5 - WARREN.

Je regarde la Tour Eiffel de l'autre côté de la Seine, une cigarette à la main. Assis sur les quais, je profite de ma dernière heure de tranquillité à Paris avant l'effervescence de mon vol retour pour les États-Unis.

À nouveau, d'ici quelques heures, je serai au commandes d'un avion de la Delta Airlines, en route pour retrouver Samuel, même si j'aurais aimé passer ce réveillon du 31 Décembre avec lui. À la place, malheureusement pour nous, je serai à des kilomètres au-dessus de l'océan lorsque les feux d'artifices exploseront à New-York.

D'ailleurs, en parlant de Samuel, je n'ai toujours pas de nouvelles de sa part. Je le soupçonne d'être parti passer les fêtes chez sa soeur, avec Eden, manière de ne pas être tout seul. Et ça me plait d'imaginer ça, car je sais à quel point ils le rendent heureux. À chaque fois que je le vois avec son neveu, je ne peux m'empêcher de rêvasser à avoir un enfant avec lui, convaincu qu'il serait un père génial.

J'ai toujours voulu être père et, avant notre rencontre, j'étais convaincu que je le serais un jour. Car j'étais attiré par les femmes et que, du point de vue d'une certaine norme, cela aurait été la suite logique de ma vie. Seulement, Samuel est arrivé et tout a été chamboulé. Si un couple gay peut aujourd'hui se marier et adopter, je sais à quel point cela peut être compliqué. Et, surtout, je ne sais pas si c'est ce que Samuel souhaite.

J'écrase ma cigarette sur un muret et jette le mégot dans une poubelle. Je marche les quelques cinq-cent mètres qui me séparent de mon hôtel les mains dans les poches de mon manteau, les doigts fermement agrippés autour de l'écrin récupéré plus tôt ce matin, le coeur battant à mille à l'heure dans ma poitrine. Avoir un enfant avec lui, j'en rêve. Mais je suis un type qui a été élevé dans la tradition et, pour moi, il y a des étapes à suivre : la première étant de le demander en fiançailles – ce serait un bon début.

Je quitte l'hôtel rapidement après y être revenu, mes valises à la main. Prêt à embarquer, vêtu de ma tenue de pilote, je ne passe pas inaperçue dans le hall. À une époque je me serais formalisé des regards pétillants des femmes, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Au contraire je trace la route, pressé de rallier l'aéroport, comme si cela allait me permettre d'arriver plus tôt à NYC. Je saute dans un taxi, indique le terminal où je dois me rendre, m'installe à l'arrière et boucle ma ceinture. Durant le trajet, je ressasse ces quelques jours passés à Paris, à cette foutue réunion emmerdante à mourir entre les pilotes de la Delta et d'Air France affectés aux liaisons Paris-NewYork, loin de Samuel. C'est incroyable à quel point il me manque dès qu'il n'est pas là.

Il est devenu mon tout. Mais malgré ça, j'appréhende de lui faire ma demande. Après tout, après seulement presque un an passé ensemble, il pourrait flipper. Penser que cela va trop vite. Peut-être même est-ce le cas, mais pas pour moi. Je suis sûr de moi, de mes sentiments et de ce que je veux pour l'avenir. Je le veux lui. Je n'ai jamais été aussi sûr de moi de toute ma vie. En fait, je pense que je le veux depuis ce jour où j'ai croisé son regard pour la première fois. Je ne croyais pas au coup de foudre mais notre rencontre m'a prouvé le contraire. C'était le destin – notre destin.

Mes appréhensions me quittent dès mon arrivée à l'aéroport. Cette effervescence si particulière dans les allées, je l'aime plus que tout au monde – mettant Samuel à part bien sûr. Ici, je me sens comme un poisson dans l'eau, dans mon élément. Les aéroports et les avions ont le don de m'apaiser instantanément lorsque quelque chose me tracasse. Dès l'instant où je monte à bord, à moins d'une heure du décollage, je ne pense plus à rien d'autre qu'à mon plan de vol. Comme l'appareil le sera jusqu'à JFK, je suis en mode « pilotage automatique » et applique les procédures et contrôles avec précision, consciencieux. Ce soir encore, je compte amener mes passager à bon port sans le moindre problème.

WARREN : Je vais décoller. J'ai hâte de te retrouver.

J'envoie ce message à Samuel avant de me préparer au décollage et d'éteindre mon téléphone. Je le range dans mon bagage et me réinstalle à mon siège, prêt à prendre mon envol.

Nous quittons le sol parisien à 23h15 précises et je suis confiant quant à la suite du voyage. Parfois, en hiver et notamment au-dessus de l'Atlantique, les conditions météorologiques peuvent être fastidieuses à gérer. Ce soir, comme si la planète avait décidé de nous foutre la paix, le temps sera plutôt clément. Le trajet devrait se dérouler sans d'énormes turbulences ni traversée de masses orageuses.

— Je prends le relais ?

C'est alors que nous traversons paisiblement l'Atlantique que je laisse le manche à Terry, qui vient de débarquer dans le cockpit, reposé et frais. Pour ma part, je ne suis pas contre une petite coupe sans alcool et quelques minutes de précieux sommeil, après la journée mouvementée que j'ai eue et ces trois premières heures de vol vers ma ville natale.

Je quitte le cockpit et c'est Ronald, l'un de nos steward et chef de cabine du jour, qui me gratifie le premier d'un sourire bienveillant.

— C'est l'heure de la pause ?
— Et comment. Je vais aller me rafraîchir un peu.

L'avion est doté d'un petit espace bar, dédié exclusivement aux passagers de business ou première classe. Une hôtesse est là pour contenter les passagers et leur servir ce qu'ils désirent, et je m'échoue sur un siège avant de lui dire :

— Une bière sans alcool, tu as ça en stock ?

Je tutoie toujours mes collègues, même si cela pourrait sembler peu conventionnel. Aujourd'hui encore je suis commandant de bord, leur supérieur hiérarchique en quelque sorte. La plupart de mes homologues vouvoient leurs équipes, mais pas moi. J'ai toujours vu l'aviation comme une grande famille et préfère largement tutoyer les gens avec lesquels je travaille.

— Bien sûr. Tenez.

Je ne lui en veux pas de me vouvoyer, mais le sourire qu'elle me lance m'indique qu'elle apprécie cette proximité que j'essaie d'instaurer avec sympathie. Elle s'éclipse du mini-bar, certainement pour effectuer son roulement avec sa collègue, et je porte la bouteille de mon breuvage à ma bouche. La fraîcheur du liquide me revigore aussitôt et je m'autorise un soupir, ainsi qu'un bâillement.

Je suis exténué. La nuit passée a été compliquée, à force de ressasser. Je ne pensais qu'à cette bague, aperçue au cours de la journée dans la vitrine d'une bijouterie parisienne de luxe. Elle m'avait tapé dans l'oeil et je m'étais dit, comme une évidence, qu'elle serait merveilleuse à la main de Samuel. Comme une preuve de mon amour et de mon souhait de le garder à mes côtés pour toujours. J'ai passé la nuit à peser le pour et le contre d'une demande en fiançailles, un an à peine après notre rencontre. Si j'ai des craintes – peur qu'il panique et qu'il refuse – je n'ai su voir que le positif. On s'aime et, avec lui, j'ai juste envie de foncer tête baissée.

— Bonsoir, commandant.

Ma bière à la main, je l'éloigne de ma bouche afin de la poser calmement sur le comptoir du mini-bar. Mon cerveau explose et mon coeur s'emballe. J'ai chaud, terriblement chaud.

Mes yeux braqués sur l'homme qui vient de s'installer à l'autre bout du comptoir, je peine dans un premier temps à réaliser qu'il s'agit de Samuel. C'est fou comment, quand on ne s'attend pas à voir quelqu'un, on a du mal à croire que c'est réel.

Puis, tandis qu'il me sourit et que ses yeux pétillent d'une lueur de bonheur et d'amusement, ça fait tilt dans ma tête : il est là. À bord. Avec moi et en face de moi. Ce n'était pas prévu – ou du moins je ne pense pas que cela l'était – mais il est là. Ce qui implique qu'il a voyagé, en l'espace de quelques jours à peine, de New-York à Paris de manière à être précisément là, ce soir, à bord de mon vol.

— Surprise mon amour.

C'est exactement le mot : surprise. Et c'est ce que j'aime le plus chez lui. Nous nous connaissons par coeur, n'avons jamais eu de secrets l'un pour l'autre, mais il parvient constamment à me surprendre. Chaque jour, il fait ou dit quelque chose qui me laisse sans voix, et je l'aime pour ça. Là face à lui, heureux et agréablement surpris par sa présence – par son audace – j'ai le sentiment de tomber une nouvelle fois amoureux.

— Tu es un grand malade.

Je le pense. Il faut être timbré pour s'infliger un NYC-Paris, aller-retour, en l'espace de moins d'une semaine, simplement pour me croiser quelques minutes sur mon vol. Mais visiblement, et malgré son air exténué, il ne regrette pas.

— Tu as certainement raison. Mais est-ce que ça te déplaît ?

Il fait un pas vers moi, se rapproche, pose sa main sur la mienne et glisse l'autre sur ma taille. Je me redresse pour lui faire face, l'agrippe aussi par la taille, et attire son corps contre le mien. Je boue.

— Absolument pas.

Je me penche pour l'embrasser. Un baiser intense, comme si demain n'existait pas. Il n'y a personne autour de nous et quand bien même il y aurait quelqu'un, je m'en tape. Je m'en tape car l'homme que j'ai a voyagé des kilomètres pour partager un vol avec moi, un soir de réveillon, et que ça me conforte dans ma décision : c'est le bon.

— Merci...

Je murmure contre son oreille après notre baiser et le serre tendrement et fort dans mes bras. Il me berce entre les siens, me rend mon étreinte comme s'il ne voulait plus jamais me lâcher, et je ferme les yeux.

Je suis dans ses bras, à bord d'un avion. Je suis au paradis.

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Hey ! C'était le chapitre 5.
Le 6, demain, sera le dernier. xo

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