La trahison de l'hippocampe

Deux ans avant le départ d'Alyena

Front contre front, nous n'étions plus qu'un. Un ensemble, un murmure, un soupir. Sa main se glissa dans la mienne, serrant avec fureur mes doigts moites. J'avais peur. De ce qu'il pouvait se passer, de ne plus entendre le cœur qui battait à l'unisson du mien ce soir. Une larme roula sur ma joue, lui arrachant un sourire. La pulpe de son pouce glissa sur mon derme, recueillant la perle saline comme un trésor qu'il lui fallait protéger. Ses yeux s'ancrèrent dans les miens. Il n'avait pas besoin de mot tant ses billes de givre parlaient pour lui. Pas besoin de l'ombre d'un murmure alors que je lisais en lui, alors que mes traits se plissaient un peu plus.

— Ne meurt pas Alekyne.... s'il te plait.

Il baissa la tête, attrapant l'ancre que j'avais toujours connu sur sa poitrine. Il l'ôta avant de le glisser à mon cou. Un seul regard de plus avant que je n'éclate en larmes, me blottissant contre son torse. Ce soir, je ne me sentais que trop faible.

Il s'éloigna pourtant, laissant glisser une dernière fois ses doigts sur ma joue. Je ne pus m'empêcher de le suivre des yeux, refusant de rejoindre la cabine qui nous était allouée. Il avançait jusqu'au pont, fier comme un roi, grand comme un dieu. Le cuir de ses vêtements gémissait encore sous la morsure du sel alors qu'il attrapait son arme. Il allait parler, discourir devant des hommes qui mangeaient chacun de ses mots. Je ne voyais qu'un mortel qui offrait son âme, une fois de plus, pour une cause que nous savions bonne. Mais plus encore, je voyais un héros qui ne serait jamais reconnu comme tel.

Rabattant la capuche d'un bleu de givre que je portais sur mon visage, je m'avançais à mon tour. Dans son ombre, toujours. Mais également à sa droite, comme un chant maudit qui murmurait à son oreille. Alekyne était la lumière, le fils prodige de sa reine de mère. Il lui ressemblait tellement. Je n'étais que des murmures. Les mêmes cheveux que mon père à l'exception de cette mèche trop royale, d'un blanc enneigé qui me disait mage. J'étais la fille de ce traitre. La même qui ne rêvait que d'enfoncer un poignard là, juste à la gauche de sa poitrine, dans son cœur mangé par les ténèbres d'Isadril. Il avait touché les cendres. Et son pavillon en était devenu rouge.

— Nous arrivons. Je ne vous mentirais ce soir. Nombreux sont ceux qui ne verront le petit jour. Nombreux sont ceux que nous pleurons à l'aube. Mais vous mourrez en héros, pour l'Alliance et la paix, contre ce démon perfide qui promet des mondes aux âmes faibles ! On me dit fils de traitre et j'entends ceux qui murmurent sur mon sillage. Mais cet homme que vous voyez derrière le pavillon sanglant n'est plus mon père. Vous l'avez connu quand son cœur n'était pas encore souillé. Il a commandé certain d'entre vous. Il a apporté des victoires plus puissantes que tous. On le disait aimé de Nigitsuvu et des dieux en personne. Mais ce général est mort. Nous creuserons sa tombe cette nuit ! Nous détruirons ces armées, nous détruirons les traites qui l'ont suivi dans sa quête folle. Aldrin a vendu l'ancre pour le sang. Nous gorgerons la mer de ce qu'il fait couler. Pour l'Alliance !

Le cri fut repris par les autre hommes, de plus en plus fort, comme un dernier appel à l'aide. Ils pouvaient le faire. Mais pas sans tâcher leurs âmes. C'était leur frère qu'ils allaient tuer cette nuit. Leurs frères corrompus par le pouvoir, par des mensonges. Combien de lames allaient s'enfoncer dans des poitrines qui avaient un jour chantées la même chanson ?

Mais je ne pouvais rien faire, juste regarder. Impuissante, pour la première fois de mon existence.

Alekyne revient vers moi et sa paume contre mes reins me fit frissonner. Son visage était tourné vers l'avenir, concentré, déterminé. Il avait l'air si absorbé par ses plans que je n'osais lui faire part de mes angoisses. Ils avaient trop d'écueils, trop de failles pour qu'ils puissent fonctionner sans accro. Mais Alekyne n'avait qu'un seul défaut. Cette confiance en lui que rien ne pouvait faire vaciller, cet orgueil que nul vent ne pouvait ébranler et qui le jetaient tout droit dans un piège.

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