Chapitre 7 (partie 3)

Coucou!


Ça continue! Petit à petit, tout doucement.


Bonne lecture!


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Chapitre 7 (partie 3)


Nishim (petite soeur) est partie derrière la barrière de fer fleurie bientôt suivie d'un Nishtesh (grand frère) et la Garde blanche reste dehors, surveillant l'humaine qui pleure des larmes de colère. Ce n'est pas facile de se camoufler dans les habitats des magiciens, même pour une experte comme elle. Heureusement, l'apprentie magicienne bouille tellement de colère qu'elle ne remarque rien et la Garde connue des magiciens sous le nom de Kauapat reste immobile derrière l'énorme buisson de fleurs qui pousse sur le trottoir. La grosse pierre cogne contre le fer, arrachant d'énormes roses rouges qui viennent s'éparpiller tristement sur les pavés arrondis. Heureusement, Nishim et l'autre sont déjà disparus et ne ressentent rien de cette violence dirigée contre eux.

Se croyant seule, la Fille Colère pousse un cri de rage et se jette contre les jarres, les faisant tomber une après l'autre à grands coups de pieds. Les jarres sont des proies faciles, elles meurent dans un bruit de craquement et s'effondrent en une foule de morceaux qui grouillent comme des tortues renversées.

Enfin, la Fille Colère s'en va en courant de son mieux, ce qui, pour Kauapat, n'est pas très rapide. Les bipèdes savent rarement bien courir, c'est regrettable pour eux.

Kauapat sort de sa cachette et s'avance doucement. Ne pas marcher sur les cadavres de jarres, ce sont des cadavres dangereux avec leurs bordures en crocs tranchants et il ne faut pas se blesser. Kauapat entend l'appel à l'aide jusqu'au fond de son âme. Sa nature de Garde la prévient qu'elle a une mission à accomplir.

Il faut entrer, passer derrière le fer qui lui bloque le passage et accomplir ce pourquoi elle existe.

Elle gratte, d'abord contre le sol, puis contre la grille. Indécise, elle couine un peu, on l'appelle, il faut la laisser passer.

— Il y a des vivants, je peux les trouver, dit-elle de sa voix mentale, s'asseyant sur sa hanche droite, sa queue touffue sagement roulée autour de ses pattes.

— Je peux trouver les vivants, il faut me laisser entrer.

Sur la grille, les roses ont mal. Le sang de sève du rosier s'écoule en coulisses gluantes qui sentent sa mort imminente. La pierre lancée par la Fille Colère a arraché des branches qui souffrent maintenant au sol. Cependant, ce n'est pas à cause de cette pierre que le rosier enchanté se meurt. Quelque chose d'autre est arrivé, quelque chose de beaucoup plus grave.

Kauapat se couche, se faisant le moins menaçante possible pour ne pas effrayer la proie blessée. Couinant, elle pousse une rose parfumée du bout du museau.

— Danger! Danger! crie la plante. Danger, les Jardins s'écroulent, ils ont été envahis!

— Laisse-moi passer, je dois entrer. Je dois retrouver les vivants. Les Gardes existent pour garder les vivants. Je suis Garde, j'ai des vivants à retrouver.

Alors, la rose se fane, ses pétales se détachant un à un devant le museau de Kauapat. Puis, son odeur se transforme, devenant celle, métallique, d'une pièce d'or. Patiente, Kauapat attends, car elle a beau avoir une mission pressante, elle sait, au fond d'elle-même, que la vie et la mort ont des rythmes qu'il ne faut pas bousculer.


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— Oh là! Doucement... pas par là.

La main terrible de la panique disparaît, pour être remplacée par celle, plus amicale, d'un garçon de l'âge de Liane qui la tire par la jupe. Elle ouvre les yeux, réalisant avec horreur qu'elle était sur le point de se jeter elle-même dans le vide au bout d'un balcon de bois.

Le garçon tire sur la jupe de Liane comme si elle ne pesait pas plus lourd qu'une plume et lui attrape l'avant bras, la ramenant près de lui, l'enfermant d'un bras musclé pour l'empêcher de perdre à nouveau l'équilibre.

— Ça va aller? demande-t-il, scrutant son visage buriné par les larmes et l'effroi.

Liane a les jambes molles alors elle s'agrippe à son jersey aux couleurs d'une équipe de surf-polo qui lui est inconnue. Elle ne connaît rien au surf-polo. Tout ce qui touche de près ou de loin à l'utilisation d'un Paravoile lui donne des vertiges et risque à tous moments de lui faire perdre connaissance.

— J'aimerais m'asseoir, réussi-t-elle à balbutier.

— D'ac! Ça arrive aussi à ma grand-mère d'avoir des vertiges. Elle est très vieille.

Liane n'est pas certaine que ce soit très flatteur de se faire comparer à une très vieille grand-mère dans ses circonstances, mais la main ferme de son sauveur sur son bras alors que le garçon la guide vers un banc de pierre la ramène peu à peu à elle-même.

Il faut qu'elle prenne un moment pour se ressaisir. La magie des Jardins a clairement réagit à sa peur d'Anya, la transportant sur une montagne trop haute pour son confort. Le banc où elle s'installe offre une vue en plongée sur un vert plateau où paissent de mignonnes vaches brunes. Le bruit de leur cloche et leurs meuglements paisibles s'élèvent dans l'air cristallin de cette journée ensoleillée. Liane laisse son regard errer un moment sur les chemins de pierre blanche sillonnant la montagne qui mènent à des regroupements de maisons au toit pointu. Si le sol était couvert de neige, on pourrait jurer un paysage de carte de Noël.

Le garçon au jersey de sport n'a pas bougé. Il attend patiemment qu'elle se ressaisisse. Il porte une casquette sur des cheveux châtains et son teint est celui de quelqu'un qui a passé l'été en plein air.

— Merci, dit finalement Liane, prête à entamer une conversation.

— De rien. Comme toi, j'ai été appelé par la pièce pour chercher mon focus. Quand je suis arrivé, il y avait cette fille blonde qui avait l'air fâché. Elle a ramassé une grosse pierre et s'apprêtait à la lancer vers quelqu'un. Tout ce que j'ai vu, c'est tes cheveux frisés et je me suis dit que non, la fille blonde ne pouvait pas faire ça. Alors j'ai réagit. Je me suis dépêché de lancer ma pièce et j'ai couru. Je suis arrivé juste à temps pour te voir presque tomber en bas du belvédère. Du coup, j'ai attrapé ce que j'ai pu. J'espère que je n'ai pas déchiré ta jupe.

Il a l'air sincèrement inquiet alors Liane baisse les yeux. Sa jupe est intacte. Elle fait un geste pour se lever mais il l'arrête.

— Non, attends. T'es encore toute blanche. Laisse-moi aller voir si je trouverais pas un peu d'eau quelque part.

En un éclair, il est parti. Liane l'entends qui s'éloigne au pas de course. Son récit la laisse perplexe. Est-ce qu'Anya Vestergaard aurait réussi à la toucher avec sa grosse pierre? Pourquoi lui en voudrait-elle autant? Elle ne lui a rien fait qui mérite une pareille hargne. Certes, le Jus de chaussettes de plomb et le coup de la Baie sanglante étaient un peu humiliant, mais il fallait bien défendre Darcy. Et puis, un peu de Jus de chaussettes de plomb n'a jamais tué personne. C'est désagréable de se sentir collé au sol, mais ça ne dure pas très longtemps.

Le chaud soleil sur sa peau et l'air frais de la montagne l'apaisent. Liane décide de se retourner afin d'observer cet endroit où le garçon et elle ont été transportés. L'idée de ce vide derrière elle la trouble un peu, mais sa curiosité naturelle l'emporte.

L'appellation de belvédère n'est pas si bête. Les deux adolescents ont été transportés sur une grande terrasse de bois parsemée de tables de pique-nique, de bancs et de chaises Adirondac. Au fond de cette terrasse se trouve un chalet de bois peint en blanc et sur la gauche, Liane peut apercevoir des remonte-pente immobiles. On dirait presque qu'ils sont atterris sur la plus haute station de ski du monde. Le garçon ressort du chalet avec deux bouteilles d'eau. Il s'avance vers Liane et lui en tend une.

— J'ai l'impression qu'on était attendu, dit-il. Il y avait deux bouteilles vides à côté d'un robinet. Et j'ai trouvé ceci.

Liane prend une gorgée alors que son compagnon lui tend... son cahier de dessins!

Mais comment est-ce possible? Elle a dû le perdre lorsqu'elle est entrée dans le Jardin. Une enveloppe dépasse d'entre les pages. De plus en plus confuse, elle la retire délicatement.

Il s'agit d'une enveloppe de papier brun classique comme on en retrouve partout dans les services administratifs du monde entier. À l'endos, tracé en grosse lettrine ronde comme des pivoines, les adolescents lisent:


"À: Liane Valmont-Kapesh et Damien Landry.

De: Églantine FierTrèfles, Collecteure en chef du Québec."


— Damien, c'est moi, dit l'adolescent.

Liane hoche la tête de manière entendu. Elle aurait pu deviner. Elle lui propose l'enveloppe.

— Veux-tu l'ouvrir?

— Non, ça va, tu peux le faire.

Damien prend place à sa gauche sur le banc. Liane boit une autre gorgée d'eau, soudainement hésitante à découvrir ce qui se cache à l'intérieur. Elle a une drôle d'impression, comme si ce geste allait les projeter dans un engrenage impossible à arrêter. En contrebas, les vaches se sont tues et même la brise s'est immobilisée, interrompant son chuintement dans les hautes herbes et contre les feuilles des arbres.


☪️ ☪️ ☪️


Il fait encore noir.

Le ploc-ploc de gouttes humides sur son visage s'entête à le tirer de cet engourdissement qui enrobe son corps tout entier.

Kristian ne sent plus rien, il ne voit plus rien.

Seule cette odeur de moisi et d'humidité le dérange un peu. Ce n'est pas très appétissant.

Un grognement douloureux vient à ses oreilles. Est-ce lui qui émet de tel sons?

Non, car il n'a pas mal nulle part. En fait, il ne ressent rien du tout.

Il aimerait seulement que ces satanées gouttes arrêtent de lui tomber sur la tête.

— Coquelicot! fait une voix minuscule. Coquelicot, m'entends-tu? Réponds!?

Mais, qu'est-ce que c'est que cette histoire? Il ne s'appelle pas Coquelicot, il s'appelle Kristian Vestergaard, il en est à peu près certain. Certes, il ne ressent ni ne voit rien à l'exception du ploc-ploc des gouttelettes, mais s'il avait changé de nom, il le saurait, non?

Ces saletés de gouttes qui n'arrêtent pas de l'embêter!

Il devra bien bouger un jour où l'autre. La voix minuscule appelle toujours. Kristian ouvre les yeux, mais l'obscurité est telle qu'il ne voit aucune différence. Lorsqu'il bouge la main, il sent ses doigts glacés sur son visage. Il a encore des yeux, ils sont ouverts. Il cligne des paupières, chatouillant sa paume de ses longs cils.

Soit il a perdu la vue soit l'obscurité est tellement épaisse que pas la moindre particule de lumière ne peut la pénétrer.

Ses cheveux sont mouillés et ces maudites gouttes tombent toujours sur son visage, gluantes et visqueuses, répandant un parfum métallique qui lui soulève le coeur.

L'engourdissement quitte peu à peu son corps, laissant place à une douleur pénétrante. Kristian a beau réfléchir, il ne trouve pas un seul centimètre carré de sa peau qui ne souffre pas. Il a la tête qui tourne et il y a ce ploc-ploc qui l'obsède, l'empêchant de réfléchir.

— Coquelicot! Réponds, c'est un ordre, fait encore la minuscule voix.

— Un effondrement à eu lieu dans les Jardins inférieurs, dit une autre voix tout aussi lointaine. Lotus, Dahlia, partez à la recherche de Coquelicot.

— Je ne détecte plus Coquelicot, reprend la première voix. Soyez prudentes. Coquelicot! Réponds, Coquelicot.

Tien, si Kristian met la main sur son front, les gouttes le dérangent moins. Il a besoin de se reposer encore un peu, il sera en mesure de trouver une solution à ses problèmes un peu plus tard.

Il referme les yeux - inutile de les laisser ouverts dans ces ténèbres abyssales de toute façon - et bientôt, même l'odeur de moisi et les ploc-ploc ne lui parviennent plus.


☪️ ☪️ ☪️


Liane et Damien boivent leur eau en silence, hésitants à ouvrir cette lettre mystérieuse. Bien sûr, ils savent tout les deux qu'ils ne pourront pas rester éternellement sur ce belvédère. Il leur faudra bouger, tenter de trouver quelqu'un susceptible de les aider.

La grand-mère de Damien, Géraldine Porrènes (oui oui, celle des miroirs) l'a laissé à Kakinanga en avant-midi afin qu'il ramasse ses effets scolaires et qu'il visite les Jardins de son amie Églantine. Toutefois, elle ne l'a pas prévenu qu'il se retrouverait dans un tel endroit. Les fois où il a accompagné sa grand-mère en visite chez son amie, ils se sont toujours retrouvé dans un salon coquet garni de fauteuils capitonnés et de tables délicates recouvertes de nappes brodées et de pots de fleurs. Rien à voir, franchement, avec ce décors carrément infini.

Liane est consciente que Damien lui a sauvé la vie. S'il ne l'avait pas rattrapée in extremis, elle serait tombée en chute libre dans le vide de cette montagne vertigineuse jusqu'à se retrouver transformée en crêpe de chair aux pieds d'une vache en contrebas.

Après encore quelques gorgées de la meilleure eau qu'elle a but de sa vie, elle se racle la gorge et reprend l'enveloppe.

— Bon, es-tu prêt?

— Je suis prêt, répond-t-il. Et toi?

Liane hoche solennellement la tête et du bout d'un ongle, elle brise le sceau officiel des soeurs FierTrèfles.

Préparée à la hâte, l'enveloppe s'ouvre avec une facilité déconcertante. À 'l'intérieur, les adolescents découvrent une feuille unique à l'en-tête des Collecteurs. L'écriture est lisible, mais de travers et inégale.

— C'est bizarre, dit Damien. Ma grand-mère prend le thé chaque semaine avec Églantine FierTrèfles et ce n'est pas dans les habitudes de la maison d'être aussi négligé.

— Ils devaient être très pressés, remarque Liane, incapable de cacher totalement l'inquiétude qu'elle ressent.

L'Ordre des Collecteurs est réputé pour sa spécialisation en magie défensive et protectrice. Si la soeur supérieure était aussi pressée que l'indique cette lettre brouillon, quelque chose de catastrophique doit être arrivé.

Liane lit tout de même à voix haute:

— "Liane et Damien, En raison de circonstances imprévues, nous nous voyons dans l'obligation de vous référer à nos collègues Collecteurs de l'Abbaye de Toutes les Sagesses. Nous faisons confiance aux Moines de Toutes les Sagesses pour vous assister dans la recherche de votre Trésor. Veuillez nous excuser de cet inconvénient et soyez assuré de nos plus sincères regrets. Cordialement, Églantine FierTrèfles."

— C'est tout! s'étonne Damien. Mais... elle peut pas nous laisser avec juste ça!

Il prend la feuille et lit à son tour, puis la retourne dans tous les sens, constatant, bien malgré lui, que oui, c'est tout.

Jusqu'à maintenant, il n'avait pas peur. Il se croyait quelque part chez les FierTrèfles. Certes, il se retrouvait seul avec cette fille minuscule dans une dimension tellement vaste qu'on aurait juré une autre planète, mais il était confiant que quelque part, des soeurs veillaient sur eux.

Mais là...

Un cri strident déchire l'horizon, les faisant sursauter. C'est liane qui remarque la créature en premier. Elle pointe le ciel où une forme dorée et blanche traverse l'horizon puis plonge pour attraper une vache brune entre ses serres avant de s'élever à nouveau vers les cieux et de se diriger vers leur belvédère.

— Un Griffon! chuchote-t-elle, ses yeux écarquillés de terreur.

Oh! nom d'une corne de Drake... mais où ont-ils atterris?

— Rentrons, décide Damien en pointant le chalet. Il ne faudrait pas qu'il nous voit.

Liane est assez d'accord avec lui. Se prenant la main pour se rassurer, les deux adolescents se dirige lentement mais sûrement à l'intérieur du chalet.

Ils ont bien fait. Quelques secondes à peine après que la porte du chalet se soit refermée derrière eux, le Griffon atterri au milieu de la terrasse de bois et se met à dévorer la pauvre petite vache brune.

Tremblants de tous leurs membres et soulagés de ne plus se retrouver dehors, Liane et Damien s'enfoncent dans le chalet en silence, espérant qu'après son festin, le griffon retournera d'où il est venu.

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