Entrecroisements
— Qu'est-ce qui a ? demanda l'infirmier.
— Je vais vous laisser, lâcha Ninon, en quittant précipitamment la pièce.
Matt continua de fixer la porte un instant, puis Kate ouvrit de nouveau la bouche :
— C'est assez embarrassant, à vrai dire.
— Tu peux tout me dire.
La jeune femme se racla la gorge plusieurs fois, puis après long moment d'hésitation, déclara :
— Peter m'a embrassée.
Matt ne cilla pas, ses sourcils en haut du front.
— Je suis désolé, poursuivit-elle.
— Vous êtes comme frère et sœurs, on n'embrasse pas sa sœur.
Kate repensa à cette scène.
— Notre lien est complexe.
L'infirmier fixait le sol.
— Il n'avait pas le droit, t'embrasser alors que tu viens à peine de reprendre connaissance, quand tu es si vulnérable.
— Pardon ? lâcha-t-elle, surprise.
La jeune femme était confuse, de quoi parlait-il ?
— Je vais aller lui régler son compte.
— Non, attends !
Kate attrapa sa main pour le retenir.
— Personne n'embrasse ma copine, même aux deux doigts de la mort.
Il donna un coup sec et la jeune femme lâcha sa main.
— Tu m'as mal comprise, il a fait le premier pas, mais je l'ai embrassé moi aussi.
— Tu as fait quoi ? lâcha-t-il, perdu.
La blonde était rouge, c'était tellement difficile à avouer.
— Je suis désolé, Matt, répéta Kate.
Les sourcils froncés, le garçon réalisa soudain :
— T'es en train de me quitter, hein ?
— C'est mieux pour nous deux.
Matt n'ajouta rien, se releva et s'en alla en claquant la porte. La jeune femme espérait qu'il n'irait pas s'en prendre à Peter, même si ce dernier savait très bien se défendre. Elle ne se sentait pas vraiment coupable, bizarre.
Ninon repensa à ce que lui avait dit Kate, elle ne savait jamais ce qu'elle voulait. La brune était en train de se coiffer devant son miroir, quand la porte s'ouvrit brusquement. La jeune femme se retourna, les sourcils relevés. Elle reconnut Matt, qui s'approchait d'elle, le haut du visage froncé. Kate avait dû le mettre au courant.
— C'est Kate, c'est ça ? lâcha-t-elle, dépitée.
L'infirmier ne dit rien, continuant d'avancer à grands pas, puis sans prévenir, il imposa ses lèvres sur celle de la brune. La jeune femme le repoussa, surprise.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je suis désolé, oublie.
Le garçon mouva sa main, comme pour effacer ce qu'il venait de faire.
— Pourquoi t'as fait ça ? répéta-t-elle, en colère.
— Laisse tomber, c'est pas important.
Ninon souffla d'agacement, il est vrai que le voyage à la quête du chaman les avait rapprochés, Matt n'était pas simplement un homme gentil, attentionné et mignon par-dessus le marché, il était aussi apaisant, intuitif et compréhensif, un véritable Bouddha, maître de ses décisions et de ses émotions, peu effrayé par le dévoilement de ses sentiments ou de ses pensées intimes.
Un atout pour la jeune femme, qui n'avait jusqu'alors, jamais rencontré un homme avec sa franchise et sa bonté.
— Qu'est-ce que tu fais, là ? Tu veux qu'on parle de ta rupture avec Kate ? Sans moi, s'enquit-elle.
Le garçon s'arrêta un instant et fronça les sourcils. Il avait cru la voir passer, cette connexion, cette étincelle dont les trois bouquins à l'eau de rose de la bibliothèque lui avaient parlé durant son adolescence, mais vu sa réaction agressive, il avait dû lourdement se tromper.
— Tu es fâchée contre moi ?
— À ton avis ?
Matt réfléchit un long instant, l'expression que la brune affichait à l'instant, était tout sauf habituel, elle dont le calme presque synchronisé au sien le rassurait, que la loyauté envers ses amies pouvait rendre aussi féroce qu'un tigre ou tendre comme une maman éléphant, il ne la reconnaissait pas.
— Je n'aurais pas dû t'embrasser, c'était sur le coup de l'émotion, s'excusa-t-il.
— Quelle émotion ? La colère ? Qui embrasse son amie lorsqu'il est en colère?
La fille se détourna et fouilla dans le tiroir de sa coiffeuse. Elle n'aimait pas qu'on l'utilise, encore moins pour rendre jalouse son amie.
— C'était de la frustration.
Sans ciller, Ninon continua de farfouiller dans son tiroir. Matt se racla la gorge, il essuya ses mains moites sur son pantalon, patient.
— Ton manque d'affection, t'es gentil, tu vas le combler avec quelqu'un d'autre.
Elle trouva enfin son élastique rouge préféré et sourit en l'enfilant sur sa tignasse élevée sur le dessus de son crâne.
— Tu ne comprends vraiment rien, hein.
Ninon marmonna avant de répliquer :
— Je t'en prie explique.
Matt saisit le menton de Ninon, l'embrassant une nouvelle fois. La jeune femme se recula de nouveau, vacillante et fixa le garçon.
— Je ne comprends toujours pas.
Il n'était pas dans les habitudes de la jeune femme, d'être confuse face à une situation.
— J'aimais Kate, mais depuis quelque temps, c'est quelqu'un d'autre qui hante mes pensées. Je voulais faire les choses en douceur après son agression.
Bouche bée, la brune fixait le jeune homme.
— Mais quand je viens la voir, elle me quitte pour ce crétin de Peter.
Cette remarque fit rire Ninon.
— Honnêtement, entre eux deux, c'était prévu d'avance, ils sont faits l'un pour l'autre.
— Tu ne pouvais pas me le dire avant ?
Un air circonspect s'inscrivit sur la face de la demoiselle.
— Je ne te connaissais pas, avant.
Il rit et fixa son regard sur les lèvres de la jeune femme.
— Du coup, tu dirais quoi ?
— À propos de quoi ?
Cette fois, Ninon était concentrée sur le discours de Matt.
— Si je faisais ça.
Matt l'embrassa une troisième fois, serrant sa taille contre lui, tandis que Ninon passait ses bras dans son dos en lui rendant son baiser.
— Tu es merveilleuse, tu le sais ? lâcha-t-il, entre deux baisers.
Les joues de la brune s'empourprèrent légèrement, elle qui avait toujours aimé les mots doux.
— T'es pas mal non plus dans ton genre.
Pendant ce temps-là, Kate regardait comme à son habitude la lueur jaune, éclairer la petite chambre de l'orphelinat. La jeune femme restait figée, à penser encore et encore, lorsque la porte se rouvrit dans un léger grincement. Un Peter gêné s'approcha de son lit, se raclant la gorge.
— Ça va ?
Le jeune homme se frottait la nuque, le regard fuyant.
— Qu'est-ce qui a ? Matt est venu te voir, c'est ça ? lâcha-t-elle, en essayant d'analyser son comportement.
Peter haussa les sourcils.
— Pourquoi il ferait ça ?
Ses yeux bleu azur écarquillés, il observa Kate.
— Je lui ai dit pour, murmura la jeune femme, mal à l'aise avec le fameux mot.
— Le baiser ?
C'était au tour de la blonde de baisser le regard, elle prenait soudainement un grand intérêt à admirer ses pieds.
— Je vois. Il l'a mal pris ? Je peux lui expliquer, si tu veux.
Kate releva rapidement les yeux, les sourcils froncés, qu'est-ce qu'il voulait lui expliquer, encore ? Qu'il la considérait comme sa sœur ? On n'embrasse pas sa sœur, comme l'avait très bien fait remarquer Matt. Il commençait à lui chauffer les oreilles.
— Pardon ? dit-elle brute, non, on est plus ensemble, réussit-elle à dire calmement.
— À cause de ça ? demanda-t-il, de son air le plus innocent.
C'est au tour de la jeune femme de froncer les sourcils.
— Non, mais t'es débile ou quoi ? s'agaça Kate.
Les bras en l'air, il lui montra qu'il abandonnait la bataille, la jeune femme prit sa respiration et envoya :
— Je ne suis pas amoureuse de lui.
Peter prit un temps de réflexion.
— C'est dommage.
La jeune femme le dévisagea, circonspecte. Fallait-il vraiment qu'elle lui explique tout ou allait-il finir par connecter les trois neurones qui lui restaient et comprendre par lui-même ?
— Peter, déclara Kate, énervée.
La mine du garçon changea.
— Dis-le, annonça t- il.
— Pardon ?
La blonde l'observa, la bouche du jeune homme était pincée, son regard fuyant. Il avait peur, mais peur de quoi exactement ?
— Je l'ai quittée à cause de toi.
La face de Peter se décontracta, il laissa échapper un sourire avant de faire les trois pas qui les séparaient, puis il posa sa main sur la nuque de la demoiselle, laissant son souffle chaud effleurer la peau de son visage, Kate fixait ses lèvres. Les secondes s'écoulèrent et manquant de patience, elle s'approcha pour l'embrasser, mais le garçon aux cheveux bruns recula dans un sourire malicieux.
Vexée, Kate releva les yeux, son regard noir se reflétait dans ses yeux à la couleur translucide. Le jeune homme ria et une sensation désagréable commença à s'imprégner de la jeune fille, serait-ce un jeu pour lui ? Elle, ça ne l'amusait pas, tout ceci ne lui ressemblait pas et avait déjà suffisamment le don de l'agacer, alors il n'avait pas à en rajouter. Que cherchait-il ?
La jeune femme recula son visage, l'observant plus longuement, sa mine était toujours amusée et il ne bougeait toujours pas. Kate le repoussa dans un soupir agacé, il rit de nouveau, la blonde croisa ses bras en signe de protestation et laissa son regard divaguer par la fenêtre.
Elle n'était qu'une idiote qui s'était bien faite avoir, sa fierté en prenait un coup, mais elle s'en remettrait, elle pouvait toujours quitter définitivement son corps de Saumura si son ego avait trop de mal à le supporter.
Plusieurs minutes s'étaient écoulées sans que ni Peter, ni Kate n'ait dit un mot ou bouger du moindre centimètre. La jeune femme refusait de lui accorder une seconde supplémentaire de son temps, même pour lui incomber de partir, son langage corporel était suffisamment éloquent. La blonde sentait sa présence à côté d'elle, mais elle ne savait pas ce qu'il faisait.
— Kate, lâcha-t-il, dans un souffle.
Un merle passa devant la vitre, toujours dans le même mouvement mécanique que les derniers qu'elle avait aperçus au temps du Grand Chaman. Étaient-ils encore utilisés ?
— Kate, murmura de nouveau Peter, en passant doucement sa main sur sa cuisse.
La jeune femme bougea violemment sa jambe sous le drap, ne lui laissant pas de contact physique avec une quelconque partie de son corps.
— S'il te plaît, regarde-moi, supplia-t-il.
La blonde se retourna, le fusillant des yeux de son regard le plus noir.
— Qu'est-ce que tu veux ? C'est un jeu pour toi ? Sache que ça ne m'amuse pas.
Le jeune homme passa sa main sur son visage.
— Mais de quoi tu parles ? répondit-il confus.
Kate frappa doucement la couette, toujours en colère et confuse.
— Tu m'embrasses, tu me fais croire que.
La voix de la jeune fille se brisa, plus qu'elle ne l'aurait désiré.
— Je quitte Matt, puis tu m'obliges à te l'avouer et.
Elle stoppa sa phrase. La colère se mélangeait à sa frustration, mais un autre sentiment s'emparait d'elle, un sentiment qui lui était insupportable, de la tristesse. Les yeux de Kate la brûlaient, elle tenta des grimaces pour dissimuler les larmes qui menaçaient de couler. Elle refusait de pleurer encore une fois.
— Tu pleures ? questionna Peter, surpris.
— Même pas en rêve.
Mais la voix tressautante de la jeune femme trahissait ses paroles. Les yeux du garçon changèrent de couleur et sans attendre un instant, il s'accrocha à la taille de la jeune fille, la serrant si fort, que son souffle se coupa. Kate essuya ses yeux dégoulinants sur le creux de sa clavicule, frottant son nez contre torse.
La blonde se détestait, à ce moment précis, elle se détestait. Car même si sa fierté l'implorait de se dégager violemment en lui envoyant une remarque sarcastique, elle en était tout bonnement incapable. Kate serra ses bras autour de son cou, se raccrochant à lui, comme elle se raccrochait à Saumura.
Puis Peter passa son doigt en dessous du menton de la demoiselle et figea son regard sur ses lèvres, avant de l'embrasser.
— Je savourais simplement l'instant. Je voulais pas te mettre dans cet état, annonça-t-il, dans un sourire apaisé.
Un rire échappa à Kate, avant que son poing ne s'abatte doucement sur son abdomen, Peter resserra d'autant plus son étreinte avant d'embrasser la fille aux yeux noirs de nouveau.
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