Kate ferma les yeux, elle savait où elle se trouvait, mais elle ne voulait parler à personne, elle ne voulait rien faire, juste rester là sans bouger et se répétait la conversation qu'elle venait d'avoir avec Peter. La jeune femme n'aurait jamais dû lui dire, pourtant ne pas lui dire aurait été une sorte de mensonge. Kate se détestait et elle détestait son don.

Elle détestait Kristine de Pitisburg et l'ancienne Kate de Saumura. Peter ne comprendrait jamais et peut-être qu'il avait raison, elle avait tué cette Kate que tout le monde semblait apprécier, même si elles avaient beaucoup en commun, cette fille n'était pas tout à fait elle. Leurs caractères étaient même plutôt opposés sur pas mal de points.

Kate avait tenté de prendre sa place, fermant les yeux sur sa véritable identité qui s'était révélée petit à petit à elle. Sa place devait donc bien être dans cet asile psychiatrique de Pitisburg, finalement. La jeune femme ouvrit finalement les yeux, les portes étaient là, Véra avait dû comprendre qu'elle n'était pas d'humeur à parler. La blonde ouvrit la porte blanche, elle devait se confronter à la réalité.

Il faisait sombre quand elle entrouvrît les yeux, la demoiselle était toujours attachée sur un support, mais celui-ci était plus froid que le précédent, plus dur. Kristine était sur une chaise en métal, menottée. La sueur froide coulait sur son front, elle hurla pour qu'on la détache, qu'on lui explique. La lumière s'alluma dans un bruit reconnaissable de néons.

La jeune fille aux cheveux blonds remarqua que son bras était relié à une poche de liquide, sûrement une intraveineuse pour la nourrir et la maintenir en bonne santé.

— Kate, dit une voix qui ne lui était pas inconnue, tu en as mis du temps pour te réveiller. Nous avons presque cru que tu étais morte.

— J'aurais préféré, maugréa-t-elle.

— Ne dis pas de sottises.

Kate souffla.

— Qu'est-ce que vous me voulez ?

Sophia s'asseya sur un siège à ses côtés.

— J'ai beaucoup réfléchi à ton histoire et ça m'a rappelé une légende que ma grand-mère me racontait, alors que je n'étais qu'une enfant.

— Vous avez été une enfant ? Difficile à croire.

La femme s'arrêta un instant, agacée.

— Ne te rabaisse pas à ce genre de sarcasme ridicule. Cette légende parlait d'un jeune garçon aux caractéristiques particulières.

La jeune fille n'ajouta rien, elle écoutait attentivement.

— Il pouvait voyager à travers les univers, parcourant les temps, les mondes, les corps.

La brune parlait d'une voix assurée.

— Il avait un ange gardien, qui lui avait dit qu'il y avait des inconvénients à son pouvoir.

— Le décalage horaire, émit Kate, sarcastique.

Sophia ne broncha pas.

— Si un de ces clones mourrait lorsqu'il était dans ce corps, il mourait ainsi que tous ses doubles des autres univers.

Comment pouvait-elle être au courant de tout ça ?

— Il avait tellement peur de mourir qu'il faisait des calculs, changeant constamment de corps pour vivre le plus longtemps possible.

L'ampoule de la pièce grésilla.

— Mais un jour, son ange gardien le prévint. Il allait mourir un jour, il restait humain, ce n'était pas une créature surnaturelle et la Nature récupérait toujours ses droits. Il devait donc profiter de la vie, au lieu de la fuir par peur.

Sophia marqua une pause.

— Mais le garçon n'était pas de cet avis, il voulait défier la mort, devenir immortel.

Kate n'avait plus aucune envie de faire des sarcasmes.

— Il chercha la faille dans l'espace-temps pour ouvrir le plus de portails et d'univers, afin de vivre indéfiniment à travers des clones de tout âge, de toute période et de tous lieux.

— Il a réussi ?

La brune fut satisfaite de voir l'intérêt que portait la jeune femme à son histoire.

— Personne ne le sait. On ne le revit pas, certains prétendent qu'il repasse dans quelques endroits de temps à autre, jouant de son don, des cartes qu'il avait appris à maîtriser, mais avec finesse pour que son ange gardien et la mort ne le retrouvent pas.

— Bonne histoire, je dois bien l'avouer.

— Ce n'est pas une simple histoire, c'est le futur, mon futur.

La blonde fronça les sourcils.

— Comment ça ?

— Je suis certaine que tu as le même don que ce petit garçon.

Kate allait pour répliquer, quand Sophia la coupa :

— Tu ne diras rien, ton ange gardien a dû trop bien t'éduquer, mais tu n'as pas besoin de le dire, je le sais.

— Vous ne savez rien du tout.

La blonde avait dû mal à contester les faits, mais elle n'avait pas le choix.

— Ton discours incohérent, l'histoire de tes parents, ta perte de connaissance.

Les derniers mots résonnèrent dans ses oreilles.

— L'histoire de mes parents ?

— Quoi, tu voudrais que je te raconte ? émit-elle, malicieuse.

Kristine hocha la tête et Sophia fit un sourire de conquérante.

— En échange, je veux que tu répondes à ma question.

Comme réponse, la blonde haussa les sourcils et attendit que Sophia poursuive.

— Voyages-tu entre les univers ?

La tête de Kate tournait, elle voulait savoir, mais elle savait également que si elle répondait à la question, quelque chose de vraiment mauvais en sortirait. La demoiselle avait besoin d'aide, mais elle était toute seule, Jane et Kyle ne devaient même pas soupçonner sa présence ici, ou bien les problèmes qu'elle devait affronter.

La jeune femme continuait de se torturer le crâne, lorsqu'une voix se fit entendre au fond de sa tête.

— Kate, Kate ! S'il te plaît, je voulais pas dire ça.

Peter ? Pourquoi est-ce qu'elle entendait la voix de Peter au fin fond de sa tête, sûrement la fatigue ou les médicaments qu'elle avait dû lui donner.

— Kate, je t'aime toi, qu'importe tes pouvoirs, qu'importe que tu ne sois pas la vraie Kate ou je ne sais quoi, mais reviens s'il te plaît.

Est-ce que la blonde était en train d'inventer ces mots ? Elle devait être vraiment fatiguée et désespérée.

— Je voulais pas te blesser, t'as pas le droit de t'enfuir. Je sais pas où t'es, mais reviens.

C'était vraiment Peter, mais comment se faisait-il qu'elle l'entende ici. C'était incompréhensible tout ça.

— Dis-moi ce que je dois faire pour te ramener, fais-moi un signe, n'importe quoi, prouve-moi que t'es encore là, je t'en supplie.

La jeune femme se concentra, si elle l'entendait, c'était qu'une partie d'elle était encore reliée à son clone de Saumura. Kate fixa sa main, peut-être qu'avec un maximum de volonté, sa main bougerait également à Saumura. Après plusieurs tentatives, la demoiselle sentit un contact fantôme sur sa paume.

— Kate, tu bouges, réveille-toi ! Reviens avec nous, t'as une famille ici, des gens qui t'aiment toi, t'as pas le droit de nous laisser. Pense à Ninon, pense à Christie.

Ce prénom réveilla en elle une douleur sourde, Kate se concentra dessus, elle devait partir de Pitisburg, elle ne connaîtrait peut-être jamais l'histoire de ses parents, mais cette femme avait des projets bien trop dangereux pour que la jeune fille ne reste ici. La blonde se sentit partir.

La femme brune le remarqua :

— Non, reste. Je te l'ordonne, je sais que tu as le don, je le veux reviens !

Kate eût seulement le temps de voir la femme se jeter sur elle, avant de se réveiller sur son lit, la tête collée contre le torse de Peter.

— Kate, t'es revenue ?

La demoiselle ne dit mot et hocha la tête.

— Je suis désolé, vraiment désolé.

Elle se releva.

— Ta réaction était normale.

— J'ai dit des choses affreuses, je.

— C'est bon je t'ai dit, je te pardonne.

Le garçon attrapa et enserra sa main.

— Tu m'as entendu ?

— Oui, c'était bizarre, ça ne fait pas ça normalement, je ne sais pas ce qui s'est passé.

Les yeux du garçon étaient perdus dans le lointain.

— Quand je t'ai vu tomber...

Kate l'interrompit.

— C'est bon, oublions ça.

Peter respira longuement et après un instant de silence, il annonça :

— Je t'aime dans chacun des univers dans lesquels tu respires.

Kate rougit.

— T'es un genre de polygame, en fait ?

Le brun souffla d'agacement, avant de répondre de son plus beau sourire :

— T'as un humour à faire pleurer un clown.

Elle marqua une courte pause, avant de poser son regard dans le sien.

— Je t'aime aussi dans chacun des univers où je respire, murmura Kate.

Le jeune homme répondit en l'embrassant, le contact de ses lèvres avait toujours le même effet et la même intensité que la première fois.

— S'il te plaît, reste, ne voyage plus entre les univers.

— J'y suis malheureusement obligée.

— Comment ça ?

La blonde expira un long moment.

— Lorsque j'ai une émotion forte, je pars automatiquement de mon corps, ainsi que lorsqu'un nouveau portail s'ouvre.

— Et tu peux pas l'arrêter ?

Kate passa sa main sur son front, en pleine réflexion.

— Je ne crois pas, mais même si je pouvais, ça ne serait pas possible pour le moment.

— Pourquoi ça ?

Question compliquée.

— Un de mes clones est comme qui dirait enceinte, dans un des univers.

— Tu... quoi ? Tu attends un enfant ?

— Pas vraiment moi, mais oui je dois m'en occuper.

La bouche de Peter s'ouvrit et se ferma plusieurs fois comme un poisson dans son bocal.

— Et du coup, le père.

— Il n'est pas au courant que je ne suis pas vraiment sa femme, donc je fais semblant, je joue un rôle.

Il eut comme un déclic. Peter essaya de former des mots, mais sans succès.

— Est-ce que vous...

— Est-ce qu'on a des rapports intimes comme mari et femme ?

Il hocha positivement la tête.

— Je fais tout mon possible pour l'éviter.

— Pour l'éviter ? déglutit-il, parce qu'il a essayé de.

Kate coupa court à sa phrase d'un geste de la main.

— Écoute, on ne va pas aborder cette question maintenant, pour le moment, je dois mener cette grossesse à bien et on verra après, je ferais tout pour rester à Saumura et pour réveiller Christie de son coma. Tu me fais confiance ?

Il fixa son regard dans le sien.

— Oui.

Le sommeil les emporta tous les deux et Kate en profita pour rendre une visite à Tiradi avant de revenir à Saumura.

Les journées de la jeune femme se ressemblaient de plus en plus, la vie à Saumura prenait un cours normal. Une certaine Madame Joris avait pris en main la petite ville souterraine. Digne de confiance selon la plupart des habitants, leur ancienne maîtresse d'école selon ses amis. Même si sa méfiance était toujours de mise, Kate était obligée de leur faire confiance.

Les histoires de cérémonies étaient terminées, même si leurs idées farfelues d'elfe et de jours des lucioles étaient encore ancrées dans leurs vies quotidiennes, mais qui était-elle pour les critiquer ? La demoiselle voyageait à travers les univers ! Ninon et Matt ainsi que tous les habitants de Saumura étaient toujours à la recherche du Chaman, qui n'avait plus donné signe de vie depuis la mort d'Irina.

L'état de Christie avait évolué positivement, mais pas suffisamment pour espérer qu'elle ne se réveille un jour. Kate vivait sa vie à Saumura la journée et la nuit, elle partait rendre des petites visites au bébé et à Céthy. La grossesse se passait bien selon sa servante et amie, de quoi rendre encore plus heureux Nairo.

Peter avait accepté l'idée de ses voyages et avait juré de n'en parler à personne, il surveillait d'ailleurs le corps de Kate quand elle rejoignait Tiradi, c'était rassurant de l'avoir auprès d'elle.

Après une énième visite à Tiradi, Kate passa la porte teintée de rouge de Saumura. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Crado était à ses pieds et Peter à ses côtés. Le chien avait été adopté par le couple depuis son réveil, Kate avait forcé Peter à retrouver la boule de poil bavante. Le garçon l'avait trouvé près de l'ancienne école, endormi sur un banc.

Alors que tout semblait reprendre un cours normal, notre héroïne pouvait-elle vraiment se permettre de se laisser aller ?