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" Les apparences qu'on sauve, ne font que masquer la vérité. "

Jean-Yves SOUCY

*

- Génial ! Tout est parfait dit Nisrine, en contemplant son appartement totalement décoré.

- On a bien galéré mais on y est arrivé quand même. Je pense qu'il n'y a plus rien à ajouter. C'est trop beau ! Je sens que je vais venir squatter très souvent !

- Ah mais tu es la bienvenue ma belle ! Tiens. Je voulais t'offrir ça me dit-elle en me tendant un paquet élégamment emballé. Sans toi, tout ça n'aurait pas été possible. Alors...

- Oh! Mais ma Nini, tu n'aurais pas dû...

- Oh que si !

- Je ne t'ai pas aidé pour que tu me sois redevable tu sais ? Tu es mon amie et tu aurais sans aucun doute fait pareil pour moi.

J'ouvrais le paquet et y découvrais un magnifique bracelet.

- Je ne sais pas comment tu fais mais tu arrives toujours à trouver le cadeau parfait. Merci Nisrine. J'adore !

- Tu remercieras encore tes parents pour l'hébergement, la Bretagne... Enfin pour tout quoi.

- L'été est passé tellement vite. J'aurais voulu te garder encore un peu. Les vacances étaient magiques avec toi !

- Moi aussi qui l'eut cru ? Dit-elle dans un éclat de rire.

Maceo s'acharnait, mon téléphone portable ne cessait pas de sonner. Ce qu'il pouvait être embêtant à m'appeler tout le temps !

- Réponds-lui, c'est tout ! Sinon il ne va jamais te lâcher, tu le connais !

- Je ne comprends pas pourquoi Maceo pense que je suis sa mère ? Il est pénible à la fin !

- Réponds ! me pressa Nisrine. Et il faut vraiment que tu changes ta sonnerie Elsie. C'est juste insupportable ton truc-là ! Râla-t-elle à nouveau.

- J'y penserai... Allo ? Mais qu'est-ce que tu veux encore ? Tu ne peux pas me lâcher un peu Minus ?

À l'autre bout du fil, mon petit frère était en pleurs. Une grosse dispute venait d'éclater entre nos parents et il ne savait pas quoi faire. J'abandonnais Nisrine pour rejoindre aussi vite que possible le domicile familial. Une fois sur place, je ne pouvais que constater l'ampleur de la catastrophe. Maceo avait raison, C'était la dispute du siècle !

La dispute pendant laquelle Maman n'avait pas pu retenir tout ce qui pesait sur son cœur depuis tant d'années. Elle balançait des atrocités à Papa et celui-ci ne se retenait pas de lui rendre la pareille. Il était odieux, jamais je ne l'avais entendu être si abjecte avec Maman.

Plus elle criait, plus il la descendait. D'habitude lorsque Maman criait, Papa bougonnait sans que ça n'aille plus loin, mais cette fois-ci c'était autre chose !

Oeil pour œil, dents pour dents était leur nouveau mantra !

Jean-Patrick Le Kervelen avait décidé de ne pas se laisser faire. Franchement, ce n'était pas beau à voir. J'étais bouleversée d'assister à tout cela et je comprenais pourquoi Maceo avait tant insisté.

- S'il-vous plaît ? Arrêtez de crier, je vous en supplie. Vous ne pensez même pas à Maceo ! Papa je t'en prie...

Aucun des deux ne répondit. Nos parents ignoraient copieusement notre présence, préférant se voler dans les plumes avec une inélégance sans bornes.

De vrais chiffonniers !

Je saisis mon frère par la main pour l'éloigner de cet enfer parental. Jamais de ma petite vie, je ne les avais vu se déchirer ainsi. Je crois que j'étais aussi traumatisée que Maceo, mais pour ne pas rajouter du drame au drame, je prenais sur moi en ravalant fermement mes larmes. Je devais bien ça à mon petit frère.

- Ça va aller tu verras !

- Oh ça non alors ! Ça n'ira plus jamais.

- Mais qu'est-ce qu'il s'est passé au juste ?

- Une certaine Jemima a appelé Papa sur son portable.

- Et ?

- Et c'est Maman qui a décroché.

- Jusque-là rien de grave, non ?

- Oui... Sauf que la Jemima en question a certainement pensé que c'était Papa qui décrochait... Et elle lui aurait dit des mots doux ! Et là, Maman est partie en vrille.

- Mince alors...

- Papa a demandé ce qu'elle faisait avec son téléphone à la main. Elle lui a répondu que puisqu'il était devenu le poussin d'amour de quelqu'un d'autre c'était à elle de poser les questions... Et de là, la catastrophe ! Papa ne lui a pas laissé le temps de terminer sa phrase et patati... Et patata !

- C'est pas vrai ! Deux grands gamins. Mais je croyais que c'était Vanessa qui l'intéressait ? D'où sort-il cette Jemima ?

- J'en sais rien moi ! Et je ne veux pas le savoir. Je veux juste qu'ils arrêtent de crier.

- Bon...

- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

- Rien du tout ! On les laisse se calmer. Allons dîner tranquillement. Un japonais ça te tente?

- Humm ! Ok ! Fit Maceo sans convictions.

- On rentrera plus tard ok ?

- Wouai ! Mais j'espère juste qu'ils ne vont pas divorcer.

- T'inquiètes pas Maceo. Ça ira.

- Tu dis toujours ça mais c'est de pire en pire !

- Oui parce que je sais que ça ira. J'envoie un message à Dylane après tout c'est elle l'aînée ! Elle n'aura qu'à régler tout ça !

- Humm !

*

Le départ de Papa avait au moins permis deux choses. La maison avait retrouvé son calme et cela nous faisait un bien fou. Nous en avions assez des disputes incessantes et du flots d'insultes qui traversaient les pièces à longueur de temps.

Second bénéfice que ce départ avait apporté, Maman n'avait plus eu assez d'énergie pour me convaincre d'aller à la fac. Je sais que ce qui va suivre est d'un égoïsme incroyable mais c'est ce que je ressentais.

J'étais plus qu'heureuse de ne pas avoir à batailler des jours entiers, pour qu'elle me signe l'autorisation d'accès au groupe Chorus. J'avais encore dix-sept ans et Stan ne m'avait laissé aucun choix. Sans autorisation d'un responsable légal, je ne pouvais pas intégrer le groupe.

Je souhaitais vraiment consacrer cette nouvelle année à la musique et au chant. Les études ce n'était plus vraiment urgent ! J'étais donc encore mineure, mais plus pour très longtemps. J'avais un bac avec mention en poche. Ces avantages certains m'autorisaient à prendre un peu de retard sur une éventuelle orientation universitaire.

Pour autant, je ne me réjouissais pas de ma situation familiale, le divorce allait être long et difficile. Mes parents s'étaient lancés dans une véritable guerre des tranchées. Fort heureusement pour moi, je me régalais avec Chorus.

J'étais la plus jeuneet la plupart des choristes m'avaient prise sous leur aile. J'étais la petite protégée du chœur et j'appréciais ma position. Alors même si l'ambiance à la maison était mortelle, avec Chorus, je revivais !

Quant à Stan, il m'ignorait la plupart du temps, mais je m'en fichais complètement. Je savais qu'il faisait semblant. Je l'avais surpris à plusieurs reprises en train de m'observer. J'adorais lorsqu'il faisait ça, j'avais l'impression d'être importante à ses yeux. J'aimais savoir, que même à distance, il veillait sur moi.

Aline, aussi était toujours aux petits soins pour moi. Je l'aimais beaucoup. Néanmoins, je ne parvenais pas à savoir si réellement elle était en couple avec Stan.

C'était assez confus !

Certains disaient que c'était son ex, d'autres disaient qu'ils étaient juste très bons amis. Personnellement, je n'en savais rien. Malgré le smack furtif que j'avais vu un jour, ils ne laissaient rien paraître.

Très étranges ces deux-là...

Je m'étais aussi liée d'amitié avec Zach et Saby, ils étaient absolument géniaux tous les deux. On riait beaucoup tous les trois. Zach était un jeune homme noir, grand , talentueux, mais sans véritable charme. Il devait avoir cinq ou six ans de plus que moi. Il était ténor et sa place dans le chœur, était tout juste derrière la mienne.

La première fois que j'avais entendu Zach chanter, j'avais eu des frissons, surprise par la puissance de sa voix. Elle était aussi suave que profonde.

Un bonheur !

C'est sûr, qu'il avait le Gospel dans la peau ce garçon. Je crois bien que j'étais son premier fan. Quant à Saby, elle, était l'une des meilleures dans Chorus. Si ce n'est LA meilleure. Elle avait une voix forte et limpide. Stan l'avait nommé soliste principale du chœur, tout comme quatre autres personnes.

Saby avait une technique vocale incroyable et tous les jours j'en apprenais un peu plus auprès d'elle. Elle était Soprano comme moi et nos positions dans le chœur étaient très proches. Je l'admirais pour sa capacité à faire ce qu'elle voulait de sa voix. Et en plus d'être talentueuse, Saby était d'une beauté sans nom. Avec son teint caramel, ses yeux en amandes, et ses courbes affolantes, elle avait tous les hommes à ses pieds.

Quelle chance !

Chanter avec Chorus, c'était comme d'être au paradis. J'étais dans mon élément et même si ce n'était pas toujours facile de remplir mon cerveau de partitions, de mélodies et de paroles des chants du répertoire, je m'accrochais car je vivais un rêve éveillé.

*

Un soir, alors que je quittais la salle de répétition, pour rentrer chez moi, un 4x4 noir s'arrêta à mon niveau. Je fronçais les sourcils, car je ne reconnaissais pas le chauffeur. Les vitres teintées m'empêchaient de distinguer avec exactitude la silhouette au volant du bolide.

- Monte ! avait-il en baissant la vitre.

- Papa ?

- Monte je te dis !

- Mais Papa qu'est-ce que tu fais là ?

Il débloqua le verrouillage centralisé des portières pour me laisser m'installer dans son nouveau véhicule.

- Mais Papa tu as disparu depuis presque trois semaines ? Aucune nouvelle de ta part... Tu te rends compte de ce que tu nous fais ? Surtout à elle ?

Je l'enguirlandais comme un écolier pourtant, j'étais heureuse de le revoir. Il me manquait trop.

- Oui j'ai parfaitement conscience de ce que je fais. Tu sais tout n'es pas si clair que tu ne le penses. Je ne suis pas le seul fautif dans l'histoire !

- Papa, je ne préfère pas savoir. C'est entre Maman et toi.

- Tu dois savoir que les apparences sont trompeuses ma fille. J'ai l'air d'être coupable et pourtant...

- Dylane sait ?

- Oui Dylane sait. Je comptais t'en parler aussi. Voilà... Je vis une belle relation depuis quelques mois et...

- Papa !

- Mais tu dois savoir que c'est ta mère qui me l'a imposé. C'était sa volonté...

- Hein ? Quoi ?

- Ta mère et moi, ce n'est plus ce que tu crois depuis des années. Il n'y a que les apparences... Mais en substance, c'est vide !

- Papa pourquoi veux-tu me raconter tout ça ?

- Parce que j'aime mes enfants et je veux être honnête. Je veux que tu sois en phase avec la réalité. Tu sais, Jemima...

- Mais je croyais que tu étais... Enfin j'ai cru que Vanessa était...

- Vanessa ? Mon assistante ?

- Mais oui !

- Vanessa est la fille de Jemima. C'est avec Jemima que je suis et certainement pas avec Vanessa. C'est comme une fille pour moi. Alors là c'est fort de café tout de même !

- Tu te comportes bizarrement avec elle pourtant.

- Pourtant c'est avec sa mère que je suis. Tu as très mal interprété les choses ma petite ! Vanessa est comme ma fille. Jamais de la vie je... C'est dégoûtant ce que tu dis là !

- Peut-être mais j'avais deviné que tu voyais quelqu'un d'autre ! Ça se voyait hein ?

- Malheureusement...

- Et Maman dans tout ça ? Pourquoi elle criait si tu dis qu'elle savait ?

- Elle criait parce que j'ai demandé le divorce mon ange.

- Oh non Papa...

- De fil en aiguille, je suis tombé amoureux de Jemima. C'est elle qui me rend heureux. Le petit arrangement que j'avais avec ta mère n'a plus lieu d'être à présent. Je ne veux plus sauver les apparences. Tu comprends ?

- Un arrangement ? Papa je n'y comprends plus rien. Tu es certain que tout va bien ?

- Je vais très bien ma fille ! Tu sais c'est dur pour moi. Je ne voudrais pas vous perdre mais je veux être heureux aussi. J'en ai le droit. J'étouffe avec ta mère. J'étouffe sous ce toit ! Tout ce que j'espère c'est que toi, comme Dylane et Maceo comprendrez que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, si on passe sa vie à faire semblant.

- Je comprends. Mais il faut en parler à Maman d'abord. C'est elle que ça concerne en premier.

- Elle ne veut plus que je vous approche et si je n'étais pas au courant de ton emploi du temps, je n'aurais plus eu l'occasion de te parler. J'ai même changé de voiture. Elle a fait changer toutes les serrures, tu le sais... Je n'ai plus accès au garage, alors...

Voir mon Papa dans un tel état de d'espérance me brisait le cœur. Je ne savais plus qui de lui ou de Maman avait le monopole du malheur.

Papa avait l'air sincère mais Maman était tellement au fond du trou... Était-il possible que par vengeance, elle ait eu la force d'être si dédaigneuse ? En tout cas, elle avait l'air de souffrir vraiment !

J'étais gênée d'avoir entendu ces choses qui ne me concernaient pas directement. Je voulais les oublier et pourtant des questions tournaient en boucle dans ma tête.

Pourquoi Maman avait précipité cette femme dans les bras de son mari ?

Pourquoi cette demande de divorce la mettait dans cet état si elle ne l'aimait plus ?

Peut-être que sa volonté de tout réussir avait eu raison de son mariage ?

Peut-être ? Peut-être pas ?

Oh mon Dieu aidez-moi, je suis perdue là !

Papa se gara à l'angle de notre rue pour ne pas être vu avec moi. Avant de descendre de son véhicule, je l'attrapais par le cou et l'embrassais fébrilement sur ses joues barbues. Je me rappelais alors comme son odeur musquée me manquait.

- Papa promets-moi, que tu m'appelleras !

- Je passerais plutôt de chercher à ta prochaine répétition. C'est quand ?

- Jeudi Papa.

- D'accord mon ange.

- Et Maceo ? Il a besoin de toi Maceo !

- Ta mère ne me laissera jamais lui parler. Elle court-circuite tous mes appels.

- Offre-lui un portable. Il a bientôt douze ans, il serait temps maintenant tu ne crois pas ?

- On verra... En attendant, embrasse-le pour moi. Dis-lui que je l'aime. Et pas un mot à ta mère de notre conversation. Promis ?

- Promis Papa. Bonne soirée !

- Bonne soirée Elsie. Je t'aime !

- J'taime aussi Papounet !




***

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