la chute

S’éloignant du théâtre et de ses cris, de ses musiques lancinantes et des hurlements du public en plein émoi, d’un pas vif, le jeune noble anglais aux cheveux défaits, le visage encore maquillé, les joues faussement rouges, le teint blanchis par la maquilleuse du théâtre s’enfonce dans les rues d’un Paris sale et lugubre. Il croise une affreuse petite vieille couverte de fripes sentant abominablement les déchets et la saleté, qui lui demande d’une voix croassante quelques pièces, il lui jette un écu d’or qui brille un instant dans la nuit. L’insolence de sa jeunesse l’empêche de réaliser le danger de se trimbaler avec de genre de choses sur lui. Les vols sont monnaie courante par ici et s’achève bien souvent par la mort, quelque fois abominable de la personne agressée. Il ne sait pas ou s’en moque, il est loin de son Angleterre natale, loin de sa famille, loin de sa campagne rassurante mais d’un ennui mortel, loin de tous ces gens qui lui sorte des my lord à tout bout de champ, ici personne ne sait qui il est, et même si on le savait, tout le monde s’en ficherait. Dans ce Paris là, les titres de noblesse ne valent rien. C’est la bourgeoisie qui anime la vie des classes supérieures et quand aux plus modestes, ce sont les émigrants pleins d’énergie, les pub irlandais remplis jusqu’au plus tard de la nuit, les auberges, ces endroits là ne désemplissent jamais, et jusqu’à l’aurore on peut y boire et y danser.

C’est là où il se rend chaque soir, le petit lord anglais, se saoulant chaque soir ou presque avec ses amis issus de la troupe qui est rapidement devenu sa nouvelle famille. Il apprécie tout particulièrement la compagnie d’Hélène, la douce et belle créature aux cheveux blonds comme de l’or vivant, qui semble toujours appartenir à un autre monde. Cette belle enfant a des manières vulgaires, fille de prostituée elle a eu la chance de naître jolie et d’avoir une maman soucieuse de l’avenir de son enfant qui la plaça dans un orphelinat et lui déposa de l’argent régulièrement. Hélène avait une connaissance très forte de ses origines et n’en faisait nul mystère, peut-être était-ce cette audace là qui le séduisit en premier lieu. Ou fusse la manière dont elle le regardait sur scène, dont elle le touchait, comme s’il était unique. Son cœur imprenable et indomptable battait d’un rythme différent quand sa présence évoluait non loin de lui, lorsqu’il humait son parfum, forcément léger mais captieux. Ame solitaire, il s’était entiché de la jolie blondinette, mais n’en demeurait pas moins un saoulard assidu comme tous les gens du théâtre, il aimait déclamer de grandes tirades avant d’engloutir des quantités affolantes d’alcool, et quand il manquait de chuter, de rouler sous la table, et de s’abîmer en de multiples postures humiliantes dont il n’aurait le souvenir au lendemain, il évoquait alors un instant d’or, un moment où l’univers semblait avoir un sens particulier, où tout semblait alors possible.

Une nuit d’ivresse dans l’antique taverne abritant les instants d’or de notre petite troupe, le petit lord anglais se sentant à nouveau en sécurité dans les bras de cette diablesse de mirabelle dont il est excessivement friand, il s’y noya pleinement, et déclamait des répliques de Shakespeare avec un entrain positif quand il cru déceler dans la foule présente l’écoutant, laconique et penchée, une silhouette blême, blanche comme un fantôme, il s’interrompit et ni les insultes ni les encouragements ne purent le faire repartir. Demeurant muet de terreur, il resta figé dans cette posture étrange, les lèvres entrouvertes, les sourcils froncés, comme façonné par une terreur manifeste, il pensait avoir vu à nouveau le diable. Ivre, il ne pu le dire correctement, Hélène ne chercha à le comprendre, elle le trouvait trop ivre à son goût, quand à Julien il haussa les épaules. Plongé dans le désespoir, le petit lord ne put retrouver l’instant d’or et voulu rentrer plus tôt. Julien demanda à Hélène de le laisser aller.

Au dehors le froid humide parisien, l’odeur affreuse des ruelles sombres, tout cela ne le ralenti guère, il marchait vite, comme si le diable en avait après lui. Il se hâtait, jetant de temps en temps des regards derrière lui, inquiet. Seul, il se sentait la proie de cet indicible ennemi, prochaine victime, il se voyait déjà la gorge en sang, l’âme enchaînée en enfer. Quels crimes avait-il commis pour attirer un ange infernal comme cela ? Il se rappelait des mots jetés par Julien. Un pédéraste ? Etait-ce ainsi qu’était le diable ? Plongé dans ses pensées il ne vit pas la créature infernale qui se tenait devant lui, un sourire démoniaque aux lèvres.

Ses mains glacées saisir le petit lord frissonnant, ses yeux brillants d’un éclat surnaturel l’observait comme un bout de viande appétissant, sa langue passant sur ses lippes confirmait cette horrible idée.

« Tu pensais m’échapper, bel ange ? demanda le prince des enfers.

- Allez-vous en ! éclata Alessandro, de colère, de rage, brûlant.

- La revoilà, cette rage que la peur avait noyée, comme ton âme est rongée par elle. Ne te sens-tu jamais fatigué de la ressentir ainsi, de te laisser uniquement guidé par elle ?

- Lâchez moi, diable ! fit-il en repoussant l’ange démoniaque de ses deux mains le plus loin possible.

Cherchant à esquiver la fatale rencontre, le jeune anglais reculait, il aurait aimé pouvoir s’envoler comme une chauve souris, il aurait souhaité pouvoir revenir en arrière, échapper à ce sordide destin. Mourir ainsi, c’était idiot, n’est-ce pas ? Il n’y avait pas de plus idiote fin, lui semblait-il du moins.

Mais à peine eut-il fait ces quelques pas pour échapper à l’étreinte glacée que la créature démoniaque fut sur lui, en un clignement d’œil elle était là, omniprésente, terrifiante, glaçant le sang du pauvre Alessandro qui su que la fin était proche. Il ne pourrait y échapper, cet homme là n’avait rien d’humain et à présent qu’il était contre lui il pouvait sentir que cet être là n’était venu que pour lui apporter la mort, au moins saurait-il rester digne, ne pas supplier, ne pas geindre, ne pas s’humilier de la sorte. Il était un Llywlyn après tout.

- Tu comprends, n’est-ce pas, que tu n’as jamais eu le choix.

- Maintenant, oui, je le comprends. Qu’allez-vous faire, me tuer ?

- Oui et non, mon petit lord, je vais t’initier à un monde inconnu, t’y amener, mais tu devras faire tes adieux à la vie. Celle qui t’anime à présent va prendre fin, ça je te l’assure.

Le prince des enfers sourit, un sourire tendre presque, et tendit sa main caressant la joue chaude de l’enfant terrifié.

- Ta vision du bien et du mal en sera transformée, je crois, mais n’y-t-il rien de mieux au fond ? Que de changer de regard sur le monde… de comprendre que les limites qu’on percevait ne sont pas la fin, juste le début.

Disant cela il attira contre lui le petit lord anglais et l’enlaçant fermement ils commencèrent à décoller lentement mais sûrement du sol. Ne sentant plus aucune matière solide sous ses souliers, Alessandro manqua d’hurler de terreur. Il avait conscience, au fin fond de lui-même, que cette nuit serait sa dernière, et que les belles paroles du démon n’était faites que pour l’endormir, le soumettre à cette violation la plus profonde de son existence. Cependant, regardant en bas, réalisant que le démon volait et l’entraînait avec lui dans les airs, il senti un frisson l’entourer, gonfler son être, le changer irrémédiablement.

Tout ce en quoi il croyait, tout ce qu’il pensait être juste, tout cela s’effritait entre ses doigts. Il ne pouvait masquer son désarroi. Tout disparaissait dans une brume épaisse, le laissant seul face à ses contradictions, ses peurs et ses doutes. Avait-il été assez bon ? Serait-il en haut, au paradis ou en enfer ? N’avait-il pas haï profondément son père, et à cet instant encore, il ne pouvait lui pardonner ses erreurs, ne jalousait-il pas son frère, n’avait-il pas cette rage obscure en lui, cette colère envers un monde qui ne pouvait lui convenir, ne serait jamais à la hauteur de ses absurdes attentes. Non, il le savait, il finirait en enfer, brûlant pour l’éternité sur le bûcher des insanités.

- Quel dieu obscur questionne-tu ? Y crois-tu seulement ? demanda le démon.

Non, il n’y croyait plus, il avait renié ce dieu et ces croyances stupide, l’enfer cependant lui paraissait terriblement réel à cet instant, pourtant n’était-ce pas plus rassurant que ce qu’il avait finit par croire, qu’après cette vie là il n’y avait rien d’autre que le néant absolu ? Il frémissait de terreur à l’idée de disparaître. A tout jamais, non, il voulait marquer ce monde de son empreinte, ne jamais mourir, immortel.

- Pourquoi crois-tu que je suis là, mon enfant ?

Là dessus la créature infernale déposa son précieux chargement sur le toit instable d’un immeuble. La créature ne semblait craindre nullement la chute, pourtant le jeune lord savait que ces maisons là avaient vu leurs étages être ajouté au fil du temps et que plus on montait plus la construction était instable, quand au toit bien souvent fait de paille, il était risqué de s’y aventuré dessus cependant qui en aurait eu l’idée hormis les oiseaux ? Et cette créature diabolique.

- Abandonne toi aux ténèbres, déclama d’une voix douce l’enfant terrible, ne sens-tu pas ? Elles t’ont toujours attendus. Tu étais né pour les rencontrer, et en mon sein, les épouser.

Toute volonté de dignité l’abandonnait peu à peu, et plus les étoiles filaient dans le ciel plus il se sentait abattu. Quelles cartes lui restait-il encore ? Que pourrait-il bien faire si ce n’est chuter ? Oh il pourrait se jeter du toit, ce serait habile et facile mais quelle fin serait-ce là ? Il n’avait pas envie de mourir, ni ce soir ni jamais. Il devait combattre le diable, le repousser, devenir un saint comme il le voulait enfant, immortalisé comme celui ayant repoussé le diable voilà une image qui ne lui déplairait pas.

- Tant d’orgueil, tant de désirs, tant de courage, tu seras magnifique mon petit lord.

Alessandro méfiant recula, il commençait à comprendre l’enjeu de tout cela, ce n’était pas la parade de séduction de la mort mais de quelque chose d’infiniment pire que cela. Il ne pouvait pas laisser ce démon s’emparer de lui. Le pouvait-il ? Sa raison vacillait et sa colère s’était tapi quelque part, l’abandonnant, le laissant seul face à son désarroi, à ses peurs.

- Si beau, une œuvre d’art, un ange des ténèbres, tu seras infernal, ajouta-t-il en agrippant le bras du petit anglais, l’empêchant de tomber puis l’attirant à lui dans un mouvement gracieux. A tout jamais. »

Là dessus il le serra contre lui, le démon au cœur qui ne battait plus vraiment, à la silhouette infantile glacée, à la blancheur incandescente, à la pureté pâle, au visage masque de cire, aux yeux morts et vides, n’attendant qu’une chose pour se remplir d’une vie, le sang qui giclait, qui coulait, vermeille, le rouge s’étale, il s’écoule, il tapi les ténèbres, repeint les murs, et le toit, il rend tout plus fort, tout plus vivant, le sang passant de l’un à l’autre, la vie s’échappant, filant entre les doigts du petit lord, et les ténèbres emplissant son être, la froideur de cette mortelle étreinte avait teinté son cœur d’un fatal effroi. Il était immobile, comme statufié, quand la créature le vida, presque entièrement.

Un dernier battement, une dernière pensée, un pari projeté dans l’avenir. Mon dieu, faites que ses odieux mensonges soient vrais, que l’immortalité me guète, que tout ça ne soit qu’un passage… supplia l’enfant anglais alors que son corps était agité par les derniers soubresaut d’une vie qui l’avait épuisé, et qu’on avait siphonné en lui. Pâle comme la mort il expira une dernière fois. Et le silence finit par l’engloutir.

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