4. SAMUEL.
13 MOIS PLUS TÔT.
— Bon vol, monsieur.
Je remercie l'agent au guichet, récupère mes papiers et m'engouffre dans la passerelle. Mon coeur tambourine à une telle vitesse dans ma poitrine que j'en ai la nausée. Vais-je le voir ? C'est la question que je me pose. C'est ce que j'espère aussi, même si l'idée de le croiser dès mon arrivée dans l'avion me tétanise. J'appréhende.
Mon appréhension n'est néanmoins que de courte durée lorsque je constate qu'il n'y a que les hôtesses dans le genre de vestibule de l'appareil, qui nous gratifient de sourires stériles et nous souhaitent un bon vol. Je jette un oeil vers le cockpit, dont la porte est fermée, et m'autorise à souffler : quelques heures de répit avant de le rencontrer.
Installé à mon siège au milieu de la classe éco, à côté du hublot, je ne peux m'empêcher de déverrouiller mon téléphone portable. Aussitôt, et alors que je m'apprêtais à relire nos derniers échanges, un iMessage arrive et m'arrache un sourire.
• WARREN — Tu es à bord ?
Je me mords violemment la lèvre, et me retiens pour ne pas ouvrir ma galerie photo. Galerie qui, dernièrement, contient plus de photos de lui que n'importe qui – ou quoi – d'autre. Je me demande s'il a conservé les miennes, cumulées au fil de nos échanges depuis deux mois comme je l'ai fait, ou pas.
• SAMUEL — Yes. J'ai hâte de te voir.
— Monsieur, votre téléphone s'il vous plaît. Nous allons décoller.
Je m'excuse auprès d'un steward, bascule en mode avion, et me contente de survoler les messages d'hier soir. Des messages qui se sont éternisés jusqu'à très tard dans la nuit – ou très tôt ce matin.
Avec le décalage horaire, lui à NYC et moi à Paris, nous discutons souvent le soir ; lorsque ses journées sont terminées, qu'il est huit heures là-bas et deux heures du matin en France. Ce n'est pas très bénéfique pour ma santé et mon sommeil, je l'admets, mais échanger avec lui me fait du bien. Et parfois, lorsque les écrits ne suffisent plus, les FaceTime me réchauffent un peu plus le coeur.
Lorsque l'avion quitte le sol parisien, je me surprends à repenser à notre rencontre. Je me souviens de l'état lamentable dans lequel j'étais lorsqu'il a posé les yeux sur moi pour la première fois. Je le lui ai avoué un soir, en appel visio, mais il ne m'avait clairement pas tapé dans l'oeil. Warren est un type canon, sans l'ombre d'un doute, mais je venais de me faire larguer ce jour-là et, clairement, regarder un autre homme n'était pas dans mes plans.
Romain était un sale con. Je savais qu'il était toxique à sa manière, le genre de mec qui était incapable de faire des concessions et qui imposait ses conditions à tout va, sans se soucier de ce dont j'avais besoin moi. Ce jour là, avant ce vol vers JFK qui a changé ma vie, nous nous étions engueulés. Une énième dispute entre nous et qui m'avait tant peinée que, pour une fois, j'avais osé lui tenir tête. J'avais quitté notre appartement en claquant la porte, sans un regard, blesse et attristé, avant de me rendre à l'aéroport pour m'envoler vers les États-Unis. J'avais profité du vol pour couper mon téléphone, malgré l'accès gratuit aux messageries, manière d'avoir la paix. Et alors que j'attendais de sortir de l'appareil, je l'avais rallumé et un message était tombé, comme un cheveu sur la soupe. Un simple « j'en ai ras-le-bol, j'arrête. Toi et moi c'est fini ». Comme si cela ne faisait pas deux ans que nous étions ensemble. Comme s'il pouvait tout effacer d'un revers de la main. J'aurais pu essayer de lutter, d'arranger les choses, mais je ne l'ai pas fait. Je pense aujourd'hui qu'inconsciemment, je savais que notre rupture était la meilleure des choses qui pouvait m'arriver.
La preuve, j'ai rencontré Warren. Il lui aura fallu trois semaines pour me contacter suite à notre rencontre. Le jour où il m'a ajouté sur facebook, dans un premier temps, j'ai cru à l'un de ces faux comptes établis je ne sais où dans le monde. Sur la photo le mec était trop beau, trop... je ne sais pas. Et puis, en l'observant avec une étrange impression de déjà-vu, je l'ai reconnu : c'était ce mec, ce commandant de bord gentil et craquant, que j'avais croisé quelques semaines plus tôt. Sur le coup j'étais surpris et un peu flippé de voir qu'il m'avait ajouté et qu'il avait, de je ne sais quelle manière, trouvé mon identité. Je m'étais dit « c'est quoi ce merdier ? », totalement paumé, avant d'accepter sa demande. Par simple curiosité.
« Bonjour Samuel. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais je vous ai amené vivant à New-York le mois dernier ». Ce message était tombé dans ma messagerie durant la nuit, alors que je dormais d'un sommeil agité sur le canapé d'une amie à Paris. Un message simple, qui m'avait fait sourire et m'avait intrigué aussi. Je m'étais dit « ce type croise certainement des milliers de passagers tous les mois, envoie-t-il des messages à tous ? » mais j'avais répondu. Un simple « oui, je me souviens » ; pas très loquace, je l'avoue, mais il avait su rebondir.
Son honnêteté m'avait frappée. J'en avais eu le souffle coupé lorsqu'il m'avait écrit, noir sur blanc, qu'il était désolé mais qu'il n'arrêtait pas de penser à moi depuis que nous nous étions croisés. J'aurais peut-être dû flipper. Après tout il n'était qu'un type, croisé une fois dans ma vie, résidant de l'autre côté de l'océan. Était-il un psychopathe ? Je ne me suis même pas posé la question, pour la simple et bonne raison que je me suis souvenu de son regard, lorsqu'il m'avait tendu mon passeport. J'ai su alors qu'il était sincère, qu'il n'était pas étrange, mais juste un peu perturbé par ce simple passager qui lui avait tapé dans l'oeil et hantait ses pensées depuis.
Le le demain mon réveil avait sonné, annonçant qu'il était temps pour moi d'aller bosser, alors que j'étais encore en train d'échanger avec lui. De simples banalités, le genre de questions que l'on pose à quelqu'un pour apprendre à le connaître. J'étais mal à l'aise et essayais de ne pas m'engager sur un terrain glissant. J'appréciais juste d'échanger avec un type cool et qui s'intéressait à moi. On ne peut pas nier que se sentir désiré est flatteur et valorisant, alors je me sentais bien en sa compagnie – même s'il était loin.
J'étais au plus bas après ma rupture, ne cessais de me répéter que plus jamais je ne voulais être en couple, mais Warren a tout foutu en l'air. Sa voix au téléphone, son humour dans ses messages, sa prévenance et sa sincérité... j'ai craqué. Si au début nous échangions pour apprendre à nous connaître, c'est vite devenu un besoin vital. J'attendais constamment après ses messages – et lui attendait les miens – parce qu'il me manquait. Je devenais accro à nos FaceTime, à nos appels, à sa voix, à son rire et à son terrible français. Je suis tombé amoureux de ce mec, de ce pilote hyper sexy et prévenant, et je sais aujourd'hui que j'en suis bien plus mordu que ce que j'essaie de faire croire.
— Chers passagers, ici votre commandant de bord.
Je frissonne. Je ne savais pas qu'il était en charge du vol à nouveau ce soir, mais je reconnaîtrais sa voix entre mille. Je souris tout en l'écoutant nous souhaiter un bon vol et nous présenter l'équipe de stewards qui sera là pour nous servir. Sa voix me procure bien vite des frissons et des papillons dans le ventre. Peut-être est-ce stupide, étant donné que je ne l'ai jamais revu en chair et en os depuis notre rencontre, mais je suis fou de ce type.
Un type qui a su, malgré la distance, me faire rire lorsque j'étais au plus bas. Au travers de conversations tantôt banales tantôt farfelues, il est parvenu à me remonter le moral alors que personne n'y arrivait. Petit à petit, si j'ai réussi à me relever de Romain, c'est grâce à lui. Grâce à cet homme qui ne m'avait croisé qu'une fois et qui, bien qu'un océan nous sépare, a eu le courage de me contacter. Cela pourrait ressembler à un conte de fées, et peut-être que ça l'est, mais j'y crois. Je crois en toutes ces nuits blanches, tous ces messages et tous ces appels partagés depuis près de deux mois maintenant.
C'est avec l'image de son sourire, craquant à en mourir, que je finis par m'assoupir alors que les étoiles brillent dans l'obscurité du ciel.
X X X
Je suis réveillé par une excitation presque palpable autour de moi. Lorsque j'ouvre les yeux, je constate que les voyants sont allumés au-dessus de nos sièges. Tout doucement, je vois le sol illuminé de New-York se rapprocher à vue d'oeil. Je réalise alors, encore assoupi, que j'ai dormi durant la quasi-totalité du vol ; voilà ce qui arrive quand on passe ses nuits à échanger avec un homme.
J'observe mon reflet dans mon téléphone portable, manière de m'assurer que je suis un minimum présentable, et tout un tas d'émotions s'emparent de moi. Concernant Warren, tout d'abord ; car j'ai hâte mais appréhende de le voir. Ensuite, je pense à Eva, ma soeur, qui m'attend sagement à l'aéroport. Je pense à Eden, mon neveu, qui ne sait pas que sa grosse surprise d'anniversaire, aujourd'hui, c'est moi. Nous avons toujours eu un lien privilégié tous les deux, et ce lien n'a fait que s'étoffer après la mort de son père. Si ma soeur aurait pu revenir en France, elle a préféré rester dans le Queens : là où elle était tombée amoureuse et là où elle a bâti sa famille. Depuis, pour Eden – mais aussi pour elle – je traverse l'Atlantique aussi souvent que mon boulot me le permet. Ils sont aujourd'hui la seule famille qu'il me reste.
Une bouffée de chaleur me prend lorsque l'avion s'immobilise, une quinzaine de minutes après avoir atterri, et que les passagers se précipitent dans l'allée. Je les regarde faire tout en crevant de chaud dans mon pull et mon jogging, terrorisé à l'idée de retrouver Warren d'ici quelques minutes. Même s'il sait que j'ai des priorités familiales ce soir et que nous nous retrouverons dès le lendemain pour faire plus ample connaissance – si tant est qu'on ne sache déjà pas tout l'un de l'autre – ses instructions ont été claires « ne quitte pas le vol sans être passé me voir ». Comme si c'était possible de lui échapper, sachant que chaque pilote fait le pied de grue devant la porte pour saluer ses passagers.
Néanmoins, je m'attendais à le rencontrer plus tôt. J'ai appris plein de choses concernant l'aviation avec lui comme le fait, par exemple, que plusieurs pilotes se relaient sur les longs courriers. Chacun bénéficie d'une pause pour se reposer, dans un espace réservé au personnel navigant. Je m'attendais à ce qu'il vienne me voir durant sa pause, ou qu'il m'envoie une hôtesse pour prendre de mes nouvelles, mais rien. Et cela ne m'apaise pas du tout. Et s'il ne voulait plus me voir ? Je déglutis.
L'avion est vide. Warren ou pas, je laisse toujours la foule se précipiter vers la sortie, manière d'être tranquille pour récupérer mes bagages et de pouvoir dévaler l'allée sans être bousculé. Je récupère mon sac à dos dans le rangement, inspire un grand coup, et m'approche de la sortie. Je tremble, comme un ado lors de son premier rencard, et pour tout dire j'ai même la nausée.
— Bonsoir.
Je me plante devant lui avec l'impression d'être en train de me liquéfier sur place. Il est si beau, dans sa tenue de pilote, que je supplierais presque pour pouvoir la lui ôter. Néanmoins, pour l'instant, ce sont ses yeux qui accaparent mon attention ; des yeux fauves, intenses, encadrés de longs cils. Ces yeux que j'ai longtemps observés sur des photos, lors d'appels visio, en pensant au moment où je pourrais m'y noyer en vrai. Et il est là, devant moi, l'air un peu fatigué mais canon à mourir, et je n'arrive plus à parler. Je n'arrive pas à réaliser que cet homme, dont je suis tombé amoureux, est là devant moi.
— Hey.
Il sourit – se moque de moi – mais je m'en fiche. Le chef de cabine à ses côtés décide qu'il est temps pour lui de nous laisser entre nous, et je le soupçonne d'être au courant pour nous.
— Tu as passé un bon vol ?
— Oui. Le pilote ne nous a pas tués alors...
— Commandant de bord.
— C'est vrai.
Comment est-ce possible de dégager autant de charisme ? Autant de charme ? Je le regarde et n'arrive pas à décider si j'ai envie qu'il me baise sauvagement ou qu'il me serre tendrement dans ses bras. Tout se bouscule dans ma tête, ce désir et cette affection qui grandissent pour lui depuis plusieurs semaines, et j'ai mal au bide. J'ai mal au bide, putain, et j'ai la gerbe. Je ne sais pas quoi dire, ni où me mettre. Comment se comporter avec une personne que l'on connait par coeur bien avant de l'avoir réellement rencontrée ? Je n'en sais rien, bon sang. En panique, j'observe le cockpit resté ouvert derrière lui, et il remarque mon regard.
— Tu veux visiter ?
Sauvé par le gong. Je hoche la tête pour accepter. Il me fait signe de passer devant lui et je le sens aussitôt m'emboiter le pas. Ses mains larges se glissent sur ma taille, sur mon hoodie, et il me guide jusqu'à un siège dans lequel il m'invite à m'asseoir. Je m'exécute, chamboulé par cette proximité tant attendue, et pose mes mains tremblantes sur mes cuisses. Je n'ose rien toucher de ce qui se trouve devant moi ; pas même lui, alors que je crève d'envie de connaître la texture de sa peau.
— C'est incroyable tous ces boutons et toutes ces lumières.
C'est vrai, mais c'est la seule chose parmi des milliers que je trouve à lui dire. Je regarde les commandes, tous ces boutons et voyants allumés sur le tableau de bord, et trouve ça fascinant. J'observe le panorama qui s'offre à moi, les opérateurs de tarmac en contre-bas, et me surprends à imaginer à quel point la vue doit être incroyable en plein vol.
— Il y en a des tonnes, dit-il derrière moi. Je t'avoue que, pour la plupart, je ne sais même pas à quoi ils servent.
Je me crispe, avant de réaliser bien vite qu'il se fiche de moi. Je l'entends rire, car il a très bien remarqué mon bref moment de panique, et lève la tête pour le regarder.
— Ha.ha. Tu es hilarant.
— C'est pour ça que tu m'aimes, non ?
J'ouvre la bouche pour répondre mais me ravise. Je ne devrais pas être surpris d'entendre le mot « aimer » sortir de sa bouche, car nos sentiments l'un pour l'autre sont clairs. Je lui ai ouvert mon coeur au détour d'un visio tardif, et il a fait de même. Je suis tombé amoureux et lui aussi, je n'ai aucun doute là-dessus. Mais un océan nous séparait. Là, il est devant moi. Et ça me fait tout drôle. J'ai l'impression d'être un ado lors de son premier rencard, et ça me fout la trouille.
— Samuel... est-ce que je peux t'embrasser ?
Son murmure semble désespéré et je ferme les yeux, tandis qu'il pose une main sur ma joue. Je viens blottir mon visage au creux de sa paume, le suppliant silencieusement de ne pas retirer sa main. Sa peau est chaude, douce, sa main est grande et rassurante. C'est un geste simple, mais jamais on ne m'a touché ainsi. Sa prévenance, alors qu'il me demande explicitement s'il peut franchir cette dernière barrière, me retourne le coeur ; alors je murmure un oui, parce que putain j'en crève d'envie.
Je rouvre les yeux au moment où je sens sa proximité, sa chaleur, la masse de son corps contre le mien. Tandis que je suis toujours assis dans son siège de pilote, il grimpe à califourchon sur mes cuisses et retire sa main de mon visage. Il vient saisir mes poignets, pour guider mes mains à lui, et je les pose doucement sur sa taille, par-dessus sa chemise mais sous sa veste. Mon coeur s'emballe, je meurs de chaud, et la façon dont il prend mon menton entre ses doigts me fout en l'air.
— Je peux...?
Je ne lui réponds pas. À la place, je raffermis ma prise sur sa taille et viens poser mes lèvres sur les siennes. Aussitôt, c'est comme si plus rien d'autre que lui ne comptait. C'était le cas depuis quelques semaines, mais c'est à cet instant-là bien plus fort encore. C'est une évidence. Nos lèvres se découvrent, se cherchent, se trouvent. Nos langues s'apprivoisent, timidement d'abord, puis plus confiantes ensuite. Ses mains prennent mon visage en coupe, les miennes glissent légèrement sur ses fesses, bombées et moulées dans son pantalon, et j'ai l'impression d'être en train de crever. Sa chaleur, sa douceur, son odeur de parfum pour homme. C'est lui et moi, le passager et son pilote, amoureux, en train d'échanger leur premier baiser à l'abri d'un cockpit. La sensualité de l'instant me fait perdre la tête, que je suis obligé de tourner pour reprendre mon souffle. Son sourire, que je sens contre ma joue, m'arrache un délicieux frisson alors qu'il murmure à mon oreille :
— Je te veux.
Et je comprends. Ce n'est pas le « je te veux » que l'on pourrait croire. Pas celui qu'il me lâcherait avant de me déshabiller pour me prendre ici et maintenant, parce que le désir nous consume – même s'il crépite dangereusement entre nous. Son sourire, couplé à la façon dont il murmure tendrement ces trois mots avant de m'étreindre avec force et tendresse, me font comprendre que c'est bien plus que ça. Et je suis de son avis.
Le destin l'a mis sur ma route. J'ai appris à le connaître. J'en suis tombé amoureux. Et aujourd'hui je le retrouve, l'embrasse pour la première fois. Et j'ai envie qu'il y en ait beaucoup d'autres, des baisers et des premières fois. Maintenant que j'ai goûté à son odeur, à sa chaleur et à sa douceur, je ne veux rien d'autre. Je ne veux rien d'autre que lui à mes côtés, pour les mois et même les années à venir.
. . . .
Hello vous.
Voilà le chapitre 4, un autre petit flashback, du pdv de Samuel cette fois-ci. Est-ce que ça vous a plu ? Vous savez que ça compte énormément pour moi d'avoir vos avis sur ce que j'écris !
À demain pour la suite, xo.
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