Chapitre 9 : La bague au doigt


Ce fut donc le 16 octobre que Cathie Mist se déclara officiellement amoureuse du professeur Lupin, et le 18 au soir que les vacances commencèrent. Qui aurait pu imaginer pire situation ? Pas elle, en tout cas. Car, vraiment, tomber sous le charme d'un enseignant, deux jours avant d'être sûre de ne plus pouvoir assister à ses cours ni le revoir pendant deux semaines, ça n'était pas le meilleur des cas...

Le temps, dehors, n'arrangeait rien. La météo s'empirait de jour en jour, la pluie ne cessait de marteler les carreaux des fenêtres, le vent soufflait si fort que ses hurlements parvenaient à être audibles à l'intérieur du château. Les nuages, eux, avaient entièrement envahi le ciel. Même la tempête n'arrivait pas à les en chasser, mais en ramenait au contraire de nouveaux, aussi sombres et opaques que les précédents. Ils dissimulaient le soleil en permanence, ne laissant même pas s'échapper un rayon de lumière naturelle, si bien que les élèves en venaient à se demander si cet astre avait jamais existé. Les pauvres étaient confinés dans leur salle commune, dans la Grande Salle ou dans la bibliothèque, contraints de rester enfermés et de faire leurs devoirs, en ces jours de congé. Les rares audacieux qui avaient essayé de s'aventurer dehors étaient rentrés trempés jusqu'aux os et déconfits, de quoi décourager tous ceux qui avaient voulu suivre leur exemple.

Cat s'ennuyait. Assise seule, sur le matelas de son lit, grattant de sa plume un rouleau de parchemin pour faire un exercice de Potions, elle préférait la tranquillité du dortoir des filles plutôt que l'atmosphère étouffante de la salle commune. Celle-ci était encore plus remplie que pendant les jours de classe, encore plus bruyante que d'habitude. Pas la peine d'aller y faire un tour pour s'en rendre compte : Cat entendait d'ici les cris des élèves. Elle avait bien conscience que la seule occupation qui lui restait pour les vacances était ses devoirs. Or, elle n'en avait pas énormément. Passé cet exercice de Potions, il lui restait : un peu de Sortilèges, un peu de Métamorphose, un peu de Divination, un peu d'Histoire de la magie, et un peu de... Défense contre les forces du mal... Non, franchement, ce n'était pas beaucoup ! Une fois qu'elle en serait venue à bout, que lui resterait-il à faire ? Commencer à réviser pour les B.U.S.E. ? Non ! Non, c'était beaucoup trop tôt ! Et la simple idée de passer dans quelques mois ces malheureuses, ces horribles, ces affreuses B.U.S.E. la révulsait au plus haut point. Non, hors de question. Elle ne voulait pas le faire. Tout ce qu'elle voulait faire, c'était... voir Mr Lupin.

La porte du dortoir s'ouvrit soudainement, et la brunette se retourna instinctivement pour voir si ce n'était pas lui qui entrait.

- Auchourd'hui, c'est le chour chi ! s'écria Axelle, en déboulant dans la pièce, d'un air conquérant. Auchourd'hui, che fais parler au professeur Chourafe ! Cerise et Anna m'accompagnent pour cette mission. Tu fiens aussi ?

- Euh..., fit Cat, qui, légèrement troublée, reposa sa plume dans son encrier. Je ne saisis pas bien pourquoi tu veux aller parler au professeur Chourave...

- Mais foyons ! Che t'en parle depuis des mois ! Le Choixpeau machique a fait une erreur considérable, en m'enfoyant à Serdaigle ! Ch'étais destinée à aller à Poufsouffle, ch'en suis sûre ! Che feux aller à Poufsouffle ! C'est pour ça qu'il faut que ch'en parle au professeur Chourafe, qui est la directrice des Poufsouffle. Il faut que che lui explique mon cas, comme ça elle m'acceptera peut-être dans la maison dans laquelle ch'aurais touchours dû être !

- C'est vrai qu'au bout de cinq ans passés à Serdaigle, il serait peut-être temps...

- Mieux faut tard que chamais ! Il me reste encore deux longues années... Alors, tu fiens afec nous ? Comme c'est l'heure du décheuner, le professeur Chourafe doit sûrement être en train de mancher dans la Grande Salle...

- Euh..., hésita Cat, qui jeta un coup d'oeil aux deux dernières questions auxquelles il lui restait à répondre. Je... Je finis mon exercice et je vous rejoins là-bas !

- D'accooord ! lança la blonde.

Et elle s'éclipsa aussi vite qu'elle était entrée, refermant la porte d'une manière un peu brusque, et laissant Cat à nouveau seule. Résolument, celle-ci reprit sa plume et continua à travailler. Mais au bout de quelques lignes, elle s'aperçut que le goût n'y était pas. A quoi rimait tout cela ? Quand bien même, sa seule envie, c'était de revoir Mr Lupin ? A quoi lui servait-il de faire tous ses devoirs d'un coup ? Lorsqu'elle savait que, une fois qu'elle n'en aurait plus, sa seule occupation serait de se morfondre... Se morfondre... et ne plus le revoir...

La brunette jeta un regard désemparé vers la fenêtre du dortoir. Mais ces carreaux humides, embués et ruisselants, elle ne les voyait plus. Tout ce qu'elle voyait, c'était le visage, bien qu'un peu flou, mais si doux, du professeur Lupin.

¤~

Merveilleuse cure pour oublier le professeur Lupin, n'est-ce pas, que de se promener dans le couloir qui conduisait à sa salle de cours de Défense contre les forces du mal ? Heureusement que le corridor était désert, sinon Cat aurait dû essuyer des questions telles que : « Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu viens en cours ? Tu as oublié que ce sont les vacances ? Tu te crois un jour d'école ? Ou bien tu es en retenue ? ». Et elle, qu'aurait-elle pu répondre ? Rien de plus embarrassant, ni de plus ennuyeux... Car, si elle voulait être sincère - ce qu'elle aimait être -, elle aurait répondu : « J'ai écouté mon coeur... Et il m'a conduite jusqu'à ce couloir ».

Ce couloir... qui, quelques jours plus tôt, était rempli d'élèves ; où, quelques jours plus tôt, elle passait, et repassait, avec une satisfaction inavouée, un amusement inaperçu, lorsqu'elle tournait la tête, sans s'en rendre compte, vers la porte ouverte de la salle de Mr Lupin. Maintenant, la porte était fermée. Elle s'y était attendue, après tout. C'était normal. Pas de grande surprise, ni de grande déception. La porte était fermée, et il n'y avait personne dans le couloir. Personne... Alors pourquoi son coeur l'avait-il menée jusqu'à cet endroit vide ?

C'était par besoin... Par besoin, plus que par envie. Un besoin inexpliqué et inexplicable. Elle avait besoin de retourner en ces lieux, car ils lui rappelaient les récents souvenirs, encore tous chauds, des heures de cours de Défense contre les forces du mal. Ces heures finalement si courtes, au bonheur incommensurable, dont elle ne se rendait compte que maintenant, maintenant qu'elle n'y goûtait plus. Quoi ? Avait-elle déjà envie de retourner en cours ? En cours de Défense contre les forces du mal ? Eh bien oui. C'était un fait, c'était presque insupportable. Cette impuissance à ne pouvoir retourner en cours... Cette constatation que tout s'était momentanément arrêté... Cette désolation qui régnait dans le couloir...

Il n'était pas là. C'était prévisible. Pourquoi venait-elle le chercher, alors qu'il n'était pas là ? Il lui manquait... Où était-il ? Il lui manquait, ciel ! Elle avait besoin de le voir, elle avait besoin de lui. Elle avait besoin d'errer dans ces lieux où il était passé, de marcher sur ces dalles où il avait posé ses pieds, de regarder ces murs, ornés de flambeaux, qu'il avait regardés lui aussi. Elle avait le temps. Rien ne la pressait. Elle pouvait descendre à la Grande Salle quand bon lui semblait, elle pouvait rester ici, flâner dans ce petit détour délicieux, autant de temps qu'elle le souhaitait. Personne ne l'attendait vraiment. Elle était seule. Elle pouvait profiter, savourer cette errance et ces lieux. Faire glisser ses doigts le long du mur, en sentir les pierres dures et rugueuses sous sa peau. Ecouter le timide claquement de ses chaussures sur le sol dallé. S'éblouir les yeux à la lumière des flammes des torches. Se diriger vers la porte de Mr Lupin. Lentement, goûter l'instant de cette avancée incertaine vers ce bois de chêne, si charmant. S'approcher du seuil, un peu plus près, le visage attiré comme un aimant vers la porte, le bout du nez en frôlant la surface. Humer cette légère senteur de chêne, de sève, de vernis, peut-être d'autre chose... Une odeur si délicate et agréable... Le parfum de Mr Lupin, peut-être ? Approcher ses doigts, tremblants, vers cette porte. Vouloir la toucher, la caresser...

- Dis-moi, Cat, tu t'es trompée de jour ? retentit alors une voix derrière elle.

La jeune fille eut le plus gros sursaut de sa vie, ne put s'empêcher de pousser un cri aussi bref qu'aigu (« Iiiii ! »), et de se retourner précipitamment.

- Vince !

Evidemment, ça ne pouvait être que lui !

- Tu es fou ou quoi ? J'ai cru mourir d'une crise cardiaque !

- Le pauvre professeur Lupin aurait retrouvé un cadavre sur son paillasson... C'est vrai que ce n'est pas très agréable... Heureusement que tu n'es pas morte ! fit Vince, en tapotant l'épaule de Cat, qui venait de se colorer en rouge. Alors explique-moi : tu as toujours envie d'aller en cours ?

Cat, dont le coeur avait fait un terrible bond et avait maintenant du mal à s'en remettre - ne cessant de battre à une vitesse folle -, dévisagea son ami d'un regard à la fois rancunier et suspicieux.

- Très drôle, ta blague ! Très, très drôle ! félicita-t-elle ironiquement. Mais sache que tu n'as pas tout à fait tort... Et c'est ça qui est moins drôle...

- Aaah..., soupira le châtain, d'une façon presque théâtrale. Ce fameux professeur Lupin, hein ?

La brunette fit un sourire en coin, qui ne put s'empêcher de se transformer en un sourire complet, le tout en secouant la tête par l'affirmative, ce qui fit gigoter ses cheveux mi-longs, et lui donna des allures de petite fille.

- Peut-être voulais-tu aller lui parler ? demanda Vince. Je n'ai pas bien fait attention, mais peut-être que tu t'apprêtais à frapper à sa porte ?

- Non, non..., répondit Cat, d'un air modéré. Je ne pense pas qu'il soit dans sa salle...

- Hmmm... Je ne pense pas non plus. S'il l'avait été, il serait sûrement sorti, en entendant le hurlement hystérique que tu as poussé devant sa porte !

La Serdaigle fixa le garçon avec des yeux qu'elle voulait rendre mauvais. Mais cela ne marcha pas, car bientôt Vince commença à avoir un rire silencieux.

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta nerveusement la jeune fille.

- En fait, quand j'y repense, j'aurais très bien pu te pousser, et tu te serais littéralement écrasé le nez contre cette porte !

- Grrr... Malin !

- Je ne sais pas ce que tu faisais, collée contre cette porte... Tu essayais de regarder au travers ? Pour voir si Mr Lupin était à l'intérieur ?

- C'est ça, bien sûr...

- Tu ne veux pas que j'aille lui parler ? Lui dire un petit mot, pour un peu te faciliter la tâche ?

Cat se figea alors momentanément, pas sûre d'avoir bien tout compris.

- Pardon ? fit-elle, avec des yeux légèrement écarquillés de surprise.

- Ben oui ! Toi qui es fan de lui !

L'étonnement céda finalement au rire, et Cat gloussa vivement à côté de la porte du professeur Lupin.

- Ah ah ah ah ! Ce serait bien, hein ! s'exclama-t-elle. Mais... Que veux-tu lui dire ?

- Ben... Tout ce que tu m'as déjà raconté à propos de lui !

De nouveaux éclats de rire de la jeune fille retentirent dans le couloir. Ah çà, c'était fort ! Tout à fait Vince ! Si celui-ci se proposait d'aller raconter à Mr Lupin les choses innombrables que Cat lui avait rapportées - ses nombreux coups d'oeil jetés à la volée, ses multiples préoccupations de le voir -, il n'avait pas fini ! Et la réaction du prof, en entendant tout ça ! Troublé ? Embarrassé ? Interloqué ? Abasourdi, peut-être ? Franchement, c'était risible !

- Mais fais attention ! prévint Vince, en levant l'index. Je suis très sérieux !

Et en effet, il l'avait l'air, car, contrairement à Cat, lui ne pouffait pas. Il gardait juste un petit rictus amusé sur le visage, c'était tout. Ses yeux verts étaient fixés sur son amie et ne fléchissaient pas, ils étaient convaincants. La jeune fille s'arrêta alors de glousser, et se contenta de sourire.

- Si tu fais ça, après, il ne voudra plus de moi comme élève ! lança-t-elle, sur le ton de la plaisanterie, mais en considérant tout de même sa phrase avec gravité.

- Peut-être, mais si tu viens à sortir avec lui, il te voudra toujours comme petite amie ! Crois-moi, je vais tout faire pour que tu puisses sortir avec lui !

- Mais, mais, mais ! s'écria Cat, dans la précipitation, en agitant les bras comme une hystérique, comme si elle allait prendre son envol, complètement déboussolée, retournée, renversée par les propos que tenait son ami. MAIS T'ES MALADE ! CET HOMME EST SÛREMENT MARIE !

A cet instant, comme par hasard, un élève de deuxième année apparut au bout du couloir (qui était censé être désert), et tourna un visage surpris vers la brunette, qui venait de hurler comme une folle des paroles plus que douteuses. Passablement interloqué, le garçon disparut, et Cat resta en plan, la bouche grande ouverte, stoïque, paralysée de honte.

- Ne t'en fais pas ! la rassura Vince. Il ne saura pas que tu parlais du professeur Lupin !

- Mais, mais... Chuuuuut ! implora la malheureuse, qui semblait presque à bout.

- Tu n'as jamais pensé à regarder ses doigts, pour voir s'il avait une alliance ? proposa le châtain.

- Aaah, mais siii ! s'exclama à nouveau Cat, qui se rappela justement les quelques tentatives qu'elle avait faites lorsqu'elle était en cours de Défense contre les forces du mal. Mais c'est trop dur ! Je n'arrive pas à voir ses mains !

- Ah bon ? Même quand il écrit au tableau ? Quand il agite sa baguette ? Quand il te rend ta copie ?

- Je te rappelle qu'il fait tout ça avec la main droite. Or, c'est sa main gauche que je suis censée regarder.

- Oui, et tu es sûrement hypnotisée par ses beaux yeux... Eh bien, à toi de trouver le truc pour qu'il te montre la main gauche !

- Ah oui ? Et je lui dis quoi ? « Faites-moi voir vos petites mains, Mr Lupin » ? Ou bien je lui tends la main, pour serrer la sienne ? « Bonjour Mr Lupin ! Vous avez bien dormi ? ».

- Mais non ! Pas comme ça ! lança Vince, écroulé de rire. Tu lui jettes un regard discret !

- Mais c'est ce que je n'arrête pas de faire ! s'écria Cat. Mais j'ai trop peur de me faire griller !

- Par lui ou par les autres élèves et professeurs ?

- Les deux ! Mais surtout par lui...

- Ah ah ! rigola le garçon. Dans ce cas, tu n'auras plus qu'à changer d'école !

Finalement, Cat arriva trop tard à la Grande Salle, car il lui fut impossible de retrouver Axelle, Cerise et Anna parmi tous ces élèves qui sortaient de table. Le déjeuner était terminé, en plus ! Elle avait vraiment tout raté... Tout ça pour un détour dans le couloir de la Défense contre les forces du mal... Maudissant son estomac qui grognait famine, et ne cherchant pas plus longtemps ses copines, la jeune fille décida de remonter jusqu'à la salle commune (les trois disparues étaient peut-être là-bas). Mais elle ne les y trouva pas non plus, et ne se heurta qu'à un tumulte d'élèves et de bruits insupportables, qui la poussèrent à se réfugier immédiatement dans le calme de son dortoir.

Celui-ci était tel qu'elle l'avait laissé, à peine deux heures plus tôt : vide et silencieux. L'adolescente, comme éreintée par la sortie qu'elle avait faite, se laissa tomber sur le matelas de son lit. Allongée sur le dos, les bras en croix, elle fixa de ses yeux à moitiés endormis la blancheur du plafond. L'image flottait toujours... Toujours cette vision du visage du professeur... Ses cheveux châtains, ses petites mèches qui lui tombaient sur le front, ses yeux, mélancoliques, qui ne la regardaient pas, les doux contours de sa figure. Ce n'était pas possible ! Pourquoi cette image ne disparaissait-elle pas ? Pourquoi la voyait-elle sans cesse ? C'était une obsession ! Une hantise ! A croire que le visage du professeur Lupin avait été tatoué, gravé dans son esprit, dans ses yeux ! Elle ne voyait plus que lui.

Cat se retourna dans sa couchette, pour se mettre sur le flanc, les bras repliés sous sa tête, pour lui servir d'oreiller. Elle regarda sa table de chevet. Vince avait dit qu'il allait parler à Mr Lupin... Cela lui faisait un peu peur. Il avait eu l'air si sérieux, lorsqu'il avait dit ça. A croire qu'il allait vraiment le faire... Oui, il allait le faire ! Cat écarquilla les yeux, et se retourna subitement, pour se recoucher sur le dos. Ciel ! Son coeur battait un peu plus fort et plus vite. Elle se mit à rigoler. Vince, son meilleur ami, allait toucher un mot à Mr Lupin et lui arranger un coup avec lui ! Il lui avait promis qu'il allait tout faire pour qu'elle puisse sortir avec son prof ! Et la détermination et la gravité qu'il avait placées dans ses propos l'avaient convaincue qu'il parlait sérieusement. Cela l'inquiétait... Quand allait-il lui parler ? Pour lui dire quoi ? Si jamais il en disait trop, Cat allait être fichée par le professeur Lupin ! Classée, répertoriée, finie, anéantie ! Le professeur se méfierait d'elle, désormais, l'éviterait, ne lui adresserait plus la parole pendant ses cours, ferait descendre sa moyenne de Défense contre les forces du mal ! Il répandrait peut-être même la rumeur comme quoi : « Oh ! Une élève de cinquième année, du nom de Cathie Mist, a voulu sortir avec moi ! », et alors cette calomnie se propagerait à travers tout le corps enseignant de Poudlard, à travers tous les élèves, et la pauvre Cathie Mist deviendrait la risée du monde. Sa vie se transformerait en enfer, elle finirait par avoir un casier judiciaire, dont l'unique crime serait d'être tombée amoureuse du professeur Lupin et de lui avoir fait des avances.

Mais, d'un autre côté, que savait-elle vraiment de l'éventuelle réaction de Mr Lupin ? Celle-ci pouvait être tout autre que celle que Cat venait d'envisager. Car cet homme lui semblait-il de nature assez fourbe pour raconter à tout le monde qu'elle avait voulu sortir avec lui, et ainsi se moquer d'elle ? Lui paraissait-il avoir un caractère suffisamment mauvais pour vouloir l'esquiver et la faire souffrir, après avoir su ce qu'elle pensait de lui ? Non. Pas du tout. Au contraire. Cat voyait en Mr Lupin un homme très gentil, très doux, très intelligent, suffisamment pour comprendre les sentiments qu'elle lui portait, et pour savoir les refouler avec délicatesse, sans brusquerie, en lui expliquant que ce n'était pas possible, qu'il était déjà pris, que c'était un professeur et qu'il ne pouvait entamer une relation avec une élève. Elle avait confiance en lui pour garder le secret de cette demande. Elle savait qu'il ne répéterait rien. Elle osait même croire qu'il en ressortirait amusé, ému, un peu plus sûr de lui... Elle osait même croire... qu'il accepterait ?

Non ! Pas possible ! Cat se retourna nerveusement sur le flanc gauche. Il ne voudrait jamais ! C'était un prof, et elle était une élève ! C'était défendu ! La loi de Poudlard l'interdisait ! Cat se retourna à nouveau sur le flanc droit. Peut-être... Mais, elle, ça ne la dérangeait pas de sortir avec un prof. Elle pouvait très bien le voir en secret, le rencontrer à l'extérieur du château, vivre avec lui un amour caché. Cat pivota encore sur le flanc gauche. Mais lui, le danger d'une telle relation, ça lui ferait sûrement peur. Flanc droit. Elle le rassurerait, elle lui expliquerait que c'était possible. Flanc gauche. Mais il en viendrait à la favoriser, dans le cadre scolaire, à lui donner plus de points que prévu, ou bien à adopter une attitude différente vis-à-vis d'elle. Flanc droit. Elle le connaissait, elle était sûre qu'il ne ferait pas ça, qu'il était assez clairvoyant pour ne pas faire une chose aussi stupide. Flanc gauche. Mais il y avait cette différence d'âge... C'était un homme accompli, elle était une gamine. Il avait au moins vingt ans de plus qu'elle, déjà quelques cheveux blancs... Elle aurait très bien pu être sa fille. Tout cela pouvait parfaitement le révulser. Flanc droit. Mais s'il ne l'était pas ? S'il éprouvait malgré tout une petite attirance ? Ca ne lui faisait pas peur de sortir avec un homme plus vieux. S'il était consentent, alors tout était pour le mieux, car l'amour n'avait pas d'âge. Flanc gauche. Mais dans dix ans, il allait approcher de la cinquantaine, et elle n'en allait avoir que vingt-cinq ! Flanc droit. Eh bien elle n'était pas obligée de rester avec lui pendant dix ans. Elle pouvait simplement sortir avec lui quelques jours, et, si elle sentait que cette différence d'âge était trop pesante, elle pouvait le quitter. Son désir était uniquement de l'approcher d'un peu plus près. Flanc gauche. Etait-elle assez cruelle pour penser à de telles horreurs ? A un je-te-prends-je-te-laisse aussi insensible ? Et qu'en était-il de l'illégalité de cette relation ? Car c'était un détournement de mineure ! C'était de la pédophilie ! Si jamais ils se baladaient ensemble, à Pré-au-lard, que diraient les gens, en voyant ce couple mal assorti ? Que diraient les élèves, en voyant leur prof de Défense contre les forces du mal au bras d'une camarade de classe ? Flanc droit. Cela n'arriverait pas. Mr Lupin et elle se feraient discrets, ils sortiraient à Pré-au-lard par grand froid ou par temps de pluie, lorsque les rues seraient désertes. Flanc gauche. Ils ne pourraient pas rester cachés éternellement. Ils se feraient forcément remarquer un jour ou l'autre. Mr Lupin se ferait renvoyer. Il perdrait son emploi à cause d'elle. Flanc droit. Elle expliquerait à tout le monde qu'il était en fait son père. Flanc gauche. N'importe quoi ! Elle se ferait renvoyer, elle aussi ! Flanc droit. Tant mieux ! Comme ça, elle irait le rejoindre en dehors de Poudlard. Flanc gauche. Et s'il était marié ? Flanc droit. Elle devait absolument regarder s'il avait une alliance !

Finalement, après avoir roulé sur son lit durant plusieurs minutes, Cat se stabilisa sur le dos, et fixa à nouveau le plafond. La proposition qu'avait faite Vince d'aller parler au professeur Lupin ne lui faisait plus peur. Au contraire, elle lui donnait un peu d'espoir.

A cet instant, la porte du dortoir s'ouvrit à la volée, et trois serpillières du nom d'Axelle, Cerise et Anna firent leur entrée dans la pièce. Leurs cheveux étaient aplatis sur leur tête, ruisselants d'eau, leur visage était déconfit, et leurs vêtements collés contre leur peau, entièrement humides. Elles semblaient toutes les trois avoir fait un plongeon dans le grand lac, et répandaient une marre d'eau sur le sol.

- On n'a pas réussi à troufer le professeur Chourafe dans la Grande Salle, dit Axelle, d'une voix morne.

- On a demandé à Hagrid s'il savait où elle était, reprit Cerise, avec la même fatigue dans la voix, et il nous a dit qu'elle était encore dans ses serres.

- Alors on a entrepris d'aller la retrouver là-bas, continua Anna. Pour cela, on a dû traverser toute la cour de Poudlard sous l'averse.

- Tout ça pour que le professeur Chourafe me dise que deux années de plus à Serdaigle ne me feraient pas de mal.

- Evidemment, il pleuvait toujours quand on a retraversé la cour en sens inverse.

- Heureusement que tu n'es pas venue, finalement. Tu as l'air de t'être bien amusée, dans ton lit..., constata Anna, en regardant l'état déplorable des draps et des couvertures, à moitié par terre, à moitié enveloppées autour de Cat.

- Tu chouais au rouleau de printemps ?

- Euh...

¤~

Cathie Mist pouvait se montrer bête, à certains moments, mais, cette fois-ci, elle avait réellement dépassé les limites de l'idiotie. Ce fut le lendemain, dimanche, lorsqu'elle descendit avec ses amies dans la Grande Salle, pour prendre le déjeuner qu'elle avait raté la veille, que Cat se demanda comment elle avait pu être aussi gourde, sotte, crétine, abrutie, stupide, une véritable tête sans cervelle. L'amour, peut-être ? Oui, l'amour expliquait parfois bien des choses, mais pouvait-il expliquer pareille absurdité ? « L'amour rend aveugle »... Après tout, cette théorie pouvait s'appliquer pour Cat : elle avait été entièrement aveuglée, éblouie, comme si elle avait reçue un sortilège de Lumos en pleine figure ; elle avait totalement perdu ses capacités visuelles, elle était devenue myope comme une taupe, complètement miro, bigleuse... Car le fait était là : elle ne l'avait pas vu. Elle ne se pardonnerait jamais cette erreur. Elle ne l'avait pas vu !

Le poids du désespoir avait sûrement dû avoir de son influence, lui aussi : Cat avait été tellement convaincue de ne plus pouvoir voir le professeur Lupin pendant les vacances, qu'elle s'était enfermée dans cette triste certitude, elle s'y était bornée, elle s'y était presque anéantie, et, effectivement, elle ne l'avait pas vu. Son abattement l'avait poussée à agir bêtement, à faire tout l'inverse de ce qu'elle aurait dû faire, à chercher l'enseignant à l'endroit où elle était le moins censée le rencontrer en cette période de vacances, plutôt que de le rechercher là où elle était sûre de le trouver : dans la Grande Salle. Car Mr Lupin était un homme (oh oui, et un bel homme, en plus !), du mois un être humain. Comme tout être humain, il avait besoin de manger. Or, à moins qu'il n'éprouve la nécessité étrange de se cacher pour déjeuner, le professeur Lupin devait naturellement rejoindre ses collègues dans la Grande Salle, et s'asseoir avec eux à la table massive qui leur était réservée, pour se restaurer.

Pourquoi diable Cat n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? D'une part, à cause de l'amour et du désespoir qui lui avaient fait baisser la vue ; d'autre part, parce que l'idée que les professeurs mangeaient à proximité des élèves, dans la même Grande Salle qu'eux, ne l'avait jamais perturbée. Le sentiment qu'ils étaient là, assis derrière leur table imposante, dominant le réfectoire, qu'ils pouvaient surveiller tous les élèves, qu'ils les voyaient, n'avait que très rarement atteint son esprit. Tout simplement parce que la vue privilégiée qu'avaient les profs sur les élèves n'était pas réciproque. Les étudiants étaient assis les uns en face des autres, ce qui facilitait les échanges en matière de conversation, mais limitait leur champ de vision à leur entourage proche. Il était même rare que des élèves situés en bout de table parviennent à voir le bout opposé. Alors, les profs, ils ne les voyaient certainement pas ! Leur présence restait, la plupart du temps, inaperçue. Il fallait dire que les enseignants, eux au moins, ne faisaient pas beaucoup de bruit lorsqu'ils mangeaient ; alors personne ne les remarquait ! Et personne n'y faisait vraiment attention non plus.

C'était précisément cela que Cat se reprochait. De ne pas s'être préoccupée plus tôt de l'éventuelle présence de Mr Lupin à la table des profs. Au lieu de le chercher vainement et désespérément dans un couloir vide, elle aurait mieux fait de descendre immédiatement dans la Grande Salle, et de, pour une fois, jeter un coup d'oeil à la table des profs. Au moins, elle l'aurait vu. Au moins, elle n'aurait pas été triste durant ce premier jour de vacances.

Mais elle ne l'avait pas vu. Un mois et demi... Cela faisait un mois et demi qu'elle avait repris les cours à Poudlard, et, pendant un mois et demi, elle ne l'avait pas vu manger à la table des profs ! Il y avait pourtant toujours été ; mais elle, stupide comme elle était, elle n'avait pas pensé à le chercher. Elle avait manqué de voir un supplément de son beau visage pendant un mois et demi... Quel gâchis ! Cette impression d'avoir perdu son temps aurait pu l'anéantir, mais la soudaine détermination qu'elle eut de se rattraper prit le dessus. Lorsqu'en ce dimanche midi, deuxième jour des vacances, elle pénétra dans la Grande Salle, lorsque l'idée subite que le professeur Lupin pouvait très bien se trouver à la table des profs, là-bas devant, afflua dans son esprit, lorsqu'elle y jeta un regard, et lorsqu'elle le vit, en effet, assis au milieu, vers la droite et à la gauche du professeur Rogue, son coeur se souleva d'espoir et de satisfaction, et elle se jura d'en profiter un maximum.

Comme il fallait s'y attendre, Axelle, Cerise et Anna s'installèrent à leur place habituelle, au milieu de la table des Serdaigle, et Cat, qui aurait préféré s'approcher un peu plus de Mr Lupin, fut contrainte de les suivre. Car, si elle rechignait à s'asseoir à la place qu'elle prenait tous les jours, ses amies allaient se poser quelques questions. Et ce n'était pas parce que, désormais, Cathie Mist était amoureuse du professeur Lupin, qu'il fallait radicalement changer l'ordre des places, et s'installer en bout de table, pour permettre à la malheureuse de voir son enseignant de plus près.

- S'il te plaît, Anna, tu peux te décaler d'une place ? demanda Cerise. J'aimerais bien avoir une vue sur Cédric Diggory, qui est assis à la table d'en face !

Cat jeta un regard meurtrier à sa camarade aux cheveux longs, bouillonnant de jalousie et grognant de rage, avant de s'asseoir avec mauvaise humeur sur le banc. Pourquoi Cerise avait-elle le droit d'avoir une vue sur ce crétin de Cédric Diggory dont elle n'était même pas éprise, et pourquoi Cat devait-elle se contenter de voir son Mr Lupin à une bonne trentaine de mètres ?

La table des profs était à sa droite, en effet très éloignée, et la brunette était forcée de se pencher légèrement en arrière et de se rehausser, pour dépasser les têtes d'élèves et apercevoir son gentil prof.

- Si tu cherches le sel, Cat, il est chuste defant ton assiette, lança Axelle, pleine de bonne volonté.

- Ah, euh... Oui, merci ! fit la brune, en détournant subitement la tête de la table des profs et en se réinstallant convenablement, non sans une goutte de sueur.

Pour conforter son amie dans l'idée qu'elle recherchait effectivement le sel, Cat secoua énergiquement la salière au-dessus de son bifteck, et en répandit une quantité bien trop généreuse, qui se traduisit par une épaisse couche de cristaux blancs sur sa viande. Le résultat fut naturellement abjecte, et la jeune fille se précipita sur une bouteille de Bièraubeurre, qu'elle but au goulot, pour faire passer ce goût atrocement salé.

Lorsqu'elle reposa le récipient à côté de son assiette, elle fut alors saisie par l'éclat divinement doré que jetait la boisson. Cet alcool appelé Bièraubeurre brillait comme de l'or, ses bulles pétillantes faisaient scintiller ses reflets d'ambre. Tout cela ressemblait... aux yeux de Mr Lupin... Si beaux et si particuliers... Délicieusement attirants ! Vrai, cela était stupide de s'émerveiller devant une Bièraubeurre. Mais, ciel ! Cette couleur lui faisait tellement penser à celle du regard du sorcier qu'elle aimait ! C'était décidé : désormais, elle boirait de la Bièraubeurre tous les midis !

Cat jeta un nouveau regard en direction de la table des profs, aperçut le professeur Lupin qui était pris dans une conversation avec McGonagall, et tenta de mieux voir ses yeux. Mais l'homme était bien trop loin pour qu'elle puisse les voir, et Cat fut bientôt rappelée à la réalité par une voix masculine, venant de sa droite, qui lui dit, entre deux gloussements de rire :

- Eh, Cat ! Si tu cherches le poivre, c'est moi qui l'ai !

La nommée remarqua alors enfin que Vince était assis sur le même banc qu'elle, séparé d'elle par deux élèves de septième année. Comprenant soudainement sa plaisanterie, elle lui lança un nouveau regard assassin. Lui ! Lui, il se moquait vraiment d'elle ! Contrairement à Axelle, qui, innocente et naïve, avait bêtement cru que Cat cherchait le sel en regardant la table des profs, lui, Vince, savait clairement ce qu'elle manigançait, et il en profitait pour la provoquer.

- Non, merci, je ne veux pas de poivre, répondit Cat, avec un effort audible pour contrôler sa voix. Mon steak est suffisamment répugnant...

- Bon, tant pis, reprit Vince, en souriant. Je repose le poivrier. Il est là-bas, tu le vois ?

- Grrr..., grogna Cat, qui commençait à sentir la chaleur monter en elle, saisissant le double sens de la phrase de son ami.

Elle tourna la tête dans sa direction, comptant lui dire de se taire, par le biais d'un regard noir, mais elle se heurta à son sourire éternel, et à ses premières mimiques. Tout en tenant son couteau et sa fourchette dans ses mains, le garçon tapota, de son index droit, son annulaire gauche, puis donna quelques coups de tête en direction du professeur Lupin. Pas sûre d'avoir bien compris où il venait en venir, Cat fronça les sourcils, et Vince tapota son annulaire gauche plus fortement, désignant cette fois-ci le professeur Lupin avec un geste de son pouce droit, dirigé vers l'arrière.

- Eh, fais attention ! dit son voisin de droite. T'as failli me crever un oeil, avec ta fourchette.

La jeune fille entendit enfin le message secret de Vince : il lui disait de regarder les doigts de Mr Lupin, pour voir s'il avait une alliance. D'abord récalcitrante, Cat secoua vivement et négativement la tête. Vince lui répondit en agitant, lui, sa tête à l'affirmative, avec autant d'énergie, suscitant désormais l'inquiétude chez son entourage et chez les copines de Cat. Cette dernière abandonna finalement le combat, faisant un sourire en coin et levant les yeux au ciel, puis tourna la tête vers la table des profs, et se focalisa sur celui qui l'intéressait tant.

Par chance, l'enseignant s'essuyait la bouche avec sa serviette, et sa main gauche était visible. Mais la distance rendait ses doigts bien trop petits, et il était impossible pour Cat de discerner si une bague ornait son annulaire. S'étant déjà attendue à cet échec, la jeune fille détourna la tête sans trop de déception. Vince, lui, la dévisagea avec des yeux ronds inquisiteurs, haussant les sourcils pour la questionner quant à la réussite de sa tentative. Légèrement agacée, la brunette se pencha en avant sur son assiette, pour s'adresser plus facilement au châtain, qui se courba de la même façon.

- Il est trop loin..., murmura-t-elle alors, dans un chuchotement à peine perceptible.

Vince sourcilla d'incompréhension, et Cat, qui sentait maintenant monter une pointe d'énervement, se força à répéter la même phrase, sans sortir le moindre son, bougeant seulement les lèvres, et espérant que Vince puisse lire sur celles-ci. Mais son nouveau plissement de sourcils lui fit perdre tout espoir, et sa patience et son sang froid la quittèrent également, car elle se mit à hurler comme une hystérique :

- IL EST TROP LOIIIIINNNNN !!!

La moitié des élèves du réfectoire se retournèrent vers la folle et la dévisagèrent avec des regards surpris, tandis que la malheureuse agonisait sous une température corporelle supérieure à quarante degrés.

- Ah, fit Vince, d'un air purement désinvolte et souriant, mais il fallait me le dire, ça ! Je pouvais te le rapprocher ! Tiens !

Et sur ce, Cat prit avec des yeux éberlués le poivrier que lui tendit son ami.

Quelques secondes plus tard, lorsque le calme fut réinstallé et la pression passablement redescendue, Cat, qui avait été forcée d'utiliser le poivre que lui avait offert Vince, et qui disposait maintenant d'une épaisse couche de poudre grisâtre au-dessus de son steak, dut affronter les nouveaux signaux que lui envoyait le châtain. Elle fit des efforts pour les éviter et ne pas le regarder, mais, au final, ses gestes étaient tellement éloquents, que Cat fut bientôt la seule à faire semblant de ne pas remarquer Vince, et elle dut céder à ses appels.

A l'aide de ses deux mains, le Serdaigle s'inventait une paire de jumelles, qu'il plaçait devant ses yeux, et qui pouvaient également être interprétées comme étant de grosses lunettes. Notre amie écuma à nouveau d'une rage dissimulée, d'un énervement qui pouvait seulement être trahi par la couleur particulièrement rouge de son visage, et par les petites gouttes de transpiration qui ruisselaient sur sa tempe. Il se moquait vraiment d'elle ! Il la narguait ! Soit il lui conseillait d'utiliser des jumelles pour mieux voir le professeur Lupin, soit il lui disait qu'elle était complètement bigleuse.

- Dis, Cat..., fit Anna, en jetant un regard en biais vers Vince. J'ai l'impression que ton copain se fout de ma gueule, à cause de mes lunettes...

- Mais... Mais non ! assura la brunette, plus cramoisie et plus gênée que jamais. Il fait l'imbécile, comme d'habitude, c'est tout !

- Hep !

- Quoi encore ? rugit Cat, en se tournant avec brusquerie vers l'Animagus.

Ce dernier lui fit signe de regarder Mr Lupin. La jeune fille y consentit, et elle assista alors impuissante au départ de l'enseignant. Celui-ci s'était levé de table, et rangeait à présent sa chaise, tout en échangeant quelques mots aimables - peut-être des salutations polies - avec ses collègues. Il s'en allait... Déjà ! Cat n'avait même pas eu le temps d'en profiter suffisamment... Il quittait déjà la Grande Salle... La brunette afficha à Vince des yeux désemparés et à moitié déçus, comme si elle l'implorait de faire quelque chose pour retenir Mr Lupin.

- Bien ! s'exclama le Serdaigle, en se levant à son tour du banc. Je vais vous laisser. Il faut que j'aille parler à quelqu'un...

Cat ouvrit alors des yeux énormes, son coeur fit un bond immense dans sa poitrine, et elle laissa tomber fourchette et couteau dans son assiette, dans un cliquetis strident. Cette fois-ci, c'était trop ! Cette fois-ci, Vince avait dépassé les bornes ! Il allait parler au professeur Lupin ! Ciel ! Il allait le faire ! Il allait lui parler ! Il allait tout lui raconter ! Non ! Cat ne pouvait pas le laisser faire ! Non ! Certes, elle avait placé un peu d'espoir dans cette demande qu'allait faire Vince en son nom à Mr Lupin, mais c'était de l'espoir irraisonné ! Ce n'était pas possible ! Vince ne pouvait pas faire ça ! Il fallait qu'elle intervienne ! Il fallait qu'elle l'en empêche !

- Hum ! fit-elle, en portant sa main à sa bouche et en se raclant la gorge. Excusez-moi, mais moi aussi je dois aller parler à quelqu'un.

Sur ce, elle se leva machinalement de table, d'un air très sérieux, et enjamba le banc méthodiquement. Ses copines braquèrent sur elle des yeux stupéfaits, tant elles étaient étonnées d'assister à deux départs successifs, aussi spontanés qu'étranges. Abandonnant sans regrets son steak sursalé et surpoivré, Cat marcha à la poursuite de Vince, qui était déjà à une bonne dizaine de mètres de distance, et qui se dirigeait vers les portes principales de la Grande Salle, à l'opposé de la table des profs. Tout en se frayant un passage entre les rangées d'élèves attablés, Cat jeta un regard en arrière, pour voir où en était Mr Lupin. Celui-ci venait de disparaître par une petite porte discrète, avoisinant la table des profs. La jeune fille fronça les sourcils et se concentra à nouveau sur Vince.

Le Serdaigle avait visiblement profité de la seconde d'inattention de Cat pour gagner en distance. Bientôt, il disparut par les portes géantes, et la brunette accéléra sa marche pour ne pas qu'il la sème. Quelle drôle de course-poursuite c'était là ! Vince, traquant indirectement le professeur Lupin, et Cat, pourchassant Vince. La tension était à son comble. Tout était en train de se jouer, maintenant. Si Cat ne rattrapait pas Vince, celui-ci allait tout raconter à Mr Lupin, et la jeune fille était perdue. Le couloir dans lequel avançaient à présent les deux Serdaigle était suffisamment long pour permettre à la brunette de garder un oeil sur le châtain. Mais cette surveillance ne dura pas longtemps, car le garçon s'engagea aussitôt dans un nouveau couloir, prenant un tournant et disparaissant de la vue de Cat. Avec la peur d'avoir perdu sa trace, elle se mit à courir, et, lorsqu'elle arriva dans le nouveau corridor, elle eut juste le temps de voir son ami monter les premières marches d'un escalier.

- Vince ! Arrête ! cria-t-elle, en s'élançant à sa poursuite, sa voix résonnant dans le couloir vide.

Mais cet ordre ne provoqua que la fuite, bien plus rapide, du châtain, qui se mit à gravir les marches de l'escalier quatre à quatre.

Les deux amis se poursuivirent ainsi en sprintant à travers couloirs et escaliers, bousculant au passage quelques statues et élèves, peinant à garder leur souffle, Cat parce qu'elle ne cessait de hurler des avertissements à Vince, et ce dernier parce qu'il était constamment éclaté de rire.

Au bout de quelques secondes, tout se joua alors. La brunette fonçait à corps perdu derrière Vince. Le claquement de ses pas précipités se faisait entendre dans tout le couloir. Mais le garçon courrait vraisemblablement plus vite, et, pour la énième fois, il se volatilisa derrière un tournant, celui de gauche. Cat s'y précipita plus vite que jamais, et dérapa légèrement lorsqu'elle l'atteignit. Mais alors, son coeur manqua un battement. Le couloir dans lequel elle venait de pénétrer était précisément celui dans lequel elle avait erré la veille : celui qui conduisait à la salle de Défense contre les forces du mal. La porte de la salle était d'ailleurs visible. Elle était là, à deux mètres à peine, sur le mur de droite. Mais ce qui glaçait le plus Cat, c'était que le couloir était entièrement désert. Vince avait complètement disparu. Il n'était plus là. Il s'était volatilisé.

Désemparée, Cat regarda à droite, à gauche. Rien. Personne. Pas un bruit, si ce ne fut le léger crépitement des flammes dans leur torche... Et aussi... Un son indistinct... Des pas, peut-être... Oui, des pas qui se rapprochaient, qui venaient d'en face, du bout du couloir, plongé dans la pénombre... C'était Vince ? Non... Son coeur, ses sens lui disaient que non. Ca ne pouvait pas être lui. Si ça avait été lui, les pas auraient été beaucoup plus distincts, beaucoup plus empressés, et ils se seraient éloignés, au contraire. Alors qui était-ce ? Un élève égaré ? Un prof ? Ciel ! Non ! Ca ne pouvait pas être... Si, c'était lui ! Ca ne pouvait qu'être lui ! C'étaient ses pas, c'était son couloir, c'était sa salle, juste à côté ! Cathie Mist était perdue, Cathie Mist était désarçonnée, Cathie Mist était anéantie ! Ah, ce Vince Vertilleul ! Il s'était bien moqué d'elle ! Il l'avait bien roulée dans la farine, du début jusqu'à la fin ! Il lui avait fait croire qu'il allait parler au professeur Lupin, tout ça pour qu'elle le suive, et qu'elle se retrouve seule, nez à nez avec l'enseignant ! Et peut-être... pour qu'elle lui fasse sa déclaration elle-même ?

Complètement désorientée, affolée, bouleversée, Cat fit un tour sur elle-même, pour chercher une issue, mais elle fut incapable de poser le moindre pied en avant et de s'enfuir. Le choc l'avait paralysée, clouée sur place. Au bout de la deuxième rotation faite sur elle-même, elle regagna sa position initiale, face au bout du couloir, et alors elle le vit.

Elle le vit sortir de la pénombre, et avancer tranquillement vers elle, la tête baissée et le regard rivé sur les dalles du sol, le bras droit se balançant machinalement d'avant en arrière, de son allure si singulière. Il n'avait pas encore remarqué sa présence, mais cela n'allait pas tarder, et bientôt il lui demanderait ce qu'elle faisait ici. Et elle qui n'avait encore prévu aucun motif, qui n'avait inventé aucune excuse préalable... Elle était prise totalement au dépourvu, elle était dans le pétrin... Comment allait-elle se sortir de là ? « A... Avance ! Bouge ! » s'ordonna-t-elle, alors que son coeur battait à cent à l'heure et qu'elle commençait à suffoquer. « Fais quelque chose, bon sang ! Sinon il va croire que tu l'attendais ! ». Cette simple et effrayante idée la fit poser le premier pas craintif en avant, et elle s'engagea alors à la rencontre du professeur, avançant vers lui d'une allure incertaine. Elle ne pouvait se contrôler, c'était plus fort qu'elle, elle tremblait de partout. Elle jeta cependant un regard à l'enseignant, et celui-ci releva enfin la tête.

Ses yeux étaient surpris. Mais, Dieu, qu'ils étaient beaux lorsqu'ils brillaient ainsi de cette lueur d'étonnement ! Ils étaient mignons, vraiment ! Et avec la lumière des flambeaux qui s'y reflétait, ils étaient sublimes. Plutôt que de faiblir devant cette vue, la jeune fille retrouva, au contraire, un peu de courage. Elle se ressaisit, se calma, et s'approcha avec plus de sûreté vers Mr Lupin. Son but était, bien évidemment, de le croiser et de le dépasser - non pas de s'arrêter pour discuter avec lui. Elle voulait lui faire croire qu'elle traversait le couloir en toute innocence, dans l'intention de se rendre quelque part. Leurs pas, à tous deux, claquaient sur le sol en un rythme identique. Elle n'osait le regarder avec trop d'insistance, mais ne pouvait s'empêcher de lui jeter quelques petits regards admiratifs. A mesure qu'elle s'approchait de lui, elle se rendait compte de combien il était grand. Il devait bien faire vingt centimètres de plus qu'elle. Il la dépassait d'une tête ! Cela lui faisait beaucoup d'impression.

La douceur des traits de son visage la séduisait toujours autant, mais l'étrange pâleur et l'étrange fatigue qui en émanaient l'émouvaient quelque peu. Il avait de nouveau des cernes sous les yeux, ce qui le rendait encore un peu plus vieux, et, en le voyant ainsi, Cat aurait vraiment voulu lui demander : « Bonjour Mr Lupin... Vous avez bien dormi ? ». Mais, en se rapprochant de lui, elle se contenta d'un timide « Bonjour ! », prononcé avec un peu d'hésitation, mais non sans un grand sourire expressif. L'homme lui répondit de sa voix agréable, qui respirait la gentillesse, et qui la fit frissonner et sourire en même temps.

Tandis qu'elle allait le dépasser, elle se souvint alors de la mission qu'elle s'était jurée de mener à bien : celle de regarder s'il possédait une alliance. Son coeur fit un léger battement de trop, lorsqu'elle se dit que c'était le moment ou jamais de regarder ses mains. Hélas, quelques microsecondes encore, et elle allait lui rentrer dedans. Ce n'était vraiment pas le moment de rester en face de lui pour fixer ses doigts. Il fallait qu'elle le contourne, pour éviter la collision.

Elle le fit presque au dernier moment, et, naturellement, elle se rangea du mauvais côté. Car elle aurait pu passer à sa droite, pour pouvoir ainsi observer sa main gauche. Mais non. La précipitation la fit s'écarter sur la gauche, et, lorsqu'elle frôla le professeur Lupin, elle baissa instantanément la tête, et s'aperçut que la main qu'elle voyait n'était pas la bonne. L'annulaire droit, en effet, n'était entouré d'aucune bague. Légèrement paniquée, parce que Mr Lupin venait maintenant de la dépasser, et qu'elle avait raté la meilleure occasion de voir sa main gauche, elle se retourna fébrilement en arrière, continuant à avancer tout droit, mais focalisant son regard sur le bras gauche du sorcier. Mais sa main était cachée, elle n'arrivait pas à la voir... Ah ! Si ! Maintenant elle était visible, il venait de la bouger ! Dans un ultime effort, persuadée que cette fois-ci c'était la bonne, elle allait y arriver, Cat pivota sa tête en arrière, dépassant nettement l'angle des quatre-vingt dix degrés, et visa de ses yeux les doigts de Mr Lupin. L'annulaire était un peu dissimulé par les autres phalanges. Cat, marchant toujours tout droit, mais la tête complètement retournée, plissa les yeux, comme pour zoomer sur l'annulaire... Et là... BOUM !

Le professeur Lupin se retourna aussitôt, et découvrit avec un regard en alerte que la fille à laquelle il avait dit bonjour, quelques secondes plus tôt, était maintenant étalée sur le sol, la face contre terre, les bras en croix. Qui était l'impertinent, quelle était la chose qui avait osé la faire trébucher ? Dans quoi diable Cat s'était-elle pris le pied ? Si jamais elle retrouvait le fautif de sa chute, elle allait lui faire passer un sale quart d'heure ! Car maintenant, elle se retrouvait écroulée devant le professeur Lupin, et jamais elle n'aurait pu imaginer situation plus honteuse.

- Est-ce que ça va ? demanda l'homme aux cheveux châtains et au visage balafré, en se précipitant vers son élève avec inquiétude. Vous ne vous êtes pas fait mal ?

- Non, non, tout va très bien ! assura vivement celle-ci, en agitant sa main droite, pour faire voir qu'elle était toujours en vie, même si elle restait complètement clouée au sol.

Elle décolla cependant sa face du parterre, aussi vite que possible, pour ne pas rester dans cette position humiliante plus longtemps. Comme il fallait s'y attendre, elle devint rouge écarlate, quand elle rencontra les yeux anxieux du professeur Lupin. Celui-ci tenta un sourire de réconfort, qui traduisait son soulagement (« Plus de peur que de mal »), et qui était aussi légèrement amusé par la situation comique dans laquelle s'était mise Cat.

Il se pencha alors doucement vers elle, et lui tendit la main. Les yeux de la brunette s'élargirent subitement sous la surprise, et bientôt sous le choc de la compréhension. Bien sûr ! Tout avait été manigancé ! Tout avait été calculé pour que Cat se casse la figure devant le professeur Lupin, et que celui-ci, avec toute la gentillesse dont il était pourvu, aille la ramasser en lui tendant la main, et qu'ainsi la jeune fille puisse voir s'il y avait une alliance ou pas. Ce plan machiavélique, préparé, mijoté de sang froid, il ne pouvait être que de Vince ! C'était lui qui l'avait fait tomber, Cat en était maintenant certaine.

Quelque peu étonné que la Serdaigle ne lui ait pas encore attrapé la main, le professeur Lupin haussa légèrement les sourcils, ce qui conféra à ses yeux une lueur d'inquiétude adorable. Mais Cat était bien plus occupée à observer sa main. Elle était belle, vraiment, presque parfaite. Ne semblant ni trop fragile, ni trop forte. A la fois ferme et douce. Les doigts longs et fins (hmmm !). Les ongles proprement coupés. Seulement, cela restait sa main droite, encore et toujours. « Euh... Vous ne pourriez pas me tendre l'autre main ? » aurait voulu demander Cat, mais elle se dit qu'il ne fallait pas abuser non plus. Car, après tout, la situation dans laquelle elle se trouvait était exceptionnelle. Elle allait toucher cette main, si délicate et si secrètement convoitée. Elle allait le toucher, lui, l'homme qu'elle aimait, pour la première fois de sa vie. Frémissant déjà de bonheur, la jeune fille ferma les yeux, et dirigea sa propre main vers celle du professeur Lupin, en toute impunité, dans une confiance absolue. Le contact de sa peau contre la sienne fut au-delà de ses espérances. Une vibration étrange et imperceptible traversa son bras et remonta jusqu'à son coeur, le faisant battre plus fort que jamais. La paume de sa main était si douce et si moelleuse. L'étreinte qu'elle exerçait autour de la sienne était si sûre et si rassurante. Elle le sentait, pour la première fois, et il la sentait, lui aussi.

Il la souleva avec force, sans brusquerie, et plein d'assurance, et elle se serait volontiers laissée tomber dans ses bras, si elle avait osé, tellement il lui inspirait de la gentillesse et de la confiance. Mais elle se contrôla, même malgré ce rapprochement des corps et la pleine vue qu'elle eut sur sa cravate noire, contre laquelle elle aurait aimé poser sa tête, ou qu'elle aurait voulu embrasser.

Elle se calma, et elle lui dit merci, plaçant dans ce simple mot toute la sincérité possible et inimaginable. A cet instant, sans qu'elle ne s'y attende, quelque chose se posa sur son épaule droite, et, sentant ses joues s'enflammer, elle se dit que ce n'était pas possible, que ça ne pouvait pas être... sa main gauche ? Si ! Il avait posé sa main gauche sur son épaule, pour s'assurer qu'elle ne s'effondre pas à nouveau par terre. C'était un signe du destin ! Un signe que le ciel lui envoyait ! Celui que c'était le moment ou jamais de regarder s'il avait une alliance. Lentement mais sûrement, Cat pivota sa tête vers la droite, jusqu'à ce que ses yeux rencontrent la si belle main qui était posée sur elle. Faisant durer le suspense, elle examina successivement les doigts qui lui apparaissaient en premiers : le pouce... L'index... Le majeur... Et enfin... L'annulaire... Les yeux de Cat s'agrandirent. L'annulaire... Ciel ! Ce n'était pas possible ! Ce n'était pas possible ! Il n'y avait rien ! Rien ! Aucune bague, aucune alliance, rien ! Il était aussi vierge que les autres doigts !

Un élan de joie et de surprise emporta le coeur de Cat, sa tête s'inonda de mille pensées d'espoir. L'enseignant, cependant, fut légèrement embarrassé de voir son élève observer sa main de cette façon-là. Peut-être en avait-il fait de trop, en la touchant à nouveau ? Peut-être n'aurait-il pas dû ? Probablement qu'elle se sentait gênée qu'il pose sa main sur son épaule, et que c'était pour cela qu'elle la regardait si étrangement... Manquant de confiance sur ce coup-là, le professeur Lupin retira sa main, et se contenta d'afficher un doux sourire sur ses lèvres, ce qui fit définitivement chavirer le coeur de Cat. Celle-ci lui rendit un sourire radieux, puis lui souhaita une bonne journée, avant de s'élancer vers le bout du couloir, l'âme en fête.

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