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" La pire douleur, c'est d'aimer un coeur qui lui aime ailleurs "

Auteur inconnu.

*

Je me souviens encore du bonheur avec lequel Maman avait accueilli la bonne nouvelle et je me souviens aussi des sentiments de fierté et de liberté qui coulaient dans mes veines.

Car aussi étonnant que cela puisse paraître, j'avais réussi mon examen haut la main. Tout de suite après mon coup de fil passé devant le tableau des résultats, Maman avait décidé de sabrer la bouteille de champagne qu'elle avait mis au frais la veille.

Preuve que malgré tout, elle conservait une grande confiance en moi !

Maman n'avait même pas eu la décence d'attendre que je sois rentrée pour commencer à boire! Elle était bien trop pressée de pouvoir célébrer la réussite de sa fille ! Mais qui pouvait lui en vouloir ? C'était tout ce dont elle rêvé pour chacun de ses enfants.

Dylane et son éternelle mine renfrognée m'avait félicité du bout des lèvres. Elle qui s'attendait à me chambrer jusqu'à ce que mort s'en suive était décontenancée par mes résultats.

Mention très bien tout de même !

J'étais bien contente de lui avoir coupé l'herbe sous le pied et ce même, si je ne l'avais pas fait exprès. La journée avait été l'une des plus belles de ma vie, si l'on oublie le fait que Maman avait volontairement informé Léo de ma réussite, Et l'avait invité à venir dîner.

Je mourrais !

Au départ, je pestais et râlais de l'avoir dans mes pattes dans un moment où je voulais juste être avec les miens.

- Fais un effort Elsie ! M'avait chuchoté maman au creux de l'oreille. Et sois gentille avec lui, il est tellement adorable.

- Mais pourquoi l'as-tu invité sans me demander ?

- Et bien, ton ami m'a passé un coup de fil. Le pauvre s'inquiétait pour toi. Léopold souhaitait simplement savoir pour tes résultats... Je suppose qu'il ne voulait pas t'importuner ou te stresser inutilement. Il a été tellement soulagé de savoir que tu étais reçue...

- Et donc tu t'es permise de l'inviter... Mais Maman nous ne sommes plus ensemble enfin!

- Oh je t'en prie ma fille ! Ce garçon est déjà dans la cage d'escaliers... Sois gentille, veux-tu ? Et comporte-toi comme une jeune femme bien éduquée.

- C'est pas vrai !

Je faisais la promesse à Maman de l'accueillir du mieux que je pouvais mais honnêtement la présence de Léo ne m'enchantait guère. Très rapidement, je remarquais que Léo avait changé. Étrangement, il ne fut pas envahissant pour un sou. Bien au contraire, il fut tout ce qu'il y a de plus charmant. C'était fort appréciable !

Maman lui demanda de nous jouer un petit air au piano et Léo avait accepta à la condition que je puisse chanter avec lui. Je minaudais un temps avant de me mettre à chanter à pleine voix.

Maman arborait un large sourire, Papa et Maceo battait la mesure, tandis que ma grande sœur, rabat-joie comme on fait plus, montrait ostensiblement son agacement.

Quelle jalouse celle-ci alors !

Nous avions passé un moment exquis et notre duo, reconstitué le temps d'une courte soirée, avait fait ressurgir le souvenir de moments heureux. Léo paraissait plus assagi, plus mature aussi. Étonnamment, il n'avait fait aucun forcing pour m'inciter à me remettre avec lui. Il s'était comporté comme un véritable ami. J'appréciais.

Il indiqua simplement être fier de moi et précisa qu'il avait toujours eu la certitude, que je pouvais y arriver. J'en avais eu larme à l'œil ! Léo avait une telle intensité dans son regard... Toujours la même. Celle qui m'avait attiré à lui autrefois.

J'avais le sentiment, qu'il y avait toujours ce lien entre nous mais, je refusais de tomber à nouveau dans ses bras. Nous avions essayé et réessayé et ça n'avait pas fonctionné. Et puis il y avait Stan...

Avant de s'en aller, Léo m'avait amicalement embrassé sur la joue. J'avais refermé la porte derrière lui et m'étais empressée de coller ma tête à la fenêtre de la cuisine par laquelle je regardais sa longue silhouette, s'éloigner d'un pas rapide jusqu'à sa voiture. Lorsque Léo fut hors de ma vue, Maman déboula furtivement dans la cuisine :

- Il est vraiment bien ce petit gars. Dommage que tu n'en veuilles plus Elsie. J'espère juste que tu ne le regretteras pas ! Dit-elle avant de repartir un verre d'eau fraîche à la main.

Les mots de Maman suffirent, à me faire douter à nouveau de mes sentiments. Soudain, je me sentis nostalgique de notre relation, néanmoins, l'attirance que j'avais pour Stan était plus forte.

D'ailleurs, depuis l'audition, Stan m'évitait. Alors qu'avant ça, nous passions beaucoup de temps ensemble au studio. Bien sûr c'était pour la musique, mais de nos rapports étroits étaient nés des sentiments. En tout cas, moi, j'en avais de forts à son égard.

Après avoir rêvasser un long moment dans la cuisine, je saluais mes parents, avant de filer me coucher. Ce soir-là, je m'endormis heureuse de mon exploit. Je programmais d'aller annoncer la bonne nouvelle à Stan en personne, dès le lendemain. La seule perspective que j'allais pouvoir enfin travailler avec lui tous les jours, me faisait perdre la tête. Je ne pouvais pas être plus heureuse.

*

Ma pauvre Tanny n'avait réussi son examen du premier coup et devait passer dès le lendemain, les épreuves du rattrapage pour les soixante-sept points qu'il lui manquait.

Malheureusement, ça n'avait pas été pour elle, Tanesha avait définitivement raté son bac. Elle m'en voulait d'avoir réussi, là où elle, avait échoué et refusait de m'adresser la parole. C'était un peu comme si elle me tenait responsable de son échec alors que véritablement, je n'y étais pour rien.

Sa colère fut plus forte que notre amitié et désormais, Tanesha m'ignora définitivement à compter de ce jour-là. Ma meilleure amie s'était transformée en ma meilleure ennemie.

J'en souffrais beaucoup et malgré mes mille-et-une tentative de réconciliation, il n'y avait eu aucun changement. Tanesha avait même été jusqu'à me dire des paroles blessantes et vexantes. Cette histoire de bac l'avait mise hors d'elle !

Nils et Nisrine me conseillaient de laisser faire le temps. D'après eux, Tanesha avait peut-être besoin digérer les choses avant de reconnaître que je n'y étais pour rien. Je trouvais leur théorie débile et sans fondement, néanmoins je respectais la distance que Tanesha m'imposait.

Au départ, j'essayais de l'oublier mais j'avais passé plus de la moitié de ma vie avec elle à mes côtés et ce rejet m'étais insupportable. Mais au fil du temps, et après toutes les méchancetés qu'elles avaient dites sur moi (bien que je ne sois pas rancunière pour un sou), je reconnaissais qu'il serait difficile pour nous de revenir amies comme nous l'avions été auparavant.

Heureusement, Nisrine et moi étions encore là l'une pour l'autre. J'étais tellement admirative de cette nana, elle avait eu le courage de braver l'autorité de son père et avait refusé de monter dans l'avion qui l'emmenait tout droit vers l'enfer du mariage forcé.

Nisrine avait fait un scandale à l'aéroport. Le personnel au sol de la compagnie aérienne refusa donc qu'elle puisse embarquer contre son gré. Son père furieux, se mit à la frapper devant tout le monde. Finalement, des policiers vinrent le chercher. Il proférerait quelques insultes en arabe à leur encontre, avant de maudire copieusement sa fille.

Sa mère était en larmes et ses frères très en colère. Nisrine m'appela depuis l'aéroport de Marignane complètement perturbée. Elle réussit à joindre Tarek qui n' hésita pas une seconde à prendre sa voiture pour avaler les deux heures et demi de route qui séparaient Montpellier de Marseille pour la récupérer.

Nisrine rentra chez elle le jour même. Elle profita de l'absence de sa famille pour récupérer son ordinateur et quelques affaires personnelles.

Depuis, elle n'avait eu aucune nouvelle de sa famille. Ni de sa mère, ni de son père, ni de ses frères. Elle devint persona non grata jusqu'en dans les ruelles de son quartier. Elle avait trahi sa famille et mit le déshonneur sur les sien.

La " Hchouma " ! Comme disait Nisrine.

Elle s'en voulait surtout de faire souffrir sa mère. Son père et ses frères, elle s'en fichait pas mal mais elle disait être incapable de supporter un tel mariage, même pour faire plaisir à ceux qu'elle chérissait.

Personnellement, je trouvais qu'il n'y avait aucune raison de s'en vouloir. La honte devait changer de camp !

Avec l'aide de l'assistante sociale du C.R.O.U.S* touchée par son histoire, Nisrine avait eu la chance de pouvoir louer un petit studio dans une résidence universitaire. Le seul souci, c'était que nous étions en juillet, et que le studio était disponible en septembre seulement, tout comme sa bourse.

Je demandais donc à mes parents s'il était possible pour nous d'héberger Nisrine, le temps que son logement se libère. Maman était réticente comme toujours mais Papa accepta tout de suite. Au final, Nisrine vint vivre avec nous et intégra les règles de la maison avec plaisir.

*

L'été était ma période préférée de l'année. Nous allions à la plage presque tous les jours et surtout nous pouvions faire de bonnes grasses matinées. Avec Nisrine, nous passions du bon temps, même si Tanesha me manquait énormément.

Un matin, alors que je dormais à poings fermés, Stan m'appela en urgence. Il souhaitait que j'enregistre des chœurs pour un nouvel artiste que Stan produisait. Plus tôt dans la matinée, une des choristes qu'il avait engagées avait décommandé, il n'avait pas eu d'autre option que de m'appeler.

Moi, ça m'arrangeait, j'étais heureuse de lui rendre service et encore plus de le revoir !

Honnêtement, j'étais folle de ce type mais il ne me le rendait pas. Il ne s'intéressait à moi que pour ma voix et pour rien d'autre. J'aurais aimé qu'il en soit autrement, seulement Stan était raide comme la justice. Il me faisait comprendre intelligemment que notre collaboration serait professionnelle et uniquement professionnelle.

N'empêche que j'espérais encore qu'un jour les choses se passent autrement.

Et puis, comme je devais intégrer Chorus à l'automne, il aurait largement le temps de me découvrir autrement pendant les tournées. J'avais hâte que tout cela commence. J'arrivais donc au studio avec plus de vingt minutes d'avance.

Je m'attendais à ce que Stan m'ouvre, comme les mille autres fois où j'étais venue, mais cette fois-ci c'était Aline, la Tour Manager et répétitrice de Chorus qui m'accueillit :

- Mais c'est notre petit prodige ? Comment vas-tu Elsie ?

- Bien et vous. Contente que vous vous souveniez de moi ?

- Et Comment ? Tu nous as impressionné pendant les auditions. Et je peux te dire que j'ai gardé en tête ta prestation ma jolie !

- Et Bien! Merci...

- Stanislas est sorti faire une petite course, il ne devrait plus tarder.

- Ok !

- J'ai été contente d'apprendre que tu avais eu ton bac... Pour dire la vérité Stanislas n'y croyais pas du tout. Mais tu nous as prouvé que tu étais volontaire. C'est bien !

- Merci.

- Tu sais il n'y a rien de mieux que la volonté associée au talent pour réussir. Je suis certaine que tu deviendras une grande artiste ma chérie. Au fait, tu veux boire quelque chose ?

- Non merci. Ça ira.

Au même moment, Stan fit son entrée. Comme à chaque fois, croiser son regard me fichait des frissons, mes mains devinrent moites et mes pensées embrouillées.

- Stanislas ! Tu en as mis du temps dit Aline avec nonchalance.

- Oui, je sais. Désolé !

- Ça m'a au moins permis de discuter avec notre bachelière préférée, répondit-elle avec une pointe d'ironie.

- Euh oui ! Salut... Tu es en avance!

- Je sais...

- C'est bien que tu aies pu venir. Nathalie nous a lâché alors...

- Il n'y a pas de problème.

- Tu as tes partitions c'est bon ?

- Oui je suis prête.

- Hey ! Moi je vous laisse, dit Aline en se levant d'un bon de son fauteuil douillet. Je te dis à ce soir Stanislas ! Ne m'oublie ajouta-t-elle en le smackant subrepticement. Elsie à bientôt ma jolie !

- À bientôt !

Je regardais Aline s'en aller encore sous le choc d'avoir aperçu ce baiser. Mon cerveau refusait de considérer ce à quoi je venais d'assister. Pour moi, ce n'était même pas envisageable. Je mettais mes sentiments et mes interrogations de côté, pour faire le travail de chœur que Stan m'avait demandé. J'y mettais toute mon âme pour que Monsieur perfection, soit totalement satisfait.

Une fois, l'enregistrement terminé, je m'assis dans la cabine du studio tout près de lui. Il était tellement beau. Nerveuse, je ne cessais de passer ma main dans mes longs cheveux châtain clair. Stan me lançait quelques coups d'œil que j'avais du mal à interpréter. Il avait envoyé le travail que nous venions d'effectuer dans les puissants hauts-parleurs. Il se réjouissait que tout ait été bouclé en si peu de temps.

- C'est toujours aussi agréable de bosser avec toi, dit-il avec ce sourire qui faisait fondre mon cœur.

- Pareil pour moi.

- T'as quand même une sacrée voix. Je sens qu'on ne va plus pouvoir nous passer de toi. Mais il faut continuer à bosser sérieusement.

J'aimais sa façon de parler. Il avait ce léger accent que je ne savais définir. Mon cœur chavirait...

- Je compte sur toi Elsie. Ne me déçois pas ok ?

- Je travaillerai. T'inquiètes. Euh... Stan !

- Oui ?

J'approchais mon visage du sien. Je fermais les yeux et mes lèvres avaient juste eu le temps d'effleurer les siennes.

- Hey ! Avait-il dit en me repoussant de sa main droite. Qu'est-ce que tu fais ?

- Je...

- Je t'arrête tout de suite Elsie. Tu te trompes sur toute la route !

- C'est que... Je...

- Tu ne devrais pas faire ça. Je t'apprécie c'est vrai, mais pas comme tu le crois.

- C'est à cause d'Aline et toi, c'est ça ?

- Non mais je rêve ! Tout ce qu'il se passe entre Aline et moi ne te concerne pas.

- Donc c'est ça. Il y a bien quelque chose entre elle et toi !

- Je rêve ...

- C'est que tu me plais... Et je croyais que...

- Je ne pense pas t'avoir donné de faux espoirs, alors qu'est-ce qu'il se passe ?

- Je... Je crois que je t...

- Occupe-toi plutôt d'être au top pour Chorus.

- Désolée. Je pensais que...

- Il faut que tu arrêtes de penser Elsie. Tu vas devoir apprendre à rester professionnelle. Sans quoi tu auras des problèmes ma petite !

- Je suis désolée ! Avais-je répété en rassemblant mes affaires.

Je me sauvais rapidement. Stan était dans une colère incroyable, jamais il ne m'avait parlé de cette façon. Au lieu de me rapprocher de lui, ma folle tentative n'avait fait que l'éloigner. J'avais honte de moi, en même temps, je me sentais blessée et rejetée.

Peut-être m'étais-je fait des films en pensant que Stan s'intéresserait à moi ?

Je regrettais d'avoir été si téméraire mais j'en avais eu tellement envie. Au final, Stan ne m'en tint pas rigueur et accepta mes excuses transmises par sms.

- Tu es tout excusée, mais ne recommence jamais, avait-il simplement répondu.

Après cela, il s'arrangea pour qu'on ne soit plus jamais seul au studio. Ceci dit, je ne perdis pas l'espoir de me mettre en couple avec lui un jour. S'il avait besoin de monde autour de lui lorsque j'étais là, ça signifiait certainement, qu'il en pinçait aussi pour moi.

En tout cas, c'est ce que je m'imaginais... Je me fis donc très discrète et très professionnelle, en attendant qu'un vent nouveau souffle en ma faveur.





***

* CROUS: Centre régional des Œuvres Universitaires et Scolaires.

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