Explication
- Selon lui, aucun être humain ne peut devenir adulte sans avoir fait l'un des choix les plus difficiles de sa vie qui est : lequel des deux doit vivre, déclara Ninon.
Son cœur fit un tour. Kate ne comprenait pas où la brune voulait en venir, mais plus elles approchaient de la fin de cette conversation, moins elle le sentait. Quel était le rapport entre une cérémonie, le fait de devenir adulte et celui de devoir choisir ? Et puis surtout, qu'est-ce que Ninon sous-entendait par « Lequel des deux doit vivre » ?
- Comment ça lequel des deux doit vivre ? Je ne comprends pas le rapport avec cette cérémonie ? s'enquit la blonde, interloquée.
Ninon baissa les yeux et Christie détourna le regard. La jeune femme était sûre que le moment fatidique était dans les prochaines secondes. Garde ton calme surtout Kate, garde ton calme.
- Écoute-moi, ça ne va pas être facile à entendre, annonça très sérieusement Mélanie.
La rousse prit une grande inspiration :
- Lors de cette cérémonie, deux personnes proches de celui auquel le choix s'impose sont convoquées, commença-t-elle, calmement.
Kate ne réagit pas et attendit qu'elle finisse son explication.
- L'être dont c'est la cérémonie doit choisir entre ces deux personnes, continua Ninon.
La blonde commençait à perdre patience, elle ne pouvait plus supporter ce verbe choisir.
- Mais choisir par rapport à quoi ? Qu'arrive-t-il à la personne qu'on ne choisit pas ? demanda Kate, inquiète.
Les filles se regardèrent décontenancées, puis Mélanie décida de rompre le silence :
- C'est là que ça devient difficile à accepter, dit-elle doucement. Tu dois choisir celui qui doit vivre et l'autre sera exilé dans un endroit que personne ne connaît et conduit à la mort.
Kate devint livide, son cœur qui palpitait trop fort quelques secondes auparavant, s'arrêta de battre. Sa gorge se noua et l'air commença à entrer difficilement. Ninon s'en aperçut et s'approcha doucement d'elle. Comme elle l'avait fait plus tôt dans la matinée, elle la prit par les épaules.
La jeune femme ne riposta pas, elle n'avait plus la force de la repousser.
Ce qui l'inquiétait le plus à ce moment précis, c'était de récupérer sa faculté à inspirer et à expirer. Ninon respirait profondément près de son oreille, afin qu'elle puisse s'appuyer sur sa respiration régulière et se calmer. La fille aux yeux noirs sentait son cœur reprendre un rythme un peu plus normal. Plusieurs minutes passèrent, avant que Kate ne réussisse enfin à reprendre ses esprits.
- Vous n'êtes pas vraiment sérieuses ? lâcha-t-elle, paniquée.
La jeune femme était à court de mots. C'était forcément une très mauvaise blague.
- Kate, il faut que tu comprennes que tout cela peut sembler extrêmement barbare... Et dans un sens ça l'est, mais il y a des raisons, affirma Mélanie, sur un ton neutre.
Kate allait répondre brusquement, lorsqu'elle fut interrompue par Christie, qui prit la parole pour la première fois depuis le début de la conversation :
- Après ce choix, le nouvel adulte devra vivre avec la mort de quelqu'un sur la conscience et la responsabilité d'avoir enlevé un proche à des gens qui l'aimaient.
La fillette était extrêmement sérieuse. Les trois filles pensaient toutes ce qu'elles racontaient. Même si le pire pour Kate, était qu'elles étaient d'accord avec ces paragraphes qu'on avait dû leur asséner depuis leur petite enfance.
- Ou bien, il devra faire face à la souffrance d'avoir dû choisir entre deux personnes qu'il aimait profondément, déclara Ninon.
- D'après l'arbre sacré, c'est un sacrifice nécessaire à l'épanouissement de l'Homme et à son évolution pour devenir plus puissant et plus indépendant, conclut Mélanie.
Le Monde recommença à tourner autour de Kate. Ses jambes devinrent flageolantes, la nausée la prit. Elle réussit à se retenir à temps.
- De toute façon, t'as pas le choix, dit Christie, sur un ton triste.
- Comment ça, je n'ai pas le choix ? s'indigna-t-elle.
Les filles ne pensaient tout de même pas qu'elle allait participer à leur folie ? Il n'était pas question qu'elle fasse quoi que ce soit de délirant dans le genre.
- Kate, tu as dix-huit ans dans trois jours, certifia Ninon.
Un silence pesant enveloppa la pièce. Il fallait que Kate se ressaisisse. Donc d'après la brune, que la jeune femme se souvienne ou non de son passé, de sa vie dans cet endroit de fous, elle devait tout de même participer à cette cérémonie meurtrière ?
Puis une autre idée imprégna l'esprit de Kate, une idée à laquelle elle n'était pas préparée et à laquelle elle ne voulait se confronter ni aujourd'hui, ni jamais.
- Mais comment je vais pouvoir choisir si je me souviens de rien, ni de personne ?
- C'est pour cela que l'on t'explique tout ça maintenant, énonça Ninon.
Kate se fichait totalement du fait qu'on lui explique ou même qu'on lui décrive étape par étape cette cérémonie inhumaine, elle refusait d'y aller. Il n'était pas question que la blonde choisisse, encore moins sans sa mémoire.
- Il faut que tu saches que tu fais partie des sans-famille, déclara Christie, comme nous.
Le regard interrogateur que lui lança Kate la fit continuer :
- Ceux dont tous les proches sont morts ou les ont abandonnés.
Au moins c'était un point positif, c'était rassurant de ne pas avoir à choisir entre des proches parents qu'elle ne reconnaîtrait pas et qui attendraient d'elle un choix définitif.
Kate sursauta en s'apercevant qu'elle commençait à penser comme eux, en analysant quel choix serait le meilleur. Il fallait qu'elle se reconcentre.
- Mais parmi qui doit-on choisir alors ? demanda Kate.
- Ça dépend, il n'y a pas d'ordre d'évidence, que ce soit pour les sans-familles ou non. Tu peux avoir à choisir entre des inconnus, parfois des membres d'une même famille qui ne te sont pas proches : un frère et une sœur, un mari et sa femme, une mère et son fils. Tout le monde peut être mis en choix. La seule condition est qu'il faut avoir plus de quinze ans. Lorsqu'on est convoqué, on ne peut ni échanger sa place, ni la refuser. Il n'y a que lorsque l'on a déjà été choisi une fois, que l'on ne peut plus être convoqué.
C'était encore plus ignoble que ce à quoi la fille aux yeux noirs s'attendait. Ils étaient en fait tous pris au piège dans cette cage appelée Saumura et le Grand Chaman les avait tellement bien endoctrinés, qu'ils trouvaient ça totalement normale.
Une question lui échappa :
- Vous, vous avez quel âge ?
Kate savait que son interrogation pouvait sembler désuète à ce moment précis, mais il fallait qu'elle connaisse la réponse. Car si la jeune femme n'avait pas le choix et que tout ça était vrai, il y avait le risque qu'elle doive choisir entre deux d'entre elles.
Mélanie rit :
- Christie a quinze ans depuis quelques mois. Ninon a dix-sept ans et j'ai vingt-deux ans.
- Tu as dû choisir du coup ? questionna Kate.
La jeune femme n'avait pas été très fine sur ce coup-là, mais elle s'en fichait. Il fallait qu'elle récolte le plus d'informations possibles. Surtout que Mélanie ne semblait pas très affectée par cette cérémonie.
- Oui, s'enquit-elle, en baissant les yeux.
- Sans vouloir être indiscrète, tu as dû choisir parmi qui ?
Peut-être que là, Kate était allée un peu trop loin, mais les filles ne l'avaient pas épargnée non plus. La jeune femme réalisa que le soleil ne s'était toujours pas levé. La fenêtre était grande ouverte, mais cette éternelle lumière artificielle éclairait de sa lueur jaune, la grande pièce qui les entourait. Mélanie respira intensément.
- Ce n'est pas un secret, j'ai eu à choisir entre mon frère et ma mère. J'ai choisi mon frère, expliqua-t-elle simplement.
- Je suis désolé, c'est vraiment ignoble, répondit Kate.
- C'est un sacrifice nécessaire, répéta-t-elle, telle une machine.
Tout cela répugnait la fille aux yeux noirs, elle se leva et se dirigea vers la sortie. Christie la suivit et avant qu'elle n'ait mis un pied dehors, elle réussit à stopper son amie.
- Kate, aucun de nous n'est heureux lors de ces cérémonies, mais il faut que tu comprennes que depuis que l'arbre sacré est le dirigeant, nous vivons en paix. Et bons nombres de nos problèmes, comme la famine ou les âmes perdues, ont disparus.
La jeune femme retint sa rage, Christie n'avait rien fait et elle n'avait aucune envie de la blesser.
- Les âmes perdues ? demanda-t-elle, en feignant un quelconque intérêt pour sa remarque.
- Ce sont ceux qui erraient les rues et vivaient dans la misère, sans toits pour les protéger, affirma-t-elle triste.
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