De mémoire d'homme
Un an avant le départ d'Alyena
Entendre le chant des oiseaux avait toujours été un de mes passes temps préférés. Ça, et regarder mon frère apprendre à se battre. Il enchainait les passes d'armes, faisait des moulinets de son épée pour travailler la dextérité de son poignet et essayait de passer outre la masse de muscle qui se dressait devant lui. Père était un merveilleux enseignant mais il n'avait aucune pitié. Son fils devait être le meilleur, qu'importe que nous fussions encore trop jeunes pour réellement nous battre. Mais Père nous l'avait promis. Bientôt, il nous emporterait avec lui pour notre premier grand voyage, sur son bateau sublime qui mouillait au port depuis déjà quatre lunes. Il ne tarderait pas à repartir et je savais qu'Alekyne redoublait d'effort pour le satisfaire et nous permettre notre première véritable évasion Mère s'y opposerait, comme toujours. Mais voilà longtemps que Père n'écoutait plus les mots de celle qu'il aimait pourtant profondément.
Elle s'approchait pourtant, sublime dans la robe azurée qu'elle portait. C'était rare de la voir ainsi, loin de ces tenues protocolaires. Ses longs cheveux blancs flottaient dans le vent alors qu'elle s'accouda à mes côtés, regardant son fils et son époux se battre avec la fureur des guerriers oubliés. Comme à son habitude, il n'y avait pas un regard pour moi. Je ne lui apportais que de la tristesse... Elle ne pourrait jamais me marier, sachant déjà que je suivrais les vœux de la magie, que j'irais rejoindre des disciples qui ne voulaient que prier les dieux et, aux côtés du Conseil Sylvestre, accompagner la nature dans sa Grande Œuvre. Je n'avais plus aucune utilité si je ne pouvais transmettre un nom. Mais mon caractère n'était pas le sien et j'étais trop sauvage. Pas assez calme à son goût. Je tentais pourtant de faire des efforts chaque jour. D'attraper une partielle de son attention en lui prouvant que j'étais identique à elle et que je serais aussi une femme forte, dégageant ce même charisme qui avait séduit mon père.
Elle n'en écoutait rien, souriant seulement en observant Alekyne parer une passe qui aurait pu être mortelle s'ils ne s'étaient entrainés avec des épées en mousse.
— Tu as pris ta décision Aleyna ? demanda-t-elle.
Je baissais immédiatement la tête, comme prise en faute. L'ongle de mon index s'enfonça immédiatement dans la pierre, la griffant pour y puiser la force de regarder ma mère dans les yeux.
— Aldrin vous emmènera avec lui lorsqu'il quittera notre ville pour la baie d'Asurie. Tu es certaine de vouloir partir avec lui ? Tu n'es pas une navigatrice Aleyna. Tu es faite du même sang que moi et les femmes de notre famille ont toujours régné pendant que leurs époux guerroyaient. Tu es en âge de te fiancer, pas de partir Guthyce sait où.
Je tournais mes yeux vers elle, les iris brulants d'interrogation. C'était la première fois qu'elle m'offrait vraiment le choix, qu'elle me tendait la main pour un destin que mon sang me hurlait d'embrasser. La magie grondait dans mes veines, murmurait à mes oreilles. Le chant des armes et son vol funèbre n'avaient cet attrait enchanteur, n'attiraient mes doigts comme un poison. Je détournais les yeux, une seconde, retournant aux deux hommes qui se battaient en contre-bas, aux légers cris qu'ils poussaient à chaque fois que l'un d'eux feintait. Non.... Je ne pouvais pas.
— Ma place est auprès d'Alekyne mère. Vous le savez plus encore que moi. Nos destins sont liés, nos âmes entremêlées. Vous l'avez senti à l'instant même où vous nous avez donné la vie, alors que la magie clairvoyait sur ma peau. Je dois rester auprès de lui sans quoi il se fera tuer.
L'air se fit plus froid.
Intensément plus froid.
Elle ne m'avait pas quitté des yeux. Chaque mot que j'avais prononcé avait fait grandir un peu plus cette magie qui bruissait entre sa paume. Elle savait parfaitement que j'avais raison. La volonté des hommes n'était rien face à celles des dieux, encore moins lorsque ces derniers s'étaient penchés sur notre berceau. Sur celui d'Alekyne en particulier alors que le soleil de Rodhan avait embrassé sa peau, me laissant aux murmures de Guthyce et à sa magie.
— Très bien, part avec eux Aleyna. Mais soit certaine que tu ne deviendras jamais cette femme dont rêve notre famille. Tu n'es pas faite pour la lumière, juste pour les ténèbres. Et ce ne sont les dieux auxquels tu penses qui se sont penchés sur ton berceau. Tu es trop jeune pour le savoir mais tu t'en rendras compte bien assez vite. Il n'y a pas de lumière sans ombre, ne l'oublie jamais jeune fille.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top