Les ténèbres de mon coeur
Huit mois après la crise
Le silence était toujours aussi fort. Les hommes parlaient, les gens vivaient mais je n'entendais plus leurs vaines paroles. Comme morte, je ne gouttais qu'à la flamme qui habitait encore au fond de mon cœur, qu'à cet éclat qui me faisait respirer. Il y avait de la colère dans les lieux les plus secrets de mon corps, de la rage que je ne gardais que pour les ombres.
Et il y avait la marque. Celle enfoncée profondément dans mon âme. Depuis que j'avais découvert la toute puissance de ma magie, elle s'était tue. Ses longs filaments, qui cascadaient jusqu'à ma clavicule, étaient restés étonnement silencieux. Je savais parfaitement ce qu'elle voulait dire. J'étais sienne. Offerte à sa magie malicieuse et à ses griffes perverses. Il n'avait pourtant daigné soulever le sang sur mes mains, que je ne parvenais à faire partir, toujours ancré sous mes ongles, enfoncé sous ma chair. J'étais seule, terriblement seule.
L'Alliance avait oublié notre identité et notre présence, nous les fous qui avons voulu attaquer seuls. Notre mère nous l'avait interdit, jurant que les ténèbres finiraient par avaler celui qui avait osé trahir le dragon. Empli d'orgueil, nous avions bondit. Et mes chaines me rappelaient à chaque seconde que nous aurions dû rester silencieux. Le traitre était maintenant en pleine possession de sa puissance, ivre de pouvoir, fier de son œuvre.
Un simple regard envers lui me conforta dans mes pensées. Je devais le tuer. Pour Alekyne, pour l'Alliance, pour la survie. Aldrin n'était plus celui que j'avais autrefois admiré. Assis comme un roi, il écoutait les doléances d'un peuple qui ne serait jamais le sien. Mon père avait grossi et le fier amiral n'était plus que l'ombre de lui-même. Je devais mettre fin à ses jours. Pour lui. Pour ce qu'il nous avait autrefois apprit.
Mais quand agir ? pourquoi agir ? J'étais de toute manière seule, et, même si je l'achevais, ses hommes auraient tôt fait de mettre fin à mes jours. Je désirais peut-être la mort mais serais-je seulement capable de l'accepter lorsqu'elle viendrait enfin frapper aux portes de mon existence ?
La séance se termina et Sual, l'homme chargé de s'occuper de ma personne me fit sortir. Ortho me manquait, je ne pouvais que me l'avouer avec tristesse. Mais j'avais pris sa vie, comme tout ceux qui avaient osé se dresser sur mon chemin. Où était cette puissance maintenant ? Où c'était cachée cette magie qui me prenait tout et ne m'offrait rien ?
Enfermée dans ma chambre, les doigts enroulées autour d'une plume, je la laissais glisser des mots qui n'appartenait qu'à moi. Des mémoires, des récits de ces journées trop longues que je brulais sitôt la nuit venue. Je m'abimais les yeux sur ma calligraphie trop ronde mais le temps passait enfin plus vite.
Seul un sursaut, là, dans ma poitrine, me fit lâcher la plume. Elle échoua sur le bureau, l'encre tâchant le bois de sa noirceur. J'en gémis, tout à la douleur qui me comprimait le cœur. Son appel. Son odeur. Sa voix. Enfin. Il était là, je l'avais senti. Trop brièvement pour qu'il puisse me parler, d'une manière trop éphémère pour que je puisse y croire. Mais avais-je vraiment d'autre possibilité ? Je me raccrochais à des ombres, m'enfermant dans des illusions qui ne touchaient que moi. Je l'avais entendu. J'en était certaine ! Il n'était pas mort, je ne l'avais finalement pas tué de ces ténèbres qui grognait au plus profond de mon cœur.
Serrant les poings, en appelant à des dieux maudits plutôt qu'à Guthyce, je laissais les ombres m'envahir, courir sur la marque, grignoter ma chair. Sur ma peau, le frisson glacé de la brume se fit plus fort. Je sentais la fumée noire s'échapper de mon cœur, s'enrouler autour de mon âme, gravir mes formes.
Je n'avais rien à perdre et tout à gagner.
Alors j'oubliais tout ce qu'on m'avait appris. Toute la prudence et le raisonnement, toute la réflexion et l'observation. Qu'importait. Il était là, quelque part et je devais le retrouver.
La magie s'engouffra entre mes doigts, les faisant scintiller d'éclats bleutés. Un soupir, unique, franchit mes lèvres avant que je ne m'approche de cette porte qui me retenait prisonnière. Que la mort ne s'enfonce dans les couloirs et ne déciment les âmes. Je n'étais plus moi-même. La magie, seule, me guidait à travers le dédale d'artères, m'entrainait plus loin que je n'avais jamais osé aller. Jusqu'à des ténèbres dont je reconnaissais la marque.
Ilos et son sourire carnassier m'attendait, ses pouvoirs déjà préparés. Derrière lui, une lourde porte fermement cadenassée semblait retenir une puissance que je n'avais jamais osé approcher. La tête haute, le menton droit, le regard fixe, je m'avançais. Sur le sol sale, mes pieds semblaient plus clairs encore que la lune dans le ciel. Les ténèbres me regardaient, grouillant dans les yeux de ce prêtre qui n'en avait que le titre. Isadril pouvait bien perdre une de ses ouailles qu'il ne bougerait pas.
Sans pitié, sans réflexion, j'arrachais ce sourire des lèvres honnies, je détruisais ce qu'il était, je m'enfonçais dans son âme pour mieux en compter les débris. Ilios était une carcasse vide que je m'appliquais à racler des derniers soupçons d'humanité qui avaient pu perdurer. Lorsque la magie me quitta, le corps n'avait plus rien de ce qu'il avait été. La peau avait fondu, les muscles tendus sur les os fumaient encore et le sang avait gonflé l'air d'une odeur métallique. L'enfant innocente était pourtant morte et je n'accordais pas un regard envers celui qui m'avait offert en pâture à un démon. Je n'avais plus peur et les battements de mon cœur avaient cessé de retentir trop forts à mes oreilles. Ne restait que le frôlement de mes pas sur la poussière alors que je m'approchais de la porte. D'un geste, alors que le sort me revenait sans l'avoir jamais appris, je fis sauter le verrou, grincer les gongs et hurler le bois.
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