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"La magie du premier amour, c'est ignorer qu'il puisse finir un jour "
Proverbes Anglais.
*
Dans le salon de l'appartement familial, je répétais avec rigueur, tous mes morceaux de piano. Ce stage de musique et chant m'apportait bien plus que ce que j'espérais. J'étais dans mon élément et surtout, j'étais heureuse. Papa qui rentrait de sa journée au cabinet, s'était assis près de moi :
- Mon Dieu ma fille, ce que tu as progressé ! Tes doigts défilent sur les touches avec une telle dextérité !
- Merci Papa, c'est juste magique ! Ce stage est ce dont j'avais besoin. J'apprends tellement de choses... J'aimerais que ça ne s'arrête jamais.
- Si tu aimes ce que tu fais, c'est bien ! Je suis fière de toi en tout cas.
- Merci Papa. Mais, il faut dire que John y est pour beaucoup, ai-je dit avec un large sourire aux lèvres.
- Qui est John ? Me demanda Papa.
- L'animateur du stage. Il est génial Papa !
- Mais il ne faut pas oublier l'école. Si tu travaillais tes leçons autant que tes chansons, tu serais très certainement la meilleure élève de ta classe, ajouta Maman.
Et voilà que la mère fouettard, se mêlait à nouveau de ce qui ne la regardait pas.
Maman avait le chic pour s'infiltrer dans mes conversations avec mon père, on aurait dit qu'elle ne supportait pas que je m'entende mieux avec lui qu'avec elle. Mais la vérité c'était que Maman ne s'intéressait pas vraiment à moi.
Papa lui, me demandait, ce que j'aimais, qui je fréquentais, pourquoi je pleurais, ce qui n'allait pas. À vrai dire, il était plus une mère pour moi que ma propre mère. Il avait cette tendresse qui me rassurait.
J'aurais aimé qu'il soit plus présent dans notre vie de famille, mais il n'en faisait rien. Il laissait toujours Maman faire et elle avait souvent le dernier de mot. Et malheur à lui, s'il osait donner son avis...
Ce que ça pouvait m'agacer !
Je continuais à jouer un moment, j'aimais le son que rendait le piano quand j'associais les touches entre elles. Je voulais continuer à travailler encore et encore... D'habitude, je n'étais pas si assidue avec cet instrument, mais cette fois, j'avais une bonne raison de me motiver.
Secrètement, j'en pinçais pour un petit gars du stage. Léopold. Un grand brun, bien bâtit et doué pour le piano. Un véritable génie ! Je m'entraînais pour pouvoir l'impressionner, malgré le fait que je sois très consciente qu'il n'en ait absolument rien à faire de mon existence !
Dès que je le voyais, mon cœur battait à fond la caisse et la grande timide que j'étais ne savait que rougir lorsque par hasard, nous échangions un regard. Une semaine de stage avait suffi pour me rendre complètement dingue de lui. Et c'était la toute première fois que je me trouvais dans cet état.
Bien sûr, j'avais déjà eu le béguin pour d'autres personnes, mais là, c'était différent. Je pouvais maintenant comprendre Tanesha quand elle disait qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à Nils.
Et moi qui la critiquais...
Le seul problème était que je n'avais jamais adressé la parole à Léopold. Nous étions une vingtaine de stagiaires en tout et entre lui et moi, il n'y avait presqu'aucune interaction. Il a fallu attendre les derniers jours du stage pour que quelque chose se passe enfin :
- Bon les jeunes ! Aujourd'hui, on va essayer quelque chose de nouveau dit John. Cela fait une semaine que vous travaillez individuellement mais maintenant, je veux que la magie opère. Je vais former des binômes, ou des duos si vous préférez et vous allez devoirs vous accorder pour chanter et jouer ensemble. Ce n'est pas un exercice facile les amis ! Surtout lorsqu'on considère le fait que vous ne vous connaissez pas ! Mais j'attends de vous que vous réussissiez. C'est aussi cela faire de la musique.
- Mais que doit-on faire exactement demanda l'une des stagiaires ?
- Vous devrez interpréter une chanson. Celle de votre choix. La seule chose que j'exige, c'est la passion.
- La passion ?
- Oui les enfants ! La passion ! Je veux sentir que cet art vous passionne. Quel que soit l'instrument que vous choisirez, piano, guitare, violon, voix... Je veux juste sentir votre passion pour la musique ok ?
- Ok ! Avions-nous répondu tous en chœur.
Et John de rajouter :
- Le binôme qui réussira le mieux, m'accompagnera à un concert de Gospel. Et pas le moindre. Il y aura des stars internationales du Gospel. Vous verrez comment les musiciens et les chanteurs dans cette discipline sont passionnés ! Ils font un sacré travail d'ensemble. C'est un partage et il y a très peu de place pour l'individualisme et la médiocrité. Vous avez une journée pour vous préparer et demain je vous auditionnerai. Bonne chance à tous !
J'avais envie de pleurer. Tant que les efforts qu'on me demandait me concernait tout allait bien. Mais chanter jouer du piano ou d'un tout autre instrument avec quelqu'un d'autre, ce n'était pas possible !
Je tentais alors d'en toucher un mot à John, mais ce dernier sûr de lui et de sa méthode me demanda de lui faire confiance. John, voulait nous faire comprendre que la musique était un art qui fonctionnait très bien collectivement. Il s'agissait de nous apprendre à nous oublier, pour pouvoir partager notre passion avec les autres et non l'inverse.
Au fur et à mesure qu'il constituait les binômes, mon cœur se serrait. Et comme à chaque fois que j'étais stressée, mes mains devenaient moites. J'étais très mal à l'aise et je l'étais encore plus, lorsque j'entendis John me coller à Léopold pour cet exercice.
Je craignais de ne pas être à la hauteur, ce garçon avait vraiment du niveau. En revanche, j'étais heureuse de pouvoir passer une journée complète à côté du type qui remplissait mes pensées.
- Salut ! Je suis Léopold mais tout le monde m'appelle Léo, dit-il en me tendant la main.
Je le sais déjà mon pauvre ami !
- Moi, c'est Elsie.
- Elsie ? C'est un drôle de prénom je trouve.
- Pas plus que Léopold !
- Tu as raison. Je ne sais pas à quoi pensaient mes parents, dit-il en riant !
J'arrivais à le faire rire, c'était déjà un bon début !
- Je ne te le fais pas dire...
- Alors, comme ça on va devoir s'apprivoiser ? Enfin... Je veux dire euh... Musicalement quoi !
Si c'est autrement que musical, je veux bien aussi !
- Oui ! Je crois bien !
Ses yeux étaient d'un vert incroyable. Je sentais mes joues rosirent instantanément. J'avais honte de me trouver là, en face lui. J'avais tellement de complexes. Et lui était si... En fait, je crois bien que personne ne m'avait jamais fait l'effet qu'il me faisait là.
- Dis-loi Elsie, comment veux-tu qu'on s'y prenne ?
- Euh... Je ne sais pas... Je...
- Si tu permets. Je préfère te laisser chanter. Je suis plus à l'aise derrière mon piano.
- T'es sûr ?
- Je t'ai entendu chanter l'autre jour... Tu as du talent.
- Merci. C'est gentil !
- C'est sincère? Tu as une très jolie voix.
Je n'osais pas le contredire, mais sa voix était bien plus intéressante qu'il ne le pensait. Ce qui me gênait, c'était de le laisser m'accompagner au piano. Il allait devoir être attentif à moi et comme d'habitude, ça m'intimidait.
- Alors ? Qu'est-ce que tu en dis ?
- Ok. On fait comme ça.
Quelle gourde ! J'aurais dû lui avouer que je ne voulais pas !
- Quelle chanson voudrais-tu travailler ? Parce que je ne suis pas très à l'aise sur le thème que John nous a donné.
- Moi non plus, dis-je en riant nerveusement.
- La passion... À part la musique je n'ai pas d'autre passion... Enfin si le basket... Mais c'est tout et toi ?
- Pareil. Musique, chant et aucun sport.
- On est bien avancé là ! Dit-il en riant franchement.
- Alors vous deux ? Avez-vous trouvé votre chanson ? Demanda John en nous interrompant. Je compte sur vous pour tout déchirer. Vous en êtes capable les gars ! N'oubliez pas le thème ! La passion...
- Wouais ! Wouais ! Ça ne nous parle pas trop, mais on va y arriver dit Léo sans se départir de son beau sourire.
- Et bien faites comme si ça vous parlait ! Et puis, n'oubliez pas, il y a des places de concert Gospel à gagner. Je ne vous dis pas qui, mais ce sont de grands artistes ! Ça serait dommage de louper ça non ?
- Oui ! Oui ! On sait dit Léo tout excité. Alors on se met au travail Elsie ?
- Avec plaisir !
*
- Et donc il t'a embrassé ?
- Oui ! Et je n'ai pas protesté ! Bien au contraire...
- T'es sérieuse Elsie ?
- Tanny, je ne peux pas être plus sérieuse ! C'était juste... Waou !
- Et tu comptes le revoir maintenant que le stage est terminé ?
- Je l'ai déjà revu deux fois déjà Tanny !
- Mademoiselle Le Kervelen !
- Non seulement il est beau mais en plus il est super intéressant, doué, talentueux... Ahhhh!
- Combien tu lui mets sur dix ?
- Sur dix, je lui donne vingt !
- Ahnnnnnnn Elsie !
- Mais quoi ? Il les mérite, je t'assure.
- Où est passé mon Elsie ? La fille sage et réservée que je connais. Celle qui ne voulait pas qu'on lui parle d'amour ?
- Elle est partie loin. Très loin, il faut l'oublier.
- Tes parents sont au courant ?
- Tu rigoles ou quoi ? Mon prochain stage est en février. Si je veux avoir une chance d'y participer, j'ai intérêt à garder tout cela pour moi.
- Waou ! Mais pourquoi tu chuchotes ?
- Il se fait tard et la chambre de Dylane est juste à côté. Je ne veux pas qu'elle sache... Tu la connais.
- Ouais c'est vrai ! Elle est trop chiante celle-là !
- Bon et toi avec Nils ?
- Disons que nous nous sommes expliqués. Je lui pardonne tout Elsie, j'ai vraiment envie d'essayer. Il n'est pas celui qu'on croit.
- Humm ! C'est ça ! Et Emily dans tout ça ?
- Oh ne t'inquiète pas pour elle. Lorsque Nils ne pourra plus se passer de moi. Il la quittera.
- Tanesha Essonga, tu fais n'importe quoi !
- Mais quoi ? On ne vit qu'une fois non ?
- Et voilà qu'elle parle comme lui maintenant ! Je t'aurais prévenu Tanny. Je t'aurais prévenu !
- Tu es pire que Nisrine ! Vous inquiétez pas les gens ! Tout va bien. Je gère !
- Puisque tu gères... Dis-je peu convaincu.
- Hey ! Je raccroche. Si ma mère me trouve au téléphone à cette heure-ci, je suis morte.
- Ok, mais on se voit demain ?
- Non. Lundi. Demain je vois Léo.
- Léo par-ci ! Léo par-là ! Dis donc tu n'as que son nom à la bouche. Faudrait pas oublier que ta meilleure pote c'est moi quand même ?
- T'inquiètes. C'est quelque chose que je ne peux pas oublier. Tu es inoubliable ma Tanesha.
- J'préfère ça !
- On se voit lundi au lycée ?
- Ok Miss Mamours ! Soit sage avec Léo ! Dit-elle en insistant sur le nom de mon petit ami.
- Toi-même sois sage !
- Elsie !
- Tanny !
- Bon soyons sages toutes les deux ! Ça te va ?
- Oui ! Voilà !
Grâce à ce stage, je passais les plus belles vacances de Noël de ma vie. J'attaquais la nouvelle année avec une nouvelle motivation. En un claquement de doigt, ma relation avec Léo avait pris un sacré tournant. Ce dernier confirmait le sentiment que mon avenir était dans la musique, que j'étais une artiste dans l'âme et certainement pas une scientifique !
Je me demandais alors comment j'allais m'y prendre pour faire comprendre à mes parents que je m'ennuyais à mourir au lycée. Comment dire à Maman, que je voulais quitter mon établissement scolaire pour faire plus de musique ? L'idée commençait à être pesante dans ma tête Et plus j'y penser, plus j'avais envie d'abandonner l'école pour faire ce qu'il me plaisait.
Réellement, je ne me voyais pas continuer à faire des études encore dix ans. Je ne voulais ni devenir médecin, ni pharmacien, rien de tout cela. Je voulais être une artiste. Une artiste aussi douée que passionnée, comme ceux que nous avions vu au Concert auquel John nous avait emmené. C'était juste sensationnel ! Je ne connaissais pas le Gospel et je découvrais une nouvelle discipline à travers ces chants sacrés.
Pour la petite histoire, Leo et moi avions gagné le défi lancé par John. Léo avait trouvé l'accompagnement parfait pour la chanson que nous avions choisi d'interpréter. À ma grande surprise, les autres stagiaires furent éblouis par notre interprétation. Nous avions proposé une chanson de Bryan Adams, « Do it for you ». Lui au piano et moi à au chant. C'était surprenant mais ça fonctionnait.
En tout honnêteté, je pensais vraiment et je le pense toujours, que c'était le jeu de mains de Léo qui avait fait la différence. C'était un virtuose, la musique coulait dans ses veines et les notes couraient en s'organisant de sa tête, jusqu'au bout de ses doigts. C'était magique de pouvoir travailler avec lui. Léo, lui pensait que c'était grâce à moi. Il disait ne pas comprendre comment une petite blonde, timide et gracile pouvait avoir tant de force et de passion dans la voix.
« Tu chantes comme une femme noire, me disait-il en souriant. J'aime tellement le son qui s'échappe de toi ».
J'étais gênée et flattée à la fois et surtout, je me trouvais chanceuse que ce mec de vingt ans s'intéresse autant à moi. Et à force de nous voir pour faire de la musique ensemble, nous avons fini par nous apprécier. Au point que, lorsque par surprise il avait approché ses lèvres des miennes, je m'étais empressée de lui rendre son baiser. Depuis, Léo et moi nous ne nous quittions presque plus. Du haut de mes dix-sept ans, je vivais cette expérience avec beaucoup d'engagement.
Les choses s'étaient passées très vite entre nous, mais nous étions heureux. Léo était surtout mon tout premier amour. Celui qui malgré le temps, ne s'oublie jamais complètement.
***
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