Chapitre 2

Salut!


Voici un nouveau chapitre.


Je vous avertis d'avance, il y a quelques passages en langage très québécois. Je ferai quelques notes en bas pour clarifier certaines expressions. Comme ça, si vous en avez besoin, vous pouvez vous y référer, sinon, bien elles ne vous nuiront pas.


Bonne lecture!


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Chapitre 2


Raphaël recule sa chaise et se lève d'un même mouvement, faisant sursauter tout le groupe à l'exception de Simon Parish. Il ne peut pas être ici, c'est impossible. Il se dirige vers la porte en secouant la tête.

— Parish, McLeod, vous tous, je ne peux pas me mêler de ça, c'est absolument impossible.

— Ben voyons, rétorque Parish, c'est ta job de Sentinelle de veiller à l'équilibre!

— Karl Vestergaard est mon ami depuis que nous sommes entrés à Barbe-Hallay, rétorque-t-il. Je ne peux pas croire que personne ne réalise à quel point c'est malsain que je sois ici!

Une personne le réalise: Gracia Márquez. Dès qu'il la voit hocher la tête avec une moue songeuse, Raphaël saute sur l'occasion. Il esquisse un geste vers elle, la prenant à témoins.

— Dites-leur que c'est insensé. Je ne peux pas participer à l'enquête. Je suis trop impliqué personnellement.

— Y aurait-il un autre membre de votre communauté qui accepterait de prendre part aux recherches des criminels? demande-t-elle et Raphaël lit déjà dans son regard sombre qu'elle connaît la réponse.

— Non. Personne d'autre que moi n'a été formé en criminologie. Les Sentinelles de l'Anse-à-l'Orignal sont davantage spécialisés en relations diplomatiques avec les autres peuples magiques, en écologie et en balance énergétique. Les Sentinelles veillent à l'Équilibre sous toutes ses formes, certes, mais peu d'entre nous partagent mes intérêts.

Gracia Márquez lui adresse un sourire navré. Croisant ses jolis mains brunes sur les sachets de preuve, elle poursuit:

— Dans ce cas, monsieur Kapesh, je crains que vous deviez au moins participer à cette table de discussion. Personne ne connaît la criminelle recherchée mieux que vous. Et de toute façon, si les enfants de votre ami ont été contrôlés, leur implication est négligeable. Si quelqu'un coupe la corde de rappel d'un grimpeur, personne n'accusera le couteau, mais plutôt celui qui le manipulait.

— Karl et Astrid seront certainement interrogés, se défend faiblement Raphaël, se sachant déjà pris au piège. S'ils sont suspectés, ça reste un lien.

— Arrête, Raph, gronde Vincent McLeod, tous les parents de l'est du pays ayant des enfants en âge de fréquenter l'école ont vu Astrid van Meierlindt derrière son comptoir à la librairie tout au long de la journée. Personne ne croira qu'elle a eu le temps, entre deux clients, de s'introduire dans les Jardins. Et le service des communications de Vestergaard Industrie nous a déjà contacté pour témoigner des allers et venues de Karl Vestergaard. Ses avocats nous ont déjà envoyé son emploi du temps de la dernière semaine. Si tu penses que c'est aussi simple de soupçonner des gens comme eux, tu as peut-être besoin de retourner faire quelques stages dans notre QG de Montréal.

— C'est pas un peu rapide comme réaction, ça? Les avocats n'ont pas l'habitude de nous devancer, grommelle Charles Éthier avant que McLeod le toise d'un regard noir.

— Pas quand tu connais le bonhomme, confirme Parish.

Raphaël soupire. Il voit bien qu'ils sont tous contre lui et qu'il ne réussira pas à se retirer de cette affaire. Il retourne vers sa chaise d'un pas lent, résigné, lorsque Tavik se redresse et déclare de sa voix mentale:

Kauapat les a retrouvés. Des Sorciers arrivent.

— Oh, le ciel soit loué, soupire Églantine FierTrèfles en joignant les mains devant son coeur.

— Je vais avertir professeure Porrènes, décide Raphaël en rebroussant une nouvelle fois chemin.

Parish acquiesce. Gracia Márquez sort un Chuchoteur sécurisé de son sac et entre en contact direct avec l'Abbaye. Étant donné qu'Églantine jure que les deux adolescents ont été envoyés chez les Moines de Toutes les Sagesse, aussi bien prendre ce temps pour vérifier que les Sorciers aperçus par les Gardes soient biens des collecteurs. Sans prévenir, elle part à la suite de monsieur Kapesh.


Le lendemain, à Québec


Karl Vestergaard est dégoûté. Son neveu Reinhart s'obstine à prétendre qu'Anya l'a forcé à mentir sur ses allers et venues. Le gamin est tellement persuadé qu'il dit la vérité qu'il passe tous les tests de détection de mensonge que les enquêteurs de la Défense Magique Canadienne lui imposent. Seulement, maintenant que les traces de magie mnémoniques ont été repérées dans le scan énergétique d'Anya, il est possible d'envisager qu'en effet, elle a ordonné à Reinhart de ne rien dire.

Les pleurs d'Astrid l'énerve. Il n'arrive pas à se concentrer. Il doit trouver une solution car les agents de la DMC veulent neutraliser Anya et l'envoyer dans une famille d'accueil régulière. Ils prétendent que c'est pour mieux la protéger contre les intrusions de la magie mnémonique et psy. Une agente, quelque chose-Joly, est venue leur rendre visite à l'hôpital dès que sa fille a reprit le contrôle sur ses mouvements. N'ayant subit aucune blessures physiques à l'exception des écorchures causées par sa fuite vers le lac, une pédopsychiatre a jugé qu'Anya était prête pour subir un interrogatoire. Karl trouve que c'est beaucoup trop tôt, mais ces gens considèrent que la situation est urgente. Karl n'apprécie pas cette enquêtrice, il la trouve un peu trop insistante, mais il ne dit rien, se contentant de laisser Anya la rencontrer en compagnie d'une de ses avocates. Sa fille a refusé d'être interrogée devant ses parents. Comme il a confiance en maître Boucher, l'industriel a donc donné son autorisation. Astrid et lui ne seraient pas très loin, de toute manière.

— Ils veulent nous l'enlever, gémit Astrid, ce qui l'énerve encore davantage.

— Non mais ressaisis-toi, bon sang, Astrid. Il n'arrivera rien à Anya, la DMC ne va pas partir avec elle sans avertissement! Maître Boucher est avec elle, elle va s'assurer que ses droits soient respectés.

Son ton est dur et froid, ce qui l'indiffère totalement. À ses côtés, Astrid retient son souffle, tente de retenir ses sanglots. Dans la salle d'attente, tandis qu'ils patiente en espérant que Kristian sorte de la salle d'opération où il a été emmené pour la deuxième fois ce jour-là, il se lève et fait les cent pas. L'inactivité l'horripile, il voudrait frapper à toutes les portes, réclamer des réponses.

Avec des gestes nerveux, il sort de sa poche un loup de pierre d'un gris bleuté, le regarde, puis le range à nouveau. Il utilise toujours ce vieux chuchoteur, un projet de fin d'étude secondaire réalisé avec ses amis. Marisol, Raphaël et lui avaient le même modèle un assis, l'autre prêt à bondi r et le troisième couché. Raphaël les avait sculpté à l'aide de ses talents d'Élémentaliste, tirant les trois loups d'une même pierre, et ils avaient travaillé ensemble pour compléter les enchantements. Cette pierre, que Karl avait rapporté du Danemark l'avait frappé car sa couleur rappelait presque parfaitement le pelage bleu de Tavik. Il savait que Mari avait encore le sien, mais il se demandait si Raph...

À nouveau, le loup se retrouve accroupi dans sa main, prêt à bondir, à se jeter dans l'action. Quelle question, bien sûr que Raphaël a toujours le sien, il n'est pas du genre à changer un objet qui fonctionne toujours et leurs Chuchoteurs étaient parfaits, innovateurs pour l'époque, même.

— Karl! Astrid...

Marisol arrive enfin et sa seule apparition le ramène à de meilleures dispositions.

Son amie le serre en premier dans ses bras, pose un baiser sur sa joue maintenant rugueuse d'une barbe qu'il ne s'est pas donné la peine de raser.

— Docteur Gauthier est le meilleur chirurgien de tout le pays, dit-elle, se voulant rassurante, il remettra Kristian sur pieds dans le temps de le dire.

Karl répond à l'étreinte de Mari avant de la pousser vers Astrid. Après tout, sa femme a davantage besoin de réconfort que lui. Lui, ce dont il a besoin, c'est de sortir de cet hôpital étouffant.

— Je vais prendre l'air, avertit-il avant de refermer la porte sur les deux femmes.

Il traverse les corridors de l'hôpital d'un pas rapide, n'adressant la parole à personne. Il a besoin d'air, de calme, d'ordre. Il doit trouver comment faire pour sauver sa famille, comment contrer les desseins de ses brutes de la DMC qui voient une fillette de douze ans comme une menace à la sécurité nationale, comment faciliter la rémission de Kristian, aussi.

Il faut qu'il bouge, qu'il se dépense! Rentrant chez lui, Karl va enfiler une tenue de sport et part courir dans la montagne. Un peu de trail devrait lui remettre les idées en places.


☪️ ☪️ ☪️


— J'ai rien fait, j'vous dit! J'comprends pas ce que vous voulez! J'ai jamais vu ce bout de verre-là, ni le cossin* noir!

Maître Marianne Boucher garde son attention sur sa cliente qui s'énerve, s'agite et gesticule. L'enquêtrice Joly la questionne du regard, incertaine, perplexe.

On va...

— NON! aboie Anya Vestergaard en se levant d'un bond, faisant sursauter les deux femmes.

À douze ans, elle fait déjà un mètre soixante-dix et elle surplombe la petite enquêtrice à l'air mièvre. Elle se tourne vivement vers son avocate et crache:

— Toi, fais ta job et dis-lui d'arrêter de m'écoeurer! Je sais rien et quand même qu'elle me demanderait vingt-six mille fois la même affaire, je le saurais pas plus! Les docs disent que j'ai été manipulée du cerveau, fine! Maintenant, lâchez-moi. Mon frère est peut-être mort pis vous, vous arrêtez pas de m'écoeurer avec des questions gossantes*.

Anya se tourne à nouveau vers Dominique Joly et la pointe.

— J'les ai pas, tes maudites réponses. Fac* fais ta job de police pis laisse-moi tranquille.

La bouche ouverte de surprise, l'enquêtrice regarde l'avocate qui ne sait plus trop où se mettre. Elle se lève, patiente, et suit Anya dans le couloir.

— Anya, dit-elle d'un ton conciliant.

— Si tu viens pour me dire que si je collabore pas, ils vont m'envoyer chez les Régus, épargne ta salive, j'le sais! Mais j'ai rien à leur dire, rien! J'ai déjà tout expliqué cent mille fois! J'ai eu une fin d'été normale, pis une journée ben ordinaire. Chus* allée dans les Jardins, j'ai ramassé une baguette pis chus sortie! Après, je suis allée me baigner avec Rosie pis Passion. Pis là, quand même que vous me dites que c'est pas ça pantoute* qui est arrivé pis que je suis jamais allée me baigner avec Rosie pis Passion, ben c'est quand même ça qui est là, dans ma tête.

Anya se pointe la tempe d'un doigt, tellement chavirée qu'elle arrive à peine à retenir ses larmes. Elle ressent de la rage, de la honte, de la peur, de l'impuissance, de l'inquiétude, se sent trahie, aussi. Le mélange d'émotions est suffoquant, impossible à mettre en mots, à analyser. Elle a envie de hurler, de frapper, de pleurer, de rire... mais surtout, elle a envie que ça s'arrête, que sa vie redevienne normale.

Elle veut voir sa mère triste, son père distant, son frère ennuyeux... Elle veut rentrer chez elle et ne plus jamais se sentir aussi horriblement mal.

Soudain, des bras s'enroulent autour d'elle, l'enveloppe tendrement. Elle veut se révolter, repousser l'amour mais s'en trouve subitement incapable.

Mam, souffle-t-elle, avant de se pencher pour enfouir son visage dans le cou de sa mère.

— Je ne peux pas garantir qu'ils ne reviendront pas à la charge, dit maître Boucher.

— Merci, répond Astrid. Vous avez fait ce que vous avez pu pour aujourd'hui.

— Appelez-moi si vous avez encore besoin de moi.

Anya sent la main amicale de maître Boucher sur son épaule. Ce geste affectueux termine de la faire craquer.

Mam? Est-ce que Kristian va mourir?

— Je ne crois pas, ma chérie. Il vient de retourner à sa chambre, veux-tu venir le voir avec moi?

Anya hoche faiblement la tête. Son frère l'énerve la plupart du temps. Il est ennuyeux, manque d'humour et sait toujours tout, mais il reste son frère. Et ces traits qui l'embarrassent font également de lui une personne unique. Il est son frère et ce n'est pas parce qu'il est vraiment moche avec son caractère déprimant qu'elle veut qu'il meurt pour autant.

Anya se redresse, accepte le mouchoir que lui tend sa mère et essuie son visage.

— Allons-y, dit-elle.

Astrid hoche la tête. Elle esquisse un geste vers sa fille mais Anya croise les bras. Elle n'est plus un bébé, elle n'a pas envie que sa mère lui prenne la main. Elle part devant afin d'éviter qu'il prenne une autre envie à sa mère de la serrer dans ses bras.

"Elle ne va pas commencer ça!" s'indigne-t-elle mentalement. "Pas maintenant!"


☪️ ☪️ ☪️


Kristian est si pâle que sa peau est presque translucide. Contrairement à Anya, il ne prend jamais le soleil, ne se baigne jamais dans le lac, ne joue jamais dehors et passe sa vie à lire ou à se promener en solitaire.

Il est couvert de bandages qui luisent dans la pénombre de la chambre, envoyant de douces lumières bleues, vertes, mauves, signe que plusieurs magie de guérison sont à l'oeuvre dans un équilibre délicat. Une infirmière termine de vérifier son état lorsqu'Astrid et Anya entrent.

— Il devrait passer une bonne nuit, dit l'infirmière. Docteur Gauthier a réparé tous les os qu'il pouvait et ses poumons fonctionnent par eux-même.

Anya se sent coupable. Désespérée aussi. Bien que son frère n'est jamais très actif, le voir aussi inerte est terrifiant. Pendant que sa mère discute avec l'infirmière, elle s'approche du lit, tend l'index vers sa main.

Sa peau est froide et un peu moite. Si elle ne voyait pas son abdomen se soulever au rythme de sa respiration, elle pourrait croire qu'il est mort.

Le personnel médical n'a pas pris le temps de nettoyer ses cheveux et les mèches blondes collent à son front, se dressent dans les airs comme des cornes de dragon.

Anya contemple sa peau couverte de bleus et d'ecchymoses et tout d'un coup, une haine violente lui étreint le coeur, fait bouillir son sang.

Elle veut le tuer.

Là, maintenant, tout de suite.

Kristian doit mourir.

Cette détestation, ce dégoût la choque tellement qu'elle se recule jusqu'à heurter le mur.

Momentanément, en observant le corps de son frère, elle a su.

Elle a su exactement quoi faire pour le tuer.

Elle savait exactement comment déséquilibrer les sortilèges de guérisons, comment transformer ce cocon bénéfique en étau mortel qui l'aurait fait s'éteindre sans que personne n'y puisse quoique ce soit.

Cette exécration, ainsi que la connaissance qui l'accompagnait n'ont duré que quelques instants, pas même une seconde.

Car bien sûr, comme toute bonne soeur qui se respecte, elle a parfois envie de tuer son frère, à condition qu'il soit encore vivant après!

Mais ça, ce qu'elle vient de vivre, c'était différent, terrifiant.

Intriguées et confuses, sa mère et l'infirmière se tournent vers elle en l'entendant heurter le mur.

— Ça va ma chérie, demande Astrid.

"Mais non, voyons! Y'a plus rien qui va, niaiseuse", pense Anya. Sauf que sa mère ne comprendra pas, elle ne comprend jamais rien, alors Anya reforme rapidement sa carapace et répond plutôt:

— Ouais. Y'est sale et il pue! lâche-t-elle dédaigneuse. J'ai faim, où est papa?

Le changement d'attitude d'Anya confond et effraie légèrement Astrid. Elle se dit que ce doit être la fatigue, l'inquiétude, la peur. Et peut-être aussi cette foutue magie mnémonique qui a détraqué sa fille.

Épuisée elle-même, elle ne sait plus comment réagir alors elle dit, d'une voix atone:

— Marisol est encore dans le salon des familles. Va la rejoindre, elle s'occupera de te trouver à manger.

Pensant que ça ne lui dit pas où est son père, Anya sort de la chambre de son frère. Elle a bien trop peur désormais que cette drôle d'envie meurtrière ne revienne la hanter.



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Mini-lexique:



Chus: contraction de "je suis"


Cossin(s): un truc, un machin.


Fac: contraction de "fait que" qui est une contraction de "ça fait que", un genre de "du coup".


Gossant(e)s: agaçant, énervant.


Pantoute: pas du tout, plus du tout. Une espèce de sur-enchère de la négation.

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