~ 14 ~

"Quand le destin se mêle du sort des hommes, il ne connaît ni pitié, ni justice "
Charlie Chaplin

*

Depuis quelques jours, j'étais dans un état de fatigue sans nom. Tout était compliqué pour moi. J'avais la gorge enrouée, des difficultés à atteindre les notes aiguës, ma voix était éraillée. Je désespérais d'être dans une telle situation.

Tout cela affectait terriblement mon humeur et j'étais très peu agréable. Heureusement pour moi, Stan comprenait, il soutenait et
m'encourageait patiemment jours après jours.

Lui, comme tout le staff de Chorus insistait pour que je vois un O.R.L. Car plus ça allait, plus ma voix était incertaine. Mon homme m'avait accompagné chez le médecin, j'avais surtout peur qu'on me parle de cancer ou de je ne sais quelle maladie incurable, qui mettrait fin à mon amour du chant.

Après une longue attente, le verdict fut sans appel. J'avais des polypes sur les cordes vocales et je devais reposer ma voix de tout urgence. Je devais aussi subir une intervention chirurgicale qui consistait à enlever les nodules qui pirataient impoliment mon organe vocal.

Ceci impliquait des risques importants : Je pouvais perdre complètement ou partiellement ma voix et je devais ensuite avoir de nombreuses séances de rééducation avec un orthophoniste.

À l'annonce du diagnostic, je m'effondrais. J'avais tout envisagé, sauf de perdre ma voix. C'était irréel ! Mon propre corps se battait contre moi. Je voulais chanter et chanter toute ma vie mais le destin me stoppait en plein ascension !

Quelle auto-trahison !

Malgré le soutien de Stan et celui de mes proches, je désespérais. Je vivais tout cela comme une injustice, bien sûr, il me restait le piano mais ce n'était pas pareil !

Je me dis alors que Stan avait eu raison de me faire reprendre les études. Il était presque évident que plus jamais je ne serais la chanteuse que j'avais été. J'en étais malade !

Maman était triste pour moi mais elle se réjouissait que je puisse me concentrer sur autre chose que ma "musique de troubadour" comme elle aimait dire. Le divorce ne l'avait pas rendu moins exigeante. Non, loin de là !

Elle persistait et signait dans ses désirs élitistes qu'elles formaient pour nos vies. Cela voulait aussi dire qu'elle allait mieux. Je préférais la savoir pénible et bornée que triste et affaiblie.

- Au moins tes études vont devenir ta priorité, disait-elle en permanence.

Quelle injustice, au moment où, j'étais la plus heureuse, il m'arrivait la pire chose au monde.
Sans compter que je devais chanter pour le mariage de Nisrine et Tarek et à cause de ces satanés polypes, je n'allais pas pouvoir le faire. Mon amie ne m'en tint pas rigueur cependant, je m'en voulais de ne pas pouvoir honorer ma promesse.

- T'en fais pas ! L'essentiel c'est que tu sois là. Tu es mon témoin et je n'aurais voulu personne d'autre à mes côtés.

- T'es gentille ! Mais moi je voulais chanter pour toi ! Tu m'as toujours encouragé même lorsque personne ne croyais en moi.

- Elsie, ne fais pas ta mauvaise tête. Ce n'est rien. Il faut que tu prennes soin de toi. C'est le plus important.

- Je sais... Et tes parents ? Ils viennent ou pas ?

- Ma mère oui. Mes sœurs et deux de mes tantes aussi par contre mon père et mes frères refusent toujours de me parler. De vraies têtes de mules ceux-là !

- Tant mieux si elles viennent ! Ça va être super. Enfin tu vas devenir Madame Mezibra. Tu as tout réussi toi au moins. Tes études, ta vie sentimentale... Je suis tellement fière de toi !

- Merci, mais pour les études, ce n'est pas encore fini, il me reste encore quelques mois !

- Oui et tu deviendras la meilleure biologiste du monde !

- Tu exagères tout le temps Elsie ! Et cesse de crier. Il faut préserver ta voix !

- M'en parle pas ! Je ne vais jamais y arriver. Je suis une bavarde invétérée !

- Ben justement. Tais-toi un peu !

- Ahhhh !

La seule chose positive était que ma sœur en apprenant que j'allais me faire charcuter la gorge, avait daigné donné signe de vie. Pour la première fois depuis des mois, je recevais un message gentil et plein d'encouragements.

Je pensais sincèrement que c'était les hormones de grossesse qui la rendaient meilleure. Et puis il faut le dire, Karim avait fait un travail extraordinaire avec Dylane, elle s'était vraiment bonifiée à son contact.

Tout ce que j'espérais, c'était que la maternité la rende plus gentille encore. Parce que franchement cette Dylane là était étonnamment agréable. Comme quoi, rien est impossible dans la vie !

*

Le jour de l'opération arriva. Après avoir souffert le calvaire pendant quelques jours, Tout s'arrangeait. Je n'avais plus cette sensation de corps étranger dans la gorge et je me sentais mieux. En revanche. je n'étais capable d'avaler que de la soupe ou de la purée. Une vraie misère pour une gourmande comme moi !

Stan était toujours disponible et bienveillant. J'aimais cet homme au point que je flippais de mes propres sentiments. Je n'avais jamais ressenti cela auparavant, même pas avec Léo !

Il représentait tout pour moi. Avec lui j'étais devenue femme, avec lui j'évoluais artistiquement, il m'avait quasiment tout appris. J'avais quasiment grandi sous son regard. Parfois, sa présence m'intimidait, même après tout ce temps passé ensemble. Je ne voulais surtout pas le décevoir.

En réalité, Stan n'exigeait rien de moi, bien au contraire. Je le sentais très amoureux et c'était appréciable. Stan ne trichait pas. Il voulait simplement me savoir heureuse. Et c'est ce que j'étais, heureuse et satisfaite de ma vie à ses côtés.

Je n'imaginais pas une seconde vivre sans lui. Je pensais mourir à chaque fois qu'il partait trois jours pour un projet ou quelques concerts. Tout chez lui me manquait. J'aimais me blottir dans ses bras, sentir les battements de son cœur et son odeur. Sa présence m'apaisait.

J'aimais moins être en désaccord avec lui car tout comme moi, il était passionné. Cela donnait naissance à de sacrées disputes mais nous trouvions toujours une belle occasion de nous réconcilier et de nous aimer plus encore.

Stan était mon alter-égo. Je n'aurais pas voulu un autre homme que lui à mes côtés tant il était parfait pour la fille banale que j'étais. Je trouvais que j'avais de la chance ! Et lorsqu'il répondait que c'était lui qui en avait, je souriais. Je priais pour que rien n'altère notre magnifique relation. Tout était parfait malgré nos nombreuses imperfections.

*

Dernier concert de l'année, avant les vacances d'été. Je ne pouvais toujours pas chanter car j'étais toujours en convalescence, du coup je restais vissée dans les coulisses depuis lesquelles j'écoutais mes collègues faire le show.

On m'avait proposé de m'installer confortablement dans la salle avec les spectateurs mais je préférais l'intimité des backstages. La vérité, c'est que j'avais du mal à les regarder chanter sans être des leurs. Alors pour ne pas avoir mal au cœur et mourir d'envie, je restais dans l'ombre.

Pendant l'entracte, Stan reçu un appel qui l'avait rendu très anxieux. Même s'il tentait de se maîtriser, je voyais qu'il était très affecté par ce qu'il venait d'apprendre.

- Quelque chose ne va pas mon amour ?

- Non, pas vraiment... répondit-il blême !

- Je peux faire quelque chose ?

- Non. Je vais devoir partir mon cœur.

- Là maintenant en plein concert ?

- Malheureusement. Je vais laisser Aline prendre la direction. Urgence familiale !

Stan avait les yeux larmoyant. Il partit s'entretenir avec Aline, Roadger et Philipp le tour manager, puis il est revint me voir. Son air grave ne m'enchantait guère.

- Mon cœur, je suis désolé... Je vais devoir y aller. Je t'appelle dès je peux.

- Je ne peux pas venir avec toi ?

- Non... reste ! J'en ai pour un moment.

- Tu me tiens au courant hein ?

- Oui. T'inquiètes pas mon cœur. Dit-il en posant une main sur mon visage. Je t'aime ! Ajouta-t-il calmement.

- Je t'aime aussi Stan.

Il me prit dans ses bras un long instant, je pouvais sentir son cœur tambouriner bruyamment dans sa poitrine. Jamais je ne l'avais vu dans cet état. Il avait l'air perdu et déterminé en même temps.

Avant de partir, il m'embrassa avec beaucoup de tendresse. C'était un baiser qui voulait dire: "je t'aime, je reviens, ne t'inquiète pas."

J'avais souris en le voyant partir mais au-dedans de moi, je n'étais pas bien. Si Stan partait en plein concert, c'était que l'affaire était grave et je m'inquiétais pour lui.

Plus tard dans la nuit, il m'adressa un message qui disait qu'il était à l'aéroport, que son avion décollait quelques minutes plus tard. Je sentais qu'il ne voulait pas m'inquiéter, alors il en disait le moins possible.

Comme d'habitude, Stan pensait que j'étais en coton !

In extremis, je le rappelais pour en savoir plus. J'estimais que je pouvais très bien gérer la situation:

- Stan tu pars où exactement ?

- C'est ma mère, elle est au plus mal... il faut qu'on la fasse rap....

- Tu dis quoi ? Je ne t'entends pas !

- On capte mal ici... On prend l'avion pour Roissy... puis....

Les fritures sur la ligne s'accumulaient. Je n'entendais rien. Ça coupait sans arrêt.

- Mon cœur, je dois raccrocher. On décolle. Je t'appelle dès que j'arri... Tu me manques dé...

- Tu me manques aussi mon amour.

- Je t'aime ! Je t'aime! Je t'aime! Prends soin de...

Après cette conversation, je n'ai plus eu Stan. J'ai attendu tout l'été qu'il revienne, sans avoir aucune nouvelle directe.

J'attendais près de mon portable jour et nuit, et rien. J'étais même allée voir Roadger et Philipp pour savoir s'ils avaient des nouvelles.

Eux aussi n'en avait aucune. Ils savaient seulement que la mère de Stan avait eu un problème médical, qu'il devait se rendre sur place pour la faire rapatrier et c'était tout. Ils s'inquiétaient tout autant que moi. Ce n'était pas dans les habitudes de Stan de disparaître ainsi.

- Peut-être qu'Aline aura plus de nouvelles que nous. Elle est en Suisse pour la semaine. Mais dès son retour, nous lui en parlerons, m'avait assuré Roadger.

- Merci bien !

J'avais tenté d'avoir des informations auprès d'Aline. Mais cette "pimbêche" s'était montrée extrêmement grossière. Je l'imaginais jalouse de notre relation mais pas à ce point. Elle m'avait répondu qu'il valait mieux que j'oublie Stan.

Elle disait l'avoir eu quelques secondes au téléphone quelques jours plus tôt mais que la liaison était mauvaise. Il ne pouvait pas me parler et selon elle, il me conseillait de continuer à vivre ma vie sans lui.

J'étais perplexe. Cela ne ressemblait vraiment pas du tout à mon homme. C'était à mille lieux de ce qu'il était. Et puis pourquoi Aline avait-elle des nouvelles et pas Roadger et Philipp ?

Elle disait qu'elle les avait mis au courant, et que Stan reviendrait lorsqu'il aurait réglé ses affaires familiales. En attendant, il lui avait fait annuler tous les rdv du studio. Il avait besoin de plus temps que prévu. Toujours selon Aline, il avait besoin de se consacrer pleinement aux siens.

Et donc visiblement, d'après-elle, je ne faisais pas partie des siens...

Au départ, je n'y croyais pas un seul instant. Il ne pouvait pas m'avoir oublier si vite quand même ?

Mais force était de constater que la réalité était différente de ce que je pensais. Bien malgré moi, j'ai dû me rendre à l'évidence. Aucune nouvelle, aucun message, aucun coup de fil de sa part en trois mois.

Je m'étais rendue à son appartement en mode inspecteur gadget, pour trouver des indices, mais rien. À part le courrier qui s'amassait, il n'y a avait rien qui disait qu'il ne reviendrait pas, ou qu'il ne voulait pas me voir...

Au contraire, chez lui, il y avait des photos rien n'avait bougé. Alors que pouvait bien signifier son silence ? Chaque jour je me posais la question.

Plus le temps passait et plus je me disais que j'avais loupé quelque chose. Je tentais de le joindre une dernière fois mais un message d'erreur en anglais indiquait que le numéro était indisponible ou hors zone. Visiblement ce n'était pas un réseau francophone.

Je passais les trois mois les plus terribles de mon existence. Dans un dernier sursaut, je décidais de mettre ma fierté de côté en me rendant chez la mère de Tanesha. Elle m'avait confirmé que Stan était toujours au pays, et qu'il avait des affaires urgentes et sérieuses à régler. Elle m'avait dit qu'elle lui ferait passer le message. Elle n'avait pas voulu m'en dire plus.

La mère de Tanesha ne me portait plus vraiment dans son cœur depuis notre mésentente avec sa fille. Je ne savais pas si elle ferait ce qu'elle avait dit. En tout cas j'espérais qu'elle donne de mes nouvelles à Stan.

J'étais au plus mal. L'absence de Stan m'angoissait au point que ma voix ne revint plus. J'étais dans un piteux état et il s'en était fallu de peu, pour que je rate le mariage de Nisrine et Tarek. J'avais perdu tellement de poids que mes parents m'avait fait hospitalisée.

Peut-être que Papa avait raison ? J'aurais certainement dû rester sur mes gardes. Dieu merci, ce dernier avait eu la délicatesse de ne pas m'accabler avec le célèbre : "Je t'avais prévenu !".

J'avais donné à Stan les plus belles années de ma vie et avec lui tout s'en était allé.

Avait-il disparu volontairement de ma vie ? Était-il dans les soucis ? Avais-je fais quelque chose de mal ? Et si oui, pourquoi men voulait-il ? Pourquoi Stan me faisait-il souffrir ?

J'avais tout fait pour retrouver sa trace mais c'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. J'avais même émis l'idée de me rendre en Centre-Afrique pour essayer de le retrouver.

Mes parents, Maceo, Nisrine et Zach m'en avaient empêché. Même Dylane s'y était opposée ! En réalité je souffrais et j'étais prête à tout pour que ça s'arrête.

Stan n'était pas revenu et je ne savais toujours pas pourquoi. Il m'avait promis des nouvelles, et il ne m'en donnait pas. Stan était insolemment silencieux et ça me rendait malheureuse.

Il ne me restait plus que les souvenirs et ma grande contrariété. J'étais affectée et je pensais ne jamais m'en relever. Je m'en voulais de trop l'aimer. Pour faire face, je me plongeais à corps perdu dans mes études de psychologie.

Et c'est dans le cadre de mes études que j'avais fait la rencontre de cette femme formidable: Marianick Israël. Elle aussi allait changer le cours de ma vie.

Marianick était musico-thérapeute. Elle soignait les maux de ses patients par la musique et le chant. Je trouvais son travail formidable. C'était une femme qui connaissait son sujet, grâce à son savoir-faire j'étais presque parvenue à ne plus penser à Stanislas.

Elle avait fait taire les blessures de mon âme. Il m'avait fallu plus d'une année, pour y arriver, mais j'y étais arrivée quand même. L'absence de Stan ne me tuait plus. Je l'acceptais. Mon cœur était plus apaisé et mon esprit l'était aussi.

Et pour garder une connexion avec ma passion pour la musique, j'avais décidé de renforcer mon diplôme de psychologie en suivant une formation de musicothérapie. Quelque part les études avaient été un magnifique refuge.

La musique m'avait soigné et aidé à surmonter mon chagrin. Je voulais pouvoir aider les autres en retour. Je décidais donc de me spécialiser et d'en faire mon métier.

À vingt deux ans ans, je laissais derrière moi Montpellier, ma famille et mes amis pour vivre ma nouvelle vie dans la capitale. Je voulais repartir de zéro.

Je tirais définitivement un trait sur Chorus et sur tout ce qui avait attrait à Stan. Je jetais les clés de son appartement. Je changeais de numéro, d'adresse e-mail. Je changeais de coupe de cheveux. Je changeais tout jusqu'à ma garde robe.

En réalité, je voulais fuir mon passé pour tenter me reconstruire un ailleurs moins douloureux. Bien sûr, je savais qu'on ne guérissait jamais d'une blessure comme celle-ci, mais j'avais appris à vivre avec sans être dans ce tourment permanent.

Je me disais que pour contredire mon destin, il fallait être heureuse. Il fallait que je réussisse ma vie, quoi qu'il m'en coûte. Désormais, sans être égocentrique, je faisais de ma propre personne, la priorité absolue de ma vie.






***

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top