Ombres cruelles

Les ombres étaient là, tout autour de moi.

Je les entendais chantonner, murmurer à mes oreilles, me conter des mots doux que je refusais d'écouter. Leur chant était pourtant si exquis, un miel qui venait chatouiller mes sens et panser mes blessures. Ils parlaient de puissance, de force, de réunion de deux âmes aux destins si étroitement liés. Ils me parlaient de liberté, de l'écho de la mer. Ecoute fille du vent salé. Ils me demandaient de les suivre où que j'aille, de les laisser me guider.

Mais la morsure du fer contre mes poignets me ramena bien assez vite à la raison.

Je n'étais pas ici chez moi, pas au milieu d'ombres dorlotant ma peau. C'était des ténèbres qui m'attaquaient, qui tentaient de faire flancher une détermination bien plus sourde que ce que tous pensaient ou imaginaient. Je tirais sur les chaînes, testant leur solidité. Elle me faisait plus mal encore que ce qu'un métal lambda aurait dû pouvoir. Acier ensorcelé, fait de la même matière que ses armures qui empêchaient la magie. Cette dernière tentait de courir dans mon corps mais ne ressentait qu'une brûlure glaciale qui m'arrachait le cœur. Ils auraient voulu faire pire qu'ils n'y seraient pas arrivés.

Mes yeux s'ouvrirent brusquement, s'adaptant trop vite à la lumière. On m'avait enfermé dans un semblant de geôle dans laquelle une minuscule meurtrière essayait de jeter quelques rayons de soleil. J'avais la gorge sèche, la tête lourde et les bras gourds. Les dieux seuls savaient pendant combien de temps j'avais pu rester inanimée.

Mais mes premières pensées ne furent pour mon état. Elles filèrent jusqu'à mon frère dont je ne ressentais plus la présence. Comme un vide là, au creux de mon cœur. Comment une absence qui allait rapidement devenir douloureuse. J'étais enfoncée dans une solitude que je n'avais jamais connue, perdue dans des ténèbres que je ne pouvais arpenter sans lui. Je fermais les yeux, tentant d'affiner mon ouïe pour mieux percer les secrets du lieu où je me trouvais. Rien, si ce n'était quelques gouttelettes d'eau qui ruisselaient contre les murs de pierre. Pas l'ombre d'une ronde de garde, pas un seul grincement de cuirasse mal huilée.

Je sursautais en entendant mon ventre pousser un féroce cri de protestation, vide de toute nourriture depuis trop d'heure. Ce n'était pas le moment. Je devais trouver un moyen de sortir d'ici et ce sans les pouvoirs sur lesquels je m'étais bien trop reposée.

Une porte s'ouvrit, interrompant ma réflexion.

Je relevai immédiatement la tête, dévisageant celui qui venait me trouver. Il n'était pas grand, toisant à peine cinq pieds. Ses oreilles, pointues, ne laissaient aucun doute sur son affiliation sylvaine mais sa petitesse et son air bedonnant le désignait immédiatement halfelin.

— T'es enfin r'veillée princesse ? T'attendent.

Il n'avait d'halfelin que l'apparence. Les créatures si distinguées, aussi proche de la nature que des aels, n'auraient jamais eu un accent aussi prononcé, plus proche du paysans lambda que du fier stratège.

Il n'attendit pourtant pas ma réponse pour détacher mes liens. Une pareille occasion ne se représenterait pas et si j'avais appris à observer mes ennemis avant de frapper, mon sang ne fit pourtant qu'un tour alors que je plongeais jusqu'à la dague à sa ceinture, frappant de l'autre main, visant le thorax. Ce fut un vent de magie qui accueillit mon attaque, soulevant les lèvres de l'halfelin sur des canines pointues et un sourire goguenard.

— Bas voyons princesse, t'es pas un peu dingue d'frapper comme ça ? T'aurais pu t'faire mal.

— Un mage..... réussis-je à articuler, douloureusement

— Bas ouais princesse, y'a pas qu'chez toi qu'vous maitriser la magie. L'dieux aussi ils m'ont r'gardé. M'ont trouvé là, pour sûr. Mais l'ont voulu m'aider pour que j'puisse les aider à mon tour.

— Disciple d'Isadril... crachais-je, les yeux lançant des éclairs.

— Jamais princesse. D'Feljorn, qu'son nom soit béni.

Je ne répondis pas. Qu'un sylvain prie un dieu qui les avaient depuis longtemps enveloppé sous son aile ne m'étonnait qu'à moitié.... Mais l'autre partie de mon esprit tentait de comprendre ce qu'il faisait là, au milieu de ces adorateurs de démons et de ténèbres. Je n'eus pourtant l'occasion de lui poser la question alors qu'il m'entrainait à sa suite, sans me laisser le choix, la magie guidant mes pas mieux alors que tout autre chose. Il y avait toujours autour de mes poignets ces menottes de fer étranges qui coupaient tout accès à mes pouvoirs, m'empêchant de trouver une autre porte de sortie.

Mon guide se fit silencieux alors qu'il remontait les geôles. Il y avait quelque prisonnier mais je n'eus le temps ou même la force de tordre assez le cou pour espérer voir la masse de cheveux blonds de mon frère. Je comptais cinq portes avant qui nous arrivâmes en bas d'un petit escalier de pierre où un garde attendait patiemment, la main griffue des Armées Noires sur son bouclier. Il inclina la tête devant l'halfeline et m'offrit un regard gourmant qui fit naître un air dégouté sur mes lèvres. Je n'étais pas une proie et ne le serait jamais, Rodhan m'en soit témoin. La fierté roulait dans mes veines depuis la naissance et je n'avais nul besoin de me gausser de mon ascendance royale. Seuls les faux nobles avaient besoin de répéter en permanence qu'ils l'étaient, les véritables se contentaient d'action et de gestes. Mère ne m'avait pas appris beaucoup de faits mais c'était ses premiers enseignements. La tête haute, quelque soit la situation. Et jamais de larmes sur un visage, preuve de faiblesse ultime.

Nous avions quitté la taverne, l'absence de musiques, de chants et de personnes le prouvant plus encore que les murs glacés et décoré de quelques croutes qu'on nommait sûrement tableau. La ville m'apparaissait en contre-bas, comme si nous avions grimpé sur les pans d'une colline. Je voyais notre bateau, encore à quai. Mais ma vision n'était que celles d'une humaine et je ne parvenais à apercevoir la vie qui s'ébattait sûrement dans le jour brûlant.

— Au fait princesse. J'm'appelle Otho. J'pense qu'ton paternel s'ra content d'te voir avec un magicien après.

Mes sourcils se froncèrent. Après quoi ? Mais les mots n'eurent le temps de franchir mes lèvres que mon guide s'arrêtait devant une lourde porte d'un bois brute qui semblait aussi lourde que quatre hommes. Il l'ouvrit sans frapper, semblant n'éprouver aucun effort, sûrement aidé de la magie. Otho s'écarta, un grand sourire sur les lèvres avant de me laisser passer.

La pièce était immense, large d'au moins quatre-vingts pieds et longue de prêt du double. Une longue tapisserie habillait un mur, offrant la vue d'un dragon immense qui portait sur son dos un homme armé. Des flammes s'échappaient de la gueule de l'animal qui s'attaquait à une ville dont les contours ne me disaient rien. Sûrement un exploit guerrier d'il y avait mille ans, oublié de la mémoire des mortels et raconté par les Ents. Les fenêtres baignaient la pièce de lumière et relevaient les reliefs des armures exposées comme autant de reliques d'un temps passée. Une immense hache surplombait une porte sur le pan droit de la pièce, définissant le lieu comme guerrier. A l'exception des décorations, la pièce était vide. Un fauteuil, exposé sous la tapisserie, faisait office d'unique meuble. L'homme qui y était assis se releva au moment même où j'entrais dans la pièce.

Son visage avait changé. Ses cheveux roux avaient poussé, tressés par des mains expertes qui n'étaient plus les miennes. Au coin de ses yeux, des minuscules ridules avaient pris place, accompagnées de marques plus sombres dont l'origine m'éclatait au visage, fruit du démon qui le consumait. Le costume qu'il portait était carmin, tâché sur le poitrail d'une main griffée, dont la noirceur semblait se nourrir de toute lumière. Il était toujours aussi grand, toujours aussi imposant de sa musculature de géant.

Mon propre père.

Mes yeux s'écarquillèrent alors que nos regards s'agrippaient.

— Je vous aurais presque attendu Alyena. Vous étiez plus vifs dans mes souvenirs.

Nous avions suivi chacune des méthodes qu'il nous avait appris pour en arriver là. Nous n'aurions pas dû être surpris de tomber dans un piège grossier. Après tout, il nous avait tout apprit de ses sourires et de ses regards voyant plus loin dans nos cœurs que personne ne l'avait jamais fait.

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