~ 9 ~
" Il y a deux choix fondamentaux dans la vie : Accepter les choses telles qu'elles sont ou accepter la responsabilité de les changer."
Denis WAITLEY
*
La veille de la première épreuve, j'étais dans un état de stress incroyable. Une véritable boule de nerf ! Je craignais de mélanger les dates en histoires et de m'emmêler les pinceaux en chimie.
Je connaissais plutôt bien mes formules mais je ne les connaissais pas toutes sur le bout des doigts. Je ne pouvais donc pas m'arrêter de réviser, car je voulais être certaine de tout maîtriser.
J'avais l'impression que mon cerveau ne pouvait plus rien engranger et l'anxiété me gagnait minute après minute. J'appelais donc Tanesha pour savoir où elle en était. Sans surprise, mon amie était beaucoup moins stressée que moi.
- Alors blondinette ? Ça révise sec ?
- M'en parle pas Tanny, je suis morte de trouille et de fatigue. Si je parviens à apprendre ne serait-ce qu'une nouvelle petite formule, ce sera parfait. Mais je n'arrive plus à rien !
- C'est normal Elsie ! Tu t'y es remise très tard, du coup tu fais une overdose. Prends-toi une heure pour souffler, ça pourrait t'aider !
- Je ne crois pas, non !
- Comme tu veux, mais en tout cas, avec Nils on va à la piscine dans une heure. Si ça te dit de nous rejoindre...
- Sans façon !
- Elsie...
- Vraiment non merci ! Ça ne me dit rien d'aller barboter avec vous deux.
- Au moins j'aurais essayé ! On se rappelle ce soir ?
- Oui mais pas trop tard parce que demain c'est le grand jour. Il faut qu'on dorme tôt.
- Olalala ! Faut te détendre, tu en fais des tonnes là !
Tanesha avait raison, il aurait fallu que je me détende mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Stan m'avait lancé l'un des plus gros défis de ma vie et par fierté d'abord, et surtout par amour, il fallait que je le remporte. J'aurais fait n'importe quoi pour être accepté dans le projet Chorus, j'étais surtout complètement obnubilée par Stan... Et pour qu'il m'accorde du crédit, je n'avais qu'une seule option : La réussite !
Je fourrais à nouveau mon nez dans mes fiches de révisions, Maman fit sa énième apparition à l'entrée de ma chambre pour me conseiller de faire une pause. Elle s'inquiétait bien plus qu'elle ne laissait paraître. Et la voir tournicoter autour de moi, me stressait plus qu'autre chose. Maman qui était à peine sortie de ma chambre, revint quelques minutes plus tard, les bras chargés d'un plateau garni de douceurs.
- Un jus d'orange Elsie ? Un petit encas ? Des fruits ? Tu m'inquiètes... Tu ne manges plus rien... Il te faudra des forces pour demain !
- Non merci Maman. Ça va aller !
Ce qu'elle pouvait être envahissante ! Je savais que ça partait d'un bon sentiment mais vraiment je ne pouvais rien avaler. Mon estomac était noué par la trouille. Maman qui ne lâchait jamais le morceau, se mit à me supplier de manger.
- Allez ! Ne serait-ce qu'une bouchée... Je viens de sortir la brioche du four. Elle est comme tu l'aimes... Tu ne retiendras rien dans ta petite tête, si tu n'as rien dans le ventre. Mange et repose-toi un peu. Tu reprendras tes révisions après si tu le veux.
- C'est que j'ai trop de retard. La moindre minute m'est essentielle. Sinon, je ne l'aurais jamais ce foutu Baccalauréat.
- Tu m'étonnes ! Si tu avais révisé comme ça dès le début... Ce n'est pas faute de t'avoir relancé. Maman n'a fait que ça ! Alors maintenant ne viens pas pleurnicher. C'est bien fait pour toi ! lança ma grande sœur.
- La ferme Dylane ! On ne t'a pas sonné !
- Ne parle pas comme ça à ta grande sœur Elsie. Ce n'est pas aimable.
- Mais Maman...
- Quant à toi Dylane, il serait temps de grandir un peu. Tu aurais pu aider ta sœur au lieu de l'énerver. Franchement vos disputes incessantes sont épuisantes. Ce n'est pas le moment !
- Mais tu la défends toujours !
- Je ne défends personne Dylane. Cesse donc de faire l'enfant !
- Ah oui ? Elle décide quitter le lycée, personne ne lui dit rien. Elle décide de revenir, et tout le monde l'encense. C'est dément cette histoire !
- Dylane sort de cette chambre. S'il te plaît lui demanda Maman excédée par sa mauvaise humeur.
Pendant que ma sœur aînée maugréait à souhait, je gobais aussi vite que je pouvais, le goûter que Maman m'avait préparé. Elle arborait un sourire satisfait en me voyant grignoter un peu.
Finalement, c'est vers vingt-et-une heure que je me suis couchée exténuée par cette ultime journée de révision. À une heure du matin, je ne dormais toujours pas. Je pensais à l'épreuve du lendemain et j'en perdais mes moyens.
Si seulement, j'avais pu faire autrement... Je me serais bien passée de ce Bac.
Je trouvais que Stan abusait mais sur ce coup-là, mais il était en position de force et je ne pouvais que m'exécuter ! Vers une heure et quart, je recevais un sms de Léo.
"Je pense à toi ma jolie, je te souhaite bon courage pour demain. Je sais que c'est difficile, mais Essaies de dormir un peu."
Il était incroyable celui-là ! Il savait ce que je ressentais et il tentait de me rassurer malgré la distance. Son message m'allait droit au cœur, ceci dit, je me gardais bien de lui répondre. Je ne pouvais pas commencer à me disperser avant même d'avoir débuter le combat des épreuves du bac. De toute façon, très peu de temps après, accablée par la fatigue et le stress, je finis par m'endormir.
*
Décrire ce que j'avais ressenti en lisant le sujet de la première épreuve m'étais impossible. On aurait dit que l'univers tout entier en voulait à ma peau.
"L'avenir est-il une page blanche ?"
Non mais sérieusement, les examinateurs n'avaient que cette question à nous poser ? Moi je jouais mon avenir, le vrai ! Et eux faisaient mumuse avec les bacheliers. Déjà que je n'étais pas très à l'aise en philo...
Je préférais mille fois les chiffres aux mots. Je rédigeais tant bien que mal ma dissertation, en priant que le correcteur ait pitié de l'auteur de cette pauvre petite copie anonyme. À la fin de l'épreuve, je rejoignais Tanesha, Nisrine et Nils au point de rendez-vous que nous nous étions fixés :
- Alors, la philo ? M'avait lancé Nils.
- Alors c'était dur de Ouf ! J'ai galéré comme jamais. Ça a été vous ?
- Wouai pas trop mal ! Mais demain physique-chimie et anglais. On va déguster ! Repris Nisrine dépitée.
- C'est clair ! D'ailleurs, nous on s'en va. Il ne faut pas perdre de temps pour les dernières révisions, hein chouchou ? Fit Tanesha à sa moitié.
- Wouai! Dit-il laconique.
- On va réviser à fond ... Faut qu'on l'ait ce bac P'tain! Dit Tanesha rongée par la nervosité.
- On se dit à demain ?
- Oui Ciao ma Blondinette ! À demain!
La semaine d'examen fut intense. De la philo, en passant par l'histoire-géo et jusqu'en mathématiques, je traitaid les sujets du mieux que je pouvais. L'attente des résultats fut extrêmement longue, cela me parut interminable et pas loin de la torture psychologique. Je faisais même des rêves dans lesquelles on me disait que j'avais raté mon bac. J'en avais des sueurs froides et des insomnies !
Et si je ne l'avais pas ? Comment allais-je faire pour Chorus ?
Et puis Maman serait tellement déçue... Et Dylane tellement heureuse !
Fallait toujours qu'elle ait raison celle-là de toute manière, Pff !
Je tournais en rond dans la maison et pour me détendre, je jouais du piano. Je repensais à Chorus. Je ne voulais pas que les portes me soient fermées à cause d'un échec au bac. Et puis, si ça se trouve Stan voulait juste me tester... Il voulait peut-être que j'essaie seulement. Certainement, qu'il me prendrait dans son équipe même si je ne l'avais pas ?
Les questions virevoltaient à une vitesse folle dans ma tête et j'en revenais toujours à la même solution : Je devais obtenir ce foutu Bac ! La sonnerie de la porte d'entrée retentit dans l'appartement familial.
- Elsie quelqu'un est là pour toi ? Avait crié Maman de bonne humeur.
- Oui, j'arrive !
- Salut !
- Nisrine ? Oh c'est cool que tu sois là ! Viens, entre !
Nisrine faisait une tête de quarante-six kilomètres de long. Elle avait détaché sa longue et belle chevelure brune et ses yeux semblaient être rougis par des larmes qu'elle avait dû verser avant d'arriver chez moi. Je comprenais tout de suite que quelque chose n'allait pas, alors je l'entraînais dans ma chambre que je fermais aussitôt à double tour, pour ne pas être dérangées.
- Oh toi, tu as ta tête des mauvais jours...
- C'est mon père !
- Qu'est-ce qu'il t' a encore dit ? Ai-je dit en levant les yeux au ciel.
- Il dit qu'après le bac, il veut que j'aille au bled.
Le père de Nisrine n'était pas tendre. Il avait toujours un mot pour rabaisser et stresser sa fille. Plus misogyne que lui, il n'y avait pas. Il n'avait pas été très encourageant pour son bac. D'ailleurs, son père ne l'encourageait jamais. Heureusement, la mère de Nisrine trouvait parfois les mots justes pour la consoler.
- Mais c'est bien, ça te fera des vacances. Je ne vois pas ce qui te dérange ?
- Tu ne vois pas ce qui me dérange ?
- Toi au moins tu en as de la chance. Moi c'est certain, comme chaque année nous irons en Bretagne. Vacances familiales oblige !
- Si seulement c'était pour les vacances...
- Attends, mais il veut que tu retournes y vivre définitivement ?
- Ouai. Il voudrait que j'épouse mon cousin.
Un gloussement s'échappa sans préavis de ma gorge avant que je me rendre compte que Nisrine est très sérieuse et que tout cela ne l'amuse pas le moins du monde.
- Ce n'est pas une blague ?
- Non. Je ne veux pas de cette vie-là, Elsie !
- Oh ma pauvre ! Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?
- Rien. J'avais juste besoin d'en parler. Mon père a décidé, il faut s'exécuter. Je n'ai pas le choix. Je suis une fille et si je...
- Excuse-moi Nisrine mais tu fais quoi de Tarek ?
- Justement, j'en ai parlé avec ma mère, elle m'a écouté et en a parlé à mon père. Le problème c'est que mon père ne veut rien entendre, il dit qu'il s'est déjà engagé et que je dois épouser mon cousin.
- Tarek sait ?
- Oui. Il dit qu'il est prêt à m'épouser s'il le faut mais mon père ne veut vraiment rien savoir. Et il m'a traité de... Quand il a su pour Tarek et moi... Je... Je suis fichue je te dis !
- Oh Nisrine ! Ai-je dit en la prenant dans mes bras.
- Je suis fichue dit-elle en pleurant silencieusement. Je suis fichue ! À quoi va me servir mon Bac S, si c'est pour finir ma vie, dans la cuisine d'une maison en terre de la vallée de l'Ourika ?
- Tu es certaine que tu ne veux pas dire non ?
- Non, je ne peux pas. Je ne pas désobéir à mon père, ce serait le déshonorer. Et ma mère serait dans les problèmes ! Miskina ! Je dois suivre la tradition.
- La tradition ! La tradition ! Elle a bon dos la tradition hein !
- Dis pas ça ! C'est important chez nous !
- Mais c'est ici chez toi Nisrine ! Pas là-bas ! Et je te signale que les traditions peuvent évoluer et les hommes aussi je crois bien !
- Tu ne sais pas ce que sont nos traditions. Elles sont faites pour être suivies et appliquées à la règle. C'est comme ça depuis des siècles !
- Et donc tu vas te laisser faire Nisrine ? Tu vas subir sans jamais réagir ?
- Mais que veux-tu que je fasse ?
- Tu vas épouser quelqu'un que tu n'as jamais vu de ta vie ? Quelqu'un que tu n'aimes pas ?
Je t'en prie Nisrine ! Ça ne te ressemble pas. D'habitude tu as plus de caractère que ça !
- Dis pas ça...
- Je ne te pensais pas aussi soumise. Parce que c'est vraiment injuste ce que l'on t'impose là!
- Que veux-tu que je fasse ? J'ai beau essayé de leur expliquer... Mon père ne veut rien savoir. Il est déterminé !
- Alors toi aussi il faut que tu sois "Déter". Tu ne vas pas te marier avec cet inconnu quand même ? Tu vas le regretter toute ta vie ! Pars Nisrine ! Pars très loin !
- Je ne peux pas faire ça. J'aime ma famille... Je ne peux pas fuir à cause de ma mère. C'est elle qu'on pointerait du doigt, pas moi. Je suis l'aînée des filles... Et... Et puis mes petites sœurs... Meskine ! Je n'ai pas le droit de leur faire ça !
- Meskine par-ci ! Meskine par-là ! Moi je ne vois qu'une de Meskine ici, et c'est toi !
- Elsie !
- Mais c'est vrai quoi ? Toi tu n'as le droit de rien, mais eux ils ont le droit de gâcher la vie ? C'est stupide ! Excuse-moi de te le dire comme je pense, mais je ne comprends pas ta façon de penser.
- Je sais bien ce que tu penses. Mais je ne veux pas que les conséquences de mes choix retombent sur ma mère et mes sœurs.
- Et donc... Tu vas accepter de te sacrifier pour l'honneur de ta famille ?
- Comprends-moi bien Elsie. Ce n'est pas ce que je veux, mais je n'ai pas le choix !
- On a toujours le choix Nisrine. Et il nous reste une petite semaine pour trouver la solution. J'appelle Tannny tout de suite !
- Non !
- Hein ?
-Non pas elle !
- Mais pourquoi ?
- Elle le dirait à Nils qui se ficherait de moi. Il passe sa vie à me saouler avec son histoire de mariage forcé. Il faut croire qu'il a raison... Je pensais que mon père était plus évolué mais...
- Mais Nils n'a pas raison du tout ! Pas plus que ton père d'ailleurs. On va trouver la solution ma Nini ! Je te le promets. Allez sèche-moi ces larmes.
- C'est gentil Elsie. Mais je n'espère plus grand chose... Ce n'est qu'une question de temps avant qu'on me mette dans l'avion.
Toute cette histoire me bouleversait, elle qui était une véritable lionne lorsqu'il s'agissait de défendre ses idées, prenait les choses avec fatalité. J'admirais le respect et l'amour profonds que Nisrine portait à sa famille mais je ne comprenais pas qu'elle se laisse faire.
Tout le monde n'était pas capable de ça, à commencer par Tanesha et moi !
Cela me retournait le cœur de la savoir résignée et prête à mettre son avenir en suspens pour le bonheur des siens. Je croyais pourtant que Nisrine était la plus rebelle de nous trois mais la situation actuelle montrait qu'elle était certainement la plus fragile, la plus docile aussi. Comment était-il possible qu'elle ne puisse pas décider seule de son avenir ?
Un mari c'était déjà bien pénible d'après ce que je vois autour de moi, alors un mari imposé, là, c'est la fin des haricots ! Et puis Nisrine n'avait que dix-huit ans. Son père n'avait pas le droit d'hypothéquer son avenir pour une simple question de tradition ou pour une histoire d'honneur personnel. C'était trop injuste !
Je me rendais compte qu'en réalité, notre petit monde roulait à plusieurs vitesses. Jamais je ne m'étais sentie différente de mes amies par rapport à nos origines. Bien au contraire ! Nous étions parfaitement à l'aise les unes avec les autres. Mais plus on grandissait, plus je réalisais que le poids des traditions pesait beaucoup plus sur elles, que sur moi.
Tanesha défiait une partie de sa famille en se trimballant partout avec son petit ami blanc. Sa mère qui au départ avait bien accueillit le jeune homme était ulcéré et un doigt de tuer sa fille lorsqu'elle apprit que sa fille découchait pour aller retrouver Nils.
Inimaginable pour une Maman Africaine m'avait-on expliqué !
Nisrine qui était une fille brillante, sage, calme, et discrètement amoureuse de Tarek, était dans l'obligation de devenir la femme d'un homme qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve. Et moi dans tout ça, la seule tradition que j'avais à respecter c'était de réussir en tant que médecin ou pharmacien...
Bonjour les inégalités !
Je me faisais la promesse de chercher une solution rapide et radicale pour Nisrine. Elle m'avait aidé mieux que personne à réviser et elle avait toujours était là pour moi quand il le fallait. Je devais l'épauler ! Son histoire m'avait bouleversé au point que j'en avais oublié les résultats du bac.
Une fois Nisrine partie, je me précipitais sur Google en quête d'une solution qui sorte mon amie de ce mauvais pas.
***
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top