L'appel du devoir
Dix jours avant le départ d'Alyena
Ils m'ont donné un ordre ce jour. Ils m'ont fait venir jusqu'à ce Conseil où je n'avais jamais mis les pieds. Leurs soixante regards pesaient sur moi comme autant de jugements et de questions muettes. Je voyais leurs lèvres bouger mais je n'en comprenais mots. La puissance de leur noblesse, la force de leur action me laissaient si petite face à eux. J'étais une lionne dans une cage, sous le regard des curieux. Une fille de traitre qui s'était inventée des titres et des rêves. Une femme qui ne laissait personne écraser sa fierté. Un animal sauvage.
Je n'étais pourtant rien de cela.
La tête haute, le regard franc, j'attendais que les mots se glissent jusqu'à moi. J'attendais qu'ils rendent leur jugement. Mais je ne baissais pas le menton, je ne détournais pas les yeux. Je les fixais, les uns après les autres, dans leur armure de fer et leurs robes de soie.
Dans un coin de la pièce mon frère dardait ses prunelles de glace sur ma personne. Il y avait pourtant le reste d'un sourire dans le feu de ses yeux mais son visage de guerrier ne laissait rien voir de ses pensées. Je voyais ses bras bandés et, derrière son dos, je pouvais sentir que ses doigts étaient croisés. Il espérait que je serais envoyée. Un honneur pour notre famille et notre nom. Notre si beau nom.
"Dame Nerehid. Vous êtes convoquée ce jour car nous avons besoin d'œil sur les agissements de l'un de nos bataillons, envoyé au Snoltimban. Des évènements atroces s'y sont déroulés. Vous devrez enquêter sur ces faits. Découvrir ce qu'il s'est passé. Comprendre pourquoi Ragnar a ... subit ce qu'il lui est arrivé".
Les yeux pétillants de question, je levais le visage vers celle qui avait pris la parole. Elle siégeait trop proche de ma mère et son regard était aussi glacée que les paysages du Nord. Je ne reconnus pas les blasons accrochés à son armure, griffons trop cabrés sur champs azuré.
"Nous savons tous que nous devirons envoyer quelqu'un de confiance et pas une enfant de traitre. Mais vous êtes la seule qui pourrait correspondre et votre frère a juré que votre allégeance n'allait à personne d'autre qu'à l'Alliance."
Mes poings se serrèrent, imperceptiblement. Une année ne leur avait donc pas suffit ? Mon père était mort, tué de ma propre main. Nous étions ensembles alors qu'il agonissait à nos pieds, nous étions tous les deux lorsque le dernier geste avait été porté. L'officiel m'enlevait pourtant la part belle alors que j'étais restée dans les ombres, laissant la lumière de Rodhan entourer les exploits de mon frère.
Je restais pourtant digne, droite comme un I alors que leurs regards se faisaient de feu sur ma peau claire. Personne ne viendrait me défendre ce soir. Alekyne n'avait pas le droit d'intervenir et jamais ma mère n'oserait ouvrir la bouche devant l'assemblé de ceux qu'elle considérait plus encore comme sa famille que nous.
Alors je choisi de la surprendre. De changer de l'enfant qu'elle avait connu, cette petite fille qui s'inclinait sagement devant ses paroles qui la détruisaient. Le buste droit, le regard aussi brulant que les flammes qui dansaient dans mes cheveux, je m'avançais sur le seul chuchotement de ma lourde cape contre le sol immaculé.
— Une traitresse. C'est donc seulement ainsi que vous me voyez ? La fille d'un homme qui vous a planté un couteau dans le dos et qui marche sur ces pas ? Oui, je ressemble à mon père. Mais saviez-vous réellement qui était Aldrin Nerehid ? Ce même homme qui vous a aidé contre des hordes de pirates que vous n'aviez jamais réussi à détruire avant qu'il n'arrive. Ce soldat de Nigitsuvu qui connaissait mieux encore les cieux étoilés et les milles mers que les meilleurs de vos navigateurs. Mon père était un grand homme et c'est sans même sourciller que je vous dis cela. Un grand homme qui a été empoissonné par les mots d'un démon. Dont les veines ont été remplies d'ombres alors qu'elles ne charriaient autrefois que de la lumière. Mon père a été corrompu et c'est pour cela que mon frère l'a tué. Lui que vous acceptez dans vos rangs alors qu'il porte le même nom que moi. Le nom de notre mère et celui de personne d'autre. Suis-je donc vraiment si différente qu'eux ? Je suis loyale à l'Alliance et je l'ai toujours été. Jamais, au grand jamais, je n'ai trahi et ne trahirai. Je ne suis pas la fille de mon traitre de père ou de ma grandiose mère. Je suis Alyena Nerehid. Juste Alyena Nerehid et je refuse que vous déclariez me connaître simplement sur les actions des autres. Ce ne sont pas ce qu'on fait mes parents qui définissent la femme que je suis.
Alors soit, jugez-moi pour des crimes que je n'ai pas commis. Condamnez-moi pour des actions sur lesquels je n'avais aucun impact. Mais ce n'est pas ainsi que fonctionne l'Alliance en laquelle j'ai toujours cru. Nous ne condamnons pas des innocents sur les faits de leur famille mais bien sur leurs propres faits. J'irais au Snoltimban si tel est votre désir et je serais vos yeux et vos oreilles. Et si j'obéis à vos ordres c'est car l'Alliance charrie une cause juste que j'embrasse de toute mon âme.
Le silence répondit à mon monologue. Leurs yeux ne me quittaient pas, encore étonnés des mots que j'avais osé prononcer. Mais je sus, au moment même où je vis le sourire de mon frère, que j'avais gagné. Que les mots avaient touché exactement où ils le devaient. Et que, dès la semaine prochaine, je partirais pour cette région dont je ne connais que des mythes.
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