Chapitre 25 : Dans l'intimité de l'aurore







Cette fois, Cat était visible. Mr Lupin s'était retourné vers elle, et il l'apercevait dans la pénombre du crépuscule. Ses yeux étaient brillants de pleurs, ses joues humides reluisaient à la clarté de la pleine lune. Elle tremblait. Elle ne savait pas ce qui lui avait pris. Et elle remarquait bien que le visage de son professeur exprimait tout sauf la joie de revoir son élève en pareil moment. Sa figure était extrêmement pâle - cela avait sans doute à voir avec la fatigue qui l'affectait à chaque pleine lune, mais Cat était persuadée qu'il était également blanc de rage. Outre ses sourcils froncés, sa bouche, dont les coins étaient tournés vers le bas, exprimait un profond mécontentement. C'était au-delà de la contrariété, c'était... de la colère.

- Comment..., commença-t-il à se récrier, mais ce fut comme si la violence de son irritation venait d'entraver ses cordes vocales. Comment savez-vous que...

Il ne termina pas sa phrase. La jeune fille, vivant en plein traumatisme, ne cessant de tremper son débardeur blanc de larmes, ne devina que trop bien le trouble qui parcourait son enseignant : « Comment savez-vous que je suis un loup-garou ? », « Comment savez-vous que je me rends dans la Cabane hurlante ? », « Comment savez-vous que c'est ici que se cache l'entrée ? ». C'était tout cela qu'il voulait demander à la fois. Or, cela faisait beaucoup de questions, et cela nécessitait beaucoup trop d'explications. Or, le temps pressait, et, de toute manière, cela ne changeait rien au fait en lui-même : elle avait découvert son secret. Il ne pouvait plus lutter contre. Cette fatalité lui fit serrer les poings. Un frémissement de fureur agita son visage, et il fit machinalement quelques pas en avant, pour s'écarter du saule, dont les branches se débattaient dangereusement dans les airs, traduisant sa propre nervosité.

- Je... Je vous jure que je ne le répéterai à personne ! certifia la brunette, en pleurant et en tremblant de tout son être.

- Depuis quand savez-vous ? interrogea Mr Lupin, d'un air menaçant.

Mais alors il remarqua qu'il continuait d'avancer vers la jeune fille, et s'arrêta net de marcher. Il ne fallait surtout pas qu'il l'approche ! Il savait que sa transformation était imminente, et qu'il pouvait être dangereux. Cat, elle aussi, le savait, et ce fut pourquoi elle recula d'un pas, terrorisée. En dépit de l'amour qu'elle vouait à cet homme, en cet instant précis, elle avait peur de lui. Il pouvait se métamorphoser à tout moment. Elle craignait pour sa vie - eh oui, mais maintenant, elle avait l'habitude d'être une lâche. Remus Lupin jugea que le temps jouait contre lui. Au diable, les explications ! Après tout, le mal était fait. De plus, s'il restait ici, c'était la vie de son élève qu'il risquait de mettre en péril.

- FICHEZ LE CAMP ! s'emporta-t-il, avec une brutalité dans la voix que Cat ne lui avait encore jamais entendue.

La violence d'un tel propos déchira le coeur de cette dernière. Il ne lui en voulait pas, il la détestait ! La crainte que Mr Lupin ne se fâche encore plus l'emporta sur tout le reste - même sur l'angoisse qu'il ne se transforme sous ses yeux - et Cat obéit à son ordre en courant à toutes jambes, loin, loin du Saule Cogneur. Elle courut à en perdre haleine. Elle semait des gouttes de larmes dans son sillage, ne savait même pas où elle s'enfuyait.

Elle était anéantie. Rien ne pouvait être pire que son accablement. Rien ne pouvait lui arriver de pire que ce qu'elle venait de faire. Alors qu'elle se perde, qu'elle trébuche sur une pierre, ou qu'elle se heurte à des créatures maléfiques, peu lui importait. Elle cherchait presque son malheur, à courir ainsi comme une forcenée. Elle voulait expier. Elle voulait se punir, pour le mal qu'elle avait fait à Mr Lupin. Car elle l'avait mis en colère. Or, si cet homme, d'habitude si doux, avait fulminé à ce point, c'était bien la preuve qu'elle l'avait offensé. Elle ne se le pardonnerait jamais. Et lui non plus, il ne la pardonnerait jamais. Jamais. Jamais plus ils n'entretiendraient les mêmes relations qu'auparavant. C'était fini. Ce lien si infime et si fragile qu'elle avait réussi à tisser entre elle et lui, c'était elle-même qui venait de le briser, avec une maladresse tellement grotesque... Dans son échappée, elle érafla par accident le haut de son bras droit contre l'écorce d'un arbre. La douleur fit jaillir quelques larmes de plus des yeux de la brunette, mais elle ne voulut pas s'arrêter.

Son coeur, battant à lui en rompre les côtes, et son essoufflement eurent finalement raison d'elle, et elle stoppa sa course à la lisière de la forêt dans laquelle elle était entrée. Elle se pencha en avant, les mains posées sur ses cuisses, pour tenter de récupérer, mais les martèlements de son coeur avaient du mal à ralentir leur allure, et son estomac semblait comprimé par une grosse pierre. Il lui fallut peu de temps avant de sentir des gouttes de sueur froide glisser sur son front, et une terrible envie de vomir. Sa vue fut affectée par la nausée : des taches blanches lumineuses grignotèrent sa vision, jusqu'à l'obstruer totalement. Elle eut beau fermer puis rouvrir ses paupières, cela ne changea rien : elle ne voyait plus. Sa tête, enfin, lui tourna dangereusement, et avant qu'elle ne rencontre le sol, Cat tâtonna avec ses mains le tronc d'un arbre, ce qui l'aida à s'accroupir, et à s'asseoir sur son épaisse racine.

Au bout d'une minute ou deux, les taches phosphorescentes quittèrent ses yeux de la même manière qu'elles y étaient apparues, et Cat se rendit compte qu'elle était au bord de la Forêt Interdite, et qu'elle avait une vue sur le Saule Cogneur, planté à une trentaine de mètres de là. La jeune fille enfouit son visage dans ses mains. Quelle ironie ! Elle qui avait voulu fuir cet arbre maudit, sa course l'avait finalement reconduite jusqu'à lui. Le destin se moquait-il d'elle ? Ou bien voulait-il qu'elle reste près de ce végétal, dans un but inconnu ?

A contrecoeur, l'adolescente releva la tête, et regarda le saule... Le lieu du drame. Mr Lupin n'y était plus. L'arbre s'était rendormi... Et elle ? Qu'allait-elle faire ? Elle se sentait trop faible pour rentrer au château... De toute manière, elle avait oublié le code pour ouvrir la porte d'entrée, alors... Elle était condamnée. Elle s'en fichait... Tout ce qui la préoccupait, c'était que plus rien n'allait être comme avant. Plus rien n'allait être comme avant. Cat éclata en sanglots. Son dos était parcouru de secousses, ses gémissements étaient forts. Mr Lupin allait-il la pardonner un jour ? Il restait moins d'un mois avant la fin des cours, bien sûr qu'il n'allait pas prendre la peine de la pardonner, juste pour trois semaines. C'était comme ça que ça allait finir, alors ? Elle allait terminer son année scolaire sur une dispute avec l'homme dont elle était tombée amoureuse à la rentrée de septembre ? Mais peut-être que les grandes vacances aideraient Remus Lupin à oublier le tort que son élève lui avait causé, et qu'au retour de ses congés, tout rentrerait dans l'ordre... Mais si pour cela Cathie Mist devait passer ses grandes vacances entières à s'inquiéter quant à son absolution...

Un hurlement lugubre s'éleva alors dans les airs qui commençaient à se rafraîchir. Un hurlement de loup. Il provenait de la Cabane hurlante. La jeune fille tourna des yeux épouvantés vers la demeure, qu'elle devinait au loin. Ce cri, qui ne pouvait qu'appartenir à son professeur, lui avait glacé le sang et l'avait pétrifiée.

Pourtant, lorsqu'il retentit une deuxième fois, ce ne fut plus de l'effroi qu'elle éprouva, mais une autre émotion. Elle réalisa à travers cette plainte que le sorcier qu'elle aimait souffrait, à quelques mètres d'elle. Et une violente compassion s'empara de son coeur. Elle s'inquiétait, non plus pour elle, mais pour lui. Au troisième hurlement, sa pitié s'accentua en affliction. Sa tristesse fut si grande, elle lui saisit tellement les entrailles, que Cat se remit à verser toutes les larmes de son corps. Elle était triste. Triste pour lui. Lui, dont elle avait sous-estimé la souffrance, et dont elle était à présent astreinte à entendre les gémissements, sans pouvoir rien faire, dans une impuissance misérable. Elle avait eu peur qu'il l'attaque sous sa forme animale, elle avait eu peur de devenir sa proie, mais au bout du compte, c'était lui la seule victime.

Oh, Dieu, qu'elle s'en voulait ! Elle s'en voulait ! Elle regrettait ! Elle regrettait d'avoir été aussi lâche. D'avoir osé espérer, l'espace d'un instant, qu'il ne soit pas un loup-garou. Car maintenant elle l'aimait encore plus ! Elle l'aimait en tant qu'homme et en tant que loup. Elle l'aimait tout entier. Elle aimait tout de lui. Car Remus Lupin ne pouvait être autrement. Et c'était justement cette unicité qui faisait qu'elle l'adorait à ce point. Pourtant, il ne l'excuserait jamais de l'avoir suivi pour pénétrer son secret, quand bien même son amour pour lui s'était intensifié. C'était bien cela le pire : son amour s'était accru, au moment même où la sympathie que lui témoignait Mr Lupin avait volé en éclats.

A cette pensée désespérante, les pleurs de Cat se firent plus brutaux que jamais. Elle ne retenait plus rien. Elle gémissait, elle criait, elle frappait ses poings contre l'écorce de la racine sur laquelle elle était recroquevillée, elle hoquetait bruyamment, elle s'arrachait les cheveux, se mordait les doigts... A cela se mêlaient les hurlements de Remus Lupin, qui n'arrangeaient rien, qui, au contraire, aggravaient son agonie...

Cat ne le sut pas - car elle n'avait pas amené de réveil avec elle - mais ses lamentations durèrent sans discontinuer jusqu'à une heure du matin. Après quoi, sa fatigue l'obligea à se calmer un peu - ou bien avait-elle vidé toutes ses réserves de liquide lacrymal ? Au cours de cet entracte, elle huma la senteur d'un brin de menthe poussant à côté d'elle, et prit conscience de la fraîcheur nocturne, qui se faisait diablement bien ressentir sur elle, puisqu'elle n'était qu'en simple débardeur. Sa brûlure en haut de son bras droit se réveilla également. La jeune fille examina la blessure : sa peau avait été râpée, et suintait un mélange de pus et de sang, dont se nourrissaient des moustiques. Agacée, Cat chassa à l'aide de sa main gauche ces insectes qui s'affairaient autour de son épaule droite.

Puis, au bout d'une heure, la désolation reprit. Elle repensa à son avenir. Son avenir, qu'elle venait de perdre. Elle n'avait plus d'avenir ; en tout cas, plus avec Remus Lupin. Pourquoi cela lui arrivait-il à elle ? Etait-elle née pour aimer cet homme, et pour en être tourmentée, par la même occasion ? Elle se demanda si, au lever du jour, elle rentrerait vraiment au château. Peut-être valait-il mieux qu'elle disparaisse, qu'elle reste vivre ici, dans la Forêt Interdite, cachée comme un ermite...

Sa nouvelle crise de larmes ne se termina qu'à quatre heures du matin. A cette heure-ci, elle s'étonna d'être toujours là, assise sur cette racine, de ne pas s'être endormie, et même, de ne pas s'être fait agresser par des créatures maléfiques. La nuée de chauves-souris qui lui passa soudainement au ras des cheveux, et qui lui fit pousser un cri strident, lui fit retirer sa dernière pensée. Le regard amer, encore endommagé par les torrents de larmes qu'il avait laissé s'échapper, la brunette leva la tête, et observa l'astre de la nuit. C'était la première fois qu'elle le voyait de la sorte. Comme si elle avait mis à jour sa véritable nature, dissimulée sous son fard blanc et lumineux : cette pleine lune était cruelle. Méchante. Détestable. C'était elle l'origine des maux de Mr Lupin, c'était elle qui attisait son malheur. Et elle le narguait, à briller ainsi, haut dans le ciel, pendant que lui croupissait dans les bas fonds de son existence bestiale. Cat ne tolérait pas que quelqu'un ou quelque chose - même un corps céleste - puisse faire du mal à l'être qu'elle chérissait. Désormais, Cathie Mist et la pleine lune étaient ennemies.

A cinq heures du matin, la jeune sorcière, apaisée par son épuisement et un peu groggy par sa nuit blanche, se délectait du spectacle de l'aurore. Déjà, dans le lointain qu'elle apercevait, les collines se nimbaient d'un ciel orange pâle et crémeux, annonce du proche lever du soleil. Celui-ci était réveillé, sans conteste, mais il bâillait encore un peu, renâclait à sortir du lit, car de nouveau une longue journée l'attendait... Une journée sans nuage aucun, une journée de pur ciel bleu, encore une belle journée de mai ! Ainsi contemplait-elle l'aube, dans une sérénité et une confiance inattendues, avec la douce sensation qu'elle assistait, chanceuse, à l'éveil d'un jour nouveau...

Un bruit de branche cassée attira aussitôt l'attention de Cat, et elle tourna sa tête vers le Saule Cogneur. Et alors, son coeur bondit. Sans même s'en rendre compte, elle se leva. Là-bas, devant elle, la masse sombre d'un homme s'extirpait du trou dissimulé par la plus grosse racine du saule. A quatre pattes dans l'herbe, Remus Lupin tentait péniblement de se remettre debout, mais ses membres étaient si faibles, qu'ils menaçaient de céder sous son poids, et il s'immobilisait comme pour reprendre son souffle. Le coeur de Cat tambourinait dans sa poitrine. Sa respiration s'était accélérée. Elle regardait fébrilement dans toutes les directions, à la fois pour chercher de l'aide, à la fois pour s'assurer que personne n'était aux alentours pour la voir. Que lui arrivait-il ? Elle était paniquée ! Paniquée, car tiraillée par un terrible dilemme : devait-elle aller lui porter secours, pour l'aider à se relever ? Ou fallait-il qu'elle reste ici, car si jamais elle s'approchait de lui, il ne lui ferait pas de cadeau, et lui recracherait toute sa rancune, en lui hurlant de lui foutre la paix ?

La brunette ne savait plus quoi faire. Elle se trémoussa nerveusement, amorça un mouvement vers l'avant, se retint, regarda encore autour d'elle. Enfin, elle n'écouta que son coeur et se précipita à la rencontre de Remus Lupin. Elle avait beau être consciente qu'elle risquait gros, qu'elle risquait de se heurter à sa colère et de se faire rejeter, c'était plus fort qu'elle. Elle voulait le secourir. Elle ne pouvait pas supporter de le voir ainsi affaibli - peut-être même blessé -, se traînant par terre avec difficultés, le tout sans rien faire. C'était l'homme qu'elle aimait ! Elle ne pouvait pas rester inerte face à sa détresse ! Elle courut comme une folle, dévalant la pente escarpée en haut de laquelle elle avait passé la nuit, à la lisière de la Forêt Interdite, et gravissant celle sur laquelle se dressait le Saule Cogneur, entouré de ses amas de rochers.

Elle atteignit son professeur au moment même où celui-ci se remettait debout et enlevait la terre de ses vêtements. Lorsqu'il la vit arriver, son visage marqua une surprise des plus candides : sa bouche s'entrouvrit, ses sourcils se haussèrent, ses yeux s'élargirent. Un étonnement si charmant, qui prouva que Mr Lupin était un être pur, plein de sensibilité et dénué de toute rancoeur.

- Mais que faites-vous là ? Vous... Je vous avais dit de partir ! s'exclama-t-il, déconcerté.

Cat se jeta à genoux, à ses pieds.

- Je vous en supplie, pardonnez-moi ! s'écria-t-elle, en fondant en larmes et en joignant ses mains pour l'implorer. Je ne voulais pas vous faire du mal ! J'ai agi bêtement ! Je ne voulais pas ! Je ne voulais pas qu'on en arrive là ! Oh, je m'excuse ! Je m'excuse ! Si seulement vous pouviez me pardonner !

- Vous... Vous avez passé la nuit dehors ? s'interloqua le châtain.

- Je ne savais plus où aller ! dit l'éplorée, en se redressant. J'étais complètement déboussolée !

- Mais vous êtes complètement inconsciente ! morigéna Mr Lupin. Savez-vous qu'un criminel rôde actuellement dans les parages, et que vous auriez pu vous faire tuer ? Enfin... Le mal est fait...

- Je suis désolée, répéta Cat, qui croyait qu'il s'agissait du mal qu'elle avait causé à son professeur, alors que ce dernier ne faisait que constater avec soulagement que son élève n'avait pas eu affaire à Sirius Black.

- Mais comment avez-vous su que je me rendais à la Cabane hurlante ? Depuis quand savez-vous que...

De toute évidence, Remus Lupin répugnait à prononcer les mots « Je suis un loup-garou ». La brunette le comprit aisément, et elle lui épargna la peine de finir sa phrase en lui répondant :

- Depuis que le professeur Rogue nous a donné un devoir à faire sur les loups-garous et sur la façon de les reconnaître...

- Ah, bien sûr..., soupira le sorcier. J'aurais dû me douter que quelqu'un finirait par découvrir la vérité sur ma condition... Le professeur Rogue a fait exprès de donner ce cours et cet exposé sur les loups-garous pendant mon absence, espérant qu'un élève réaliserait ce que j'étais vraiment et ferait courir la rumeur à travers toute l'école, pour m'en faire renvoyer... En fait, il ne m'aime pas beaucoup, conclut-il avec un sourire amer.

Cat fut touchée par cette triste esquisse sur le visage de son prof, et se demanda en même temps comment il était possible de ne pas aimer Remus Lupin - elle le ferait payer très cher à Rogue.

- Je vous jure que je n'ai répété à personne ce que je savais, et que d'ailleurs je ne le répéterai jamais, certifia-t-elle sur le ton d'une fille prête à s'engager dans un Serment Inviolable.

Mr Lupin se contenta de sortir sa montre de la poche de sa veste et de se la rattacher au poignet.

- De toute manière, les professeurs sont déjà au courant, déclara-t-il. Quant aux élèves... J'ose espérer que vous êtes la seule à m'avoir démasqué... Nul doute que le professeur Rogue serait enchanté de votre perspicacité, et vous aurait mis une note excellente si vous lui aviez rendu votre devoir.

- Je ne sais pas..., avoua Cat. Je n'ai pas tout de suite été convaincue que vous étiez... (mais elle ne se permit pas de prononcer les mots fatidiques). Pour cela, il a fallu que je vous suive...

L'enseignant, tout en reboutonnant le milieu de sa veste, observa la Serdaigle avec un faible sourire qui voulait dire : « Ca ne m'étonne pas de vous ». Ses yeux étaient ternes, ses paupières étaient à mi-chemin de se clore. Lui aussi avait passé une nuit blanche, mais une nuit de calvaire. Ses cernes noirs contrastaient avec son visage pâle comme la lune. L'aurore éclairait ses cheveux et révélait quelques mèches grises... Il était à bout de forces, c'était évident.

Malgré cela, il entreprit de se mettre en marche, pour rentrer au château. Ses premiers pas furent hasardeux. Cat crut que ses jambes allaient se dérober sous lui, et elle choisit instinctivement de l'accompagner, afin de le retenir si jamais il tombait. Plus elle remarquait la difficulté de son avancée, plus elle se rapprochait de lui, de peur de ne pas le rattraper à temps. Bientôt, elle ne fut plus qu'à quelques centimètres de son corps. Il faisait clairement une tête de plus qu'elle, mais elle se sentait capable de l'empêcher de chuter. Elle ne le quittait pas des yeux. Ses signes de fatigue n'altéraient en rien sa beauté. Sa faiblesse l'émouvait. La jeune fille était cependant déstabilisée. Elle était si proche de lui, qu'elle ne savait pas quoi faire : elle voulait l'aider à marcher, lui servir de béquille, mais pouvait-elle le toucher ? Accepterait-il qu'elle lui prenne la main, ou qu'elle le soutienne par le bras ? Elle hésitait sans cesse. Elle n'osait pas. Elle ignorait ce qui lui était permis ou non. Elle se contentait de frôler sa veste, et d'effleurer le haut de ses coudes avec la paume de ses mains.

Le moment vint enfin où la chaussure de Mr Lupin buta contre une pierre et où Cat ne put s'empêcher de poser une main sur son épaule, pour le retenir. En fait, il ne trébucha pas vraiment, mais cela ne changea rien au fait que Cat avait eu peur qu'il ne parte en avant.

- Ca va ? demanda-t-elle, terriblement inquiète, et tout autant troublée par la soudaine proximité à laquelle se trouvait le visage de Remus Lupin du sien - elle pouvait voir chaque poil de sa moustache, et le petit bouton en haut de sa joue droite, à côté de l'une de ses cicatrices.

- Ca va aller, la rassura le châtain, après quoi la jeune fille se résolut à retirer sa main et à s'écarter légèrement, pour le laisser marcher de lui-même.

Sur le chemin, elle retrouva la cape d'invisibilité de Vince, qu'elle avait jetée dans l'herbe quelques heures plus tôt. Elle abandonna un instant son prof chéri pour aller la chercher, puis revint hâtivement vers lui avec le vêtement plié sous son bras.

- Je devrais vous la confisquer..., murmura Remus, en jetant un coup d'oeil à l'objet qu'il rencontrait pour la seconde fois.

Tous les deux se regardèrent dans les yeux et sourirent en même temps. Cette complicité fit battre le coeur de Cat un peu plus fort. Un amusement partagé, qui semblait lui ouvrir les portes de son intimité...

- Moi aussi, j'étais téméraire, à votre âge..., confia-t-il, tandis qu'ils pénétraient dans le petit bois qui longeait le lac. C'est normal, après tout : adolescents, nous sommes prêts à n'importe quelle folie. Mais je l'étais plus encore quand j'étais enfant... C'est ce qui m'a valu d'être mordu...

A cette révélation, la brunette entrouvrit la bouche, mais elle ne sut que répondre : elle craignait de froisser son professeur en lui demandant de plus amples informations sur la façon dont il était devenu loup-garou, elle ne souhaitait pas le forcer à parler de choses qu'il ne tenait pas à évoquer, et, en même temps, elle avait peur de l'interrompre, de lui faire perdre l'envie d'en raconter davantage sur lui, et de mettre ainsi fin à une bonne occasion de le connaître encore mieux.

- Avez-vous déjà entendu parler de Fenrir Greyback ? questionna-t-il, en repoussant une branche d'arbre qui lui faisait obstacle au niveau de la poitrine. Non ? Eh bien... Moi non plus, je ne le connaissais pas, avant... Pendant longtemps, je me suis interrogé sur l'identité du loup-garou qui m'avait attaqué. J'éprouvais même une certaine compassion pour lui, je me disais que si un jour je venais à le rencontrer, je lui pardonnerais son erreur, car alors je savais quelles étaient les souffrances qu'endurait un loup-garou, l'absence de lucidité et l'impuissance à se contrôler dont il était victime. Il y a peu d'années, j'ai appris que Greyback était l'homme qui m'avait mordu. Et alors je me suis rendu compte que je m'étais trompé à son sujet : Greyback est le plus bestial et le plus sanguinaire de tous les loups-garous. A la différence de ses congénères, lui reste parfaitement conscient lors des pleines lunes. Il prémédite ses crimes de sang-froid, repère ses proies à l'avance. Sa folie le conduit même parfois à s'acharner contre elles jusqu'à les faire mourir. Mais son objectif principal est d'en contaminer le plus possible et de les laisser en vie. Ainsi, il espère former une gigantesque armée de loups-garous, assoiffés de haine et de vengeance à l'égard des sorciers normaux. C'est pour cela aussi qu'il s'attaque de préférence aux enfants : pour pouvoir les endoctriner plus facilement et les pervertir dans le mal dès leur plus jeune âge... On peut dire que j'ai fait les frais de sa logique, conclut-il d'un air morose.

Cat l'observa avec tristesse. Elle était touchée qu'il lui évoque ainsi des éléments douloureux de son passé. Elle partageait sincèrement sa peine. Elle voulait le réconforter, le rassurer.

- Peut-être..., répondit-elle. Mais au moins Greyback n'a pas réussi à vous corrompre. Vous n'avez pas rejoint son armée, vous êtes resté parmi les sorciers, vous avez continué à vivre normalement.

- Oui..., concéda le châtain. Même si cela n'a pas été des plus faciles... Dès mon accident, mes parents ont tout essayé pour me guérir. Hélas, ils se sont bien vite rendu compte - et moi avec - qu'il n'y avait plus grand-chose à faire, et que ma vie ne serait désormais plus jamais la même. La perspective d'aller étudier à Poudlard était à bannir de mon esprit. Comment aurais-je pu passer ne serait-ce qu'une année là-bas, sachant que je me transformais une fois par mois pour devenir un monstre indomptable ? Les parents d'élèves n'auraient jamais accepté qu'un être tel que moi côtoie leurs enfants. Pourtant, le Directeur de l'école m'a accueilli à bras ouverts. Dumbledore. Sans doute avait-il pitié de moi, et ne voyait pas pourquoi je n'aurais pas le droit de suivre des cours, comme les autres enfants. Il a pris pour moi tout un tas de précautions : bien sûr, il n'a révélé qu'au corps enseignant et à Madame Pomfresh le mal dont j'étais affecté ; puis, pour que mes transformations demeurent secrètes auprès de mes camarades de classe, il a fait bâtir une maison, à côté de Pré-au-lard : la Cabane hurlante. C'était là que je devais me réfugier, à chaque pleine lune. L'habitation n'était accessible que par un tunnel dont j'étais le seul élève à connaître l'existence. L'entrée de ce passage souterrain se trouvait au beau milieu du parc de Poudlard. Pour la dissimuler et la protéger, Dumbledore a donc fait planter le Saule Cogneur, juste au-dessus. Que de travaux pour ma seule personne ! Que d'attentions, aussi ! Quand ce n'était pas Madame Pomfresh, c'était le professeur McGonagall qui me faisait sortir du château en cachette, pour me conduire jusqu'au saule. Je suis infiniment redevable envers ces personnes qui ont pris tant de soins pour moi. Grâce à elles, j'ai pu vivre les plus belles années de ma vie. Je me suis fait des amis, je me suis rendu compte qu'en dépit de mon handicap, j'étais accepté. Puis, il a fallu quitter l'école, et me trouver un métier...

A cette phrase prononcée d'une voix caverneuse, le visage de Remus Lupin s'assombrit. Cat ne le quittait toujours pas des yeux - elle faillit même se prendre les pieds dans une ronce, mais heureusement Mr Lupin la prévint en lui disant : « Attention ! » -, inquiète par la soudaine gravité qui semblait s'être emparée de son prof.

- Ca a sans doute été la période la plus difficile de ma vie, reprit ce dernier. Les problèmes que j'avais réussi à oublier durant ma scolarité ont brutalement refait surface, et d'autres problèmes s'y sont accumulés, comme si je n'en avais pas assez... J'ai postulé à une quantité de postes, tous aussi variés les uns que les autres, mais jamais je n'ai obtenu satisfaction. J'étais prêt à accepter n'importe quoi, mais toutes les portes se fermaient à moi, à cause de ce que je suis. J'ai essuyé de nombreux revers. A la fin, je n'osais même plus rien entreprendre. Les rares emplois que j'ai réussi à décrocher ne me faisaient gagner qu'un maigre salaire, avec lequel je pouvais à peine m'acheter de quoi manger, m'habiller et avoir un toit, et qui ne me donnait pas le goût de continuer. En fait, cette époque noire de ma vie m'a imprégné de défaitisme. Aujourd'hui encore, j'ai du mal à oser certaines choses, à m'engager dans quelque voie que ce soit... Tout simplement parce que j'ai trop peur de me faire à nouveau rejeter, parce que je suis trop lâche.

L'adulte s'arrêta de marcher, baissa la tête et porta la main à son front, pour se masquer les yeux ou pour se prémunir d'un malaise. Il était essoufflé. Il n'avait plus de forces dans les jambes. Ses pénibles réminiscences lui avaient ôté le peu de volonté qui lui était restée pour retourner à pieds jusqu'au château. La brunette, elle aussi, était abattue. Chaque mot de douleur qu'avait prononcé son enseignant avait été comme un coup de poignard dans son coeur. Pire que tout, celui qu'elle aimait se disait être lâche, alors que, quelques heures plus tôt, c'était elle qui se faisait ce reproche, et à juste raison. Mais comment Mr Lupin pouvait-il se dénigrer ainsi ? Ne voyait-il pas à quel point il était pourvu de courage ? Le fait qu'il ait continué à vivre dans la communauté des sorciers, malgré ses difficultés, qu'il n'ait pas sombré dans la marginalité ni dans la criminalité, n'était-ce pas là le signe d'une persévérance ? Et son absolue gentillesse, qui bravait les échecs qu'il avait subis ? Et son absence de menace, lorsque Cat avait percé son secret devant le Saule Cogneur ? Il ne s'était pas précipité pour lui ordonner de ne répéter à personne ce qu'elle avait découvert, non, il avait fait face à cette situation embarrassante avec bravoure.

L'homme vacilla. Notre amie crut qu'il allait s'effondrer, mais il se rattrapa en posant une main sur le tronc d'un arbre, derrière lui. Cet appui de fortune lui permit de se maintenir debout. Le professeur inspira puis expira plusieurs fois pour récupérer. Instinctivement, Cat s'était rapprochée de lui. Le voir dans cette position de faiblesse dépassait son inquiétude. Elle était prête à rester avec lui, ici, toute la journée s'il le fallait, jusqu'à ce qu'il se sente apte à reprendre la marche. Elle se refusait à l'abandonner. Elle avait les larmes aux yeux.

Lorsqu'il releva enfin la tête vers elle, son coeur se figea. Il se figea, et fut saisi par la glace. Un froid si poignant. Non, ce n'était pas possible. Quelque chose n'allait pas. Pourquoi ? Bien sûr qu'elle connaissait la réponse. Mais elle rejetait cette vision : l'homme qu'elle aimait avait les sourcils douloureusement froncés ; à lui aussi, ses yeux étaient humides.

- Vous ne savez pas..., ânonna-t-il. Vous ne savez pas ce que c'est... Ce supplice qu'on endure lorsque l'on se transforme... Qui vous brûle la moelle... Tellement intense, qu'on le redoute à chaque fois... Tous les mois... Tous les mois, ce cauchemar qui recommence, qui se répète, implacable, jusqu'à vous rendre fou... Jusqu'à vous faire appréhender le mois qui suit...

Cat pensa vaguement à son petit problème féminin qui la dérangeait elle aussi tous les mois, mais elle se dit que cela n'avait finalement rien à voir.

- Sentir son sang se geler dès que l'on croise la lune des yeux, craignant le moment où elle deviendra ronde... Et ce moment arrive si vite, qu'on se repent déjà de ne pas avoir assez profité du temps qu'on avait à sa disposition... Vous n'avez pas idée de ce que c'est que de sortir dehors, en pleine nuit, quel que soit le temps, par des températures parfois glaciales, en tâchant de ne pas attirer l'attention sur soi, et de se dépêcher avant qu'il ne soit trop tard... Tout ça pour aller se cacher dans un taudis jonché des meubles que vous avez fracassés lors des pleines lunes précédentes, alors que vous étiez une bête incontrôlable... Et puis se déshabiller, entièrement, enlever tous ses vêtements pour ne pas qu'ils se déchirent lors de la transformation et parce que vous n'avez pas les moyens d'en racheter d'autres... Et tant pis si vous êtes nu et frigorifié, si vous grelottez et claquez des dents, à la fois de froid et de peur...

L'image de Remus Lupin, dévêtu dans la Cabane hurlante, aurait pu séduire la brunette. Mais elle n'était pas d'humeur à fantasmer. Les aveux du sorcier étaient d'une nature tellement personnelle, que Cat en était désarmée. Pourquoi lui confiait-il ces choses-là ? A elle, qui n'était rien de plus que son élève ? Etait-ce parce qu'elle avait d'elle-même retiré la cape d'invisibilité qui l'avait protégée quelques heures plus tôt, et qu'il se voyait contraint, en retour de cette franchise, à se dévoiler à son tour ? Mais ne s'était-elle pas démasquée en même temps qu'elle lui avait fait l'affront de percer son lourd secret ? Pourquoi se mettait-il à nu devant elle, qui ne le méritait pas ? Elle ne voulait pas qu'il attrape froid ; elle voulait le rhabiller. Et elle était si bouleversée par la vulnérabilité de son corps qu'il lui décrivait, que des pleurs silencieux ne purent s'empêcher de quitter ses cils et de couler doucement sur ses joues.

- Impuissant, il ne vous reste plus qu'à attendre... Attendre, le coeur battant à toute allure, et de plus en plus fort, à tel point que vous n'entendez plus que ses tambourinements assourdissants qui vous martèlent le crâne... Attendre, parce que vous ne savez pas quand la lune décidera de vous torturer... Et quand cet instant vous surprend enfin, et que vous perdez le contrôle de votre être... Alors votre vie ne vous appartient plus... Les heures qui suivent sont celles d'un monstre, et vous n'en avez pas connaissance... Vous ne pouvez que vous réveiller au petit matin, en vous demandant ce que vous faites là, au beau milieu de nulle part... Au beau milieu d'un champ, ou couché dans la litière d'un bois, parmi les vers...

Un violent frémissement parcourut Mr Lupin tout entier. Cat, elle, ne retenait plus ses larmes, et secouait négativement la tête, de manière lente, comme pour inciter son amour à ne plus poursuivre son récit, car cela lui faisait trop de mal, elle le voyait.

- Nu, sale, la peau couverte d'égratignures... Et... Et parfois...

L'homme déglutit et regarda ailleurs pour ne pas montrer à la jeune fille qu'il était sur le point de pleurer.

- Parfois, dit-il, la voix chevrotante, avec un affreux goût de sang dans la bouche... Tellement âpre, que c'en est impossible que vous ne vous doutiez pas de ce qui a pu arriver pendant la nuit... Que vous avez beau vous dire qu'il ne s'agit que de votre propre sang... En fait, vous devinez facilement que vous avez mordu quelqu'un...

Cette fois, c'étaient ses lèvres qui tremblaient.

- Vous vous rendez bien compte que vous avez tué un animal, lorsque son cadavre putride gît à côté de vous, à moitié rongé et dévoré... Et lorsque vous vous éveillez avec une telle vision d'horreur, et que vous vous dites que c'est vous qui avez fait ça...

Sur ce, il releva la tête et arrêta son regard sur celui de Cat, comme pour lui montrer le visage de l'individu lâche, faible et immonde qu'il pensait être, comme s'il souhaitait qu'elle le juge en lui attribuant ces mêmes qualificatifs. Ses sourcils bruns, masculins, étaient plus contractés que jamais, mais leur coin au-dessus du nez se soulevait légèrement, trahissant le désarroi dont était victime l'adulte. Ses yeux scintillaient de larmes. Des larmes qui noyaient ses iris ambrées, des larmes qui déchiraient le coeur de l'étudiante. Elle était désarçonnée. Elle souffrait le martyre. Elle ne pouvait supporter de voir son enseignant dans cet état. Elle pleurait, et se répétait que c'était impossible, que son chéri, lui, ne pouvait pas pleurer, qu'il ne devait pas pleurer, surtout pas, qu'il n'en avait pas le droit ! La crainte qu'une goutte de détresse ne s'échappe de ses beaux yeux la fit paniquer, et elle chercha partout un moyen d'interdire à cette larme imminente de quitter son berceau et de s'aventurer sur la joue blanche de Mr Lupin. Elle leva la tête, s'aperçut que le plafond de feuilles verdoyantes de l'arbre contre lequel s'appuyait toujours le châtain était bien bas, qu'il recouvrait les deux sorciers et semblait leur offrir une intimité... Et comme ils étaient déjà plutôt rapprochés l'un de l'autre...

Cat reporta son attention sur Remus. Oui, sa cravate noire était très proche. D'ailleurs, elle observait sur son noeud certaines stries qu'elle n'avait encore jamais remarquées auparavant... Et sa chemise... - Oh ! Les premiers oiseaux qui se réveillaient au-dessus de leur tête et qui commençaient à chanter timidement ! Sa chemise, à fines rayures gris clair, délicieuses comme les lignes d'un cahier... Cat baissa les yeux et rencontra les poches de la veste verdâtre de Mr Lupin, dont elle pouvait distinguer chaque fil de tissu. A côté de sa poche gauche, un peu plus bas, elle trouva alors sa main. Sa main gauche, puisque la droite était posée sur l'écorce de l'arbre qui lui servait de soutien. Une main pâle, discrète, n'exprimant aucun trouble particulier. Une main ballante, presque gracile. Une main perdue... Il fallait à tout prix qu'elle le console... Mais, ciel ! C'était une main d'homme ! Une main affermie, une main expérimentée. Oserait-elle la lui prendre ? Y verrait-il une offense ?

De son regard embué, elle s'enquit de son visage, et vit que celui-ci n'avait rien perdu de sa douleur... Non, elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Le voir dans cet état lui mutilait l'âme. Elle devait faire quelque chose. Le rassurer, sécher ses larmes, avant qu'elles ne glissent sur sa peau. Ebranlée, elle fixa à nouveau la main gauche de Mr Lupin, le coeur tambourinant.

Alors, elle se permit toutes les hardiesses, et avança sa petite main droite pour attraper celle de l'adulte. Avec une certaine intrépidité, sa paume se colla contre le dos froid et les premières phalanges de la main du sorcier. Dieu que la main de Cat paraissait minuscule, à côté ! Mais c'était suffisant pour que la pulpe de ses doigts vienne trouver sa place dans le creux de sa paume, et pour que son pouce se repose sur son poignet.

Presque immédiatement, elle s'inquiéta de la réaction du châtain, mais pendant le laps de temps qui lui fut nécessaire pour redresser la tête et voir quelle était l'expression sur la figure de ce dernier, elle constata avec surprise que sa main masculine ne s'était pas dérobée, qu'elle n'avait pas bronché, qu'elle s'était laissée enfermer dans celle de la jeune fille. La physionomie de Remus Lupin était indéchiffrable - ou bien était-ce Cat qui, trop en effervescence par le caractère unique de la situation, était incapable de la déchiffrer ? Ses sourcils semblaient à la fois marquer de l'étonnement face à cette audace impromptue et gentiment adolescente, et à la fois continuer de lui confier le désespoir qui l'habitait. Ses yeux, brillant toujours de pleurs, étaient rivés dans ceux de la brunette, qui ne leur reflétaient que trop bien leurs larmes. Petit à petit, notre amie sentait la froideur de la main de Mr Lupin se dissiper dans la sienne, et l'idée qu'elle le réchauffait lui procurait un contentement inexprimable.

- Je suis là..., lui chuchota-t-elle, en pressant tendrement sa main.

Par ce geste de réconfort, inédit pour elle - car c'était la première fois de sa vie qu'elle l'expérimentait -, son sens du toucher décupla : il se fit plus prononcé, plus intense. Ses sensations épidermiques s'accrurent. C'était comme si chaque atome de sa main en contact avec celle de Mr Lupin vibrait de plaisir, savourait cet effleurement. Par ce geste de réconfort, elle voulait illustrer ses mots murmurés, qui en soi n'avaient pas vraiment de sens, car la présence de son élève, à ses côtés, ne devait certainement pas représenter grand-chose, pour Remus Lupin. Mais du moins, la brunette tenait à lui signifier qu'il n'était pas seul. Qu'elle était là, pour lui. Qu'elle ferait tout pour lui. Qu'elle resterait avec lui, quoi qu'il arrive.

Sans quitter ses yeux des siens, elle le lui fit comprendre de façon encore plus persuasive, en promenant timidement son pouce contre son poignet, juste sous sa montre qu'elle sentait du bout de son doigt lorsque celui-ci la frôlait par inadvertance, caressant cette parcelle de peau et se rendant compte d'à quel point elle était douce. Autour d'eux, l'aurore prenait ses aises, s'installait dans la nature et la ranimait. Les deux individus, les yeux dans les yeux, écoutaient les moineaux roucouler au-dessus de leur tête, goûtant silencieusement à cet instant privilégié, à cette ère de paix. L'homme se laissait caresser par la jeune fille, et celle-ci le regardait avidement, émerveillée par les taches de la lumière du soleil qui dansaient sur son visage, filtrées par le feuillage des arbres. Elle ne cessait de le contempler, pour s'assurer qu'elle lui faisait du bien, qu'elle ne le gênait pas. Et cela en avait tout l'air, car dans ses yeux dorés, ses larmes se résorbaient.

Assistant à ce miracle, Cat fut envahie d'un bonheur infini : elle avait réussi ! Elle avait réussi à consoler son être adoré ! Cette victoire était tellement magnifique, que la brunette ne put s'empêcher de sourire, et le châtain dont elle tenait la main sourit alors en même temps. A la vue de cette nouvelle surprise, Cat exulta, et ses lèvres, déjà bien étirées vers le haut, prirent clairement la forme d'une banane. Son sourire à lui était... Adorable, inespéré, magique, enivrant, contagieux ? Il n'y avait pas de mot pour décrire l'effet qu'il produisait sur le coeur de Cat ! Comme elle aimait voir les bords de sa moustache se soulever, ses joues se gonfler légèrement, et ses yeux se plisser ! Comme elle aimait le voir ainsi ! Comme elle était heureuse !

- Ca va mieux ? demanda-t-elle avec affection, et en lui relâchant la main, avant qu'il ne la lui réclame.

L'homme continua de la regarder en souriant.

- ... Oui..., répondit-il, en fermant quelques fractions de seconde ses paupières.

- Vous vous sentez d'attaque pour retourner jusqu'au château ? Appuyez-vous contre moi, je vais vous aider à marcher !

Sur ce, elle lui présenta son épaule droite, pour qu'il s'amarre à elle. Mais il n'en fit rien, car une lueur d'inquiétude passa subitement dans ses yeux.

- Vous êtes blessée ? s'alarma-t-il, les sourcils froncés.

- Ah ! Ca ! s'exclama-t-elle, redécouvrant la plaie qu'elle avait près de l'épaule. Non, ne vous inquiétez pas, c'est juste une égratignure !

Le professeur Lupin ne semblait pas très convaincu. Cette blessure suintait un peu trop de sang pour ressembler à une simple égratignure...

- Tout à l'heure, j'ai rasé un arbre d'un peu trop près, et voilà ce que l'écorce a laissé sur ma peau ! expliqua-t-elle, sans se soucier plus que ça de la gravité de son écorchure.

- Je doute qu'un Tergeo suffise à arrêter l'écoulement du sang... J'ai des pansements chez moi, si vous voulez, je pourrai peut-être vous soigner ça...

Le coeur de la brunette manqua un battement. Avait-elle bien entendu ? Mr Lupin l'invitait à venir chez lui pour qu'il lui panse sa plaie ? Elle pour qui pénétrer dans les appartements de son prof chéri était demeuré un rêve irréalisable, elle se voyait, ce matin, offrir cette opportunité ? Non, elle refusait d'y croire ! C'était trop beau pour être vrai !

- Je... Euh... Je ne veux pas vous déranger ! dit-elle. Vous n'êtes pas obligé de...

- Vous ne voulez pas venir ?

Mais Cat crevait trop d'envie de découvrir comment Remus Lupin vivait, ses meubles, (son lit ?).

- Bon, d'accord... J'accepte ! se résolut-elle, en feignant l'air forcé. Et vous, vous êtes toujours d'accord pour vous appuyer contre moi ? Ca facilitera votre marche !

- Oui. Par contre, je vais me mettre de votre côté gauche...

- Vous avez raison, je ne veux pas tacher votre veste ! avoua Cat, en lui montrant cette fois-ci son épaule non meurtrie.

- C'est surtout que je ne veux pas vous faire mal ! s'exclama Mr Lupin, légèrement amusé que son élève n'ait pas entendu sa phrase de cette manière.

La brunette crut à un rêve lorsqu'elle sentit le bras de l'homme qu'elle aimait passer autour de son cou pour se tenir à elle. Il posa sa main sur le haut de son épaule droite, en prenant bien soin de ne pas toucher sa blessure, et leurs flancs finirent par se coller l'un contre l'autre. Le débardeur de Cat était si fin, qu'elle pouvait clairement savourer ce contact de corps. Elle percevait même la chaleur qui émanait de lui, à travers sa veste... Elle avait dégagé son bras gauche en arrière, pour ne pas qu'il soit coincé entre eux deux, mais à présent elle ne savait plus où le mettre. Il n'y avait pourtant qu'une seule solution : le placer autour de sa taille... Mais se le permettrait-elle ? Elle était déjà bien trop troublée par la position particulière dans laquelle ils se trouvaient tous les deux ! Ses beaux doigts, longs et fins, purs, à vingt centimètres de ses yeux, à dix centimètres de ses lèvres, elle avait un terrible désir de les embrasser. Elle avait peur de se laisser emporter, de ne pas se maîtriser, de céder à ses pulsions et de se serrer plus fortement contre lui, de l'enlacer, de lui faire plein de bisous dans le cou, sur les joues, sur la bouche.

Elle était tremblante. Que faire de sa main gauche, qui vibrait sous le poids de l'émotion ? Si elle la posait sur ses reins, n'allait-elle pas être tentée de la descendre un peu plus bas, pour sentir cette courbure, à la fois légère et charnue, frôler ses fesses ? Cela ressemblerait en tout point à un attouchement sexuel. A un détournement de majeur ! Non, elle saurait se contrôler. Le respect qu'elle éprouvait à son égard était plus fort que sa primaire envie de lui. C'était le dépassement de l'esprit sur le corps. C'était de l'amour, pas seulement du désir. Jamais elle ne lui ferait subir quelque chose qui le mettrait mal à l'aise.

Elle approcha ses doigts hésitants du bas de son dos, puis appliqua doucement sa paume contre le tissu de son habit verdâtre, sur ses côtes, à hauteur de son coude. Ce fut d'abord un timide effleurement. Lorsqu'elle vit ensuite que Mr Lupin ne marquait aucune opposition à ce geste, elle exerça une pression un peu plus sûre avec sa main, pour mieux le soutenir, pour... le protéger.

- En fait, commença le châtain, je ne suis pas si à plaindre que ça... Mes transformations d'antan ont été très douloureuses, mais aujourd'hui il existe une potion qui me permet de ne plus souffrir et de rester lucide pendant la pleine lune.

- La potion Tue-loup ? s'écria Cat, se souvenant sur le coup du nom de ce remède qu'elle avait rencontré au cours de ses recherches sur les loups-garous.

- Exactement, acquiesça l'enseignant, comme s'il se trouvait en classe et que son élève venait de fournir une bonne réponse valant dix points. Grâce à elle, je peux me contrôler, garder un esprit humain, même sous ma forme de loup, et rester inoffensif.

Mr Lupin parlait, et son visage était si proche de celui de Cat, que celle-ci n'entendait plus que le timbre de sa voix, si distinct, ses nuances, au-delà du chant des oiseaux, cela valait toutes les plus belles musiques du monde. C'était comme s'il ne parlait que pour elle, comme des murmures, dans lesquels elle se laissait bercer. Ses lèvres, sa moustache, s'agitaient tout près de son oreille gauche, elle les devinait, elle les voyait du coin de l'oeil ; mais elle n'osait tourner plus sa tête vers lui, car alors son nez, sa bouche, se colleraient d'eux-mêmes contre sa joue, pour un baiser, elle en était certaine.

- Et puis, j'ai eu de la chance, continua le sorcier, tandis que la brunette tentait, tant bien que mal, de regarder droit devant elle. Dumbledore m'a donné un travail. Il m'a offert un toit, un salaire...

Tous les deux marchaient d'un pas lent à travers la nature. Cela ressemblait à une promenade bucolique. Bientôt, ils arrivèrent dans la cour, vaste étendue verte, qui ne s'offrait qu'à eux, encore fraîche de la nuit. La rosée de l'herbe mouillait le bas du pantalon de Mr Lupin et du jean de Cat. Le château, encore endormi, se dressait devant eux.

- Si quelqu'un nous voyait, dit Remus, il croirait que l'on revient d'une soirée arrosée aux Trois Balais !

Sur ce, la Serdaigle ne put s'empêcher d'éclater de rire, et l'homme rigola avec elle de sa propre plaisanterie. « Vraiment ! » se dit Cat, en plissant les yeux d'hilarité. « Il est adorable ! Il est trop drôle ! ».
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Voilà le deuxième comme promis, on a un petit rapprochement là ! Ehehe !

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