Argumentation
Pendant un bref instant, Kate resta figée face à son reflet. C'était bien cette blondinette de l'autre fois, excepté que sa frange avait poussé et que dorénavant, elle était placée à la gauche de son front. Ses traits semblaient fatigués. Peter apparut à ses côtés, les yeux de la fille étaient perdus dans des abîmes qui allaient bien trop loin pour qu'on puisse la ramener.
Une douce chaleur se fit sentir sur ses hanches, c'était agréable, mais la fille n'arrivait toujours pas à détacher ses yeux de ce tableau tellement incohérent. Peter s'approcha de la jeune femme dans le miroir, ses lèvres étaient à quelques millimètres de l'arrière de son crâne.
— Ça va ? la réveilla la voix dans son oreille.
Kate sursauta et reprit contact avec la Terre. Elle sourit, gênée et sortit de sa torpeur, puis la jeune femme réalisa que le sol à ses pieds était doux et tiède. Il était recouvert d'une moquette grise, très bien entretenue. La chaleur était toujours présente sur les hanches de la fille, elle s'en dégagea rapidement en comprenant que ce n'était rien d'autre que les mains de Peter.
La blonde contourna le mur où le miroir était accroché et plusieurs ascenseurs apparurent. Kate se dirigea vers celui de gauche et Peter, vers celui de droite. Cela représentait bien leurs différences flagrantes, ils étaient deux opposés en tout point. Dans un haussement de sourcil, la jeune femme lui fit comprendre qu'elle ne changerait pas d'ascenseur, il souffla avant de céder.
Les longs couloirs et la découverte de nouvelles pièces commençaient réellement à taper sur le système de la blonde. Ces souterrains étaient un vrai labyrinthe. L'ascenseur s'arrêta à l'étage le plus haut, un rayon de soleil les accueillit. Enfin, de la lumière naturelle, pensa-t-elle.
Les deux jeunes ne pouvaient pas être sortis de la grotte, ils n'avaient pas monté assez d'étages. Kate leva les yeux au ciel, le plafond au-dessus d'elle était situé si haut, qu'elle ne savait pas si une fenêtre recouvrait le trou de lumière ou si c'était un trou naturel formé par la grotte.
Des escaliers entouraient ce cercle, comme s'ils permettaient d'y accéder. Le Grand Chaman devait avoir beaucoup de ressources financières, mais des gens l'avaient forcément aidé. Beaucoup de gens.
Soudain, quelque chose lui revint à l'esprit :
— Ton père, dit-elle, tu ne m'avais pas dit qu'il avait travaillé dans les souterrains ?
— Non, je t'ai dit qu'il travaillait dans la plomberie.
— Oui, mais pour s'occuper des tuyaux, fallait forcément qu'il accède aux souterrains, non ?
La mine de Peter se décomposa, il comprit où elle voulait en venir.
— Tu veux dire que mon père aurait pu participer à l'élaboration de cet endroit et donc également, de tous les systèmes de trappes de la Cérémonie ? demanda-t-il, pâle.
— Je pense, oui. Le Grand Chaman n'a pas pu faire tous ces travaux tout seul.
Le garçon ne répondit rien, quelque chose avait changé en lui.
— Mais je pensais que tu trouvais que ce que faisait le Grand Chaman, était bien, énonça Kate.
— Non, j'ai pas dit bien, j'ai dit justifié. T'as rien compris en fait, déclara-t-il abattu.
— Quoi ? Qu'est-ce que je n'ai pas compris ? s'agaça-t-elle, vous me répétez tous ça, depuis que je suis ici.
— Si tu t'ouvrais un peu plus au monde où t'es, peut-être que tu comprendrais qu'on peut pas toujours faire ce qu'on veut. Parfois, il faut faire de gros sacrifices pour que la paix règne.
— En quoi tuer des gens règle le problème ? s'énerva-t-elle.
— Arrête d'employer ce mot, s'il te plaît, la supplia Peter.
— Lequel ? Tuer ? le provoqua-t-elle.
Le jeune homme la fusilla du regard, un sentiment de culpabilité s'immisça en elle.
— Je ne voulais pas être blessante.
— Je sais, tu le fais jamais exprès, mais ça n'empêche que tu blesses quand même, la sermonna-t-il.
— Explique-moi ce qu'il se passe durant ces cérémonies, si ce n'est pas tu... Enfin, t'as compris, s'enquit-elle.
— On préserve la paix en rappelant à chaque habitant qu'il n'a pas tous les droits, que c'est un simple Homme, que la nature est plus forte.
— Oui, ça je sais. C'est toujours le même discours.
— T'es pas possible, ricana-t-il, t'es toujours obligée de m'interrompre !
— D...
— Arrête de t'excuser, ordonna-t-il.
— Pard.
— Non, mais arrête !
Un rire ne put s'empêcher d'échapper à Kate.
— Tu dis que la nature est plus forte, mais je pense qu'à Saumura, c'est surtout votre gouvernement mis en vigueur par votre bon vieux chaman, qui est le plus fort.
— Nous n'avons pas de gouvernement. Le Grand Chaman est un peu comme le sage du village et il est en plus le traducteur de l'arbre sacré, mais c'est en aucun cas un chef politique.
— Pourtant, il se comporte de la même manière.
— Non, c'est faux, s'énerva-t-il.
— Ah oui ? Donne-moi trois arguments et je te donnerai trois des miens, d'accord ?
— Parfait, il commença, l'arbre sacré, qui est le symbole de la nature, est celui qui dicte nos règles. Le Grand Chaman n'a pas été élu par le peuple, il n'est donc pas politicien. C'est simplement un citoyen comme un autre, qui un jour a découvert l'arbre. Depuis sa découverte, nous vivons dans une paix profonde et en sécurité. Et surtout, il n'a jamais imposé quoi que ce soit.
— Très bien, annonça-t-elle avec un sourire. Premièrement, personne n'a jamais entendu parler l'arbre sacré. En fait, vous avez juste fait confiance au chaman qui disait avoir fait une découverte et qui en plus, pouvait soi-disant le comprendre, mais pas les autres.
Peter hocha la tête suite à sa remarque.
— Pour l'argument deux.Il n'a pas été élu. Ce qui ferait de lui donc, non pas un chef politique, c'est vrai, mais un dictateur qui s'est imposé au peuple.
Peter mima son mécontentement et voulut l'interrompre, mais la blonde le précéda :
— Laisse-moi terminer mes arguments avant de me couper, elle se reprit, donc j'en étais au dictateur. Tu n'as peut-être pas cette impression, car il y est pas parvenu par les armes, mais par l'amadouement. C'est un grand manipulateur qui vous a fait croire des choses totalement fausses, mais c'était ce que le peuple entier voulait entendre. Pour le dernier argument, vous vivez dans un village qui n'a aucune liberté, elle prédit sa réaction, ne me coupe pas s'il te plaît !
Il mima un renfrognement et Kate enchaîna :
— Vous vivez tous dans la peur, chaque jour, chaque seconde. Vous avez peur que le prochain qui doive... partir, soit un de vos proches ! Et pour ceux qui n'ont plus rien, ils ont peur du jour où ils devront choisir entre deux inconnus. Pour ceux qui ont déjà choisi, ils vivent avec des remords, la culpabilité. En résumé : tout le monde est touché et tout le monde a peur, mais personne n'ose se plaindre, car vous avez été endoctriné depuis votre tendre enfance. Vous pensez que c'est grâce à ça qu'aujourd'hui, il n'y a plus de gens qui meurent de faim dans vos rues ou qu'il n'y a plus de guerres, plus de problèmes climatiques ou autres. Mais ce que vous ne voyez pas, c'est qu'en réalité, vous êtes simplement barricadés dans un gouvernement autoritaire, qui prend la vie de ses habitants un à un, finit la jeune fille, à bout de souffle.
La bouche de Peter était entrouverte, ses yeux vides fixaient le mur blanc en béton en face de lui. Son visage était totalement décontenancé, les mots de Kate avaient peut-être été plus violents qu'elle ne l'aurait voulu. La jeune femme culpabilisa, elle avait l'impression qu'à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, elle blessait irrémédiablement des gens. Cela devait être son don.
Elle allait encore s'excuser, quand elle se souvint des différentes remarques de Peter. Alors, Kate décida de l'enlacer et serra ses bras autour de sa nuque, son cou était collé au sien. La fille recula la tête pour l'observer, son visage était toujours figé et une larme s'étala sur sa joue. Elle sourit légèrement et l'écrasa sous son doigt.
— Chacun son tour pour rassurer ou plutôt, réconforter l'autre ? déclara la blonde, en riant.
Ses yeux se fixèrent dans ceux de Peter, une lueur étrange y était présente. La jeune femme claqua ses doigts et le ramena dans la pièce où ils étaient enlacés depuis déjà quelques minutes. Heureusement, il n'y avait personne qui semblait y circuler.
Le brun la remercia avant de la relâcher.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top