Incompréhension

Un sourire vint recouvrir le visage de Kate, elle courut vers le halo lumineux avant de se stopper pour laisser sa face baigner de lumière. C'était si agréable, la jeune femme n'avait toujours aucun souvenir, mais elle restait convaincue que ça lui avait manqué. Au bout de quelques minutes à profiter de la chaleur émise par l'astre magistral, la blonde aux reflets ensoleillés remarqua que Peter l'observait.

Elle lui jeta un regard, mais le garçon détourna les yeux. À contre-cœur, la jeune femme dut laisser son bain solaire derrière elle. Malgré les mètres qu'ils avaient dévalés, ils avaient eu la chance que le filet lumineux traverse une des brèches de la grotte et éclaire leur chemin, même si c'était seulement sur une petite surface et pour un court instant.

À regret, Kate s'éloigna de ce berceau si réconfortant et espéra en retrouver un autre plus loin. Peter remarqua son renfrognement après qu'ils se soient éloignés du rayon de soleil.

— Tu sais, nous n'avons pas toujours vécu au fond d'une grotte, lâcha-t-il.

— Vraiment ? J'avoue que Christie et Ninon ont vaguement essayé de m'expliquer cette partie de l'histoire, mais je n'ai pas beaucoup écouté, se remémora-t-elle, j'étais tellement en colère.

— Le Grand Chaman est arrivé au pouvoir quelques mois après ta naissance, le monde dans lequel nous vivions était dangereux et triste. Grâce à lui, nous avons instauré un ordre et la paix, en quelque sorte, mais pour ça, il fallait fuir le monde extérieur qui était devenu beaucoup trop pollué et les mauvais souvenirs, trop présents.

Le discours était toujours le même, Kate préféra ne rien ajouter et hocha la tête pour feindre son attention.

— Il est temps de dormir. On doit marcher et suivre ce foutu courant depuis plus de cinq heures, s'enquit-elle.

Le garçon hocha le menton avant de sortir une couverture de son énorme sac et de la déposer sur le sol humide.

— L'hôtel est à vos pieds, Mam'zelle, la salua-t-elle, en mimant un chapeau sur sa tête.

— Merci jeune homme.

Kate s'allongea sur la couverture. Après cette longue journée, ses pieds la faisaient souffrir. Ses paupières lourdes se fermèrent, une chaleur perça sur ses épaules. Cette dernière était proche et distante à la fois, Peter ne la touchait pas, il devait avoir retenu la leçon.

La blonde sourit, sa présence la réconfortait malgré tout. Après avoir repensé à tous les événements de la journée, elle réussit à trouver le sommeil.

Des papillons volaient, Kate marchait sur du sable chaud, elle avait déjà parcouru quelques mètres lorsqu'un garçon lui fit face, il tenait une jeune fille aux cheveux dorés par la main. Le cœur de Kate sauta face à ce tableau, elle était émue. Des boutons de fleur d'oranger avaient poussé autour d'eux.

La jeune fille approcha sa main pâle vers Kate avant de disparaître, emportée par une tempête de sable, tandis que son ami aux yeux mordorés et à la peau hâlée fondait littéralement sur le sol chaud. Kate hurla, refusant de laisser partir la fille aux yeux si bleu qu'on pourrait y enfermer le ciel.

Kate se remit à courir, le sable qu'elle foulait de ses pieds devint de l'herbe verte et fraîche. A un moment, elle faucha quelque chose et tomba maladroitement sur ses genoux. La blonde se retourna et fit face à une tombe grise, noyée sous les lys blancs.

Quelque chose de froid sauta au visage de la jeune femme.

— Mais qu'est-ce que ? gémit-elle.

Un rire tonitruant enveloppa la grotte, le bruit du courant était un léger bourdonnement d'abeille à côté.

— Mais t'es complètement malade ! lança Kate, au propriétaire de ce rire.

— On a perdu le sens de l'humour, Katiti ?

— Katiti ? T'es pas sérieux, là.

— Oh que si. Et c'est drôle t'as toujours la même réaction avec ce surnom, avec ou sans cerveau, ria-t-il, de plus bel.

Elle était trempée jusqu'aux os et gelée.

— T'es un sombre crétin.

— Je sais et c'est ça qui est drôle, sourit-il.

— C'est peut-être drôle pour toi, mais moi, je viens de me faire réveiller par une eau à trois degrés !

— Tu t'en remettras.

La jeune femme tremblait, mais qu'est-ce qu'ils avaient tous ici avec leurs réveils brutaux ?

— Ça va ? demanda Peter à sa coéquipière de route.

Son expression avait changé, pour seule réponse la blonde lâcha un grognement. Il se raidit.

— Je suis désolé, je voulais pas te vexer, dit-il embarrassé.

— C'est ton tour pour les excuses ? Eh bien, je vais répondre de la même manière que toi, je me fous de tes excuses.

— Calme-toi, Kate.

— Non, je veux bien être gentille, prévenante, essayer de comprendre l'incompréhensible, essayer de réparer les erreurs que j'ai faites à cause de ce village de fous, mais là, je suis à bout !

La jeune femme ne pouvait plus empêcher sa rage de sortir.

— Je vais t'aider à sauver Irina, mais après, je ne veux plus jamais revoir quiconque d'entre-vous ou avoir quoi que ce soit en rapport avec vos folies. Est-ce que c'est clair ?

— Tu crois pas que t'exagères ? Je t'ai juste réveillée avec de l'eau fraîche...

— Ce n'est pas simplement ça, s'emportât-elle.

— Alors c'est quoi ? cria-t-il à son tour, hein ? À la place de hurler comme ça d'un coup, tu veux pas m'expliquer ?

Le brun lui avait coupé l'herbe sous le pied, Kate décida de diminuer la tension qui régnait dans son corps et en particulier dans son estomac en respirant longuement plusieurs fois.

— Je voulais partir, se calma-t-elle, je ne voulais pas aller à cette cérémonie de malheur. Je voulais être mêlée en aucune manière à ce village de fous qui n'est définitivement pas le mien. Vous êtes peut-être très sympathiques, mais malgré tout ce que vous essayez de m'expliquer depuis le début, malgré toutes vos soi-disant, elle mima des guillemets, bonnes raisons, je ne suis pas d'accord et vous devriez pas l'être non plus. Tu te rends compte que jusqu'à aujourd'hui, aucun d'entre-vous n'a essayé de ramener quelqu'un tombé dans cette foutue trappe ?

Après ce monologue, Kate respira longuement et intensément.

Peter la dévisagea, dérouté et perdu dans des réflexions lointaines, puis vaincu, il lâcha :

— T'as raison.

— Pardon ?

Sa réponse fit à la blonde, l'effet d'une brique reçue en plein visage.

— T'as raison, répéta-t-il, c'est pas normal.

— T'es d'accord avec moi ? déglutit-elle.

— Oui, je viens de te le dire.

Kate à court de mot se détourna de lui et chercha dans son sac un change propre qui lui permettrait de se réchauffer. Elle fut interrompue par quelque chose de lourd et chaud en train de tomber sur ses épaules, la blonde se retourna et aperçut le pardessus d'hiver que Peter avait déposé sur son dos. D'un hochement de tête, elle le remercia.

— Tu devrais tout de même te changer, tes vêtements sécheront jamais sinon.

La jeune femme prit sa remarque au sérieux et attrapa un change avant de se tourner vers lui :

— Ferme les yeux et fais trois pas en avant, lui ordonna-t-elle.

— J'ai pas bien compris, je ferme les yeux avant ou après avoir fait les trois pas ?

La blonde le fusilla du regard, Peter rit avant de s'exécuter. Kate retira ses vêtements trempés et se retrouva nue comme un vers. Le manteau noir en laine comme seul rempart contre le froid, alors qu'elle enfilait tant bien que mal ses sous-vêtements.

Heureusement, c'était la bonne taille, elle ne s'était pas trompée dans le choix du côté de l'armoire. Elle finit par enfiler un pull et un jean. La chaleur des vêtements secs la fit frissonner.

— C'est bon, tu peux te retourner.

Le jeune homme obéit et emballa ses affaires sans ajouter un mot. Les deux compères reprirent petit à petit leur route comme si rien ne s'était passé.

Les heures passaient et l'humidité commençait réellement à la rendre folle. Les deux aventuriers ne savaient toujours pas où ils allaient et suivaient la seule issue possible du village.

— Si l'on revient vivant, faudra vraiment que l'on redessine cette carte. On a dû parcourir plus de deux fois la taille du village, juste en suivant un cours d'eau, déclara Kate, fatiguée.

— Pourquoi on reviendrait pas vivant ?

— Tu n'es pas sérieux, là ?

— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Peter ne comprenait réellement pas où la jeune fille voulait en venir.

— Tu ne pensais tout de même pas que nous allions simplement nous pointer, demander au Grand Chaman de libérer Irina et repartir tranquillement ?

— Bah, il sembla réfléchir, le Grand Chaman est quelqu'un de très compréhensif, je suis sûr que si on lui expliquait la situation, il comprendrait.

— Tu n'es pas bien ?

La blonde se reprit, ne sois pas violente Kate, ne sois pas violente.

— Si ça avait été aussi facile, tu crois sérieusement que l'on passerait par les souterrains ?

— C'est toi qui en as eu l'idée, puis on sait tous que le Grand Chaman y habite.

— Quoi ? s'étrangla la blonde.

Pourquoi personne ne lui en avait parlé ? Sérieusement ?

— Je pensais que tu le savais.

— J'ai le cerveau plein de trous, je te rappelle.

— Je suis désolé, de toute manière ça n'a aucune importance.

— Si ça en a une, s'insurgea-t-elle.

Le garçon aux yeux clairs fronça les sourcils.

— Mais pourquoi t'en fais tout un plat ?

— Ce gars vous fait croire qu'il parle à un arbre, vous fait vivre dans des souterrains et il a même installé des traditions meurtrières sans qu'un seul d'entre vous ne moufte ! C'est un manipulateur et il est prêt à tout pour garder son pouvoir en main.

— Tu l'as aperçu que deux minutes ! Il y est pour rien, toutes ces traditions sont instaurées par l'arbre sacré, dit-il, sur le même ton mécanique, que Mélanie quelques jours plus tôt.

— J'abandonne, s'enquit-elle lasse, on verra bien sur le moment, si on arrive à destination un jour.

Il fallait continuer d'avancer, suite à leur précédente conversation, Kate pensait que Peter avait compris, mais elle s'était trompée. Il était tard et ils décidèrent de prendre une pause, ils étaient d'avis de dormir seulement quelques heures avant de reprendre la marche. Les deux compères s'assoupirent, épuisés.

Quelque chose lui tapota l'épaule. Kate se réveilla doucement et fit face à deux grands yeux bleus situés au-dessus d'une bouche aux lèvres de velours rose.

— T'as changé de tactique de réveil ? délara-t-elle, dans un sourire à Peter.

— Oui, je t'avoue que j'avais un peu peur que tu m'étrangles dans mon sommeil.

Elle rit, le garçon l'imita et ils repartirent. Les deux amis avaient développé leurs petites habitudes, Peter marchait à gauche et la blonde à droite. Quelques vers luisants éclairaient leur chemin et leur permettaient de se repérer un peu plus dans cette immense obscurité. Kate longeait de ses doigts la paroi humide.

Les reliefs de la roche au contact de la pulpe de ses phalanges, piquaient ses sens. Un léger souffle de vent souleva une mèche de ses cheveux qui s'abattit sur ses yeux et se colla à ses lèvres. Kate se stoppa et retira hâtivement ses doigts de la paroi, puis prit délicatement le filet de cheveux et le replaça derrière son oreille droite.

Ses cheveux emmêlés par le vent, la sueur et la laine de son pull commençaient à la gêner. Elle les repoussait tant bien que mal, grimaçait sans cesse, les recoiffait, les touchait. Agacé par tous ses gigotements, Peter attrapa quelque chose dans sa poche et se tourna vers elle. Un élastique ornait le bout de son doigt.

Surprise, la blonde le regarda et pivota sa tête vers la gauche, voulant comprendre où il voulait en venir. Le jeune homme souffla, avant d'attraper Kate par les épaules et lui faire faire demi-tour. Il ramassa rapidement la masse capillaire kératinisée qui lui servait de cheveux et la fixa en haut de son crâne avec l'élastique noir.

L'action avait été brève et rapide, Kate n'eut pas le temps de râler. Elle restait donc là, face à la paroi, les cheveux attachés. L'homme à l'élastique lui souffla à l'oreille qu'ils pouvaient reprendre leur chemin, maintenant que la toise de la jeune femme ne se baladait plus sur ses épaules comme bon lui semblait.

Kate ne dit rien de plus et reprit sa cadence, découvrant de nouveaux creux et proéminences le long de la grotte.

Ils continuaient d'avancer en silence, lorsque quelque chose les interrompit.

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