PROLOGUE : Un Murmure dans l'Obscurité


Caelya paniquait.

Dans son bureau circulaire au sommet d'une tour du temple d'Ahmar, la jeune Mahedi respirait fort et ne parvenait pas à se calmer. Plongée dans ses études, elle s'était assoupie. Et un cauchemar était venu perturber son sommeil. Un cauchemar sombre, intense, sanglant.

Un cauchemar porteur d'un sinistre message.

Caelya devait alerter la Première Dame. Mais jamais elle n'accepterait de la recevoir en raison d'un mauvais rêve. Les songes transportaient l'essence même du Don Ancien. Il n'était donc pas rare d'avoir des visions quand une Mahedi dormait. Déranger la Première Dame pour cela serait perçu comme un affront et Caelya serait jugée indigne de passer l'épreuve pour devenir une Grande Dame. Elle plaçait tellement d'espoirs dans cette promotion qu'elle ne se risquerait pas à aller perturber sa supérieure.

La jeune femme inspira profondément, but de l'eau à la fleur d'oranger et s'assit en tailleur au milieu de la pièce pour méditer. Elle s'efforça de chasser les pensées qui parasitaient son cerveau et de vider son esprit. Après quelques minutes, elle accéda à un état de sérénité qu'elle appréciait.

Caelya écouta les bruits apaisants de la nuit qui provenaient de sa fenêtre ouverte. Quelques oiseaux nocturnes chantaient dans le ciel noir. Les montagnes proches consistaient un parfait terrain de jeu pour ces rapaces en train de chasser.

La jeune Mahedi se détendait quand les bruits environnants changèrent.

Une note glaciale monta des tréfonds des ténèbres, d'abord aigüe puis de plus en plus grave.

Caelya rouvrit les yeux et laissa échapper un cri horrifié.

Cette note dans la partition du Don Ancien... elle la connaissait. Chaque Mahedi la connaissait. Mais aucune ne s'attendait à l'entendre de nouveau.

Pas après ce qu'il s'était passé cinq siècles plus tôt.

Caelya inspira profondément.

Elle devait parler avec la Première Dame.

La jeune femme enfila une grande cape rouge, rabattit le capuchon sur sa tête et quitta son bureau. Dans les escaliers en colimaçon, elle estima que les torches n'éclairaient pas assez à son goût. Caelya invoqua le Don Ancien pour mettre davantage de lumière, mais le pouvoir s'évapora avant même qu'elle ne puisse le canaliser comme elle le souhaitait. La Mahedi soupira.

Depuis des siècles, ses Sœurs connaissaient le même problème. La magie n'obéissait plus à leur volonté. Elle était instable ou pas assez puissante pour être modelée à leur guise. Les chercheurs focalisaient leurs études sur cela et espéraient toujours trouver un moyen de résoudre ce problème.

Mais cela s'avérait plus complexe que prévu. L'essence même du Don Ancien était perturbée depuis la dernière bataille entre Ahmar Dhib et le Malik Alzalam, remportée par ce dernier. Depuis, le monde avançait péniblement, sans la technologie d'avant et sans la magie, qui déclinait.

Caelya savait que certaines Mahedi pouvaient déployer le Don Ancien au maximum de son potentiel. A la condition d'épouser les Ténèbres.

Ce que les Mahedi d'Ahmar, les Sœurs Rouges, refusaient de faire.

Caelya arriva devant de hautes portes en bois noir sur lesquelles un loup rouge était peint. Deux Mahedi en gardaient l'entrée. Armées d'un cimeterre au pommeau incrusté de rubis, le visage caché par un turban enroulé sur leur tête, elles représentaient l'élite des combattantes des royaumes d'Ismahen.

Voyant que la magie perdait en puissance ou devenait incontrôlable, les Mahedi s'étaient tournées vers les meilleures techniques de combat du continent. Depuis cinq cents ans, elles perfectionnaient leurs arts martiaux et en avait découvert de nouveaux. Les guerrières Mahedi se battaient en alliant des armes, des mouvements rapides et des sorts basiques de magie.

— Que veux-tu ? demanda l'une d'elles.

— Je dois voir la Première Dame.

— Elle ne reçoit personne les nuits de Lune de Sang. Elle médite.

Caelya, perturbée par ses cauchemars, n'avait pas remarqué les éclats de lumière rouge qui éclairaient les murs.

— Je dois la voir, répéta-t-elle.

— Tu es sourde ? gronda l'autre Mahedi. On a dit que...

Les portes s'ouvrirent subitement, faisant taire la guerrière. Elles posèrent un genou à terre et baissèrent la tête. Caelya frémit en entendant la voix de la Première Dame l'appeler. Avec appréhension, la jeune femme pénétra dans la pièce plongée dans la pénombre. Seul un halo de lumière pourpre éclairait l'endroit. Une femme vêtue d'un voile rouge se tenait assise dans la lueur.

— Toi aussi, tu as entendu la note du Malik Alzalam ? demanda la Première Dame sans préambule.

Caelya frissonna : sa supérieure ne craignait pas de prononcer le vrai nom de leur ennemi. Pour sa part, elle préférait employer ses sobriquets : la Bête, le Malin, le Roi de la Nuit ou le Briseur de Serments.

— Oui, Première Dame.

— Tu n'es pas la première de nos Sœurs à l'entendre. Cela fait deux mois que d'autres Mahedi viennent me parler pour me dire cela. Au départ, je n'y croyais pas. Je n'entendais rien en méditant dans le Don Ancien.

Elle se releva et dressa la tête vers la lumière lunaire.

— Lors des nuits de Lune de Sang, cependant, j'entends désormais la note du Malik Alzalam. S'il se réveille, c'est qu'Ahmar Dhib est revenu à la vie. Nous avons le moyen d'effacer la défaite d'il y a cinq cents ans. Notre sauveur est là, à nous de le trouver avant que les suppôts du Malin s'en occupent.

— Les serviteurs des Ténèbres sont plus nombreux que nous...

— Oui, malheureusement.

Caelya se passa la langue sur les lèvres et déglutit. Cette histoire l'angoissait au plus haut point.

— Que peut-on faire ?

— Je vais t'affecter aux chercheurs. Aide-les à trouver un moyen de canaliser la magie avant qu'elle ne se disperse. Je sais que tu as déjà quelques pistes. Explore-les. Nous te donnerons les moyens qu'il faudra.

— Bien. Est-ce tout ?

— Faelan vient de partir pour Alnasar.

Caelya redressa le menton et cilla.

— Seul ? éructa-t-elle, inquiète.

— La discrétion sera son atout. Ne panique pas, Caelya. Ton frère est plus fort que tu ne le crois.

— Il est comme nous tous ! Il peine à utiliser le Don Ancien ! Et vous l'envoyez dans une cité pervertie par les Ténèbres !

— Ne panique pas, répéta la Première Dame, je sais ce que je fais.

Caelya laissa exploser sa rage :

— En vérité, vous vous fichez bien du sort de mon frère. Ou du mien. Vous voulez vous débarrasser de nous. Combien de fois vais-je devoir vous répétez que nous ne sommes pas comme notre ancêtre ?

La jeune femme claqua les talons, les larmes aux yeux. Elle quitta la pièce sans un regard en arrière. Les portes se refermèrent lourdement derrière elle.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top