CHAPITRE 1 : Le démon aux cheveux blancs
Faelan grommelait intérieurement.
Le vent forcissait à mesure que son cheval gagnait en altitude. Le destrier progressait en renâclant sur le chemin rocailleux à flanc de montagne. La voie étroite n'offrait pas un passage idéal pour un cavalier. Elle était plutôt destinée à être utilisée par des randonneurs. Pourtant, malgré le danger qui rôdait autour du sentier, Faelan estimait que cette route restait la plus sûre pour rallier Alnasar. Il préférait dégringoler de plusieurs centaines de mètres dans le ravin sur sa gauche et mourir dans le torrent que d'empreinter la voie principale, encaissée dans le vallon. Le garçon tourna la tête vers la droite et leva le cou pour scruter les hauteurs vertigineuses qui s'étiraient jusqu'aux sommets enneigés, terrain de jeux parfait pour les chamois et les bouquetins. Des ruisseaux naissaient dans les glaciers et se frayaient un chemin à travers les rochers jusque dans la vallée. Ils créaient par endroits de véritables cascades dont les rugissements résonnaient d'une montagne à l'autre.
Des névés couvraient encore l'herbe çà et là et un vent glacial sifflait aux oreilles du voyageur. Preuves que le printemps peinait à s'imposer dans cette région hivernale. Des promeneurs imprudents pouvaient déclencher des avalanches, dans certains couloirs propices à cela.
Juché sur sa jument, Faelan couvrit sa tête de sa capuche et enfila ses gants. Les rafales s'intensifiaient. Les sons qu'elles produisaient percutaient les montagnes et renvoyaient un écho étrange. Le garçon serrait ses doigts autour du pommeau de son cimeterre, peu rassuré. Il ne s'inquiétait pas des loups ou des sombres créatures qui pullulaient dans le secteur depuis la victoire des Ténèbres, mais plutôt des mercenaires qui se cachaient dans les Monts-Nuages et attaquaient les convois.
C'était la raison pour laquelle il voyageait loin de la route principale.
Enfin, l'une des raisons.
Faelan extirpa sa carte d'une de ses sacoches et l'examina. Le chemin sur lequel il se trouvait contournait des flancs entiers de montagnes et passait par plusieurs cols avant d'atteindre Alnasar. Selon ses estimations, il en avait encore pour deux jours de voyage.
Le bruit régulier des sabots rassurait Faelan, qui n'avait encore jamais cheminé seul. En temps normal, la Grande Dame Ilana l'envoyait en mission avec sa sœur jumelle Caelya. Il ne comprenait pas pourquoi la Première Dame la séparait d'elle et lui ordonnait d'aller à la Cité des Aigles.
Cet endroit jouissait de sinistres rumeurs. Et d'une sinistre réputation. Le jeune homme ne connaissait rien de la vie dans cette ville, car aucune information ne s'en échappait. Il savait simplement qu'elle existait depuis plus de mille ans et que son allégeance changeait régulièrement de camp. Lors de la dernière guerre entre Ahmar Dhib et le Malik Alzalam, Alnasar avait retourné sa veste pour une raison inconnue et leurs armées, appuyées par la magie du Roi de la Nuit, avait décimé celles de la Lumière.
Faelan savait qu'il ne devait pas se présenter comme Mahedi d'Ahmar. Les sorciers qui gouvernaient la cité pratiquaient une magie différente. Plus puissante. Moins instable que le Don Ancien. Et il pouvait craindre également la présence d'un Shahadat, un suppôt du Malik Alzalam.
Le garçon jeta un œil à son cimeterre. Il portait la marque d'Ahmar, une tête de loup, gravée dans le pommeau. Faelan allait devoir s'en débarrasser afin de rester anonyme. Mais il ne concevait pas de voyager sans arme. Avec un peu de chance, il trouverait un marchand quand il atteindrait un col. Mais sur ce chemin éloigné des premiers villages, il en doutait.
Le sentier bifurqua vers la droite et entra dans une zone envahie par des rochers, résultats d'un éboulis. Le cheval renâcla, peu habitué à ce genre de passages. Faelan se pencha et tenta d'apercevoir le sentier, qui slalomait entre les pierres. Prudent, le cavalier arrêta sa monture et mit pied à terre. Il attacha la jument au tronc d'un mélèze et explora l'éboulis pour trouver une voie praticable à dos d'équidé.
Hélas, au bout d'un moment, il ne dénicha rien. Le sentier se faufilait bien entre les rochers mais disparaissait de temps en temps pour revenir plus loin et grimper vers un col.
Faelan soupira. Il allait devoir laisser son destrier ici.
Soudain, il entendit des hennissements de panique résonner derrière lui. Le garçon pivota et courut à travers les pierres pour retourner auprès de son cheval. Il glissa dans une fissure et manqua de se tordre la cheville. Ignorant la douleur qui pulsa, Faelan continua de courir jusqu'à voir sa monture, aux prises avec trois hommes.
Le jeune homme se plaqua contre un rocher pour se cacher. Il analysa la situation avant de prendre une décision.
Les trois hommes étaient jeunes, mais plus âgés que lui. L'un d'eux était armé. Une épée de bonne facture. Une épée que Faelan devait récupérer.
Le garçon hocha la tête et se dévoila devant ses ennemis.
Ceux-ci, étonnés, s'immobilisèrent un instant.
Avant de ricaner.
— Qui es-tu, gamin ? Tu voyages seul ? C'est imprudent de ta part...
— On va te faire la peau ! ajouta un autre.
Faelan demeura impassible, sans répondre à leurs menaces. Il ôta sa capuche pour montrer ses cheveux. Les trois hommes cessèrent aussitôt de rire et dévisagèrent Faelan, méfiants.
— Des... des cheveux blancs... ?!
— Comment est-ce possible... ? murmura le plus jeune.
— Tu viens d'Aswad ? Là-bas, il y a...
— Peu importe ! coupa le plus vieux. Il est seul ! Nous sommes trois !
Il fit un pas vers Faelan.
— Vide tes poches, démon aux cheveux blancs ! Et plus vite que ça !
Il dégaina un poignard. Faelan sortit son cimeterre et repoussa la lame en une torsion du poignet. Puis il pointa le bout de son arme sur la gorge de son assaillant.
— Cette épée... d'où vient-elle ? demanda Faelan.
— J'ai dû la voler à un soldat pendant son sommeil, répondit l'homme.
— Un soldat de quelle ville ?
— Je ne sais pas d'où il venait. Les rois hisham aiment se faire la guerre. Il venait d'une cité du sud, loin d'ici.
— Elle me convient, décréta Faelan.
Les deux autres hommes ricanèrent.
— Tu crois que je vais te la céder ?
— Non. Me l'échanger.
Faelan désigna son cimeterre. Il détacha le fourreau de son ceinturon et y glissa son arme. Le vagabond étudia l'offre un instant avant de faire de même avec son glaive.
Pour le dégainer et attaquer Faelan.
Le jeune homme bloqua l'assaut en canalisant le Don Ancien. Il généra un bouclier autour de son corps. Mais il savait qu'il devait agir rapidement. La magie, capricieuse, peinait à obéir. À tout moment, son sort pouvait céder sans qu'il ne le lui ordonne.
Faelan dégaina son cimeterre et le planta dans la poitrine du bandit.
— Je refusais de croire ma sœur, quand elle me disait de ne faire confiance à personne, marmonna Faelan. Je constate qu'elle avait malheureusement raison.
Il retira sa lame ensanglantée, les larmes aux yeux. Le cadavre tomba à ses pieds, la bouche suintante de sang. Quelques spasmes agitèrent encore son corps, ce qui le conduisit à rouler dans l'herbe jusqu'à la pente, où il tomba dans le fond de la vallée.
Les deux autres compagnons échangèrent un regard paniqué et détalèrent aussi vite que le chemin étroit et caillouteux le leur permettait.
Faelan nettoya la lame de son cimeterre et remit son arme à sa ceinture. Il ramassa également le glaive du voleur, tombé à terre, et le garda en main. Il retourna auprès de son cheval, le cœur lourd.
Dans ce monde sans pitié, il se devait d'être impitoyable. Dans ce monde corrompu par les Ténèbres, il ne devait pas avoir de failles. Seuls les plus forts survivaient. Les plus faibles étaient déjà condamnés avant même de naître.
Il ne prenait aucun plaisir à agir ainsi. Il agissait, point final.
Faelan posa sa main libre sur l'encolure de son fidèle destrier.
— Je vais devoir continuer à pied. Je te libère, Najma. Retourne à Ahmar.
La jument renâcla et frappa le sol de son sabot.
Faelan fouilla dans ses sacoches et lui donna une pomme, qu'elle mangea goulument pendant qu'il récupérait les affaires dont il aurait besoin pour terminer son voyage.
— Adieu, murmura-t-il en tapotant l'encolure de sa monture.
Son périple continua à pied.
Faelan franchit sans peine les éboulis qui entravaient sa route et retrouva le sentier. Celui-ci serpentait entre rochers et mélèzes et s'enfonçaient toujours plus dans l'écrin sauvage des montagnes.
Si la Nature ne souffrait pas trop de l'emprise des Ténèbres, ce n'était pas le cas des peuples qui se côtoyaient. Les guerres s'enchaînaient et gangrénaient le pays. Les famines et les épidémies suivaient et achevaient ceux qui avaient réussi à survivre. Dans tout ce chaos, les Ténèbres puisaient leur force et continuaient de grandir. Elles drainaient l'essence même du Don Ancien, au détriment des Mahedi fidèles aux Ashraf Al'Ankan. Pour pouvoir utiliser la magie de façon sereine, les disciples de la Première Dame devaient pactiser avec l'ennemi. Ce que Faelan refusait de faire. Jamais il ne se soumettrait aux Ténèbres, contrairement à certaines Mahedi.
Avant son départ, la Première Dame l'avait mis en garde : en raison de son ascendance, les Ténèbres tenteraient de le rallier à leur cause. Tôt ou tard, le jeune homme serait confronté à un choix.
Pour l'heure, Faelan profitait de son voyage et ne pensait pas trop à ce qui se présenterait devant lui. Il savourait les paysages grandioses des montagnes.
Tandis qu'il franchissait un torrent, il nota que le sentier arrivait à un col. Après des heures de montée, cela le soulagea. Il allait enfin descendre un peu. Jusqu'à la prochaine côte. Faelan gravit les derniers mètres et arriva à un endroit magnifique qui lui offrit une vue imprenable sur la vallée. Le voyageur reprit son souffle, but quelques goulées d'eau bien fraîche et mit sa main en visière pour apercevoir le chemin qu'il devait prendre.
Le sentier sinuait et descendait d'une bonne centaine de mètres avant de passer à travers un vallon herbeux décoré de fleurs violettes çà et là. Puis il remontait une pente vertigineuse en formant des lacets. Faelan suivit la montée du regard mais perdit le chemin dans une formation rocheuse de belle taille. Il semblait néanmoins atteindre un col, caché derrière une paroi noire et à-pic qui ressemblait à un rempart naturel.
S'il en croyait sa carte, Faelan savait qu'un lac de glacier se tapissait par-delà ce col dangereux. Ainsi que l'une des douanes pour accéder à Alnasar.
La cité n'était plus très loin.
Comme le soleil déclinait, Faelan estima qu'il était temps pour lui de dresser son campement pour la nuit. Il ne pouvait dormir ici au col, car le vent risquait de souffler et de le déranger. Le froid ne le perturbait guère. Il devait sans doute cela à son ancêtre.
Faelan inspecta les environs et dénicha une petite cavité sous un gros rocher. Satisfait, le Mahedi décida de s'installer là. Il se prépara rapidement de quoi manger. Un repas frugal composé de bœuf séché, de fromage et de pain, avant de boire et de s'enrouler dans son épais poncho. Il ferma les yeux et se laissa emporter par le sommeil.
Faelan se réveilla plusieurs heures plus tard, le cœur battant. Il se redressa promptement et dégaina son cimeterre. Une peur sauvage lui nouait le ventre et son instinct lui soufflait d'horribles présages. Le Mahedi s'ouvrit au Don et tenta de localiser les présences autour de lui. A part des marmottes, des aigles royaux et des chamois, il n'y avait personne.
Pourtant, il connaissait cette sensation qui lui glaçait le sang.
Celle d'être épié.
Quelqu'un se tapissait dans l'obscurité et l'espionnait, il en était certain.
Quelqu'un d'assez puissant pour masquer sa note dans le Don.
Peu rassuré, Faelan rassembla en hâte ses affaires et quitta les lieux le plus vite possible. Il garda son cimeterre en main pendant quelques centaines de mètres et cacha son visage sous son capuchon.
Faelan marcha d'un bon pas dans la descente, à tel point qu'il dérapa et dégringola de plusieurs dizaines de mètres. Il roula entre les rochers et les touffes d'herbe. Il lâcha son arme. Sa tête heurta une pierre et il perdit connaissance. Dans sa torpeur, il crut entendre quelqu'un se moquer de lui.
Un liquide froid réveilla brutalement Faelan.
— Debout, démon !
Le Mahedi ouvrit les yeux et cilla plusieurs fois. Le jour était revenu et la lumière l'éblouit. Comme il ne bougeait pas, des bras puissants se saisirent de lui et l'obligèrent à se relever. Deux personnes lui nouèrent les poignets.
Faelan tenta d'utiliser le Don, mais il se sentait encore trop faible. Sa chute avait été plus rude que prévue. Et la magie, instable, quémandait de l'énergie. Le Mahedi allait devoir patienter pour se libérer. Arriver prisonnier à Alnasar ne faisait pas partie de ses plans. Pas même du pire de ses plans.
Faelan fit face à un homme d'une cinquantaine d'années, plus petit que lui, aux cheveux mi-longs noués par un bandana rouge. Un autre bandeau cachait son œil droit. Seule une cicatrice mal soignée dépassait du tissu.
— Un démon aux cheveux blancs, murmura l'homme.
Il cracha par terre.
— Un démon qui vient d'Ahmar, si j'en crois le cimeterre que nous avons trouvé non loin de toi... Ou alors tu fuis les guerres qui ravagent le continent. Mais je doute que les Hisham engagent un être aussi abject que toi.
Faelan ne répondit pas à leurs provocations. Il y était malheureusement trop habitué. L'homme le frappa au visage. Le Mahedi vacilla mais resta campé sur ses jambes.
— Tu as perdu ta langue, démon ? ricana son ravisseur.
— Que fait-on de lui, Rord ? demanda un jeune homme.
— J'ai hâte de savoir combien les Princes d'Alnasar sont prêts à débourser pour un démon aux cheveux blancs ! répondit Rord en riant. Nous allons être riches, mes amis ! En avant !
Faelan fut solidementattaché à une corde et rejoignit d'autres prisonniers qui avançaient en boitantou en grimaçant. Le jeune homme darda vers le ciel un regard rempli d'amertume.En ce jour maudit, le soleil lui-même préférait se cacher derrière les nuages.
Petite image de ce qui attend Faelan dans le chapitre 2... (Montée vers le col des Gringettes, parc national des Ecrins, dans les Alpes).
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