Les ténèbres de mon coeur, 2

Le spectacle de ce que fût mon frère était désolant. Sans la douce lumière du soleil, la chevelure d'Alekyne s'était brunies et sa peau, à l'inverse, reflétait l'albâtre. Il avait perdu de ces muscles, n'avait gardé qu'une enveloppe trop fine sur ses os. Son visage, marqué, n'était plus qu'un masque de chair. Je tombais à genou devant lui. Mes doigts se relevèrent, touchèrent son derme, s'accrochèrent à ses marques mais mon cœur restait furieusement vide, mon âme restait terriblement incomplète.

— Tu n'es pas morte, murmura-t-il, agrippant mon regard de ces yeux qui n'avaient vu depuis si longtemps.

— Je suis là. On va sortir d'ici. On va s'en sortir.

Une promesse, unique, que je savais ne jamais tenir.

La force dans ses yeux me happa pourtant et il me demanda de détacher ses liens. Massant ses poignets, il se releva, chancelant sur ses appuies incertains. Sa volonté était pourtant au-delà de la douleur qu'il ressentait. Jamais je n'avais vu tant de rage dans les yeux de mon frère, et jamais je n'avais eu aussi peur.

Nous remontâmes les dédales de couloirs sans croiser âme qui vive. Alekyne attrapa une épée, soupesant son poids. Elle était bien plus légère que ce qu'il jetait autrefois, bien moins puissante également. Il ne pouvait soulever plus.

Dans l'ombre, avant que la lumière ne vienne nous embrasser, il m'offrit un dernier regard. Sa main se glissa à ma joue, ses lèvres se confondirent avec les miennes. S'aurais pu être un baiser d'adieu s'il ne m'avait confié une dague, plus proche du poignard que de l'arme de traitre. Son regard parlait pour lui. Son regard m'avait toujours guidé.

Alors je sus ce qu'il me restait à faire.

Pendant que lui déchainerait le feu, je serais son ombre. Il attaquerait, en pleine lumière, ferait du bruit, appellerait les hommes. Et je serais le silence qui se faufile entre les murs, prêtresse assassine aux fioles de poisons accrochées au poignet. Comme autrefois, je serais la lune et lui le soleil. Et à nous deux, nous accomplirions ce qui nous devions faire.

Notre vengeance.

J'entendais les bruits de combat en arrière plans. Autrefois, mon lien avec Alekyne m'offrait de voir à travers ces yeux et de comprendre qu'il ne risquait rien. Le silence était éprouvant mais je devais arrêter la peur qui manquait gangrener mon cœur. Alekyne avait pris sa décision et il mourrait pour cette dernière s'il le devait. Il m'avait envoyé, avec cette lame si tranchante, accomplir notre destin. D'enfants parfaits, nous ne serons plus que des ténèbres. Je n'en avais que faire. Les quolibets et les sifflements avaient accompagné toute mon enfance. Leurs morsures ne me toucheraient plus.

Je connaissais les couloirs que je remontais. En huit mois, je les avais arpentés des centaines de fois. J'en avais percé les secrets et les mystères, découvrant là une porte dérobée, ici un chemin vers un inconnu glacial. Je savais parfaitement où je devais me rendre, où il se trouverait. Peut-être aurait-il pu, autrefois, avoir l'orgueil de vouloir affronter son fils. Alekyne était pourtant bien affaibli et le combat en aurait été grossier. Mais mon père avait changé, se cachant derrière des vassaux qui n'étaient pas les siens mais bien ceux de l'armée qu'il avait rejoint.

Mon souffle se bloqua dans ma gorge alors que je franchissais les derniers pas qui me séparaient de ma vengeance.

Il était là, dans une pièce immense que je reconnu comme sa chambre. Assis, il écrivait une lettre, et je pouvais devenir le pli sérieux de son front alors qu'il était concentré sur sa calligraphie qui avait toujours été illisible. Ses épaules, à peine plus bases qu'à son habitude, trahissaient la tristesse de son écrit. Comment pouvait-il daigner encore être malheureux après ce qu'il avait fait ? Après ce qu'il nous avait fait ? Il avait bafoué le nom que ma mère lui avait offert, il avait menti et envoyé des centaines d'hommes à la mort. Son équipage, si loyal, avait été décimé par sa trahison ou pendu par l'Alliance pour qu'il ne le rejoigne pas. Le sang de trop d'innocent tâcha ses mains qui tremblaient en écrivant ses mots.

Il m'entendit, je le vis au brusque silence de sa plume. Le grattement s'estompa, lentement, pour devenir un souvenir.

Il ne me fit pas l'affront de se retourner. Aurais-je pu continuer mon geste s'il l'avait fait ? S'il m'avait regardé droit dans les yeux ? Encore aujourd'hui je ne le sais pas. Je me souviens seulement du chant de l'acier alors qu'il glissait sur sa gorge et du sang qui s'écoulait sur le parchemin qu'il n'avait pas terminé. Ses derniers mots sont encore quelques parts, sauvegardé par mon frère.

Le reste n'est plus que souvenirs que j'ai voulu oublier.

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