" On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu'on prend pour l'éviter"

Jean de la Fontaine

*

- Tu n'as absolument pas changer. Enfin si... euh non... je suis désolée... enfin je... suis perturbée là ! Wow !

- Si je m'attendais à te voir ? Comment vas-tu depuis tout ce temps ?

- Bien ! Bien ! T'es devenue une sacrée belle femme Elsie !

- Merci Aline. Tu n'as pas changé non plus.

- Tu es venue pour l'audition ?

- C'est ça.

- Et tu repars déjà ?

- Je suis arrivée en avance, alors on m'a auditionné et j'ai été prise.

- Pourquoi ça ne m'étonne pas ? Tu as toujours eu du talent.

- Merci Beaucoup.

- Et toi aussi tu auditionnes ?

- Oh non ! Mon amie Sandrine m'a demandé de l'assister pour les sélections, alors je viens lui filer un coup de main.

- Ok...

- Ok...

- Bon... Je dois y aller.

- Ok... Ça m'a fait plaisir de te revoir Elsie.

- Mais moi aussi.

- À la prochaine peut-être ?

- Oui à la prochaine.

Wow si je m'attendais à ça ! Je reprends mon chemin vers la sortie lorsqu'Aline m'interpelle à nouveau.

- Euh Elsie ?

- Oui ? Dis-je en me tournant vers elle.

- J'espère que tu ne m'en veux pas pour tu sais quoi ?

- Pas le moins du monde.

- Tant mieux alors, parce que... En fait... Ça te dirais qu'on prenne un verre un de ces jours ? On pourrait bavarder un peu.

- Je ne sais pas... Pourquoi pas ?

- Alors dans ce cas, échangeons nos numéros.

Je griffonne mon numéro de téléphone sur un ticket caisse, qui traîne dans le fond de mon sac. Aline, s'approche et me tend sa carte de visite.

Organisée la nana. Elle n'a pas changé !

- Je suis ravie de t'avoir revu Elsie, je te dis à la prochaine ?

- C'est ça... À la prochaine.

J'ai comme l'impression d'être en apesanteur. Je ne m'attendais pas à voir Aline et je ne m'attendais pas à être bouleversée par sa présence. Tellement de souvenirs remontent à la surface. Des bons et surtout des mauvais.

Je n'aime pas repenser à tout ça. Surtout en ce moment. En fait, je n'aime pas repenser à Stan tout court. Je ne veux plus souffrir ni à cause de lui, ni par son souvenir. Je marche d'un pas rapide pour rejoindre mon appartement. J'ai besoin d'évacuer. J'avoue péniblement que revoir Aline m'a stressé. J'arrive chez moi essoufflée.

Une fois débarrassée de ma veste et de mes chaussures, je me déshabille pour prendre une douche agréable mais qui n'a pourtant pas le mérite de m'apaiser. Je n'arrête pas de ressasser le passé. Stan, Aline, La Réunion, Quentin... tout cela forme un merveilleux Gloubi-Boulga dans mon esprit.

Je me sens lasse. Lasse de penser et repenser à ce qui me fait mal. Je dois me ressaisir, et ne plus me laisser aller. C'est la promesse que je m'étais faite et je dois la respecter.

Stop !

*

Installée dans mon canapé avec mon plateau repas, je tente de me divertir en regardant la télé.

C'est sans originalité. Je sais!

Je crois bien que c'est la cent millième fois, que je vois cet épisode de la petite maison dans la prairie, mais il n'y a rien d'autre d'intéressant pour l'instant. À croire qu'ils sont incapables de diffuser autre chose.

C'est Barbant ! À la fin les histoires de Laura Ingalls. On paie une redevance tout de même! Mince à la fin !

Je termine mon repas, si on peut appeler cela un repas et me connecte sur l'ordinateur pour suivre la dernière saison de Greys. Ce sera toujours mieux que la série vieillotte que je me force à suivre.

L'écran de mon ordi affiche que j'ai trente-et-un messages en attente sur meetme.fr. Je jubile ! Trente et un c'est un bon début. J'ouvre les messages un à un.

La moitié est éliminé d'office. Je réalise qu'il y a vraiment des hommes qui pensent qu'entre la chaire à pâté et les femmes, il n'y a aucune différence.

Abominables !

Sur la quinzaine de profils restants, seuls deux retiennent mon attention. Les seuls à ne pas avoir proposé un rendez-vous dans la foulée. Les seuls à ne pas avoir fait de la drague à haut niveau, les seuls à avoir entamé une conversation correcte et respectueuse.

Décidément, ce sont des profils rares.

Le premier est architecte. Le second Prof de musique. Aucun des deux n'a mis sa photo, mais ça ne me gêne pas. Je décide de répondre à leurs messages. L'architecte réagit immédiatement. Nous parlons jusqu'à pas d'heure.

Il s'appelle Snooky, enfin c'est son pseudo. Il a trente-quatre ans, et il vit à Paris dans le douzième. Nos échanges sont intéressants. Snooky a l'air sympa. La nuit étant bien avancée, nous prenons congé l'un de l'autre, je me couche satisfaite d'avoir pu converser avec cet inconnu.

Je ne m'emballe pas mais; Histoire à suivre...

*

Plus d'un mois déjà que je discute avec Snooky. Ça fait un bien fou de pouvoir parler aussi librement à quelqu'un qui ne vous connaît pas. Je ne sens pas le jugement chez lui. Et puis j'évite de rentrer dans le fond des choses. Ces conversations me donnent envie de le rencontrer. Mais je n'ose pas le lui proposer.

Il me fait rire. C'est un homme cultivé et intelligent. Ça se ressent. Au détour d'une discussion concernant un restaurant sympathique du troisième arrondissement. Le jeune homme me fait enfin la proposition que j'attendais. Il m'invite à déjeuner.

J'exulte !
Je flippe !

Je ne sais toujours pas à quoi il ressemble, mais sa façon de faire et de s'exprimer me plaît. J'ai tellement hâte de le rencontrer.

- Elsie tu es toujours là ? Demande-t-il à travers son écran.

- Ah oui ! Oui ! Je suis là !

- Donc à Samedi midi ? Écrit-il sur le chat.

- Oui à Samedi midi.

Je lis notre conversation encore et encore. Je suis ravie et angoissée en même temps. Il va falloir que j'attende une semaine avant de le découvrir.

Soudain, une bouffée de chaleur s'empare de moi. J'ai peur. Et s'il était un tueur psychopathe ? Ou un violeur ? Ou, si l'était si laid que je ne puisse pas le regarder ? Ou, s'il sentait mauvais ? Et si je ne lui plaisais pas ?

Oh mon Dieu ! Dans quoi me suis-je encore embarquer ?

Je réalise que maintenant que la machine est lancée, difficile de retourner en arrière. Je ne vais pas faire ma bécasse et tout annuler à la dernière minute. Il faut que j'assume. Tout va bien se passer.

***

- Zen. Ouvre tes chakras et inspire ! Respire !

- Nilani, je n'ai pas besoin d'ouvrir mes chakras.

- J'essayais juste de te détendre ma belle !

- Je le sais bien. Ah si seulement tu étais près de moi. J'aurais su quoi faire !

- Mais je suis là !

- Tu es loin !

- Écoute Elsie, c'est pas le moment de faire des ouins-ouins ! Tu as voulu qu'il t'invite et il t'a invité. N'est-ce pas merveilleux ?

- En effet...

- Et maintenant que c'est fait tu paniques ? C'est n'importe quoi ça !

- Pas faux.

- Qu'est-ce que ca te coûte d'essayer ?

- Rien.

- Ça se trouve c'est réellement quelqu'un de bien. En tout cas, d'après ce que tu en dis, il en a l'air.

- Tu as sans doute raison. Sait-on jamais...

- Et je trouve que c'est sympa de sa part de t'inviter en journée. La plupart des hommes invitent les femmes en soirée. Puis ils espèrent conclure dès la fin du dîner.

- Pas faux.

- Tu ne m'as pas l'air convaincu ?

- C'est un inconnu Nilani. Je ne peux pas être convaincu.

- Think positive Elsie. La vie réserve aussi de bonnes surprises.

- Pas faux.

- Tu m'agaces avec tes pas faux. Tu sais très bien que j'ai raison !

- Certainement, mais sur ces bons mots, je dois y aller avant de me mettre définitivement en retard.

- Je t'envoie des ondes extra positives depuis Londres. Et si jamais il a un mauvais karma barre-toi !

- Nilani ! Toi et tes chakras, karma, shiva vous m'épuisez.

Elle émet un rire tonitruant.

- Oui c'est ça Elsie! Il faut lui montrer que tu as de l'humour et du répondant. C'est très positif ! Très bon karma ma chérie ! Continue comme ça !

- Mon Dieu Nilani...

- Appelles-moi pour me raconter. Quelque soit l'heure ! Tiens-moi au courant.

- Oui ! Oui ! Ok !

Je ne sais pas encore à quelle sauce je vais être mangée, mais ce mystérieux Snooky attise ma curiosité. Et dire que je ne connais même pas le son de sa voix. Je ne connais de lui que ce qu'il a bien voulu écrire. Et vis versa. J'espère passer un bon moment.

Mais avant ça, il faut tout d'abord que je me détende. J'ai l'air d'une veille fille effrayée par la vie. À cet instant précis, je me trouve pathétique. On dirait que j'essaie d'être une Elsie que je ne suis pas, pour plaire à un homme que je ne connais même pas !

Pa-thé-ti-que ma pauvre Sissi !

Il faut que j'arrête d'être aussi désespérante. Il faut que j'ai un minimum confiance en moi. Je m'assois sur mon lit et réfléchis. Je me dis que moi aussi j'en vaux la peine. Et qu'il faut tout simplement que j'y mette du mien.

Think positive !

Peut-être que Nilani a raison avec son histoire de bon karma. Et pour remédier à mon état. Je bombe le torse. J'enlève tout le maquillage que j'ai mis une heure à appliquer. Je défais fébrilement mon chignon strict. Ma garde robe et sans dessus-dessous. Pour la millième fois de la semaine, je fais des essayages. J'ai chaud ! Il faut que je me calme.

Je voulais avoir l'air sophistiquée, mais j'ai changé d'avis. Je serais naturelle. Et tant pis si ça ne plait pas.

Indécision quand tu nous tiens !

Finalement, j'opte pour une tenue confortable. Jean, blouse blanche et mocassins. Je colore mes lèvres d'un rouge à lèvres mat, un dernier regard dans le miroir de l'entrée. C'est tout à fait ce qu'il fallait, un look sobre, mais efficace. Je suis fin prête; j'y vais.

*

Lorsque j'arrive aux abords du "Beaucoup" je respire un grand coup. Je sens toute la pression s'accumuler dans mes pieds qui refusent d'avancer.

Le " Beaucoup ". Quel drôle de nom pour un restaurant. D'ailleurs, au départ quand Snooky me l'a proposé, j'ai cru qu'il voulait dire autre chose. Je pensais qu'il avait mal tapé le nom du restaurant. C'est quand il m'a confirmé le rendez-vous quelques jours plus tôt que j'ai compris que c'était un vrai restaurant.

À première vue, ça a l'air pas mal. C'est chic et moderne à la fois. J'hésite un moment avant d'y entrer, j'ai même envie de me barrer en courant. J'ai trop la pression et je supporte mal la pression.

Je ne suis qu'une poule mouillée. Oui, je sais !

Mais comme bien souvent chez moi, la curiosité l'emporte sur mes craintes. J'ai envie de découvrir son visage. J'ai envie de savoir qui il est. Pendant, que j'hésite à passer la porte vitrée du restaurant, certains clients m'observent. Je réalise que j'ai vraiment l'air d'une idiote. J'arrête alors de faire ma névrosée et je pousse franchement la porte du restaurant.

Une serveuse m'aborde immédiatement, je lui indique qu'il y a normalement une table réservée au nom de Snooky. Elle sourit et me conduit au fond de l'établissement.

Un jeune homme est installé au bar. Il est pendu à son smartphone et ne nous entend pas arriver. Il relève la tête ipso facto lorsque la serveuse dit: " Voilà Mademoiselle, c'est ici ! "

Il se lève de son tabouret et me tend la main. Je la saisie en retour. Sa poignée est douce et ferme. Il affiche un sourire délicat.

- Tu dois être Elsie, je suppose ?

- Oui, c'est bien moi.

- Alors je suis enchanté ! Snooky !

- Enchantée aussi.

Mon coeur tourne à plein régime, je suis certaine d'être devenue toute rouge à l'instant où il a posé son regard sur moi. Il fait une chaleur incroyable dans mon corps.

Alerte rouge ! Alerte rouge !

Lui a l'air tout à fait à l'aise, j'aimerai pouvoir en dire autant. Il nous commande un verre. Un alcool fort pour lui, un coca citron pour moi. Il me sourit et je lui réponds discrètement. Nous nous regardons maladroitement. C'est carrément gênant, si je pouvais disparaître, je le ferais à l'instant.

Help !

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