~ 24 ~
"Le risque de prendre une mauvaise décision est préférable à la terreur de l'indécision. "
Moïse Maimonide (Rambam)
*
Cela fait maintenant des mois qu'Ijaz joue le grand jeu à Nilani. Habillement, il a tissé sa toile d'amour autour d'elle. Il a fait tout cela pour qu'elle ait conscience de ce qu'il ressent pour elle. Il en est profondément amoureux.
Elle, ne voit qu'un piège tendu par un amoureux transi. N'étant pas certaine de ses sentiments, elle le fuit, l'évite depuis qu'il lui a fait sa fameuse demande en mariage.
Ijaz a été correct, courageux et d'un romantisme sans borne. En même temps Nilani est tellement belle avec ses cheveux noirs jais et ses yeux en amande. C'est une véritable princesse du Pendjab, il aurait eu tort de ne pas insister.
J'aurais aimé être à la place de ma chère amie qui n'a pas l'air d'avoir conscience de la chance qu'elle a. Elle dit avoir peur de ce mariage autant que de ses propres sentiments.
Incompréhensible !
- Maintenant que tu as ce dont tu rêvais, tu n'en veux plus ? Ce n'est pas toi qui disais que tu voulais quelqu'un qui t'aime sérieusement et profondément ?
- Tu as parfaitement raison.
- Ce n'est pas toi qui disait que tu rêvais d'une homme romantique et passionné? Que te faut-il de plus Nilani ?
- Oui, je sais... Tu as parfaitement raison.
- Et Ijaz te fait de l'effet, tu ne peux pas le nier. Il a su te démontrer que tu pouvais avoir confiance en lui. Non ?
- Oui tu as parfaitement raison.
- Nilani, veux-tu arrêter avec ton "Tu as parfaitement raison" ?
- Oui d'accord !
- Bon, alors c'est quoi le problème ?
- Et Si ça ne marche pas à long terme ? Et si il finit par ne plus me supporter ? Et si finalement on se trompait tous les deux ? Et si on ne faisait seulement plaisir à nos parents ?
- Ben dis donc, ça ne te ressemble pas. Tu dois être bien angoissée pour sortir des choses aussi insensées ! Enfin réveille-toi bon sang ! Il va te filer sous le nez le Ijaz et après tu pleureras et tu te poseras mille autres questions ? C'est idiot tout de même !
- Oh Elsie ! C'est tellement compliqué. Ça engage mes parents et ses parents surtout. Nos traditions sont si compliquées ! Je ne veux pas me tromper.
- Quelque soit la personne, tu peux te tromper tu sais. Et vos traditions resteront les mêmes. Quelque soit la personne Nilani. Au moins celui-là, il t'aime et tu as l'air de l'aimer aussi. Je me trompe ?
- C'est vrai. Il est parfait. Il a tout fait pour que je sois à l'aise. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'arrive pas être sereine.
- Ijaz a beaucoup de respect pour toi. Ce n'est pas donné à tous les hommes d'agir avec tant de sagesse.
Je ne donnerai aucun nom ! Même si je pense très fort à certains hommes proches de moi...
- Humm....
- Il ne t'a pas forcé au mariage, au contraire il a été lucide. Et s'il avait vu que tu ne lui prêtais aucun intérêt, il se serait arrêté. Mais tu as répondu à ses avances, et tu as eu bien raison. Alors maintenant on assume Nini ok ?
- J'ai bien envie de lui dire Oui, mais rien que de penser aux festivités qui vont durer des jours, j'ai la nausée. Et quant à la nuit de noce...
- Et bien je ne vois pas ce qu'il y a de désagréable là-dedans !
- Par Shiva Elsie ! Tu es d'une incorrection !
- Oh ça va !
- Je vais défaillir s'ils viennent vérifier que mon minou est intact.
J'éclate de rire en imaginant la scène. C'est vrai que c'est un peu invasif comme méthode. Mais si ce sont les traditions que pourra-t'elle faire ou dire contre ? Rien !
- Ne ris pas Elsie ça va être la honte de ma vie.
- Et pourquoi ça ?
- Et bien parce que mon minou n'est plus intact depuis des siècles !
- What ? Mais c'est un scandal dis-je avec la plus grande ironie.
- Sérieusement Elsie, ma mère et mes tantes vont avoir ma peau. C'est la honte !
- Mais elles se doutent bien qu'à ton âge, ton minou ne peut pas être intact comme tu dis. C'est de la folie ! Surtout avec le corps que tu as.
Cette fille est tellement belle, qu'elle pourrait débrider un moine !
- Ben pas pour elles ! Si mes parents m'ont laissé vivre seule à Paris c'était pour étudier et travailler. Pas pour fricoter ! Si ça se sait ma belle famille va hurler au complot... à la trahison même !
- Oh ils exagèrent ! Et Ijaz en dit quoi ?
- Il en dit qu'on est pas au quatrième siècle avant notre ère, et qu'il saura prendre mon parti. Et que de toute façon, personne ne viendra vérifier quoi que ce soit !
- Bon alors tout va bien ?
- Mais non! Si jamais ils venaient vérifier quand même, ce serait un déshonneur total pour ma famille, et encore plus pour la sienne d'avoir voulu épouser une fille de bas étage !
- Oh je t'en prie Nilani, ils n'ont qu'à tous aller se faire voir ! Ils ne vont pas vivre dans ton lit tout de même ! Que chacun s'occupe de son minou et tout ira bien.
Elle éclate de rire à son tour. Je suis bien heureuse de voir son visage s'éclairer enfin.
- Oui je sais que toi tu n'as aucun scrupule à ce sujet.
- Aucun! Dis-je en riant plus fort !
- Ceci dit tu n'as pas tort Elsie. Si chacun pouvait s'occuper de son minou, les problèmes seraient réglés.
- Et si jamais on vérifiait Ijaz n'a qu'à dire qu'il est l'auteur de la défloraison, et puis on en parle plus.
- T'es folle, il n'a pas vu un seul centimètre de ma paire de fesses depuis que je le connais. Je ne vais pas lui demander ça !
- Comme tu voudras. En tout cas si c'est ce qui t'empêche de dire Oui, n'hésite plus. Fonces !
- Il n'y a pas que ça. Je vais encore y réfléchir.
- Ben réfléchis bien, tu risques de passer à côté de ton destin. Et puis cesses de cuisiner en quantité astronomique. On ne peut pas recevoir du monde tout le temps
- Mais ça me calme !
- Ce n'est pas une requête. C'est un ordre!
- Bien ! Bien !
*
Mon travail à l'hôpital m'apporte la plus grande satisfaction. Soigner les enfants par la musique n'a rien d'anecdotique, c'est vraiment passionnant et intéressant.
Beaucoup d'entre eux oublient leurs souffrances lorsqu'ils chantent ou font de la musique avec moi. J'ai surtout de la chance que mes petits patients montrent de l'intérêt pour mes activités, parce que Graziella se ferait un plaisir de demander mon licenciement.
N'empêche que maintenant, j'arrive à peu près à faire abstraction de son mauvais état d'esprit. Je trouve qu'elle exagère franchement. Son ressentiment est légitime, mais il est temps qu'elle grandisse et agisse professionnellement. Ça devient ridicule!
J'ai dû lui demander à plusieurs reprises qu'elle me signe l'autorisation pour organiser le concert de Pâques des Chorus Kids. C'était prévu depuis plus des mois. Voyant qu'elle se contentait de me répondre "Non", j'ai zappé son autorité pour m'adresser directement à son supérieur hiérarchique. Il a tout de suite accepté et mes petits patients ont pu faire leur représentation. Ça a été un véritable succès.
Graziella a été choquée que j'ose faire une telle chose sans son aval. Elle n'a pas hésité à me harponner à la fin du concert et nous avons eu une violente dispute à ce sujet :
- Peux-tu me suivre dans mon bureau ?
La façon dont elle s'adresse à moi me crispe. Son ton impérieux et malpoli me fatigue déjà.
Elle se prend pour qui celle-là ?
- Si tu veux.
Je la suis tranquillement. Graziella marche d'un pas décidé et bruyant. Elle a l'air tellement énervée que ses talons manquent de s'enfoncer dans le plancher.
Une fois dans son bureau, Graziella s'assoit sans m'inviter à en faire de même. Je suis donc forcer de rester debout devant son bureau en l'écoutant déblatérer sur ce qu'elle pense de moi.
Magique ! (Évidemment ce commentaire est plein d'ironie).
- Je comprends parfaitement que tu sois en colère Graziella, mais ici c'est notre lieu de travail. Je n'ai pas le choix de supporter et toi non plus. Alors essayons de collaborer en bonne intelligence s'il-te plaît.
Je me maîtrise pour ne pas lui crier dessus. Elle m'agace avec son air supérieur.
- Et toi tu as fait preuve de bon intelligence quand tu as couché avec mon homme ? Tu sais donner des conseils mais tu ne sais pas te les appliquer à ce que je vois !
- Tu as entendu ce que je viens de te dire ? Je ne veux pas parler de tout ça avec toi. En tout cas pas ici.
- Écoute moi bien Elsie, je n'ai pas d'ordre à recevoir...
- Non toi écoute ! J'en ai assez de ton attitude d'enfant pourrie gâtée. Oui j'ai failli. Oui je regrette et non je refuse de devenir ta cible éternelle parce que tu ne sais pas agir avec professionnalisme. Et puis si tu dois en vouloir avec quelqu'un c'est à Stan, après-tout, c'est lui qui est en couple avec toi, pas moi !
Le visage de Graziella se déforme par la colère. Elle s'est levée et tremble de tous ses membres. Elle hurle sur moi avec une puissance inouïe.
Elle doit vraiment me détester.
- Je t'interdis de prononcer son nom ! Je te l'interdis !
- Oh mon Dieu Graziella ! Cesse de faire ta mijaurée. C'est ridicule à la fin !
- Tu ne perds rien pour attendre Elsie.
- Oui enfin bon, Tu t'en remettras hein ! Si tu es encore avec lui malgré toute cette histoire, ça veut dire que tu as passé l'éponge. Donc lâche-moi et passe à autre chose s'il-te-plaît. Sur ce, je te laisse, j'ai des petits patients à féliciter.
- Ne t'approche plus de Stanislas où tu auras à faire à moi.
- T'inquiètes pas. Il n'existe que pour toi.
- J'espère bien !
Mon Dieu que cette femme est suffisante. J'en ai plus rien à faire moi de son Stan. Je m'en balance et je m'en contre-balance ! J'ai eu ma dose et je l'ai compris trop tard. Je sais à présent que la passion aveugle le bon sens. Je peux très bien vivre sans Stan, sans que ça ne déstabilise ma vie.
Je suis colère !
En retournant vers la salle polyvalente de l'hôpital, je croise Quentin en compagnie d'un confrère. Je les salue timidement et sans m'attarder; mon coeur bat à mille à l'heure.
Nous nous voyons très rarement maintenant, on peut même dire qu'on s'aperçoit une à deux fois par mois. Je suis toujours bouleversée du peu de considération qu'il m'accorde. Il n'y a même pas une once d'amitié dans son regard.
Ça me fait mal !
Ce n'est pas comme si je lui avais menti à lui. J'ai toujours été sincère avec Quentin et même quand tout le monde me le déconseillait. Je n'arrive pas à comprendre sa réaction. Il disait m'avoir tout pardonné et il suffit que Graziella débarque en pleurs pour qu'il m'annule toutes ses faveurs. C'est à n'y rien comprendre !
Je me retourne et je le vois qui m'observe à distance, je suis gênée de rencontrer à nouveau son regard froid. Je finis mon parcours pour retrouver mes petits chanteurs et leurs familles mais mon coeur reste chamboulé. J'aurais aimé lui dire plus qu'un bonjour mais visiblement il n'y est toujours pas prêt.
Initialement, je devais faire le deuil de Stan seulement. Mais je me retrouve à faire le deuil de Quentin aussi. J'ai trop souffert de mes sentiments pour pouvoir perdre mon temps à pleurer sur mon sort. Je refuse avec force cette tristesse et cette angoisse qui m'envahissent lorsque je pense à ma situation amoureuse.
Je veux vivre libre maintenant. Être en couple n'est pas une fin en soi. Peut-être même que j'ai besoin de cette période de célibat pour apprendre à mieux me connaître et savoir ce que je veux vraiment ?
Ce ne sera pas facile, mais je vais faire en sorte d'être heureuse. Célibataire certes, mais surtout heureuse.
*
Depuis que maman sort avec Gérard, elle est métamorphosée. Elle a raccourci ses cheveux, elle se maquille, elle a changé sa garde-robe.
J'ai l'impression qu'elle revit, ça fait plaisir de la voir ainsi.
Évidemment, elle est toujours aussi exigeante et toujours aussi dirigiste, mais cela na pas l'air de déplaire à ce bon bougre de Gérard.
Gérard Morvan-Prigent est chirurgien dentiste.
À croire que maman aime les réparateurs de dents.
Il n'a rien à voir avec notre père. Ni physiquement, ni autrement. Il est son exact contraire. C'est sans doute ce qui a plu à Maman.
Dylane a un peu de mal avec lui, mais c'est normal, elle n'a toujours pas résolu son complexe d'Œdipe. Elle aime son père à la folie, ce qui n'est absolument pas le cas de Maceo et moi. Nous, nous adorons Gérard ! Il a un sens de l'humour aiguisé et surtout il a le mérite d'avoir rendu à maman son sourire.
Je passe quasiment toutes mes vacances de Pâques en Bretagne avec eux. J'ai besoin de me déconnecter du microcosme Parisien. Ici au moins, mon esprit est au calme pour réfléchir et mes idées sont le fruit d'une réflexion saine.
Je suis loin des tergiversations et de l'indécision de Nilani. Loin aussi de l'indifférence blessante de Quentin et encore plus loin de l'agressivité et le ressentiment de Graziella. Ici je renais peu à peu. Je m'oxygène !
Je comprends que toutes mes décisions (bonnes ou mauvaises) d'autrefois ont considérablement impactées mon avenir. Je comprends que maintenant il faut que je sois à l'écoute de ma voix. Il faut que je fasse taire cette obsession que j'ai pour la passion.
Non pas que la passion ne soit pas bonne, mais il faut que je sache faire la part des choses. Il faut que j'arrête d'aimer à tort et à travers. Il faut que j'arrête d'être susceptible et sensible comme je le suis.
Je ne le comprends que maintenant et c'est bien dommage ! C'est certainement dû à la maturité. Oui je grandis. Je me sens devenir femme et je sens que j'abandonne cette posture de l'ado blessée dans laquelle je me complaisais.
Là, assise face à l'océan. Je me fais la promesse d'évoluer en tant que femme. Je me fais la promesse de prendre les décisions d'une femme émancipée du passé pour me construire un futur plausible.
Je me fais la promesse d'être plus heureuse que je ne l'ai jamais été, en essayant de ne pas me compliquer la vie à chaque fois. Et puis je veux refaire de la musique. À fond cette fois-ci !
Je me fais la promesse de trouver du temps pour pouvoir chanter de tous mes poumons. Les chansons que j'aime et aussi celles que je compose en secret.
Je me fais aussi la promesse de ne pas couler dans la mélancolie dès la première épreuve.
Cette escapade en Bretagne me fait penser que si je suis venue faire le point dans les girons de ma mère, c'est comme pour renaître une deuxième fois.
Je me fais la promesse d'être Elsie Le Kervellen.
J'étais une petite chenille bien trop à l'étroit dans sa chrysalide. Maintenant, je veux être un papillon qui déploie ses ailes. Je veux exister. J'en ai le droit. J'en vaux la peine.
Liberté !
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