Le Réveil
Une violente secousse lui fit ouvrir les yeux, ses paupières encore lourdes se fixèrent sur un visage flou. Les secondes qui passèrent lui permirent une vision plus nette. Le visage rond et poupon qu'elle perçut, la dévisageait avec un air renfrogné.
— Réveille-toi, cria la jeune fille sur la couette, en continuant de la remuer avec force.
Les bouclettes blondes de la fillette, chatouillaient le nez de l'endormie.
— Mais tu n'es pas bien ? gémit l'autre, irritée par son réveil brutal.
La demoiselle aux yeux ensommeillés sentit son sang affluer dans ses veines. Son cœur commençait à s'affoler et sa tête à tourner.
—Tout doux ! C'est toi qui m'as harcelée hier, pour pas que j'oublie de te réveiller à sept heures, dit la gamine, vexée.
Elle portait un pyjama vert pomme avec «Je suis une princesse » inscrit dessus.
— Mais qu'est-ce tu racontes ? Je ne te connais même pas, s'enquit celle qu'on venait de tirer du sommeil.
Une lumière artificielle perçait à travers la fenêtre et arrosait de sa couleur jaunâtre, les murs défraîchis de la chambre. Le regard de la fillette se figea. Son expression boudeuse et enjouée devint surprise et inquiète. La femme mal réveillée se releva doucement de son lit et observa la pièce autour d'elle. Où était-elle ? Pourquoi ne se souvenait-elle de rien ? Mais qu'avait-il bien pu lui arriver ?
— Kate, dit l'enfant aux joues roses, ça va ? T'as l'air toute bizarre... si c'est une blague, c'est vraiment pas drôle.
Ses yeux verts en amande continuaient de la dévisager, chacun de ses traits laissait transparaître ses émotions.
— Kate ? Mais qui est Kate ? demanda l'autre, perdue.
Des picotements qui provenaient de sa main gauche, remontaient le long de son bras. Elle le dégagea pour que le sang recommence à affluer le long de ses veines, de ses doigts, jusque dans son épaule engourdie.
— Arrête, tu te fous de moi, là ? lâcha la bambine, perplexe.
Des expressions de lassitude, de colère et de peur se mêlaient dans son regard. La cadette recula de quelques centimètres, la bouche entrouverte par la stupeur.
— Ça suffit maintenant, tu vas m'expliquer ce qui se passe et pourquoi je suis ici, lui ordonna la dite Kate.
La peur prit le dessus sur la surprise, ce n'était décidément pas normal et elles étaient deux pour s'en rendre compte. L'enfant prétendait la connaître, mais elle jurerait que c'était la première fois qu'elle rencontrait une fille aux allures si juvéniles.
— Kate, t'es dans ta chambre à l'orphelinat. Je suis Christie, celle qui dort là, expliqua-t-elle, en montrant un petit lit du bout de son doigt.
Sa mine inquiète devint grave, ses yeux tristes continuaient de fixer Kate, tandis que cette dernière était en pleine analyse de la situation.
Priorité numéro une : mettre les choses un peu en ordre, pour son bien psychologique et pour son bon sens. Elle n'avait aucun souvenir de sa famille, donc ce que la gamine racontait pouvait être vrai.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? T'as bu hier soir ? questionna l'inquiète.
Sa remarque la fit sourire, elle avait certes le tournis, mais c'était celui de ne pas pouvoir se souvenir de quoi que ce soit dans cette pièce.
— Tout ça ne me semble absolument pas familier, je me souviens de rien, annonça-t-elle, toujours aussi perdue.
Kate ne savait pas si la petite demoiselle allait la prendre au sérieux, mais pour le moment la jeune femme n'avait pas d'autre choix que de se confier à elle.
— Je vais chercher Ninon, elle saura quoi faire. Je sais pas ce que t'as fumé ou fait hier soir, mais on va régler ça, ok ? énonça la petite, sur un ton qui se voulait sous contrôle.
Sa réaction surprit la fille dans le lit, quel âge pouvait-elle bien avoir ? Kate ne lui aurait pas donné plus de douze ans, peut-être était-elle habituée à la voir dans ce genre de situation.
— Qu... mais... je.
Un flot de paroles voulut sortir de sa bouche, mais aucune d'entre elles ne réussit à parcourir le bon chemin pour pouvoir être compréhensible ou même un tant soit peu audible.
— Chut, ordonna la môme, t'as fait suffisamment de conneries comme ça. Alors maintenant, laisse-moi m'en occuper. T'es peut-être la plus vieille de nous deux, mais on peut pas dire que t'es la plus responsable. Tu bouges pas d'un pouce, c'est clair ? lança t-elle agacée.
La blondinette avait peut-être l'air d'une enfant, mais elle avait un caractère déjà très affirmé. Elle était dotée d'une certaine maturité, celle qu'on ne pouvait acquérir qu'après avoir vécu des événements difficiles. Christie sortit de la pièce d'un pas pressé et Kate en profita pour observer ses mains.
Une pensée lui traversa l'esprit : à quoi ressemblait-elle ? La jeune femme n'avait aucun souvenir de son propre visage. Elle se releva et se dirigea vers le miroir. Arrivée devant lui, la demoiselle sursauta.
Une fille de taille moyenne se tenait devant elle. Blonde aux reflets cendrés avec des cheveux mi-longs, une frange lui tombait sur les yeux. Ses iris noirs semblaient perdus, presque apeurés. Kate était en train de s'observer, quand Christie et Ninon entrèrent dans la pièce, énervées.
— C'est la dernière fois qu'on te laisse sortir seule. Il t'arrive toujours des emmerdes et ça devient vraiment ingérable. Tu vas avoir dix-huit ans dans trois jours, je te rappelle. Si tu n'as plus ta tête, comment est-ce que tu vas pouvoir faire un choix convenable ? s'enquit Ninon.
Sa familiarité et son naturel surprirent la jeune femme devant le miroir. Elle n'avait aucun souvenir d'elle non plus. Ninon n'était pas très grande, des jambes un peu rondes sortaient de sa jupette étriquée. Sa confiance en elle flottait dans l'air, ce qui plût instantanément à l'amnésique.
— Je ne comprends rien à ce qu'il m'arrive, j'ai l'impression d'être entrée dans une autre dimension, expliqua-t-elle, mal à l'aise.
Son corps se mit à trembler, comme s'il commençait à réaliser l'ampleur de la situation. Elle ne retrouverait peut-être jamais ses souvenirs. La jeune femme risquait d'être piégée dans cette sensation, ce monde parallèle, toute sa vie.
— Calme-toi, tiens, bois un peu d'eau, se radoucit Ninon.
La brune lui tendit un verre avec un sourire qui se voulait amical. L'autre la remercia.
La sensation de l'eau fraîche sur sa langue la réveilla un peu plus et apaisa le tournis. Kate effectua un pivotement, de façon à ce que son dos soit posé contre le mur.
Le contact de sa peau avec la surface fraîche la refroidit instantanément et quelques frissons s'emparèrent de sa colonne vertébrale. La jeune femme ferma les yeux et souffla longuement, espérant recouvrer un peu ses esprits.
Ninon s'approcha doucement de Kate, agenouillée sur le dessus de la couette. Son genou effleura la cuisse de la jeune fille déboussolée, mais cette dernière n'y fit pas attention. La blonde tentait désespérément de revenir à elle. Calmement, l'amie aux petits soins commença à lui tâter le bras, puis le ventre.
— Mais ça ne va pas, tu me touches pas ! objecta Kate.
Un sentiment de panique avait traversé son corps. Sa réaction fût plus abrupte que voulue, mais le simple contact de cette main sur son ventre, avait réveillé en elle une colère noire.
— T'as raison Christie, elle n'est vraiment pas dans son état normal. Écoute Kate, il faut que je t'examine pour voir ce que tu as, si tu es blessée ou même pour avoir des indices sur ce qui s'est passé la nuit dernière. Ce n'est pas ce que tu veux ? s'exprima fermement Ninon.
Au fond d'elle, la jeune femme savait que la brune avait raison et qu'elle faisait ça pour son bien, mais elle nele supportait tout simplement pas.
— Si, mais.
Sa bouche était sèche, elle déglutit. Kate ne savait pas comment leur expliquer. Comment pouvaient-elles comprendre ?
— Y a pas de mais, sinon je te laisse dans ta merde ! C'est quoi ça ? J'essaie de t'aider et toi, tu me traites comme si on ne s'était jamais vu auparavant ? poursuivit Ninon.
Son nez en trompette était retroussé, ses dents serrées. La réaction disproportionnée de Kate l'avait réellement affectée, mais le sentiment d'insécurité que ressentait notre héroïne, personne ne pouvait le combler pour l'instant.
— C'est que.
Ninon interrompit la phrase, avant même que la jeune femme ne finisse de rassembler ses idées:
— Je sais que tu ne te souviens de rien, mais moi oui, alors fais-moi confiance.
L'autoritaire continua de la palper. Le contact de ses doigts froids le long de son corps crispa celle, dont les souvenirs s'étaient envolés. Kate se mordit la langue, refusant de réagir trop brusquement une seconde fois, et risquer de mettre plus en colère sa soigneuse.
Puis après de longues minutes dans un silence glacial, Ninon se stoppa avant de se tourner vers Christie :
— Je ne comprends pas, elle a l'air normal. Elle ne sent pas l'alcool ou la fumée, je ne crois pas qu'elle ait pris de médicaments bizarres ou qu'elle ait fait un truc assez fou pour avoir perdu la mémoire. La seule chose qui pourrait expliquer son amnésie, ce serait une chute. Il faut qu'on l'amène chez Mél. Peut-être qu'elle pourra faire un truc pour elle ou au moins expliquer ce qu'il se passe ?
Mél ? On allait encore la faire examiner par quelqu'un qu'elle ne connaissait pas ? Les deux jeunes filles agrippèrent les bras de leur amie et la traînèrent en dehors de la chambre.
Kate se préparait à râler, mais la petite Christie la devança :
— Si tu préfères, on peut te laisser là, toute seule, dans un endroit que tu connais pas, sans ta mémoire.
Message reçu cinq sur cinq : elle allait la boucler.
Le couloir était sombre. Des dessins accrochés sur les parois en liège, recouvraient une grande partie du mur de l'escalier. Il y avait quelque chose de rassurant et de chaleureux dans ce lieu. Des rires d'enfants remontaient d'une petite salle, plus bas.
Les escaliers dévalés, une grande porte en bois massif leurs fit face. Ninon s'avança et l'ouvrit, laissant ainsi apparaître un trottoir vide de vie qui baignait dans l'obscurité. Après quelques mètres, les trois filles se retrouvèrent sur une place. Des lampadaires éclairaient les rues et les maisons colorées de bleu, de jaune ou de rose.
Quelle heure pouvait-il bien être ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top