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" Un jour, une personne te serrera si fort dans ses bras, que tous tes morceaux brisés se recolleront "

Proverbes

*

Dans le train qui nous mène en Bretagne, il règne un silence d'or. Je regarde Maceo qui dort, ce pauvre garçon a l'air exténué. Sa première année d'internat est difficile, mais il tient bon. Pendant ce temps, Maïsha et moi discutons à voix basse. Cette fille est d'une gentillesse rare, elle me confie son angoisse quant à la rencontre avec ma mère car Maceo lui a dépeint un terrible tableau d'elle et franchement je la comprends.

Maman est imprévisible. Elle dit toujours ce qu'elle pense et sa pensée est sans filtre. Maman pourrait vexer et énerver le Dalaï lama, c'est dire ! Je prie pour que la belle lui plaise sinon, elle risque de ne plus jamais revoir Maceo; il est si amoureux qu'il n'hésiterai pas à couper les ponts avec Maman pour préserver sa relation.

Déjà qu'avec Papa ça ne va pas...

Il faut simplement espérer que Maman nous fasse mentir. Elle est capable de nous surprendre, en faisant à Maïsha le meilleur des accueils. De toute façon, sachant qu'elle se prénomme Maïsha, elle doit quand même se douter qu'elle n'est pas bretonne !

Sans compter que dans quelques jours, Kennedy et Joy viennent me rejoindre. Ça va en faire des présentations.

Je pense que cette semaine maman va s'étrangler.

Je dois aussi rencontrer ses parents, il admet enfin qu'après six mois de relation il peut enfin me présenter à sa famille !

Dans le genre je suis lent, y'a pas mieux que mon Kenny !

Par contre il refuse toujours que je sois en contact avec son ex-femme. Et je vois qu'elle ne cherche pas à savoir qui je suis. Sincèrement, tant qu'elle ne perturbe pas notre bonheur, je me fiche de savoir qui elle est et ce qu'elle fait.

Au départ, je voulais tout savoir et puis Kennedy m'a dit qu'il ne souhaitait pas en parler. J'ai compris qu'il voulait me garder hors de tous leurs tralalas, alors je n'ai plus insisté.

Sujet tabou visiblement...

En tout cas, tout est plus fluide entre nous à présent. Il y a des prises de tête oui, mais rien de grave. Nous trouvons nos marques peu à peu et j'ai compris qu'il avait besoin de reprendre sa liberté par moment, pour lui, et aussi pour sa fille.

C'est un schéma de couple complètement différent de ce que j'ai connu mais ça me convient. Cela me permet aussi de me retrouver et j'ai du temps pour voir mes amis aussi. Je l'ai présenté à Joé qui ne l'apprécie pas vraiment.

Allez savoir pourquoi ?

Alors que Nisrine et Nilani l'ont tout de suite adopté. Cela m'a rassuré et donc je ne m'en fais pas. Si ça doit coller, ça collera.


*


- Maïchoua tu reprendras bien un peu de viande non ?

- Non Merci Madame. C'était délicieux mais je suis rassasiée.

- Maceo, ton amie ne mange rien. Il faut absolument qu'elle prenne du poids. À ce rythme là, elle va disparaître.

Maman et son tact légendaire !

- Maman, on ne parle pas des gens à la troisième personne, et encore moins quand ils sont là ! répond sèchement mon frère.

- Mais je mange à ma faim, vous savez ? Ne vous inquiétez pas Mme Le Kervellen, tout va bien.

- Bon si tu le dis. Je ne voudrais pas que tu sois mal à l'aise. Je sais que dans des pays comme le tien les repas sont frugaux, mais ici tu peux manger à ta faim.

Ma mère et ses sous-entendus... Carrément navrante !

C'est vrai que Maïsha est fine et longiligne, elle doit faire un mètre soixante-seize pour une petite soixantaine de kilos. Maman qui aime les gens biens dodus a du mal avec sa silhouette de mannequin.

- Je suis désolée Maïsha, elle est comme ça ma mère. On ne la changera pas, déclare Macéo irrité.

- Maceo, je ne te permets pas. Et puis, je ne l'ai pas dit méchamment !

- Rassurez-vous je ne l'ai pas mal pris. Tout va bien !

- Ah tu vois ? Maïchoua dit qu'elle ne la pas mal pris.

- C'est Maïsha Maman, pas Maïshoua. Mince à la fin !

- Oh mais c'est qu'il est une d'une humeur de chien celui-là aujourd'hui !

- On se demande bien à cause de qui ? Marmonne mon frère en colère.

Le repas se termine tant bien que mal dans une ambiance semi-électrique. Maceo est sous tension car Maman a accumulé les boulettes depuis que nous sommes arrivés. Elle fait des réflexions improbables, des réflexions dont elle seule a le secret. J'ai failli m'étouffer de honte en l'entendant dire :

" Heureusement, que Maïchoua est médecin. Parce que franchement elle est vraiment différente, je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi noire... Ceci dit, elle est fort sympathique."

Sous entendu: si elle avait été autre chose que médecin, elle ne l'aurait jamais accepté parce que trop noire.

Du Maman tout craché !

Et le pire, c'est qu'elle ne le fait pas exprès. Elle ne se remet même pas en question. Maceo, lui n'a toujours pas digéré. Quant à Maïsha, elle dit que ça ne la touche pas.

- Tu sais j'ai grandi en étant la seule enfant noire de ma Famille avec des parents blancs, des frères et sœurs blancs et une Famille blanche très bourgeoise. Ça ne me fait plus rien. C'est triste à dire, mais j'ai l'habitude d'entendre ce genre de chose.

- Moi je ne m'y habituerai jamais. C'est indigne d'une mère. C'est du racisme !

- Ou de l'ignorance ! Et tu sais quoi Maceo ? Je refuse que ça m'impacte. L'essentiel c'est que toi et moi on sache où l'on va, le reste n'a aucune importance.

- Bien dit Maïsha ! Prends-en de la graine frérot parce que si tu te focalises sur tout ce que maman dit et fait, tu ne t'en sortiras jamais.

- Exactement !

À la place d'une réponse digne de ce nom, Maceo grogne et jure dans sa barbe.

- De toute façon, on ne la changera pas. Maman est comme ça, et elle mourra comme ça.

- C'est bien ce qui me dérange Sissi !


*


- Sissi ! Sissi ! Je suis contente de te voir Sissi !

- Oulalala ! Ma petite fripouille ! Je suis contente de te voir aussi. Ça a été le trajet ?

- Elle a été infernale, cette enfant m'épuise.

- Oh c'est vrai ça, tu n'as pas été sage Joy ?

- Mais si, c'est Papa qui dit n'importe quoi ! J'étais très sage moi.

- Tu parles !

J'éclate de rire devant la mauvaise foi de Joy. Cette enfant est terriblement maline, elle surmonte son handicap d'une incroyable façon. Bien sûr elle a ses limites mais je la trouve intelligente et fine dans ses réflexions. J'apprécie lorsqu'elle est là avec nous, elle trimballe sa joie de vivre et sa bonne humeur partout où elle va.

- Alors on y va ?

- Oui, c'est parti.

Au départ, nous avions prévu quelques jours ensemble chez ma mère mais vu tout le foin qu'elle nous a fait pour Maïsha, il est préférable de ne pas lui infliger ça dans l'immédiat. Je préfère la laisse souffler.

Next Time !

Nous profitons de cette journée ensoleillée pour nous promener en baie de Douarnenez. L'eau est claire et belle, nous barbotons joyeusement avec Joy, pendant que Kennedy lit son magazine favoris sur la plage.

Quand l'air se rafraîchit, nous remballons nos affaires et roulons jusqu'à Quimper. C'est là que vivent les parents de Kennedy. Enfin, dans une petite commune près de là. Il faut une petite demi-heure pour atteindre la maison des Carradec.

J'appréhende. Kennedy me parle tellement peu de sa Famille que je ne sais pas trop à quoi m'en tenir.

- T'inquiète pas, ils ne vont pas te manger.

- J'espère bien, dis-je crispée.

- Ma mère est la femme la plus cool de la planète.

- tout le contraire de la mienne alors !

- Je n'en sais rien puisque que tu n'as pas voulu qu'on la rencontre.

- Oh mais je n'ai aucun regret ! Maman n'est pas encore prête à vous rencontrer, crois-moi !

- Ce n'est que parti remise.

- Oui.

Joy me saute dans les bras, alors même que la porte d'entrée s'ouvre. Une grande dame sophistiquée et typée se tient sur le seuil.

- Oh My baby boy ! Nice to see you !

- Salut Maman ! Tu as l'air en forme.

- Et toi Alors, regarde-toi, tu es beau comme un Dieu mon fils.

- Maman ! Fait-il dépité.

- Et qui va là ? Mais c'est ma petite fille chérie. Joy fait un bisou à Mamie.

La petite se jette dans les bras de sa grand-mère et la serre aussi fort qu'elle le peut.

Trop d'amour !

- Oh toi, tu dois être Elsie, n'est-ce pas ? J'ai énormément entendu parler de toi.

Tiens ! Tiens ! Monsieur bavarde avec sa Môman !

- Oui c'est ça, enchantée Madame.

- Oh non il n'y a pas de Madame qui tienne ! Appelle-moi Grace. Ok ?

- Entendu.

- Maman on peut entrer, ou tu vas nous laisser sur le palier ?

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que vous allez entrer.

Joy à déjà investi les lieux, on sent qu'elle est ici comme chez elle. Moi, j'observe. Je me sens à l'étroit et je ne m'autorise pas encore à être à l'aise. Grace et Kennedy monte nos affaires nos à l'étage et je les suis.

- Je ne savais pas s'il fallait une chambre pour vous deux ou une chacun. Alors j'en ai préparé deux. Je ne sais pas comment vous dormez !

Je rougis tellement j'ai honte. Si la pauvre dame savait qu'entre Kennedy et moi c'est l'amour platonique. Je n'ai jamais dormi avec lui, ni lui avec moi. Pour dire la vérité au départ, ça me gênait puis finalement, je trouve que ce n'est pas plus mal. Je sais au moins que s'il est avec moi, ce n'est pas pour les galipettes.

Honnêtement, cette période d'abstinence me permet aussi de remettre de l'ordre dans mes sentiments. Je suis plus concentrée sur ma relation avec lui, que sur mon désir de lui plaire ou de le satisfaire.

- On dormira dans la même chambre Maman. Merci !

Je n'ose pas regarder Kennedy, tant la honte me transpire des yeux.

Et le gars dit à sa mère je dors avec elle... Sans pression ! Oh-mon-Dieu !

Une fois seuls, je m'assois prudemment sur le rebord du lit, Kennedy s'approche moi et me relève. Il m'attrape par les hanches, se penche vers moi et m'embrasse. J'aime ces moments où il se manifeste tendrement.

- Je suis content que tu sois là.

- Je suis contente d'être là aussi.

- ...

Nous sommes interrompus par Joy qui entre dans la chambre sans prévenir, elle cherche son papa.

- Vous vous faites des câlins ?

Cette enfant est née avant la honte !

- Oui, tu veux nous en faire un aussi ?

- Ben oui. Pas que vous quand même !

Elle me tue. À presque quatre, elle est désarmante de sincérité et j'espère qu'elle conservera cette qualité en grandissant.


*


Grace est une femme absolument charmante. Elle me présente ses albums de famille et je constate que Kennedy a toujours été très grand. Petit, son teint était plus clair. Il est devenu beaucoup plus matte en grandissant.

Ce qui n'est pas pour me déplaire !

Il n'a ni frère, ni soeur. Sa mère dit avoir eu bien du mal à l'avoir et que la nature ne lui a jamais plus accordé aucune autre grossesse. Alors son fils, c'est la prunelle de ses yeux. Je sens qu'ils sont très proches. Elle le materne comme s'il avait encore dix ans. Elle dit qu'elle a choisi le prénom Kennedy car elle adorait le médecin qui l'avait suivi pendant sa grossesse, il portait le même nom.

Personnellement, je trouve que Kennedy Carradec ça craint, mais bon...

Grace a grandi au Ghana à Accra, sa mère est de Quimper et son père est originaire de Kumasi, l'une des villes les plus importantes du pays. J'aime l'entendre raconter ses histoires. Elle n'est pas timide du tout et dégage une joie de vivre qu'elle devrait communiquer à son fils.

- Je suis heureuse de te voir Elsie, j'ai tellement entendu ton nom ces derniers temps. La première fois que Kenny m'en a parlé, j'ai prié pour que tu sois la bonne. Presque trois ans sans personnes de sérieux... Tu te rends compte ? Ce n'est pas digne d'un beau garçon comme lui, tu ne trouves pas ?

- Maman arrêtes !

- Mais quoi c'est la vérité ou pas ?

- Mais arrêtes un peu ! Râle-t-il !

- Et puis avec Joy ce n'est pas évident. Tout le monde n'accepte pas de prendre en charge une telle enfant.

- Mais Maman !

- Oh mais va faire un tour et laisse-nous parler entre filles ! Allez oust ! Du balai !

Je ris de le voir si embarrassé. Moi je suis ravie de rencontrer quelqu'un qui a des choses à me raconter à son sujet !

- Mais au fait où est Papa ?

- Il est parti à la pêche avec Jeannot, il ne devrait plus tarder. Bon va faire un tour mon garçon, et laisse-nous bavarder.

-Ok. J'emmène Joy avec moi.

- Dès bien, à tout à l'heure alors ?

- Elsie...

- Oh ne t'inquiète pas, elle est entre de bonnes main fiston. Tu peux être tranquille !

- Oui justement, ça m'inquiète.

Kennedy s'en va avec sa fille. Avec sa mère nous poursuivons notre discussion en même temps que nous préparons le repas du soir. Je crois qu'en trois heures avec elle, j'en apprends plus qu'en six mois avec son fils.

Grace me parle beaucoup de l'enfance de son fils, et aussi de la façon dont il a souffert lorsque sa femme est partie.

Apparemment c'était bien chaud !

Après la fuite de son épouse, c'est chez sa mère qu'il a atterri avec son bébé de quelques mois. C'est elle qui lui a appris comment s'en occuper, c'est encore elle aussi qui a fait les allers-retours à Paris pour pouvoir la garder le temps qu'il trouve une place en crèche et c'est elle qui s'en occupe pendant les vacances. Grace ne porte pas son ex-belle fille dans son coeur et les mots qu'elle utilise pour mon parler n'ont rien de glorieux :

- Celle qui sert de mère à ma petite-fille est une peste. Je ne veux même pas avoir à prononcer son nom tant elle m'énerve celle-là ! Brouuuuuu !

Je ne dis rien. C'est préférable.

- Enfin, j'espère seulement que Kennedy s'ouvrira à toi. Il a tellement souffert qu'il s'est complètement renfermé et le fait qu'il t'emmène ici, c'est un superbe progrès. Son père et moi, nous sommes ravis, tu ne peux pas t'imaginer à quel point !

- Merci Grace.

- En tout cas, il a l'air de tenir à toi.

- Je tiens à lui aussi.

- Mais ça se voit !

Si ce que Grace dit est vrai, alors je ne peux qu'être heureuse. Je reste cependant sur mes gardes, parce que Kennedy me dévoile encore très timidement ses sentiments. Je ne veux pas être déçue. Avec ma petite expérience, j'ai compris, qu'il valait mieux construire progressivement et durablement, plutôt que rapidement et de façon éphémère. J'accepte qu'il prenne son temps.



***


Nicolas Carradec est un homme agréable, je comprend mieux le caractère taciturne de son fils lorsque je le vois. C'est un homme discret et réfléchi, à l'opposé de son épouse qui est volubile et extravertie. Cette famille est agréable et accueillante, en voyant Grace faire, je me dis que ce serait bien que Maman en prenne de la graine.

- Bon, on va aller se coucher nous. On vous abandonne annonce Kennedy.

- Déjà ? Oh quel dommage !

- Mais ils sont encore là demain Gracy chérie. Laisse-les ils croulent sous la fatigue, surtout lui !

- Bon d'accord, lance-t-elle déçue. Je m'occuperai de Joy demain matin comme ça vous pourrez faire la Grace matinée, dit-elle avec un air coquin.

- Maman! Tu ne t'arrêteras donc jamais ?

- Olalala ! Bon je me tais, je me tais.

- Bonne nuit !

- Bonne nuit mes chéris ! À Demain.

Une fois prête à me coucher, je m'installe sous la couette et mon coeur bat à mille à l'heure. C'est comme si c'était la première fois que j'approchais d'un homme. Kennedy s'installe à son tour dans le lit.

Je meurs dans 4, 3, 2, 1 seconde.

- Ça va ?

- Oui et toi ?

- Ça va.

- Journée intense n'est-ce pas ?

- Intéressante je dirais. Ta maman est un sacrée numéro.

- Oh oui ! Elle est très indiscrète aussi.

- Mais elle est tellement gentille qu'on lui pardonne tout.

- C'est vrai !

- Et ton Papa est une crème.

- Je crois qu'ils t'apprécient tous les deux. C'est bien dit-il en souriant.

- C'est réciproque.

- C'est la première fois depuis trois ans que je présente quelqu'un à mes parents.

- Merci pour ta confiance.

- C'est moi qui dois te remercier, si je l'ai fait, c'est que je crois que toi et moi...

- Toi et moi ? Ouhhh ! Y'aurait-il un "nous" ?

- Je crois bien que oui.

- ...

Je suis émue. Kennedy m'embrasse langoureusement, ses mains douces se posent sur ma peau. Notre proximité m'apaise. Il devient très entreprenant et je suis horriblement gênée.

- On ne peut pas faire ça ici !

- Et pourquoi pas ?

- Et tes parents ?

- Je m'en fiche de mes parents !

Il me sert si fort dans ses bras que j'entends son coeur battre contre le mien.

- Mon Dieu Kennedy c'est gênant !

- Je dirais plutôt excitant !

- Kennedy !

- T'inquiètes pas...


***

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