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" Deux choses nous empêchent d'être heureux: Vivre dans le passé, et juger les autres "
Paulo Coelho
*
Nilani est en pleure. Elle a débarqué tout à l'heure de Londres sans que je ne sache exactement pourquoi.
- Je le déteste crit-elle ! Et elle aussi je la déteste !
J'attends que la tempête passe, pour qu'elle puisse enfin m'expliquer. Je ne sais pas ce qu' Ijaz lui a fait mais visiblement ça la met en colère. Elle jure et peste contre lui avant de se calmer enfin.
- Vas-tu enfin me dire ce qu'il se passe, oui ou non ?
- C'est Ijaz. Il est...
- Je t'en supplie Nilani cesse donc de pleurer !
- Sa mère est chez nous pour trois semaines. Depuis qu'elle est arrivée...
Elle renifle bruyamment puis continue.
- Elle n'arrête pas de critiquer tout ce que je fais et, je n'ai plus une minute pour respirer.
- D'accord...
- Et puis Ijaz, ne fais qu'appuyer son point de vue. "Fais comme Maman te dit, elle a de l'expérience elle", "Tu devrais l'écouter, ses conseils sont précieux", " Tu vois même Maman a remarqué que... ". Et patati et Patata !
- Ça va passer.
- Par Shiva ! C'est bien ça le problème. Ça ne passe pas !
- Mais si, tu verras, ça passera. Ça ne fait qu'une semaine.
- Oh non ! Certainement pas. Tu te rends qu'elle a même décidé qu'elle devait me prendre en coaching pendant nos vacances d'été au Pakistan.
- Mais quel coaching ?
- Cuisine !
- C'est quoi cette belledoche ?
- Elle dit qu'il faut qu'elle comble mes lacunes avant qu'un jour je ne devienne mère. Genre, je suis une catastrophe ambulante. Non mais je rêve quoi !
- Mais de quoi elle se mêle la vieille ?
- On se le demande ! Et figures-toi que mon imbécile de mari trouve que c'est une excellente idée. Je vais le tuer ! Et je la tuerai après !
- Aïe !
- Tu vois ça ne se fait pas parce qu'indirectement, elle critique l'éducation que j'ai reçu. C'est un peu comme si elle critiquait ma mère.
- Je comprends !
- Et elle critique d'avance la future maman que je serai, sans même me laisser une chance d'essayer. Je ne peux pas le supporter ! Je vais lui faire du mal Sissi, je te jure.
- Ne jure pas sur de telles choses Nilani. C'est laid !
- Je vais la tuer je te dis !
- Ah les belles-mères ! Comment font-elles pour nous faire sortir de nos gonds ?
- Je ne sais pas. À croire qu'elles ont un don pour nous embêter !
- Et Ijaz ne dit rien ? Ça m'étonne de lui tout de même.
- Rien en ma faveur en tout cas. Quand j'ai essayé de lui expliquer tout ça, il l'a très mal pris. Il dit qu'il ne se serait jamais permis de dire du mal de ma mère. Sa mère c'est sa vie !
- Oui bon ça va ! Il faut couper le cordon ombilical maintenant hein !
- Il dit que je suis une gamine pourrie gâtée et qu'il faut que j'apprenne à accepter les critiques et les conseils surtout lorsque c'est positif. Tu vois quelque chose de positif là-dedans toi ?
- Ah quand même... Il a du niveau ton mari ! Et donc c'est pour cela que tu te retrouves ici en pleurs ?
- Oui. C'est surtout que...
Oh non! Elle se remet à pleurer.
- Je ne veux pas que mon enfant subisse mon stress. Je ne veux pas qu'il entende toutes ces choses négatives sur moi.
- De quel enfant parles-tu ? T'es pas enceinte ? Si t'es enceinte ? Nilani t'es enceinte ? T'es enceinte c'est ça ? Oh !
Si c'est ce que je crois, cela explique peut-être son état. Quelle façon très originale de me l'annoncer ! Mon coeur a cessé de battre le temps d'une seconde.
- Ouiiii ! Lâche-t'elle dans un flot de larmes inconsidérables.
- Mais tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? Oh mais c'est merveilleux Nilani ! Oh mon Dieu ! Je suis tellement heureuse pour vous. Félicitations !
- ...
Nilani m'explique qu'elle est enceinte de deux mois environ. Elle l'a découvert il y a une petite semaine et elle voulait attendre l'anniversaire de son Ijaz pour le lui annoncer, histoire de lui faire la plus belle des surprises. Malheureusement, sa belle-mère s'est organisée trois semaines de congés à Londres, chez son fils bien-aimé et sans prévenir.
Encore une qui croit que le foyer de son fils est obligatoirement sa résidence secondaire ! Foutaises !
Je crois aussi que la fatigue et les hormones peuvent devenir un cocktail dangereux chez une femme enceinte. Là, Nilani craque complètement et Ijaz n'a pas du tout assuré.
- J'ai besoin de dormir Elsie. Je suis à bout de nerf. Je sens que ma tête va exploser. Je ne me sens pas bien là, dit-elle en s'allongeant sur le canapé.
- Et bien repose-toi alors. Tu ne veux pas appeler ton mari avant ?
- Et pourquoi ça ?
- Pour qu'il sache au moins que tu es ici ? Il doit être inquiet.
- Téléphones-lui si tu en as envie. Moi, je n'ai rien à lui dire !
- Nini !
- Non. Il n'avait qu'à épouser sa mère si elle est si parfaite, mais il ne faut pas qu'il vienne me saouler ! Je les déteste !
- Dis pas ça... Allez, reposes-toi.
- Merci d'être là pour moi Sissi.
- Y'a rien de plus normal, tu es ici chez toi. En même temps, il faut quand même que tu saches que je serai la pire des amies si je te disais que tu peux rester ici tant que tu veux. Tu le sais n'est-ce pas ?
- Malheureusement oui mais pour l'instant, je voudrais juste dormir.
- Alors dors ma belle. Et essaie de te calmer.
- Quelle misère !
- Ça va aller !
*
Plus ça va, moins je le vois; j'ai le sentiment que Kennedy me fuit. Je ne voudrais pas me prendre la tête avec lui mais j'estime quand même que lorsqu'on dit qu'on veut mieux connaître quelqu'un, on fait des efforts pour passer du temps avec. Et ce n'est pas ce que fait Kennedy.
Je suis embarrassée parce qu'une part de moi voudrais lui parler franchement, pour lui demander s'il ne se fout pas un peu de moi, l'autre part voudrait se montrer plus conciliante et patiente. Je suis un peu perdue.
Je voudrais juste qu'on partage plus de choses ensemble, seulement Monsieur a l'air overbooké. Il faut que je laisse faire le temps, dee toute façon je n'ai pas le choix. Je le sens plus fragile et moins prêt que je ne le suis, à poursuivre cette relation. Je ne veux pas le brusquer et risquer de tout faire péter mais il me plaît beaucoup. Alors j'attends, mais jusque quand ?
Depuis le dîner chez moi, il y a presque trois semaines, je ne l'ai revu que deux fois et rapidement, entre deux rendez-vous. En somme, je ne le vois pas autant je le voudrais. Ça me chagrine mais j'opte pour le silence. Je me souviens encore de ce que la passion et la précipitation ont emmené dans ma vie.
Plus jamais je ne veux vivre ça !
*
Nous revoilà au "Beaucoup", le restaurant où nous sommes vus la première fois. Ça a l'air d'être son QG, il me donne presque tout le temps rendez-vous là-bas.
Ça ne me dérange pas plus que ça, car la cuisine y est bonne. Mais j'aimerai parfois un peu plus qu'un bon restau, comme un cinéma, un concert ou une expo.
Kennedy est toujours aussi calme et nos discussions sont toujours sur les mêmes thèmes. J'aimerai pousser la porte qui nous sépare, pour qu'il puisse se confier. Je sens bien que quelque chose le retiens. Quelque chose qui dépasse sa relation avec Joy. Mais je ne sais pas quoi.
Je décide finalement de mettre les pieds dans le plat. J'ai l'air de ne pas avoir de tact, mais comme j'aime le dire : La curiosité est certainement un vilain défaut, mais en tout cas, ça ne tue personne ! Je lui pose donc la question qui me turlupine depuis des jours.
- Je voudrais te demander... Si... Humm... En fait comment tu envisages notre relation ?
- Euh...
- Je sais c'est délicat d'aborder le sujet de cette manière mais je voudrais savoir où nous allons.
- Je suis désolé, je vois que mon silence des dernières semaines t'a frappé aux yeux.
- Oui. Depuis le dîner chez moi, j'ai l'impression que tu m'évites. Ai-je dis ou fais quelque chose qu'il ne fallait pas ?
- Oh non tu es parfaite. C'est juste moi. Je... Je pense que j'éprouve des sentiments pour toi et c'est la première fois que ça m'arrive depuis mon divorce. Je suis si maladroit...
- Alors nous sommes sur la même longueur d'onde. On a juste peur de se tromper, c'est ça ?
- C'est à peu près ça. T'es une fille extra Elsie, je t'apprécie vraiment.
- Pourtant j'ai l'impression que tu me fuis.
- Tu sais l'année dernière j'ai eu une relation suivie avec une femme et ça s'est très mal passé... J'ai très mal géré !
- Mais je ne suis pas cette femme, ni la mère de ta fille d'ailleurs !
- Je sais bien, c'est juste que je veux nous éviter que... En fait, j'ai peur que ça se finisse mal. Je ne suis absolument pas doué pour parler avec les femmes. Je suis maladroit... Et... Brrr ! Tu vois je ne sais pas bien comment m'exprimer.
- Pourtant tu te débrouilles très bien.
-Je suis un grand timide mais je me soigne. C'est plus facile pour moi de converser derrière l'écran d'un ordi... Je suis désolé, je ne suis pas foutu de te montrer... Mais...
- Chut...
Je pose mon doigt sur ses lèvres. Il rougit et ça m'amuse de voir qu'il réagit ainsi. Je finis par déposer un baiser léger sur ses lèvres; Kennedy se décrispe à mon contact.
- Tu vois, tu n'as pas toujours besoin de parler, dis-je en souriant.
- C'est vrai. Parfois je me prend la tête tout seul.
- Ça pourrait être si simple !
- Elsie ? Je voudrais te poser une question si tu permets.
- Mais je t'en prie.
- Tu es divinement belle. Intelligente et sympathique. Qu'est ce que tu fais toute seule ? Qu'est-ce que tu attends d'un bras cassé de l'amour comme moi ?
- Tout ce que je n'ai pas eu. Je suis aussi cassée que toi et en réalité, j'ai été brisée de l'intérieur. J'ai du mal à faire confiance maintenant par contre tu me donnes envie d'essayer. Je ne dis pas que ce sera facile mais j'ai envie d'essayer. Et ce ne sera possible que lorsque tu arrêteras de me fuir.
- Je te remercie pour ton honnêteté. C'est très appréciable. Je ne te promets pas que ça marchera entre nous mais je te promets d'essayer.
- Alors essayons.
- Il y a juste un petit problème.
- Joy, c'est ça ?
- Non, sa mère.
- Elle... Elle est spéciale. Et tu vas devoir la rencontrer de temps en temps si on se met ensemble.
- Bien. On essaiera, on verra ce que ça donne.
- Elle vient chercher Joy deux week-end par mois, chez moi. Il va falloir composer.
- Ok...
- Au départ je ne voulais pas qu'elle la voit. Je n'ai pas supporter qu'elle me laisse seul avec un nourrisson dans les pattes. Et puis, elle a voulu revenir. J'ai refusé.
- Compliqué !
- Ensuite, elle a voulu reprendre Joy, un an et demi après sa naissance. J'ai encore refusé, et cette fois-ci, elle m'a emmené au tribunal la garce.
- C'est le juge qui a décidé ça ?
- Oui. Et, tu seras certainement amené à lui parler, puisque mon ex-femme tentera de s'immiscer dans notre relation par ce biais. Elle n'acceptera pas qu'une étrangère la voit plus souvent qu'elle et elle tentera à nouveau d'obtenir sa garde au tribunal.
- Oh mon Dieu c'est vraiment compliqué !
- Oh oui !
- Je comprends mieux d'où vient ta prudence quant à notre relation mais ne t'inquiète pas. Je sais me tenir tu sais, j'ai traversé pire que ça. La jalousie ça me connait, dis-je en ricanant.
- Tant mieux alors, parce qu'elle risque d'être très offensive. Bien qu'on soit séparé et qu'elle ait quelqu'un dans sa vie, Jenny pète un plomb quand elle sait que je fréquente quelqu'un.
- C'est pour cela que ta dernière conquête est partie ?
- En partie oui. Je n'ai pas su gérer leurs égaux et tout ça commencé à peser sur la stabilité de Joy. Je veux être certain que ça puisse coller entre-nous avant d'affronter tout cela à nouveau.
- Mais on peut lui cacher notre relation, non?
- Joy en parlera et inévitablement elle le saura. Ensuite elle me cassera les pieds jusqu'à la fin des temps. Mon ex est du genre procédurière vois-tu ?
- Humm, je vois ! Écoutes, je te propose qu'on fasse ce que nous avons envie de faire et pour ton ex on verra au moment opportun.
La suite du repas prend une autre tournure, sa parole se libère et la mienne aussi. Je lui raconte un peu mon parcours et je ne me sens pas jugée. Il faut dire que son dossier est plus lourd. Son insécurité affective me touche au plus haut point. Ça me donne envie de le protéger alors que j'ai moi-même d'immenses failles.
Paradoxal !
En revanche, je sais que s'il ne veut pas de moi, il me le dira. Il joue franc-jeu. Il est totalement différent des hommes avec qui j'ai été auparavant. Quand je pense que ce grand timide dirige tout une équipe d'architectes chevronnés et qu'il n'arrive même pas à me dire clairement quels sont ses sentiments...
J'espère juste qu'après cet ultime mise au point, il va se révéler plus entreprenant et moins fuyant. J'espère aussi que la mère de sa fille est moins pénible que ce qu'il prétend. Je souhaite simplement qu'il me laisse une chance avec lui. Je sais d'avance que ce ne sera pas facile, mais je sens qu'il en vaut la peine.
Avec Kennedy, c'est du "lentement mais sûrement ", mais je préfère cela, à la vitesse ravageuse de la passion.
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