4. Angela
Qu’est-ce que je disais hier déjà ? Pas d’ombre au tableau ? J’aurais mieux fait de la fermer.
— C’était qui cette nana ? me questionne Flavia à peine Sélenne a-t-elle quitté la pâtisserie.
— C’est la compagne de l’homme avec lequel Adriano avait rendez-vous hier soir. Son mari a disparu depuis.
— La belle affaire ! Elle vient faire appel à ta solidarité féminine pour que son mari réapparaisse, plaisante-t-elle en passant un coup de balai.
— Adriano est injoignable depuis hier également. Je l’ai vu juste avant qu’il ne reçoive ce Anton Yourevenev.
— La mafia russe ? J’n’aime pas ça ! Qu’est-ce que tu comptes faire ? s’étonne mon employée alors que j’ôte ma robe et enfile un jean et des baskets que je garde toujours à la boutique.
— Je vais au Cabaret pour voir avec les quelques hommes qui seront présents si l’un d’entre eux a des informations.
— J’appelle Mathéo tout de suite pour qu’il t’y rejoigne. Tu ne dois surtout pas rester seule tant que l’on ne sait pas ce qu’il se passe.
J'acquiesce en passant mon pull. Le vent souffle dehors et les températures ont encore un peu chuté. Je prends mes précautions, boutonne mon manteau et enroule une écharpe autour de mon cou.
— Il ne répond pas, s’impatiente Flavia en tombant sur le répondeur de son beau-frère pour la troisième fois.
— Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à disparaître !
L’inquiétude laisse place à l’angoisse, voire la paranoïa. Batista est absent, car il a emmené Julia passer Noël en France. Tony est avec sa femme dans sa famille en Sardaigne. Il ne restait que Mathéo pour assurer notre protection rapprochée.
— Angela, attends ! me retient-elle alors que j’attrape mon sac à main. Tu ne peux pas te balader dans Centori alors qu’Adriano n’est pas là et avec une inconnue qui plus est. Si ça se trouve, son mec retient le tien et tu vas direct dans un piège.
— Je sais reconnaître une femme inquiète pour son bandit de compagnon, et elle l’est.
— Tu m’appelles toutes les demi-heures, m’ordonne-t-elle angoissée.
Je l’embrasse avant de quitter les lieux et qu’elle ait le temps de me transmettre sa peur. J’ai assez à faire avec la mienne.
Je presse le pas sur l’artère principale décorée avec goût par l’association des commerçants. Guirlandes lumineuses, sapins et ours polaire ont envahi le décor urbain. Il ne manque que la neige pour parfaire les fêtes de fin d’année. Et Adriano !
Une fois à l’intérieur du Cabaret, je bloque quelques secondes sur le pas de la porte. Le silence m’accueille, ce qui est impensable. Le lieu est vide. Personne. Aucun des hommes du clan Alario n’est là. Comme si tout était figé. Je redoute le pire. Et si Adriano avait dû ameuter tout le monde pour un différend majeur ? Non, il m’aurait fait prévenir d’une manière ou d’une autre. Réunir ses meilleurs hommes à un seul et même endroit est une mesure qu’il s’était interdit de prendre à nouveau. Cette erreur lui a coûté cher par le passé. Il n’y a pas un jour où il ne se reproche pas ce drame.
Je me dirige vers son bureau, mais sans surprise, il ne s’y trouve pas. Je prends place sur son siège et réfléchis. Adriano ne m’aurait jamais laissée seule, de son plein gré, sans personne pour veiller sur moi. Je refuse de déranger Batista et Tony durant leur congé. Pas tant que je ne cours aucun danger en tout cas. Je tente, par acquis de conscience, de joindre à nouveau mon mari. En vain. Mes yeux se baladent sur son bureau à la recherche d’un indice quelconque. Je me mets à fouiller dans chaque tiroir. Il faut que je trouve un début de piste. Je ne peux pas rester ainsi dans l’ignorance. Je tombe sur un portable que je n’ai jamais vu jusqu’ici. Il n’est pas verrouillé et un seul numéro figure dans la liste des appels entrants.
Sélenne fait son apparition dans le bureau d’Adriano en toute discrétion, arme à la main. Elle est prévoyante ! Ça ne m’était même pas venu à l’esprit en entrant ici.
— Il n’y a que moi, tu peux baisser ton flingue s’il te plaît.
Elle s'exécute avec un demi-sourire gêné. Son expression me fait comprendre qu’elle n’a rien de neuf à m’apprendre et que son homme n’est pas réapparu par magie.
— Bon, ça pue ! lui confirmé-je la situation en l’invitant à s’asseoir comme le fait mon mari avec ses hommes. Jamais le Cabaret n’est vide. J’ai trouvé ce cellulaire dans le tiroir avec un seul numéro dedans. La conversation remonte à hier, à peu près une heure après que j’ai quitté mon mari et n’a duré que deux minutes.
— Il devait être avec Anton à ce moment-là. On attend quoi pour rappeler ? me demande-t-elle en haussant les sourcils.
J’appuie sur le combiné vert de l’écran et enclenche le haut-parleur afin qu’elle puisse écouter. J’inspire un grand coup afin de garder mon calme et ne pas laisser la peur qui prend de plus en plus de place à mesure que le temps passe me submerger. La tonalité résonne plusieurs fois avant de basculer sur un répondeur impersonnel. Je raccroche en grognant avec l’envie de le balancer contre le mur. En face de moi, mon amie d’infortune semble, elle aussi, désemparée.
Qu’allons-nous bien pouvoir faire maintenant ? Je mesure l’ampleur de ce qu’Adriano a dû ressentir lors de mon rapt et qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où je me trouvais. Les rôles sont inversés aujourd’hui et c’est à mon tour de lui venir en aide.
Un bip indiquant la réception d’un message nous sort de notre état de léthargie momentanée.
De numéro inconnu :
** Rendez-vous à la casse à 18 heure avec 5 kg de came, si vous voulez revoir vos chefs. **
Nous n’avons pas besoin de nous concerter pour répondre. Les mots volent sur le clavier au son de mes ongles :
** Qui êtes-vous ? **
De numéro inconnu :
** Je suis celui qui détient le chef Alario et son ami russe Yourenev. Si la quantité convenue est livrée, ils vous seront rendus en un seul morceau. Sinon... Je ne vous conseille pas de mettre à mal ma patience. **
— Tu as une idée de qui cela pourrait-être ? m’interroge Sélenne.
— Non, soufflé-je désemparée face à cette demande. Adriano ne me parle pas de ses affaires. Moins j’en sais, mieux c’est, selon lui.
Son air renfrogné me laisse penser qu’elle n’est pas d’accord avec ça. Son homme partage-t-il avec elle sa part d’ombre ?
— Quoiqu’il en soit, on a que quelques heures pour deviner où trouver la quantité de drogue que nous devons rapporter au rendez-vous.
Je pouffe de façon grotesque en me levant pour nous servir un remontant. Je ne sais pas pour elle, mais moi, j’en ai besoin.
— J’ignore comment vous gérez au sein de votre couple l’aspect des activités d’Anton, mais de mon côté, je ne m’en mêle pas. Adriano n’évoque pas les sujets délicats en ma présence.
Je lui tends le verre au liquide ambré dans lequel elle ne tarde pas à tremper ses lèvres rouges.
— Ce qui signifie que je n’ai aucune idée de l’endroit où la réserve de drogue du clan se trouve.
— Vous êtes plutôt conservateurs en Italie, la femme à la maison et l’homme au travail ? ironise-t-elle en haussant ses jolis sourcils roux. Mon histoire a très mal commencé avec le Russe, mais maintenant j’ai toute sa confiance. Il me laisse même l’aider dans la mesure de mes possibilités. Je suis assez douée avec un PC.
Elle fait mine d’observer ses ongles puis se frotte une épaule, très contente d’elle.
— Y a-t-il ici, un sous-fifre que tu pourrais… je ne sais pas moi… convaincre d’une façon ou d’une autre de révéler où il entrepose sa came et dans quelle quantité il réalise ses ventes ? Peut-être même, l’obliger à répondre à nos questions sur ce mystérieux acheteur. Je suis armée, et je sais m’en servir, affirme-t-elle en désignant le flingue qu’elle a rangé dans un holster sous sa veste.
— Je n’aime pas trop cette idée, mais je crois que nous n’avons pas le choix. Par contre, je te préviens, inutile d’utiliser la force.
— Comment comptes-tu faire dans ce cas ? Ces mecs-là ne sont pas des enfants de chœur.
— Crois-moi, je suis peut-être dans l’ignorance des affaires illégales du clan, mais en ce qui concerne les membres, même au plus bas de l’échelle, j’ai gagné leur profond respect. Il suffira que je demande gentiment pour obtenir ce qu’on veut.
— Je demande à voir…
— Ton manque de confiance en moi est presque insultant, répliqué-je dans un demi-sourire en remettant mon manteau. Allez, en route, le temps joue contre nous.
Sélenne et moi déambulons dans les rues de Centori et je nous guide vers la faculté de médecine. Le froid s’infiltre malgré les couches de vêtements dont nous nous sommes couvertes. Ma longue chevelure blonde virevolte dans tous les sens à cause de la brise soufflante, mais cet air glacial me permet de garder les idées claires. Ne pas céder à la panique. Je n’ai aucune idée de ce qui nous attend à la casse, il est inutile de cogiter de trop, nous devons procéder par étape. Et la première est que je réussisse la prouesse de me faire remettre de la drogue par l’un des hommes d’Adriano. Va falloir que je me montre persuasive. Un signe de tête à Sélenne en direction d’un jeune homme en retrait et elle comprend qu’il est celui que nous venons voir. Il nous repère également et sourit en me reconnaissant.
— Signorina Alario ? On vous voit rarement dans le coin.
— C’est parce que j’ai rarement une amie pour m’accompagner dans mes balades. Comment va ta grand-mère ?
— Très bien, grâce à vous. Cette maison de repos est parfaite pour elle. Je ne vous remercierai jamais assez, vous et le Capo.
— Justement, j’aurais un petit service à te demander.
— Tout ce que vous voudrez Signorina Alario.
Quelques minutes et précautions plus tard, ma nouvelle amie venue d’outre-Atlantique en reste bouche bée alors que le dealer me remet des petits sachets de coke dans mon sac à main. Eh oui, les hommes de ce clan, aussi baraqués et intimidants soient-ils, me mangent dans la main.
— Il n’y a pas à dire, mais il doit vraiment aimer sa grand-mère, ricane-t-elle.
— Nous, les Italiens, avons le sens de la famille.
— Je dois en avoir dans le sang alors, même si mes origines sont irlandaises.
Elle laisse un silence s’installer pendant que nous nous éloignons suffisamment.
— On a toujours un problème. Il n’y aura pas assez de drogue et nous ne savons rien de plus sur l’acheteur.
— Tu n’es pas du genre à te réjouir facilement, je me trompe ? ne puis-je m’empêcher d’être sarcastique alors qu’elle enterre déjà notre petite victoire.
— Malheureusement, la vie m’a appris à être prudente. Le destin n’est pas mon ami.
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