé leur adolescence sous les arbres centenaires d'Yolle et les seuls démons qu'ils y avaient rencontré étaient ceux qu'ils abritaient en eux ainsi que ceux composant la guilde des mercenaires.
Ils en avaient fait partie mais cela faisait un an que Leïmy avait trahis et six pour Negg.
En tournant le dos à la sanglante guilde, ils étaient devenus des parias et les ennemis jurés du chef des mercenaires. Une haine qui était réciproque. Leïmy n'avait pu se venger du dernier commandant de la guilde et elle comptait bien pouvoir se rattraper en mémoire de sa meilleure amie.
La mort de cette dernière avait fait partie de la série des nombreux évènements qui avaient, sans exagération, changer la face et la vision de Welkonn. Il était vrai que l'année précédente avait été chargée en toutes sortes de choses, émotions, douleurs, combats, découvertes, larmes et petits bonheurs.
Leïmy avait voulu abandonner à plusieurs reprises au cours de cette aventure et s'était mainte fois maudite pour avoir accepté l'invitation du Conseil des Mages mais, à présent, elle se félicitait d'avoir tenu bon. Après tout, c'était cela qui leur avait permis d'être réunis, Negg et elle.
Leïmy fut tirée de ses pensées dans lesquelles elle s'était égaré par les lueurs des feux de camp éclairant la clairière irrégulière parsemée de tentes et de hautes torches.
Negg mit pied à terre et tendit la main à Leïmy pour l'aider à en faire de même. La jeune fille l'ignora superbement et glissa à terre en lui adressant un regard de reproche.
Elle détestait lorsque son compagnon la prenait pour une jouvencelle qui était incapable de faire un pas sans qu'on ne lui tienne la main.
Elle attacha Brume à un tronc en lui donnant de nouvelles caresses alors que Negg récupérait le sac qu'il chargea sur son épaule.
« Tiens, revoilà notre couple de mercenaires. J'avais cru que votre guilde vous avait enfin mis la main dessus.
Leïmy et Negg se tournèrent vers l'homme qui venait de les invectiver avec le même air d'agacement sur le visage.
Leïmy ne se souvenait pas de son prénom et ignorait même si elle l'avait su un jour. Elle n'avait aucune envie de se fatiguer à retenir les noms de personnes qui ne l'intéressaient absolument pas. Il y avait trop de voleurs dans la guilde pour qu'elle fournisse cet effort mais elle n'avait pas besoin de savoir de qui il s'agissait exactement pour deviner qu'il faisait partie de ceux qui avaient milité contre l'admission des deux mercenaires dans la guilde et qui continuaient à leur faire sentir qu'ils n'étaient pas à leur place ici. Cela concernait la grande majorité des membres des voleurs. Leïmy se moquait totalement de cette hostilité.
Elle avait vécu la même chose chez les mercenaires alors elle avait l'habitude.
Pour leur faire davantage comprendre qu'il était contre leurs présences, le voleur regarda les ceintures armées de Leïmy et Negg avec une expression désapprobatrice et leur demanda sur le ton de la provocation :
- Pourquoi gardez-vous ces armes sur vous ? Votre travail n'est plus de trancher des gorges à présent.
Leïmy, dont la patience était proche de l'inexistence, en eut assez. Premièrement car elle répondait toujours lorsqu'on la provoquait et deuxièmement car elle ne comptait pas perdre plus de temps avec cet idiot.
Elle saisit le voleur par le col de sa chemise et répondit d'une voix vibrante de menace :
- C'est au cas où quelqu'un m'énerverait et tu es justement en train de m'énerver.
Leïmy le jeta au sol avec une violence dont son corps svelte ne laissait pas présager.
L'homme envoya un regard de haine à la jeune fille avant de se relever et de filer, ne souhaitant pas provoquer la fureur des mercenaires.
Negg croisa les bras sur sa poitrine et reprocha à Leïmy :
- Tu aurais pu tenter de te maîtriser.
- Ne prétend pas que tu n'étais pas sur le point de le frapper.
- Tu m'as pris de vitesse. Bon, n'épiloguons pas davantage sur cet incident. Trouvons Leïje.
Leïmy acquiesça puis, toujours chargés du sac, ils se mirent en quête de leur unique ami de la guilde.
Ils n'auraient d'ailleurs jamais pu rejoindre les voleurs si Leïje n'avait pas était le chef en fonction à ce moment là mais les choses s'étaient grandement compliqué lorsque le changement de dirigeant avait eu lieu et, ayant été quelque peu accaparé par les recherches des pierres de pouvoir pour sauver Welkonn, Leïje n'avait pas eu le temps de rapporter le plus gros butin.
Leïmy et Negg dénichèrent leur seul soutien un peu à l'écart du campement en compagnie d'une jeune voleuse nouvellement arrivée. Les deux mercenaires soupirèrent de concert.
Grand, finement musclé, la peau matte, les yeux noirs en amande, les cheveux lisses mi-longs de couleurs brun cuivrée et les traits élégants, Leïje était un véritable aimant à femmes et il ne s'en plaignait pas, au contraire.
Negg se racla la gorge pour l'avertir de leurs présences. Les deux voleurs se retournèrent.
Le rouquin lança :
- Nous vous dérangeons, peut-être ?
- Jamais, répondit Leïje en passant un bras autour des épaules de sa compagne et il demanda en la montrant, vous connaissez Dabielle ?
- Maintenant, oui.
- Comment ça c'est passé à Orquia ? Se renseigna Leïje.
- Negg a manqué de se faire prendre et j'ai dû user de ma magie pour lui sauver les fesses. Expliqua Leïmy.
- Et c'est ça qui te met dans une colère noire ?
À force de fréquenter Leïmy, Leïje savait identifier ses contrariétés même lorsqu'elle les dissimulait sous une couche d'impassibilité comme présentement. Negg semblait également fortement agacé.
De colère, Leïmy donna un coup de botte dans une motte de terre qui alla se perdre dans la nuit.
Negg raconta en grinçant des dents :
- Un abruti est venu nous chercher des noises. Encore un à qui notre reconversion ne plaît pas. Nous ne faisons pourtant aucun écart alors où est le problème ? Ça me met hors de moi et je risque d'éventrer le prochain qui m'importune !
- C'est parce que vous êtes toujours des mercenaires.
Trois paires d'yeux se posèrent sur Dabielle qui ne broncha pas.
Elle entortilla une mèche de cheveux châtains autour de son indexe en continuant :
- Les ex-mercenaires n'existent pas, c'est un fait. Vous avez beau avoir été intégrés à notre guilde, vous restez et resterez des mercenaires à vie. C'est ce qui dérange la plupart d'entre nous. Personnellement, je n'ai pas d'avis sur la question. Vous êtes là, un point c'est tout. Pas la peine de débattre durant des mois.
- Elle est fantastique, n'est-ce pas ? Sourit Leïje en serrant Dabielle contre lui.
- Quelle superbe soirée, ironisa Leïmy. Negg a failli se faire capturer et Leïje est amoureux.
- Offre-lui des fleurs, railla Negg. Il est temps que nous allions nous entretenir avec Arick.
Leïje s'abstint de préciser qu'il ne ressentait absolument rien pour Dabielle. Il se contenta de sourire à la moquerie de Negg.
Les deux mercenaires regagnèrent le campement, laissant les voleurs reprendre où ils les avaient interrompus.
Au fur et à mesure qu'il s'approchaient de la tente d'Arick, ils devinrent tendus et ils sentaient déjà l'agacement poindre alors qu'aucun mot n'avait encore été prononcé.
Arrivés devant la plus grande tente qui était également le centre du campement, ils échangèrent un regard ainsi qu'un soupir puis ils entrèrent.
Arick se tourna vers eux, les traits durs.
Le chef actuel de la guilde avait le même genre de musculature que Leïje et les cheveux bruns presque rasés.
Le plus flagrant était sa main gauche. Elle était enveloppée dans d'épaisses bandes de cuir. Il était paralysé à partir du poignet. Ce handicape avait été causé par une lame ayant traversé sa main de part en part. C'était Gammon qui avait tenu l'arme mais, comme il cherchait Leïmy lorsqu'il avait mutilé Arick, ce dernier tenait la jeune fille pour responsable et lui vouait donc une rancœur tenace ainsi qu'à Negg qu'il mettait dans le même panier.
- Annoncez-vous la prochaine fois. Grogna le chef de la guilde.
- Oui, pardon. J'ai oublié de toquer contre la toile. Répliqua Negg.
- Que voulez-vous ? Demanda Arick, pressé de se débarrasser des mercenaires.
- Nous voulons te présenter notre butin de la soirée.
Negg leva le sac. Il était inutile de préciser qu'il était plein. Cela était parfaitement visible de l'extérieur.
Arick ne sembla pas impressionné. Il croisa les bras sur sa poitrine en déclarant d'un ton presque réjoui :
- Malheureusement, je ne vais pas pouvoir le compter avec le reste de vos butins annuels. Vous êtes deux à la rapporter or, il ne peut y avoir deux chefs de la guilde.
- C'est vrai qu'aucun voleur ne fait jamais de coups en groupe ! S'énerva Negg. Ça arrive continuellement que plusieurs personnes ramènent le même butin et, dans ce cas, la procédure est de diviser la somme entre les participants du larcin. Tu le sais parfaitement !
- Oui mais toutes les règles ne s'appliquent pas à vous.
Negg lâcha le sac qui s'écrasa au sol avec un bruit de métal et saisit Arick par son col. Le rouquin brandit le poing, prêt à l'asséner sur son chef qui ne parvint pas à se dégager.
Leïmy intervint. Elle passa les mains sur les bras de Negg, l'empêchant de frapper Arick.
- Arrête, Negg. C'est terriblement tentant mais cela ne nous mènera à rien. Nous avons l'argent, c'est ce qui importe.
Negg fut surpris que Leïmy soit à ce point raisonnable. Le bon sens n'était pas particulièrement un trait de sa personnalité mais il l'écouta.
Il libéra Arick puis ramassa le sac et quitta la tente. Leïmy adressa un regard haineux àson chef puis lui lança avec colère :
- Leïje était un chef honnête, lui.
- Même si il m'avait battu, il ne serait pas parvenu à conserver sa place après vous avoir admis parmi nous.
- Il faudra que tu nous expliques un jour.
- Quoi donc ?
- Comment tu as réussi à voler tant de choses avec ta mauvaise patte.
Un rictus de rage déforma la bouche d'Arick et il serra son poing valide.
Leïmy sourit cruellement. Elle avait dit cela uniquement pour retourner le couteau dans la plaie et faire souffrir Arick par pur esprit de vengeance.
Elle rejoignit Negg qui l'attendait à l'extérieur. Le rouquin semblait contrarié.
Il demanda :
- Pourquoi m'as-tu stoppé ? Ça ne te ressemble pas.
- J'ai tourné le dos à toute cette violence et m'enfuyant de la guilde des mercenaires. Il faut que j'apprenne mais j'espère un jour parvenir à me purger de...de ça.
- Je comprends mais nous ne pourrons jamais effacer certains souvenirs. »
Leïmy hocha sombrement la tête. Negg lui passa un bras autour de la taille et ils traversèrent le campement des voleurs en sens inverse jusqu'à Brume.
Le sac fut de nouveau attaché à sa selle et les deux mercenaires enfourchèrent la jument. Ils n'allèrent pas saluer Leïje, préférant le laisser à ses occupations. Leïmy éperonna Brume et celle-ci se mit en marche.
Les deux mercenaires ne passaient jamais une nuit dans le campement des voleurs. Ce n'était à pas à cause de l'hostilité qui flottait entre les tentes dès qu'ils s'y trouvaient mais car la vie en communauté ne leur convenait pas.
Ils s'éloignèrent de plusieurs kilomètres puis s'arrêtèrent pour la nuit dans leur camp personnel se composant d'une unique tente : la leur.
Ils mangèrent puis Negg alla se reposer alors que Leïmy restait à réfléchir.
Ces derniers mois avaient été calmes et la jeune fille savait par expérience que, autour d'elle, les choses ne restaient jamais paisibles bien longtemps.
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