Libérer La Cage Aux Oiseaux

Le visage de la jeune femme se décomposa, Kate ne s'y attendait certainement pas. Le garçon avait une mine triste et ses yeux évitaient son regard. Elle ne sut plus quoi dire.

— La question ne se pose même pas, lui dit-elle doucement, c'est elle qu'il faut choisir, ça l'a toujours été. Puis une amitié ne remplace pas un véritable amour.

Le jeune homme mima une réaction, mais il se reprit avant de se résigner et retourner près d'Irina. Tandis que Peter retrouvait sa Juliette, son acolyte, quant à elle, retrouvait ses genoux, seule et pensait à la mission qu'elle avait plus ou moins accomplie.



La Chaman haranguait les sentiers des cages et observait toutes les mines endormies. Même la tenace Kate avait cédé à la fatigue. Un sourire fier orna son visage, ses pas résonnaient dans la pièce immense, il avait bien travaillé. Tout ça, l'homme ne le devait qu'à lui-même, à son intelligence et sa capacité de travail. Tous les habitants de Saumura étaient à sa merci, fébriles, craintifs, sans même le savoir.

Il avait bien grandi le petit Harry depuis que ses deux bourreaux l'avaient tabassé à la sortie de l'école. Charlie et David, il se souvenait encore de leur prénom, les deux brutes se moquaient constamment de sa petite taille, mais ce fût eux qui payèrent en premier quand son plan prit enfin forme.

Les souvenirs se déversaient dans sa tête, comme chaque fois qu'il entrait dans le garage et qu'il regardait ces gens qu'il avait tant haïs, ces hommes et femmes d'une naïveté sans borne, qui ne voyaient rien, ne disaient rien. Le jeune homme avait dû se débrouiller seul, comme toujours.

Ses parents étaient de vraies loques, son père dans le temps, était un instituteur bedonnant, alors que sa mère était une simple bibliothécaire à la voix grave. Eux aussi avaient payés. Au moins, le garçon avait les clés pour accéder à la bibliothèque et venait y passer presque chacune de ses nuits. L'instruction, c'est la clé, lui avait dit-un jour sa mère, de sa voix trop grave.

Ça avait fait tilt, avec son gabarit, il n'avait aucune chance contre les brutes comme Charlie et David, mais avec son cerveau, le garçon pouvait trouver une autre solution, plus efficace et peut-être même définitive. Alors il avait lu, encore et encore, s'intéressant plus particulièrement aux sujets tels que les sectes et les manipulations en tout genre, la manipulation de groupe était devenue son sujet de prédilection.

À seulement seize ans, il était devenu expert sur le sujet. Il y avait des points fondamentaux : l'espoir, une liberté définie, un semblant de maîtrise de son destin et la sensation de sécurité. Harry avait mis trois ans avant que son plan ne soit mis en marche, l'explosion d'une centrale électrique dans un village lointain avait fait de Saumura pendant quelques jours, une ville en proie aux particules fines.

Alors lui était venu l'idée de la grotte, protégée des regards indiscrets, parfaite maîtrise de l'environnement. Avec son charisme et son don d'orateur, le garnement avait convaincu les habitants en seulement un mois et les hommes s'étaient ralliés à sa cause pour l'aider à construire ce qui était devenu le nouveau Saumura.

Certains étaient plus aveugles que d'autres et ça lui avait été très utile. Puis l'arbre sacré était apparu. Il fallait une figure d'autorité digne de confiance, en laquelle croire et quoi de mieux que le symbole de la nature et de la sagesse lui-même ? Le chêne.

C'était lorsque les premiers détracteurs étaient apparus qu'Harry était devenu le Grand Chaman (une idée venant d'un de ses fidèles disciples) et que la Cérémonie fut mise en œuvre. La peur et l'espoir, un mélange parfait pour une population maîtrisée. Le Grand chaman repensa à la stupidité de ses habitants, lorsqu'il s'approcha de la cage qui l'intéressait.

— Bonjour ma chère, bien dormi ? demanda la voix putride, que Kate connaissait trop bien.

— Allez-vous faire foutre ! annonça la blonde, épuisée par son jeu avec elle.

— Je ne vous savais pas si grossière, mademoiselle.

La fille aux yeux noirs ne répondit rien, la rage la rendait beaucoup trop impulsive et elle ne pouvait pas se le permettre pour l'instant.

— Alors, vous comptez me tuer comment ? Noyade ? Feu ? Guillotine ? Fusil ? Couteau dans le dos ? cracha la jeune femme, avec insolence.

— Ne me donne pas trop d'idée, je ne ferais pas trop la maligne à ta place.

— Comme je vous l'ai déjà dit, je n'ai pas peur de vous.

— Alors ton Peter n'a pas réussi à te faire changer d'avis ?

— Je ne me salirai pas les mains.

— Tu es même prête à voir une innocente mourir par ta faute, pour si peu ?

— Vous la tuerez dans tous les cas.

— Tu m'impressionnes Kate, Peter a raison, tu peux paraître extrêmement froide quand tu le veux, mais nous savons tous les deux que tu n'en penses aucun mot.

Le chaman se stoppa et savoura d'avance ses prochaines paroles :

— De toute manière, vos petites discussions de la nuit dernière m'ont donné une meilleure idée.

Le cerveau de la jeune femme fusa à toute vitesse, de quoi était-il en train de parler ? La blonde aurait dû se douter qu'il les avait écoutés. Ses mains se firent moites, elle se rappela soudain la crainte dont lui avait faire part Peter avant d'aller se coucher.

À peine s'était-elle remémorée ce moment, qu'un cri s'échappa de la cage derrière elle :

— Non ! hurla Peter.

— Tu vois, il y a des êtres moins insensibles que toi sur cette terre, ma belle.

— Il choisira Irina. Personnellement, je mourrai dignement, sans larme, sans cris, sans regrets, mis à part le fait de pas pouvoir vous tuez de mes propres mains.

Des rires résonnèrent dans le garage, les prisonniers épiaient leur conversation et semblaient prendre un grand plaisir à les écouter. Kate sentit que l'agacement commençait à gagner le Grand Chaman. L'homme ouvrit sa cage et l'en fit sortir violemment.

Kate fixa un sourire sur son visage, elle ne cédera pas. L'homme habillé de sa cape se dirigea vers la cage de Peter et Irina.

Le même processus fut mis en place, Irina laissa échapper un cri après que le Grand Chaman l'ait empoignée brutalement par le bras. Cela rendit fou Peter, qui tenta de se jeter au cou du Grand Chaman, mais sans grand succès. Les chaînes étaient beaucoup trop lourdes et trop bien attachées autour de ses poignets.

La blonde observait chaque recoin de la pièce et tentait de mémoriser les sorties, au cas où. Elle regarda les personnes dans les cages, qui semblaient toutes fatiguées, éreintées. Certains avaient à peine quinze ans, tandis que d'autres parvenaient sûrement aux quatre-vingts printemps.

— Kate, chuchota quelqu'un à son passage.

La fille se retourna brusquement.

— Kate, répéta la voix.

— Oui ? demanda-t-elle à l'intéressée, en se baissant pour se mettre à son niveau.

— Je ne t'ai pas dit de t'arrêter, cria le Grand Chaman.

La jeune femme ignora le commentaire et reprit :

— Qu'est-ce qui y a ? demanda-t-elle à la femme d'une quarantaine d'années.

— Tu ne me reconnais pas ? questionna la femme d'âge mûr.

— Non, désolé.

— J'étais une amie de ta maman, j'ai une fille, Christie.

L'entente de ce prénom fit mal au ventre à la blonde.

— Relève toi ! Tu veux que je la tue, son mari avec ? clama le chaman, en l'attrapant par le dos et en la relevant violemment.

L'homme commençait à perdre son sang-froid, Kate obéit. Harry venait de lui donner une information dont il ne se doutait pas de l'importance : les parents de Christie étaient toujours vivants, tous les deux. Christie n'avait pas eu le temps de lui dire comment elle était arrivée à l'orphelinat, même si Kate était toujours en colère contre ses deux amies, elle les aimait.

Cela lui procura une nouvelle motivation pour réussir à s'échapper des mains du chaman. La jeune femme allait lutter, elle ne se laisserait pas faire. Le Chaman observa Kate, déjà gamine, il ne pouvait pas la voir en peinture, l'unique fille des Davisson, le fameux couple Davisson. De véritables fouilleurs de merde et obstacles certains à l'établissement de son pouvoir absolue et sans faille.

C'était elle, Jeanne, la mère de Kate qui avait commencé à mettre en doute sa parole, rapidement rejointe par son mari, qui voyait en sa femme la perfection incarnée. Rien n'était plus parfait qu'elle, jusqu'à l'arrivée de leur charmante fille aux yeux noirs, Kate. La gamine passait ses journées à geindre dans leur jardin, placé devant la devanture de leur maison rose. De vrais clowns.

Puis il y eut ce jour, le fameux jour où son gouvernement faillit s'effondrer à cause d'une malheureuse liste, sa liste. Jeanne travaillait pour l'administration publique à cette époque, elle avait donc accès aux bureaux d'Harry, la femme ne s'était jamais résignée à l'appeler par son statut de Grand Chaman, elle l'avait connu petit et pour elle, il était toujours le petit Harry.

Un jour, alors que Jeanne cherchait un papier, elle était tombée sur le petit carnet noir, où le chaman annotait les informations sur chacun des habitants. Il y avait aussi une liste, les gens qui seraient appelés durant les prochaines cérémonies. C'est alors que la fouineuse avait compris, l'arbre sacré n'avait jamais existé et tout ça n'était que pure invention.

La mère de Kate s'était empressée de tout rapporter à son mari le soir même et étant une personne de grande dignité, elle avait voulu se mesurer face à face et s'expliquer avec Harry. Mais il avait vu en elle une alarme et avait embauché un de ses disciples pour faire exploser une partie de la grotte sur leur chemin, après leur entrevue avec lui.

Aucune enquête n'avait été faite, puisque la seule police était le chaman lui-même. L'homme avait toujours gardé du coin de l'œil leur progéniture, potentielle future emmerdeuse par excellence et cela se révéla être le cas, d'une manière particulière, mais tout de même. L'homme devait bien avouer que lorsqu'il avait appris pour l'amnésie, il avait pensé que la solution à son tracas serait rapide et efficace.

Harry pensait pouvoir régler définitivement le problème : la faire tuer son très cher et aussi futile ami d'enfance, le fameux Peter Carrington. Il pensait que la blonde aurait eu le bon sens, en tout cas dans son état d'amnésique, de choisir la fille, celle que tout le monde aurait choisi, mais non, l'emmerdeuse étant l'emmerdeuse, il avait fallu qu'elle complique la donne pour le chaman.

L'homme à la cape avait alors rusé pour tirer de tout ça un avantage et il y était presque arrivé.

Bientôt, il en aurait fini avec les Davisson.

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