Plus tard, à la sortie de l'école, alors que Zohrab sortait des toilettes, Selana l'accosta. 

— Ça te dirait qu'on  marche ensemble pour rentrer? 

Zohrab la regarda, hébété.

— Euh.. Moi et toi? Bien sûr. 

Elle sourit. 

— Cool alors! Tu habite où? 

— Oublie-moi! Quel chemin est ce que tu prends pour rentrer?

— Je vais à droite, indiqua-t-elle. 

— Moi aussi alors, répondit-il un sourire charmeur plaqué sur les lèvres. 

Quelque pas plus loin elle sortit une vapotte multicolore de sa doudoune cintrée. 

— Tu fumes? demanda-t-elle.  

— Bien sûr, fit-il. Mais pas ça. ca c'est pour les filles. Moi, je fume de vraies cigarettes. 

Un regard amusé se joua dans ses yeux bleus. Zohrab remarqua qu'une partie des ses faux cils menaçait de se détacher. Il n'aurait jamais deviné que ce n'était pas ses vrais cils. Elle savait bien s'y prendre. Il la regarda inspirée une bouffées. Une odeur de  fraise parvint à ses narines.  Son regard descendit des paupières de Selana vers ses joues. Il remarqua son teint unifié. Elle avait l'air d'utiliser beaucoup de produit.On aurait presque dit les mauvaises finitions d'une poterie en cours d'art. 

— Alors dis-moi, dit-elle, qu'est ce que tu fais de ton temps libre? 

— Pas grand chose, dit-elle. Je regarde des séries. Tu connais Pretty Little Liars?

— Non. T'es dans quel classe? 

— 11 HP. 

— Comment ça se fait que t'es dans la classe des nerds? 

— Ha! Tu veux dire que j'ai l'air potiche? 

Zohrab s'arrêta. C'était un piège. Il ne fallait pas dire oui. 

— Nan, bien sûr. C'est juste que comme t'a pas l'air de trop faire attention en  cours, bah je me suis dit que tu devais être un peu comme moi. 

Elle ricana: "Et toi tu fais quoi quand t'as pas cours?"

— Je sais pas un peu de tout. Du sport, du foot, je sors avec les gars..

— Les gars, hein. C'est qui les gars?

— Bah Dan et les autres. 

Selana lui jetta un regard de côté. 

— C'est ton pote Dan? 

_ Bien sûr! Un de mes meilleurs amis je dirais. 

— Comment est-ce que vous vous êtes connus? 

_ Bah on s'asseyait à côté en cours et puis voilà on a commencé à se parler. 

Elle aquiesca. 

— Pourquoi tu demande ça, fit Zohrab qui commençait à trouver que la conversation ne prenait pas le tour qu'il aurait voulu. 

— Rien, je veux juste en savoir plus sur toi, dit-elle en plongeant son regard dans le sien. 

Zohrab s'arrêta. Il ne pouvait pas fixer ce regard et continuer à marcher. 

— T'as de beaux yeux, déclara-t-il. 

Selena ne dit rien et continua à le fixer. 

— Je vais devoir y aller dit-elle enfin. J'habite juste là. 

_ Où? 

— La porte juste en face. 

— À demain alors. 

Selena ne répondit pas. 

Sur le chemin du retour, Zohrab ne pouvait contenir son euphorie. Enfin une fille s'interéssait à lui! Et jolie en plus! Et c'était elle qui était venue le voir. C'était comme si il avait gagner à la loterie. 

Peu importait qu'il doit marcher deux fois plus pour rentrer! Il courait, sautait, ralentissait, serrait les poings, les desserrait. Il ne savait plus vraiment ce qu'il faisait mais une chose était sûre. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi heureux. Le détour avec Selana avait avait le coup. C'était comme si son coeur après avoir hiberné si longtemps retrouvait de la vigueur, que son sang battait de plus belles dans chaque artère, que les parois de chaque veine se contractait plus rapidement. 

Il voulait Selena et manifestement elle voulait de lui aussi. 

***

Quand il rentra chez lui, Zohrab se dirigea directement vers sa chambre. L'excitation de sa rencontre avec Selana se mêlait à une tension sourde dans son estomac. Il alluma son ordinateur portable, celui que son père, la lumière bleutée illuminant son visage.

Il savait qu'il devrait peut-être arrêter. Une pensée fugace traversa son esprit, mais elle fut vite engloutie par une pulsion irrésistible. Le besoin était trop grand pour que cette réflexion dure plus de cinq secondes. Il se sentait attiré par cette bouffée d'adrénaline qui ne manquait pas de le satisfaire.

Il navigua rapidement sur son site habituel, les images colorées attirant son regard comme des phares dans la nuit. À chaque clic, une vague de chaleur et d'excitation déferlait sur lui, un soulagement momentané qui annihilait toutes les autres pensées.

Les instants se transformèrent en minutes. Lévon n'allait pas tarder à rentrer lui aussi. 

Zohrab était là, captivé par des scènes qui, bien qu'éphémères, prenaient le pas sur tout le reste. Les discussions avec Selana, les rires partagés... tout semblait si loin devant le plaisir instantané qui s'offrait à lui.

Il entendit soudain un bruit. Est ce que Lévon était déjà rentré? Il baissa soudainement le son, réduisant la page, ouvrant une autre sur Youtube. Cliquant sur la première icône. Il fallait toujours être sur ses gardes. il ne pouvait pas risquer d'être surpris. 

Il s'arrêta un instant, haletant, son cœur battant à tout rompre. 

Il écouta circonspect. Il n'y avait encore personnes. Il avait eu peur. 

Il sursauta une seconde fois lorsque qu'une vibration se fit sentir sur son lit. C'était un message de Dan. 

« T'as vu Selana aujourd'hui? On devrait tous sortir ensemble! » 

Zohrab sentit une boule d'anxiété se former dans son ventre. Il jeta rapidement un coup d'oeil à l'écran de l'ordinateur qui semblait l'appeler. L'idée de passer du temps avec ses amis, de vraiment interagir avec Selana, l'effrayait. Que dirait-il? Comment pourrait-il se comporter alors qu'il se sentait si sale, si honteux. 

Il hésita à répondre avant de reposer le téléphone. 

Que penserait Selana si elle le découvrait jamais? Elle le rejetterait sûrement. Elle ne devra jamais savoir. 

Il retourna à son écran, mais l'excitation avait laissé place à un vide immense. Il se rendit compte que, même pendant ces moments de plaisir, une ombre pesait sur lui.

Le regard perdu dans l'écran, il se mit à penser à Selana. Le contraste entre leur rencontre joyeuse et son évasion maladive l'attrista profondément. Ce qu'il avait ressenti en sa présence semblait infiniment plus précieux que ce qu'il cherchait désespérément à oublier sur son écran.

Il voulait ce bonheur, pas ce soulagement fugace.

Alors que son cœur battait plus vite, il se leva brusquement, se sentant pris au piège dans sa propre chambre. Les murs semblaient se resserrer autour de lui, chaque objet lui rappelant sa faiblesse. 

Il devait agir. il en avait marre de se sentir constamment coupable. Zohrab savait qu'il ne pouvait pas résoudre ce problème seul, mais il ne savait pas par où commencer. Parler à Dan?  Au fond de lui, il savait que Dan dirait que c'état absolument normal, que tous les gars faisait ça et qu'il devait arrêter de faire la donzelle. Pourtant sa conscience lui soufflait que c'était faux. Ce n'était pas ainsi qu'il voulait être. Pas ainsi qu'il avait imaginé sa vie.  

Il jeta un dernier regard à l'écran, puis ferma l'ordinateur avec une telle force qu'un bruit résonna dans la pièce. La solitude qui l'enveloppait devint étouffante. Il se laissa tomber sur son lit, le cœur lourd, l'esprit tourbillonnant de pensées contradictoires. 

La lutte entre le désir de changement et l'attraction du confort était devenue insupportable.

En un mot, Zohrab était perdu.