Saudade
Vingt trois heures trente, le train file à toute vitesse, l'histoire débute ici, c'est un train qu'on prend en marche. Le temps se disloque dans cet habitacle sur rails, je ne ressens plus les heures quand, au dehors, tout passe à la vitesse de l'éclair. Cela me permet de ne pas me morfondre dans mes pensées impatientes, à peine entré on voudrait déjà repartir, le monde est impatient. J'aimerais m'allonger sur la banquette vermeille qui constitue la seule présence de couleur entre ces quatre murs roulants, mais dans les musées je ne m'allonge pas pour contempler les toiles. Et ce qui défile dehors, le projecteur terrestre, la peinture de la nature, les mélanges des pots renversés du peintre, ses larmes qui s'endorment sur la fenêtre, c'est une toile. Une toile d'araignée qui m'empêche de m'allonger, elle me maintient debout (ou assis plutôt) afin de garder une vision optimale, pour ne pas me défaire de ce qui fait la beauté de ce corps voyageur et venteux. Parfois, je croise des iris. Ils se situent juste en face de moi, plongés dans des vagues de mots, des tempêtes d'actualités, ce sont des wagons remplis d'or fonçant à toute vitesse dans une mine inconnue, mais inconsciemment sûre. Parfois ils sont invisibles, cachés derrière des rideaux de chair, pas très sexy. Ce sont des persiennes cordiales, on s'y sent en sécurité, car soi nous sommes plongés dans nos utopies soporifiques, soit nous vivons, respirons, notre coeur bat, mais nous, nous voyons et broyons des nuances de noir. La plupart des iris que je croise sont des iris dormeurs. Des marmottes d'humanité. Le trajet est si long, cela paraît insurmontable. C'est une attraction qui démarre, pendant que nous, nous nous questionnons sur notre présence dans les griffes de cette dernière. Mais pourtant, à l'arrivée, ce sont les mêmes iris qui deviennent des ampoules éclairant des salles de joie, de plaisir, de fatigue, de lassitude. Ce sont ceux qui rebondissent comme une balle sur des sourires bien éveillés et en pleine forme, ou des cohues routinières. Des ballons dans une fourmilière. Mais ceci reste encore un rêve éveillé, nous en ne sommes pas encore là. La palette du dehors ne comporte pas encore de poteaux électriques, de ponts, de quais, de sourires, de fourmis, de balles, de ballons, d'enfants courant après des ballons. Je n'aime pas me situer dans le reflet de ma montre, j'ai l'impression que mon regard suit les aiguilles, qu'il est drogué et qu'il se shoote au temps qui passe, lui qui rend dépendant de son côté endurant. Tout cela peut paraître pessimiste, ordonné, droit comme une planche, boulonné, aussi livide qu'un meuble poussiéreux, sur lequel siégeaient mes lubies anachroniques. Mais c'est l'effet des points, les virgules sont des vagues, les points des tsunamis. Celui qui lit ses lignes est enrôlé sur son navire, subit la rage de son voyage. Mais sans points, le train conducteur déraillerait, il raterait les arrêts des virgules qu'il ramasse au fil du réseau épistolaire. Je me demande ce qui pousse les personnes à voyager. Il faut être sacrément insolent face à la mort, le doute, l'imprévu. Et pourtant, beaucoup d'insolents timides voyagent. De respectueux chevaliers, téméraires. Sans épée, portant une armure d'envie, d'espérances. Et si ça se trouve, ils ne soupçonnent pas leur côté vaillant, ils sont des oiseaux ayant appris à voler en sautant en dehors du nid.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top