Araxie était en cours d'informatique. Cela faisait plusieurs semaines que leur professeure s'absentait et il y avait un remplaçant à la place. Il ne faisait pas grand chose à part rester devant son ordinateur et ne surveillait rien du tout. 

Araxie essayait de travailler sur ses tableaux Excel, histoire de ne pas prendre du retard sur les devoirs que la professeure avait envoyé par email. 

Pourtant, autour d'elle personne ou presque ne se mettait au travail. Un roux au cheveux bouclés qui répondait au nom de Russel, assis à sa droite, était en train de chercher le profil Facebook de quelques roumaines dans leur année et en profitait pour les traiter de "sales p*tes romanichels" en compagnie d'un autre garçon roumain, Emil.

À sa gauche, un garçon noir du nom de Miguel, s'amusait à activer et désactiver le wifi de tous le rang en débranchant des cables. Voyant sa page de Microsoft online disparaître, Araxie comprit qu'il avait réussi. 

Si elle avait été en Arménie, elle aurait pu remettre le garçon à sa place et lui dire d'arrêter de faire des conneries, que certaines personnes avait envie de travailler. Mais là, elle se taisait. Ces garçons lui faisaient peur. Elle ne savaient même pas comment dire "connection internet" en anglais. 

Miguel se tourna soudainement vers elle pour la deuxième fois:

— Ta connection Wifi non plus ne marche plus? Ô mon Dieu, je me demande ce qui arrive? 

Araxie ne répondit pas, faisant semblant de ne pas comprendre le manège auquel il se livrait. À quoi bon de toute façon? Elle ne savait pas de quoi ces garçons étaient capables. Et elle ne pourrait même pas communiquer si ils lui faisaient quelque chose. Elle ne pouvait pas gémir et crier comme Lexie le faisait tout le temps. 

Russell brandit soudainement la main: 

— Monsieur Davies! La connection ne marche plus. 

Monsieur Davies l'ignora. 

— Monsieur Davies! Pourquoi est ce que vous m'ignorez! C'est vraiment pas sympa ça! Venez voir Monsieur Davies. 

Le remplaçant soupira bruyement avant de s'approcher. 

— Qu'est ce qu'il y a Russell Lewis? T'en a pas assez de m'avoir déjà embêter la matinée en Physique?  

— Mister Davies, il y a quelqu'un qui s'amuse à couper la connection, on ne sait pas qui c'est! Est ce que c'est toi? demanda soudainement Russell en se tournant vers Araxie. 

— Non, dit-elle. 

Ce stupide crétin, pensa-t-elle. Elle avait envie de le dénoncer mais savait qu'il nierai tout d'un bloc. Et puis peut-être qu'il essaierai de se venger sur elle aussi. 

Le professeure rebrancha le cable wifi avant de se rasseoir à sa place. 

Aussitôt que ses fesses furent posé  sur son fauteuil à roulette, Miguel avait de nouveau débranché le cable. 

Abandonnant tout espoir de finir ses devoirs, elle tourna à la dernière page de son cahier d'informatique et commença à écrire sur une feuille qu'elle avait coincé là exprès. 

"Je me déteste. Je déteste les gens autour de moi. Je déteste cet endroit. Je déteste ce pays. Je déteste ma faiblesse. Je déteste ces garçons assis à côté de moi. Il y a ce garçon que j'aime, mais lui aussi je le déteste, car il est incapable de me manifester de l'amour en retour. Il m'ignore chaque jour comme si je ne valais rien. Comme si je n'existait pas. 

Je n'ose pas croiser son regard, parce que, que se passerait-il si il devinait jamais? Il l'ignorerait de plus belle, sans doute. Il me traiterait comme de la boue sous sa chaussure. 

Pourquoi est ce que tu ne me regarde pas dans les yeux? Pourquoi est ce que tu ne comprends pas enfin? Pourquoi est ce que tu te comportes comme si tu me détestais, que je ne mérite même pas qu'on m'adresse la parole? 

J'aimerais me perdre dans tes yeux, envahir chaque parcelle de ton âme, j'aimerais panser chaque blessure que tu as pu vivre avec un baiser et un pansement. Peu importe le nombre, chaque blessure sera guérie par mes soins. 

Je veux que tu arrête de m'ignorer, je veux que tu comprennes à quel point mon coeur saigne de t'aimer et de rencontrer seulement de l'indifférence. 

Pourquoi? Pourquoi est ce que de nouveau je me sens envahie par ces sentiments? Pourquoi est ce que après t'avoir ignoré pendant si longtemps et ce que maintenant je suis irrémédiablement attirée à toi? 

Je ne le saurais jamais, pourtant, j'aurais aimé, qu'est ce que j'aurais aimé... Que tu continues à me porter les sentiments d'antant. 

Je t'aime et je me déteste de t'aimer autant." 

— Que fais tu? demandant soudain une voix nasillarde qui venait de plus haut. Araxie sursauta pour setrouver nez à nez avec Monsieur Davis. Ses airs revêches et ses sourcils fins ne manquaient jamais de l'intimider. 

— Tu n'est pas en train de travailler. 

Araxie bégaya un instant: "L'ordinateur... Ça ne marchait plus..."

— Ça marche maintenant, dit-il en pointant vers son écran où en effet les tableaux Excel avait réapparu. 

— Je vais le faire tout de suite, dit-elle. 

— Allez, et cesse de gribouiller n'importe quoi en cours. 

Elle entendit Russel et Miguel ricaner. 

Araxie jeta un coup d'oeil à sa page remplis de caractères arméniens. Il n'y avais plus de place sur le verso. Araxie la plia en deux et la mis dans sa poche. 

Avant que cette peste ne revienne m'embêter.

Quand la cloche qui annonçait la fin de la leçon retentit, Araxie fut bien contente de sortir. Elle resta longtemps à ranger ses affaires, attendant que tous les garçons soient sortis. Ils étaient brutaux et sans égards et elle avait tout le temps peur qu'ils la poussent. Il n'y avait qu'elle et trois autres filles dans cette classe. Et encore, elles étaient la plupart du temps absentes comme aujourd'hui. 

Ce n'est que en voulant sortir la feuille de papier dans sa poche pour continuer son écriture à l'heure de la pause qu'elle se rendit compte qu'elle l'avait perdue. Elle sortit son cahier d'informatique et vérifia la deuxième page. Vérifia dans la poche de son uniforme. Rien du tout. Elle avait dû la faire tomber. 

J'espère que ce crétin de Russell ne la pas prit, pensa-t-elle. Il pourrait utiliser Google traduction et savoir tout ce qu'elle avait écrit. Et il l'utiliserait sans doute pour se moquer d'elle dès qui le pourrait. Dieu seul savait de quoi était capable cet effronté. 

Elle accosta Shireen, la fille syrienne qui l'avait invité à la table où elle s'asseyait le premier jour car elle était chargé de l'aider à trouver les classes. Elle n'avait pas cesser de s'asseoir à cette table depuis. 

— J'ai perdu quelque chose en cours d'informatique dit-elle, et j'en ai besoin, est ce que tu sais comment je pourrais le récupérer? 

— C'était quelque chose d'important? demanda-t-elle. 

— Non, juste un truc que j'ai écrit sur du papier, mais je ne voudrait pas que quelqu'un le trouve. 

Shireen aqcuiesca.

— Laisse-moi finir de manger et on ira voir si la classe d'informatique est ouverte. 

Elle se dirigèrent toutes les deux vers la classe. La porte était pourtant irrémédiablement fermé. 

— Tu peux voir ton papier à travers la fenêtre de la porte? demanda-t-elle. 

— Non, déclara Araxie, j'étais assise au fond. 

— On va demander à Mr Lucas, peut être qu'il pourra nous aider. 

Shireen se dirigea vers le Head of year qui mangeait debout au milieu de la cantine. Araxie l'observa lui chuchoter quelque chose. L'expression de Mr Lucas ne smeblait pas très concluante. 

En tant que déléguée, Shireen était très bonne pour communiquer avec les autres. Araxie l'admirait. 

— Mister Lucas a dit que les classes restent fermées pendant la pause et qu'il y a une leçon après. Peut-être que tu pourras y aller rapidement avant ton prochain cours? 

—  Merci, dit Araxie. C'était très gentil de ta part. J'espère que personne ne l'a déjà trouvé. 

— T'inquiète pas, haha. Qu'est ce qu'il y avait de si important de noté qui te mets dans une telle panique?

Araxie ne répondit pas. 

Plus tard, Araxie oublia complètement d'aller en informatique voir si son papier y était toujours. Elle avait en effet oublié de faire son devoir de maths et avait passé le reste de la pause à le faire avant d'aller à son cours à la hâte.

Quand à la fin de la journée le mot lui revint à l'esprit, elle alla dans la classe d'informatique où une femme de ménage s'affairait, pour trouver son papier intact dans un coin sous la table. 

Dieu merci, pensa-t-elle en inspirant profondément. Elle avait eu peur.