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"C'est une chose de penser que l'on est sur le bon chemin. C'est autre chose que de croire que ce chemin est le seul".
Paulo COELHO

*

J'étais prête à passer cette audition. J'avais préparé un super chant qui j'en étais certaine, toucherait le jury. Ce chant, était complexe et réclamait de hautes qualités vocales mais je l'avais répété jours et nuits, jusqu'à ce qu'il soit aussi naturel que ma respiration.

Je savais surtout que ça plairait à Stan, qui faisait partie de ce fameux jury. Pendant, que je m'inscrivais sur la liste des candidats, Stan qui m'avait aperçu dans le grand Hall de l'hôtel dans lequel se déroulait l'audition, vint me voir.

- Salut Elsie !

- Hey Stan ! Contente de te voir.

- Je suis surpris de te voir ici, dit-il la mâchoire serrée.

- Oui, je sais... On n'en a pas parlé mais je me suis dit que c'était une bonne opportunité.

- Je suis très étonné... Tu sais le Gospel, c'est très spécial ! Et puis les chants sont très axés sur...

- Excuse-moi je te coupe mais on dirait bien que tu essayes de me décourager, je me trompe?

- Ce n'est pas ça Elsie ! C'est juste que Chorus est un projet auquel je tiens particulièrement. Je veux former un chœur de chanteurs professionnels. Tu es peut-être encore trop jeune pour...

- Ne passe pas par quatre chemin sil-te-plait et dis-moi vraiment ce qui ne va pas !

- Ta place n'est pas ici ma belle ! Ta place est au lycée, avec tes camarades de classe.

- Stan, c'est vraiment nul ce que tu dis !

- Je suis désolé Elsie mais à un moment donné, il va falloir que quelqu'un te dise la vérité.

- Et c'est quoi pour toi la vérité ?

- La vérité, c'est que tu as un talent fou. Mais le talent sans une tête bien faite ne sert à rien !

- Ah ben voilà que tu t'y mets aussi ! Ce que je fais en dehors de la musique ne te regarde pas.

- Écoute ma belle, t'es toujours la bienvenue au studio et quand tu veux. Je me ferais toujours un plaisir de te coacher ou de te faire enregistrer mais ici, on ne joue pas à la poupée !

- Je...

- Attends Elsie !

- Non toi attends ! Qui te dit que je veux jouer à la poupée ? Je suis capable d'y arriver je te le prouverai. Allez, fais-moi un peu confiance quoi ?

- Comment veux-tu que je te fasse confiance, si tu es capable d'arrêter le lycée à un mois du bac, alors tu seras capable de nous planter un jour d'un grand concert ! Je ne peux pas compter sur toi pour le moment. Grandis et on verra...

- Je n'en reviens pas. Je ne te connaissais pas comme ça Stan !

- Je te préviens. Tu peux passer l'audition si tu le souhaites. Tant que tu as l'autorisation de tes parents, je ne peux pas t'en empêcher. Mais sache que quel que soit la qualité de ta prestation, tu ne seras pas retenue.

- Pourquoi tu me fais ça ?

- Je fais ça pour toi ma belle. Tu n'es pas sur la bonne voie et c'est mon devoir de t'y remettre.

- Je t'en prie...

- Tu penses avoir fait le bon choix, mais tu te trompes Elsie. Crois-moi, tu n'es pas prête !

Stan s'en alla sans ajouter un mot de plus. Il avait été d'une grande fermeté et je devais reconnaître qu'il était à la hauteur de sa réputation : exigeant et intransigeant. Franchement, je m'attendais à tout, sauf à ça. Je ne comprenais pas pourquoi il avait été aussi dur avec moi.

Je restais assise un moment sans rien dire. Dans ma tête, les questions tournaient comme une girouette. Devais-je rester et passer cette audition ? Ou m'en aller sans avoir tenter ma chance ? À force de réflexion, j'optais pour la première solution. Je restais. Peut-être qu'en m'entendant chanter, Stan changerait d'avis ?

*

Dans la salle d'attente attribuée aux candidats, j'écoutais mes concurrents s'entraîner et vocaliser. Il y avait tout de même de sacrées me voix. Sans grande surprise, j'étais la seule fille blanche et les regards interrogateurs (certains plus bienveillants que d'autres) convergeaient vers moi.

Pour une fois, je ne me démontais pas. Noirs ou blancs, nous avions tous nos chances, je m'efforçais de croire que j'étais aussi capable que les autres. Et vu l'extrême talent de Stan et de son équipe, je ne doutais pas une seconde que ce groupe serait composé d'artistes au top. Je voulais coûte que coûte participer à cette aventure.

Intérieurement, je reconnaissais honteusement que faire partir de ce groupe, me rapprocherait surtout de Stan.

C'était étrange parce que j'avais l'impression que plus Stan m'attirait plus il me fuyait et plus Léo me courrait après. D'ailleurs, ce dernier venait de me laisser son treizième message en moins d'une heure.

Si seulement, Léopold pouvait m'oublier !

Tout ça parce que trois jours avant, j'avais mis un terme définitif à notre histoire. Comme Tanesha me l'avait recommandé, j'avais été franche et claire. Il n'y avait plus aucun sous-entendu. Léopold n'avait rien dit sur le coup, il resta extrêmement calme et la conversation que nous avions eue ensuite, me donnait le sentiment que nous nous étions finalement compris.

En apparence seulement car malheureusement, il n'avait fallu que deux jours à Léopold pour prouver au monde entier qu'il était taré !

Un instable de première classe.

Mon répondeur était saturé de messages qui disaient tous la même chose. "Je t'aime... Je ne peux pas vivre sans toi... Tu me manques... Rappelle-moi... J'ai besoin de toi... ".

Et je ne vous parle même pas des sms, par lesquels il m'envoyait une multitude photos de nous deux et des poèmes en tout genre. Je n'en pouvais plus ! Et recevoir son message à ce moment-là, m'avait mis dans un état de nerf pas possible. Léo était la dernière personne dont j'avais envie d'entendre parler avant de passer cette audition.

J'éteignis alors mon portable et prit le temps de me concentrer. Il y avait un piano à disposition et pour me remettre en état d'auditionner, je me mis à jouer quelques notes en chantonnant quelques passages du morceau que j'allais interpréter. Une jeune femme s'approcha de moi avec la mine sévère :

- Dis-donc, t'as l'intention de squatter encore longtemps le piano là ?

Je lui cédai la place sans même chercher à lui répondre, je devais préserver ma voix pour la prestation au lieu de me disputer. Bientôt, ce mon tour de me présenter sur la scène arriva. Je voulais prouver à Stan que j'avais raison de croire en moi, malgré mon jeune âge. J'étais prête en découdre.

- Candidate Numéro 7207 ?

- Oui ! C'est moi.

- Comment vous appelez-vous ?

- Elsie Le Kervelen.

Le jury composé de quatre membres me fixait au point que j'en fut intimidée. Il y avait Stan, bien évidemment et deux autres hommes. L'un était Phil, le futur directeur artistique du groupe et l'autre Rodger, le producteur. Il y avait aussi une femme, Aline. Elle était le Tour manager et future répétitrice du groupe Chorus. Son rôle était de seconder Stan.

- Bien. Qu'allez-vous nous interprétez ?

- Secret Place de Karen Clark Sheard.

- Vous n'avez pas froid aux yeux jeune fille, enchaîna Phil. C'est du haut niveau !

- J'aime chanter ce qui est beau et vrai.

- Et bien écoutons donc ça, dit l'unique femme du jury.

- D'accord.

- Juste une chose, vous vous accompagnez seule au piano ? Parce que notre pianiste peut le faire sinon ? proposa Aline qui semblait douter de mes capacités.

- Je m'accompagne seule. Je préfère.

- Bien. À vous l'honneur, répondit-elle.

Pendant, les cinq minutes qu'ont duré le chant, je gardai mes mirettes bien fermées. Je ne voulais pas être déconcentrée par le regard assassin de Stan. J'avais mis tout mon cœur et toute mon âme dans cette interprétation et je m'étais sentie bien à l'aise.

Je n'avais fait aucune faute au piano et j'en étais franchement soulagée. La pression me quitta mais pas la peur. J'attendais le verdict du jury avec impatience. Même si je savais qu'il y avait très peu de chance que Stan aka " le briseur de rêve " change d'avis.

En ouvrant les yeux, je constatais que des quatre membres du jury, seul Stan était resté assis. Les autres applaudissaient à pleines mains en hurlant des "Wow !", " Olala !", "Magnifique!"....

Stan lui ne disait rien. Il avait un stylo dans la main et griffonnait sur une feuille de papier. Il ne m'accorda même pas un regard. Il était loin d'être le gentil et avenant Stan que je connaissais.

- Mademoiselle c'est formidable ! Quel âge avez-vous me demanda Phil.

- Dix-sept ans !

- Dix-sept ans ? Mais ce n'est pas possible, vous êtes une perle rare avait-il répondu.

- Merci Monsieur.

- Rodger, qu'est-ce que tu en dis ?

- Moi je dis oui pour la voix, sans hésitation. Et pour la prestation au piano, je redis oui aussi. Cependant, dix-sept ans ça me semble trop jeune pour intégrer ce projet. Chorus est un chœur professionnel ne l'oublions pas.

- Oui mais as-tu entendu l'amplitude de sa voix ? Reprit Phil.

- Hey ! Je suis producteur pas baby-sitter ! Elle est trop jeune je te dis.

- Rodger tu exagères ! As-tu vu le niveau de cette gamine ? Il y a des adultes ici qui n'ont pas le quart de son talent. Et nous en avons vu défiler depuis ce matin, répliqua Aline. Stanislas ? Tu ne dis rien ? C'est ton projet après tout !

- Humm ! Comme Rodger, je pense que Mademoiselle chante parfaitement mais je la trouve trop jeune aussi.

- Nous sommes d'accord Stan ! Elle est beuacoup trop jeune, affirma Rodger.

Pendant qu'il tentait de s'accorder sur mon sort, je restais là debout comme une quille en attente qu'une boule lui allonge un Strike dans la tronche.

Ils semblaient oublier que j'étais là. Ça m'agaçait ! Mais que pouvais-je y faire ? Ce n'était absolument pas le moment de se montrer immature. Au bout de quelques minutes, Aline me questionna de nouveau :

- Tu es encore à l'école ? Je suppose que tu dois être en terminale là, non ?

- Euh... Oui... En fait...

Stan m'interrompit.

- Je pense chère Mademoiselle, que vous devriez passer votre bac d'abord. Et si vous l'avez, vous intégrerez le groupe dès la rentrée.

- Donc c'est bon, vous m'acceptez ? Dis-je incrédule.

- À condition que tu aies le bac, jeune fille, reprit Aline en souriant.

- Non mais les gars vous rigolez quoi ? On avait dit des pros seulement ! Et puis la petite est blonde comme les blés, elle détonne là. Elle va être la seule ! Râla Rodger en levant les mains au ciel.

- Justement, c'est ce qui est magique avec elle. Sa voix n'a pas la couleur de sa peau. Elle est parfaite pour le Gospel, me défendit Phil.

- Oh c'est clair, quand elle chante, elle est bien plus noire que toi et moi Rodger, enfonça Aline. Bon Stan c'est à toi de trancher !

- Pas de bac, pas d'intégration au groupe. Dit-il froidement. C'est aussi simple que ça ! Et si jamais vous n'avez pas votre diplôme, nous donnerons votre place à quelqu'un d'autre. C'est entendu Mademoiselle ?

- Entendu !

- Alors je vous dis à bientôt, me dit Aline en souriant.

Mon cœur palpitait dans tous les sens ! J'avais réussi à mettre d'accord le jury, c'était moins une. J'étais folle de joie, mais une fois l'euphorie redescendue, je me rendis compte que Stan m'avait tendu le plus grand piège qui puisse exister. Soit j'obtenais mon bac et j'intégrais le groupe, soit je ne l'avais pas et je restais sur la touche.

Sur le moment j'étais abattue, je ne voyais pas comment j'allais pouvoir rattraper plus de deux mois de cours, sans compter les révisions.

C'était peine perdue !

Il m'avait dit oui, en sachant parfaitement que je ne réussirais jamais. Je passais du rire aux larmes et du bonheur au désespoir. Sur ce coup-là, Stan m'avait bien eu !

*

- On n'a pas idée d'être si cruel ! Il n'avait pas le droit de me faire ça. Ce n'est pas juste !

- Rien est juste ici-bas, saches-le blondinette ! Dit Tanesha.

- Oh quand je le reverrais, je lui mettrais ma main dans la figure ! Ah ça !

- Avoues plutôt que tu meurs d'envie de lui coller un smack !

- Tanny ! T'es la pire des amies.

- Tais-toi Elsie et relis le chapitre trois ! Tu ne vas pas t'en sortir, si tu t'arrêtes toutes les cinq minutes. Ce n'est pas comme si t'avais de l'avance, tu vois, me gronda Nisrine.

- Oui c'est bon, je m'y mets ! Ahhh ! Et puis je déteste la Chimie. C'est nul !

- Qui t'a dit de faire ta maligne ! Râla Tanny. Tu n'as qu'à t'en prendre à toi même ! Fallait pas arrêter les cours.

- Comment ça se fait que tu ne sois jamais de mon côté Tanesha ?

- C'est parce que tu as souvent tort ! Stan a bien eu raison de te faire ce genre de plan. Tu vois je l'applaudis même !

- Allez ! Chapitre 3 Elsie ! Chapitre 3 ! Cria Nisrine. Faut qu'on avance les filles !

J'essayais de combler mon retard comme je pouvais mais c'était difficile. Je n'avais même plus le temps de manger ou dormir. Je ne faisais que réviser. J'avais quand même beaucoup de chance d'avoir mes amies pour m'aider.

Plus que de mes leçons, je rêvais du projet Chorus ! Je rêvais de chanter à côté des meilleurs ! Je rêvais de faire la tournée européenne du prochain été ! Et pour y arriver, il fallait que j'aie ce foutu Baccalauréat !

Maman était fière de moi ! Elle retrouvait son sourire, ça me faisait plaisir de la voir comme ça, même si elle ne connaissait pas les raisons profondes de ce changement. Si seulement elle savait ce qui poussait à reprendre le chemin de l'école, elle en mourait. Et si en plus, elle savait que j'étais raide dingue d'un artiste noir, elle en mourait une deuxième fois !

Maman était ouverte mais jusqu'à un certain point. Son niveau de sympathie pour la négritude, s'arrêtait à Tanesha, qu'elle appréciait beaucoup d'ailleurs. Cependant, il ne fallait pas lui en demander plus !

Alors lui dire que j'envisageais sérieusement de sortir avec un homme noir, musicien et âgé de sept ans de plus que moi, aurait été la fin du monde et même de l'univers tout entier !

Les membres des familles Le Bozec (celle de Maman) et Le Kervelen étaient tous blancs et bretons depuis au moins mille générations et il n'était absolument pas question qu'il en soit autrement.

Sauf que, Maman ne savait pas que son cher mari et père de ses enfants s'envoyait très certainement en l'air (je n'en avais pas encore la preuve absolue) avec sa jeune assistante dentaire, qui en plus d'être très, très belle, était surtout très, très métissée !

Ma pauvre Maman savait encore moins, que sa fille aînée sortait en cachette avec un certain Eric, dont le véritable nom était Karim Bouazziza.

Là par contre l'info était vérifiée !

Rien qu'en pensant à tout cela, je m'esclaffais de rire.

Par contre, si un jour tous ces secrets étaient révélés, ça allait faire l'effet d'une bombe. Et là c'était certain qu'on rigolerait beaucoup moins !






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