Chapitre 12 : La folle invisible

Drôle de scène que celle d'un garçon et d'une fille, tous les deux assis au beau milieu d'un couloir désert, face à face, leur dos collé contre le mur opposé, par un jeudi matin d'assez bonne heure. La fille, qui venait de faire un tour dans la salle des profs, à peine une heure plus tôt, parlait en riant ; le garçon, qui ne commençait ses cours qu'à onze heures, dormait en ronflant.

- Coincoin ? Coincoin ? Tu m'écoutes ? fit Cat, en se penchant vers Vince et en le secouant par l'épaule, pour le sortir de ses songes.

- Rmmf... Hein ? Ah ! bredouilla le châtain, en s'éveillant enfin. Tu en étais où ?

- Au moment où je suis passée devant son casier et où j'ai hésité à y déposer quelque chose ou à me retourner vers lui pour le regarder une dernière fois.

- Ah..., émit Vince dans un bâillement.

- Et ne te rendors pas ! menaça la jeune fille, avec un regard foudroyant.

Comme à chaque fois qu'elle retrouvait Vince lors de leurs petits rendez-vous secrets, Cat ne pouvait s'empêcher de lui parler de Mr Lupin, et de lui raconter toutes les anecdotes les plus récentes qu'elle avait à lui fournir au sujet de cet enseignant. Et, comme à chaque fois que Cat lui farcissait la tête avec Mr Lupin par ci, Mr Lupin par là, Vince s'endormait. Les longs éloges que Cat formulait au sujet de son prof de Défense contre les forces du mal devaient, assurément, avoir leur effet soporifique. Hélas, la pauvre jeune fille ne s'en rendait pas compte : elle était si transportée avec ses « Oh ! Sa cravate était si belle ! », « Oh ! Il était si bien rasé ! », « Oh ! Ses chaussures en cuir étaient si bien lacées ! », et autres exclamations de ce genre...

- Enfin, dit Cat, d'un air qui semblait conclusif, toujours est-il que je pense que j'ai fait quelques progrès, depuis la dernière fois. Oui, vois-tu, j'ai noté quelques améliorations dans mon état d'esprit : je ne pense plus trop à lui.

Eberlué, Vince écarquilla subitement les yeux.

- Je crois que j'ai mal entendu..., lança-t-il. Redis-moi ça !

- Je te dis que, ces derniers temps, je ne pense plus trop au professeur Lupin. C'est vrai !

- Après tout ce que tu viens de me raconter à son sujet ?

- Oh ! Arrête ! Tu n'en as écouté que la moitié !

- Très bien..., déclara le garçon, comme s'il se rendait. Explique-moi alors dans quelles circonstances tu arrives à ne plus trop penser à lui ?

- Eh bien, j'ai suivi les conseils que tu m'avais donnés : je me suis concentrée un peu plus sur mes études, dans les autres matières que la Défense contre les forces du mal, j'ai imaginé tout ce que j'allais pouvoir faire chez moi, pendant les vacances de Noël, et j'ai pensé à plein d'autres choses qui m'ont permis d'oublier le professeur Lupin quelques instants...

- Quelques instants..., répéta Vince, sceptique.

- Oui, mais c'est déjà bien ! Je pense beaucoup moins à lui qu'avant. Quelque part, je me sens mieux, plus libre, et fière de moi : j'ai pratiquement réussi à me dé-droguer de lui.

- Hmmm... Si tu réussis à ne plus trop penser à lui, cela veut déjà dire que tu n'en es pas amoureuse. Sinon, tu ne saurais pas t'en passer du tout.

A ces mots, le coeur de Cat manqua un battement. Avait-elle bien entendu ? Pas amoureuse ? Elle ? Alors que c'était justement l'inverse qu'elle avait dû avouer à son ami qui, quelques jours auparavant, cherchait à savoir la nature des sentiments qu'elle portait pour le professeur Lupin ? Alors que c'était justement l'inverse qu'elle avait dû s'avouer à elle-même, dans une prise de conscience pas forcément évidente ? Maintenant, après ces deux durs aveux, Vince lui annonçait qu'elle s'était trompée, qu'elle n'était pas amoureuse ? Mais pourquoi ne le lui avait-il pas dit plus tôt ? Et même, pourquoi lui avait-il demandé si elle était ou non amoureuse de Mr Lupin, s'il connaissait déjà la réponse ? Il s'était joué d'elle, il avait observé sa petite comédie amoureuse d'un oeil moqueur, se disant que tout cela n'était rien, rien qu'une banale admiration vouée par une élève à un professeur... Mais non... Ce n'était pas ça ! Ce n'était pas possible !

Vince avait eu beau se moquer d'elle, c'était lui qui s'était trompé ! Il avait sous-estimé ses sentiments, c'était certain ! Autrement, tout cela n'était pas possible. Autrement, qu'était cette émotion que Cat ressentait, si ce n'était point de l'amour ? Comment appeler cette force, cette sensation inconnue et enivrante, si Cat ne pouvait pas lui donner le nom d'amour ? Car l'amour... Maintenant, elle savait ce que c'était ! Elle en était persuadée ! Avant, elle n'avait pas cette connaissance, elle n'avait pas idée de quels pouvaient en être les symptômes, elle pensait que tout le monde savait, sauf elle, et, venant parfois à se dire que jamais elle n'aimerait, qu'elle était incapable d'aimer, elle se permettait même de mépriser l'amour. Puisque, pour elle, c'était quelque chose qu'elle ne connaissait pas, pour elle, ce n'était rien.

A présent, tout avait changé. Cette vague immense et inattendue, qui l'avait submergée au moment où elle s'y était attendue le moins, ce flot incroyable de sensations, à la fois douces et vives, pleines d'attendrissement et d'ardeur mélangés, ce flot qui avait envahi son coeur jusqu'à le noyer, tout cela, c'était la première fois de sa vie qu'elle l'éprouvait. C'était véritablement la première fois qu'elle ressentait autant pour un seul homme. C'était si étrange, si soudain, mais si fort, tellement fort, qu'elle en venait même presque à penser que jamais personne n'avait ressenti autant de ce qu'elle ressentait, que, finalement, tous les autres qui se disaient être amoureux ne l'étaient pas en réalité, qu'ils ne savaient en fait rien de ce qu'était l'amour, que c'était maintenant elle qui le savait. Parce que tout ce qu'elle éprouvait, cette passion fulgurante et nouvelle qui faisait vibrer son coeur, cela ne pouvait qu'être de l'amour. Si ça ne l'était pas, alors personne n'avait jamais aimé.

- Quelque part, je suis soulagé de voir que tu n'es pas amoureuse, continua Vince, alors que Cat commençait déjà à lui en vouloir pour les propos qu'il avait tenus précédemment. Car je ne te sens vraiment pas prête à sortir avec quelqu'un. Tu es trop timide, trop renfermée, trop hésitante. Mis à part moi, tu ne te mêles pratiquement jamais aux autres garçons, et, dès que l'un d'eux s'approche de toi, je te sens sur la défensive, comme si tu voulais repousser tout de suite ses avances. Tu n'es pas assez sûre de toi pour pouvoir sortir avec quelqu'un. Et tu es aussi beaucoup trop fragile. Imagine que ta relation éventuelle avec un garçon tourne mal : quelle serait ta réaction ? Pas très bonne, en tout cas...

La gorge de Cat s'était horriblement serrée. Déjà la jeune fille luttait pour ne pas avoir envie de pleurer. Son esprit bouillonnait. Il bouillonnait de rage, et cela se voyait, car l'adolescente fronçait les sourcils. Elle était outrée, passablement choquée par les dernières phrases qu'avait prononcées son meilleur ami. Lui ! Lui dire ça, à elle ! Bien sûr qu'elle savait que c'était la vérité, qu'elle était effectivement timide, timide comme pas possible, réservée, bloquée, coincée, mais ça suffisait ! Assez, maintenant ! Tous ces adjectifs pour la qualifier, elle les avait déjà entendus des dizaines de fois, dans la bouche de dizaines de personnes différentes, alors ce n'était vraiment pas la peine qu'elle les entende à nouveau, dans la bouche même de son meilleur ami. Elle les connaissait maintenant par coeur, elle n'avait pas besoin qu'on les lui resserve comme une cerise sur un gâteau. C'était trop, cette fois-ci ! C'était peut-être la vérité, c'était peut-être l'opinion sincère de Vince, mais cela la blessait.

- Merci ! lança-t-elle, d'une voix dégoûtée, en se levant subitement, sous le regard surpris de son ami. Ca fait plaisir d'entendre autant de compliments en aussi peu de temps ! Tu crois aussi que je ne suis pas amoureuse de Mr Lupin ? Qu'en fait, ce que j'éprouve pour lui, ce n'est qu'une simple petite attirance, qui passera bien vite ? Mais si je te dis que je sais que je suis amoureuse de lui ? Tu vas persister à croire que je me trompe, que je n'ai aucune idée de ce qu'est l'amour, le vrai, que toi seul sais, que toi seul as plus d'expérience en la matière ? Très bien, alors. Crois ce que tu veux. Tout ce que je peux te dire, c'est que je ne suis pas aussi dé-droguée de lui que j'en ai l'air, et que d'ailleurs je n'ai qu'une envie en ce moment : c'est d'aller l'observer pendant des heures, alors qu'il fait cours ou qu'il est dans la salle des profs, de l'observer silencieusement, autant que je veux, sans qu'il remarque ma présence. Et pour ce faire, je comptais justement te demander s'il existait un moyen de se rendre invisible. Mais comme tu ne sembles pas croire en la sincérité de mes sentiments, je pense que ce n'est finalement pas la peine que je te demande de l'aide. Sur ce, tu m'excuseras, mais j'ai un cours de Soins aux créatures magiques qui commence à dix heures.

Interloqué et encore sous le choc de cette longue tirade venimeuse, Vince fixa Cat pendant un moment, sans plus rien dire, levant vers elle des yeux verts étonnés. Puis il prononça enfin :

- J'ai une cape d'invisibilité dans mon sac, si tu veux...

Assez rapidement dans l'année, le jeudi était devenu la pire journée de la semaine. Tout simplement parce que, le jeudi, Cat n'avait pas cours de Défense contre les forces du mal. Elle était assurée de voir le professeur Lupin le lundi, en fin d'après-midi, le mardi, en fin de matinée, le mercredi, en début d'après-midi, et le vendredi, dès huit heures, pour bien commencer la journée. Mais le jeudi, rien du tout. C'était, par convention, la journée la plus pourrie de la semaine. Certes, elle pouvait l'apercevoir au réfectoire, sur l'heure de midi, mais il était bien trop loin, et ne restait pas suffisamment longtemps pour combler le manque de Cat. Il était donc évident que, si la brunette devait choisir un jour où elle voulait tout particulièrement voir Mr Lupin, c'était pour le jeudi qu'elle allait opter. Et quelle charmante idée que celle de pénétrer secrètement dans l'un de ses cours du jeudi, pour pouvoir l'observer à son aise et satisfaire son besoin de le voir enseigner en cette journée ! Surtout que, le jeudi, Cat commençait le travail à dix heures, et le terminait à quinze heures. Elle avait donc à sa disposition un petit paquet de temps libre, dont elle pouvait se servir à bien. Pour cela, il lui fallait maintenant connaître l'emploi du temps de Mr Lupin le jeudi, afin de savoir si ses horaires de cours coïncidaient avec ses heures de libres.

Ce fut ainsi que, son heure de Potion passée dans les cachots, Cat quitta précipitamment ses amies, sous prétexte qu'elle devait retrouver Vince à l'étage de la Métamorphose, pour lui remettre quelque chose. La salle de Défense contre les forces du mal étant dans le même couloir que celle de Métamorphose, Cat avait donc déjà son excuse de formulée, si jamais une de ses copines la suivait et la retrouvait en ce lieu. Elle rejoignit ainsi cet étage en grimpant les escaliers quatre à quatre, et ce fut à quinze heures et trois minutes - c'est-à-dire cent quatre-vingt secondes après la sonnerie - qu'elle arriva dans le couloir de la Défense contre les forces du mal, déjà bien encombré en élèves de toutes classes. Elle se fraya un chemin au milieu de tout ce monde, et atteignit enfin l'entrée de la salle de Mr Lupin. La porte était grande ouverte, et il restait dans la classe une poignée d'élèves qui finissaient de copier leurs devoirs et qui s'apprêtaient à sortir. Cat avança un peu plus vers l'entrée de la salle, pour avoir une meilleure vue sur l'intérieur, et elle réussit ainsi à apercevoir son chéri, assis derrière son bureau, en train de gribouiller un parchemin.

Bien. Il était là, alors. Il avait encore cours le jeudi, en début d'après-midi. Il ne restait maintenant plus à Cat qu'à attendre quelques minutes que la salle de Défense contre les forces du mal se vide complètement, et voir si elle se remplissait à nouveau, ou bien si Mr Lupin en sortait lui aussi et fermait la porte à clé. Dans ce cas, cela aurait certifié qu'il n'avait plus cours, passées quinze heures, et cela aurait mis fin à l'espoir de Cat de s'infiltrer dans un de ses cours du jeudi après-midi.

La jeune fille se posa donc juste à côté de la porte, le dos collé contre le mur, et attendit. Au fil des secondes, le flot des élèves se faisait moins dense. Tous quittaient le couloir en prenant les escaliers, ou bien en s'engouffrant dans d'autres salles de cours. Au final, lorsque tout ce tumulte s'acheva, il ne resta plus dans le corridor que Cat et une vingtaine d'élèves, proprement rangés deux par deux, derrière elle, contre le mur qui touchait la salle de Mr Lupin. C'étaient des première année Poufsouffle. Ils étaient tous très silencieux, et patientaient gentiment pour que leur professeur de Défense contre les forces du mal vienne les chercher. Placée à la tête de cette file si bien formée, précisément entre le premier couple de Poufsouffle et la porte ouverte de la classe, Cat ne cessa de les regarder avec des yeux curieux, surprise de constater tant d'ordre et de discipline, surtout chez des première année souriants.

Cela était-il dû au fait qu'ils se rendaient en Défense contre les forces du mal, et que le professeur Lupin les avait volontairement intimidés et sermonnés, pour qu'ils le respectent avec crainte, et qu'ils se rangent les uns derrière les autres, à la queue leu leu, sans faire de bruit ? Non, ce n'était pas dans la nature de Mr Lupin d'agir ainsi. Il était tout sauf méchant, et il pouvait parfois être ferme, mais jamais aussi sévère. Non, c'étaient sans doute son incroyable gentillesse et son incroyable sympathie qui avaient dû faire naître chez ses élèves un profond sentiment de respect. Un respect naturel, et qui lui était amplement dû. Mr Lupin était peut-être le seul prof à n'avoir jamais eu besoin d'élever la voix pour se faire obéir, et il n'avait donc certainement pas eu recours à la dureté pour que ces Poufsouffle première année le tiennent en grande estime, au point de s'aligner à côté de sa salle et d'attendre poliment son accord pour qu'ils puissent rentrer.

A force de les regarder aussi intensément, Cat s'aperçut que tous ces petits élèves l'observaient eux-mêmes avec un mélange d'étonnement et d'appréhension, et elle se rendit compte, bien trop tard, qu'elle n'avait rien à faire ici.

- Vous pouvez rentrer, dit une voix infiniment douce, à sa gauche, et la jeune fille se retourna instantanément sur le professeur Lupin.

Il venait de sortir de sa salle, et se tenait juste à côté de la porte, juste en face de la brunette, à quelques centimètres, et... Dieu, qu'il était grand ! Dieu qu'il était beau ! Cat le fixa bêtement, pendant quelques secondes, bouche bée, tandis que les Poufsouffle la contournaient pour pouvoir passer et rentrer dans la classe.

- Bonjour..., fit l'enseignant, en s'adressant à Cat d'un air un peu inquiet, et en haussant ses sourcils, comme pour lui demander ce qu'elle faisait là.

- Bonjour ! répondit enfin la Serdaigle, qui sortit de sa contemplation. Ah... Euh... Désolée... Je... Je me suis trompée de salle ! lança-t-elle avec affolement, avant de prendre congé du professeur Lupin en s'enfuyant et en courant comme une hystérique dans le couloir.

Plus vite que la lumière d'un Avada Kedavra, elle partit se cacher dans les escaliers, et attendit quelques instants, essoufflée par son sprint soudain et ridicule. Elle entendit enfin le « Clac ! » qui signalait la fermeture de la porte de la salle de Mr Lupin, et décida de remonter dans le couloir pour observer une dernière fois la dite porte, et être sûre qu'un cours se déroulait derrière elle.

La planche de bois de chêne verni était effectivement close, et, à présent, la seule envie de Cat était de la pousser et de dire : « Finalement, je ne me suis pas trompée de salle ! J'ai bien cours avec vous, Mr Lupin ! ». Des voix résonnaient à l'intérieur, et, parmi elle, Cat reconnaissait celle de Remus Lupin. Forcément, c'était celle-ci la plus belle ! La plus douce, la plus aimable, la plus enivrante ! Cat ne cherchait même pas à comprendre ce qu'il disait, elle ne se concentrait que sur la sonorité, la musique, le timbre de sa voix, et elle aurait pu l'écouter ainsi pendant des heures, l'oreille collée contre cette porte, sans s'en lasser. Mais maintenant qu'elle savait qu'il avait cours à quinze heures, elle pouvait reporter tout cela à plus tard, en étant sûre d'en profiter mieux qu'aujourd'hui, cachée sous une cape d'invisibilité. Elle se résolut donc à quitter le couloir pour de bon et à aller retrouver ses copines dans la salle commune. Mais avant, elle devait le voir, juste une dernière fois. Eh ! Le couloir était désert, elle pouvait bien en profiter ! Personne n'allait la voir, si elle se penchait de cette manière, et qu'elle collait son oeil droit dans le trou de la serrure, pour tenter d'apercevoir ce qui se passait à l'intérieur. Par chance, la première image qu'elle vit fut celle du bas de la veste beige du professeur Lupin, d'un bout de sa ceinture en cuir marron, et du haut de son pantalon. Elle voulut en voir un peu plus, et s'agenouilla complètement pour mieux se coller contre la porte, mais ce fut à cet instant qu'une voix retentit derrière elle.

- Miss Mist ? Je peux vous aider ?

La brunette bondit littéralement dans les airs, emportée par le violent sursaut de son coeur dans sa poitrine, et se retrouva debout plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Elle se retourna immédiatement vers la personne qui lui avait adressé la parole, et constata en un nouveau sursaut de son coeur qu'il s'agissait de McGonagall. Celle-ci avait vraisemblablement fini ses cours, et venait de quitter sa salle de Métamorphose en fermant la porte à clé.

- Euh... Euh..., bégaya stupidement Cat, en regardant dans tous les sens, comme pour y trouver une excuse. Je... J'ai coincé mon chewing-gum dans le trou de la serrure, je n'arrive plus à l'enlever !

Pitoyable ! La voilà qui choisissait comme motif une faute encore plus accablante pour elle que celle d'observer secrètement un professeur. Impressionnant comme l'affolement pouvait lui faire sortir de telles idioties !

- Vous vous amusez à mettre des chewing-gums dans le trou des serrures, maintenant ? questionna la directrice des Gryffondor, en s'approchant de Cat.

- Euh... Ben..., fit celle-ci, en se rendant soudainement compte de toute la bêtise de son excuse. Faute avouée est à moitié pardonnée, non ?

- Vous avez raison, trancha McGonagall. J'enlève dix points à Serdaigle, au lieu de vingt. Maintenant, poussez-vous et laissez-moi faire !

Devant le pas déterminé de l'enseignante qui se dirigeait vers la porte, Cat s'écarta légèrement. Mais ce fut lorsqu'elle vit McGonagall tirer sa baguette de sa poche qu'elle comprit ce qu'elle allait faire : elle allait la pointer sur le trou de la serrure et lancer un sortilège pour éjecter le soi-disant chewing-gum qui était coincé à l'intérieur. Sauf qu'il n'y avait pas de chewing-gum, et que le trou de la serrure n'était point du tout obstrué, il était parfaitement béant. Alors si McGonagall y lançait un sortilège, celui-ci n'allait rencontrer aucun chewing-gum pour lui faire obstacle, allait passer au travers de la serrure et allait atteindre ce qui se trouvait derrière la porte : le professeur Lupin, son chéri, l'homme qu'elle aimait. Tout ceci n'était que pure crainte infondée, mais si jamais cela se produisait réellement, si jamais Mr Lupin était blessé, voire tué, Cat ne se le pardonnerait jamais. Elle préféra donc jouer la sécurité, et au moment où McGonagall éleva sa baguette et commença à prononcer :

- Waddi...

Cat se jeta sur elle et hurla :

- NON !!!

Prise au dépourvu, le professeur McGonagall ne put que dévisager son élève avec des yeux ébahis, et assista alors stoïque à toute sa comédie absurde.

- Attendez ! lança Cat, dans la panique. Je vais l'enlever moi-même ! Regardez !

Sur ce, elle se pencha à nouveau sur la serrure, et la tritura avec ses doigts, pour faire semblant d'en extraire le chewing-gum invisible.

- Regardez, j'y arrive, maintenant ! s'exclama-t-elle, avec une hystérie nerveuse. Ca y est, je l'ai ! Il est sorti !

Evidemment, elle tâcha de ne pas montrer à McGonagall qu'elle n'avait absolument rien entre les doigts, et, pour être sûre que l'enseignante ne le remarque pas, elle plaça son pouce et son index dans sa cavité buccale, pour faire croire qu'elle remettait son chewing-gum dans sa bouche. Les yeux de McGonagall se firent plus ronds que jamais, tandis que Cat faisait semblant de mastiquer sa boule de gomme, avec un sourire soulagé.

- Ecoeurant..., fut le dernier mot de la prof, prononcé avec dégoût, avant qu'elle ne tourne les talons et qu'elle disparaisse du couloir, laissant Cat avec la satisfaction d'avoir sauvé la vie de Remus Lupin.

¤~

Le lendemain soir, alors qu'elle venait de finir sa semaine par deux heures assommantes d'Histoire de la magie et qu'elle était allée faire un rapide tour à la bibliothèque, Cat marchait tranquillement dans un corridor désert, en direction de la Tour Nord des Serdaigle. Elle avançait avec insouciance, chargée de son lourd sac de cours, qui pendait à sa main droite, la tête baissée, regardant les dalles du sol si bien taillées, et se demandant s'il ne valait mieux pas, après tout, tenter de reconstituer l'emploi du temps complet de Mr Lupin, plutôt que de se limiter au jeudi. C'était facile, en fait, de retranscrire ses horaires de cours, de savoir à quand il commençait et à quand il finissait sa journée : il suffisait d'aller faire un tour près de sa salle, et de voir s'il y était, et avec quelle classe. Alors... Peut-être qu'elle récidiverait ce qu'elle avait fait la veille... Sans le coup du chewing-gum, bien sûr !

- Cathie ?

Brusquement sortie de ses pensées, la nommée se retourna dans la direction où elle avait cru entendre quelqu'un l'appeler. Sa vision se heurta à une simple armure immobile et muette. Personne. Se disant qu'elle avait probablement rêvé, la jeune fille reprit sa marche, mais à peine eut-elle fait quelques pas, que la voix l'appela à nouveau :

- Cathie ? ... Cathie ?

Cette fois-ci, c'était trop ! Quelqu'un se moquait vraiment d'elle, lui faisait une farce ! Il n'y avait personne d'autre qu'elle, dans ce couloir ! Désemparée, la brunette pivota dans tous les sens, pour chercher l'origine de cette voix, mais elle ne trouva pas âme qui vive. Décidant alors d'aller examiner l'armure d'un peu plus près, pour voir si personne ne se cachait à l'intérieur, Cat s'approcha du chevalier en acier, et les mystérieux appels recommencèrent.

- Cathie ? ... Cathie ? ... C'est ta conscience qui te parle !

Alors qu'elle s'apprêtait à soulever la visière du casque de métal, notre amie se figea sur place, ses doigts stoppés à quelques centimètres de l'armure, n'osant même plus faire un geste, écarquillant simplement les yeux d'effroi.

- Je deviens folle..., constata-t-elle à voix haute, toujours paralysée par la stupéfaction.

- Folle, oui ! reprit la voix, qui paraissait amusée. Mais folle de qui ? De Mr Lupin ?

Choisissant enfin de sortir de sa torpeur et de bouger, Cat tourna lentement sur elle-même, ses sourcils commençant à se froncer de perplexité.

- Hmmm..., fit-elle, d'un air sceptique. C'est bizarre, je ne savais pas que ma conscience avait la même voix que Coincoin...

- Ah ah ah ! rigola Vince (car c'était effectivement lui). Bravo ! Je ne pensais pas que tu allais me démasquer aussi tôt ! Comme promis, je t'ai apporté la cape d'invisibilité !

- Ah ! s'exclama Cat, en retrouvant un petit sourire joyeux. Mais où est-elle ?

- Ben... Elle est sur moi !

- C'est malin, ça..., ironisa la jeune fille, en faisant rapidement un tour d'horizon de son regard blasé.

- Viens la chercher ! lança Vince, avec gaieté.

- Mais t'es où ?

- A toi de trouver !

Poussant un soupir d'exaspération, la brunette pivota à nouveau sur elle-même, de manière lente, scrutant chaque recoin du couloir, chaque détail des statues, des armures et des tableaux, se rendant compte que Vince était bel et bien invisible, et que la cape qu'il portait fonctionnait à merveille. Le garçon avait cependant envie de s'amuser avec Cat, et de jouer avec ses nerfs : la jeune fille était donc contrainte de se prêter au jeu, en se pliant à cette partie de cache-cache (pas très équitable), et posa, de manière forcée, ses affaires de cours sur le sol. Puis, elle commença à avancer, à contrecoeur, vers la statue d'un centaure, pas vraiment certaine que Vince s'y trouvait, et demanda :

- T'es là ?

- Pas du tout ! lui répondit la voix de Coincoin, derrière elle. Tu refroidis complètement !

Fronçant les sourcils d'agacement, Cat se retourna vivement, et marcha droit devant elle, tendant ses deux bras en avant, au cas où elle heurtait son ami par miracle. Pourtant, aucun choc ne se fit ressentir, et, demeurant persuadée que Coincoin se trouvait dans les parages, la Serdaigle agita ses bras autour d'elle, brassant du vide.

- C'est tiède, c'est tiède, dit l'Animagus invisible. Mais tu ne chauffes pas encore !

Souriant malgré tout devant les petits progrès qu'elle avait faits, Cat continua d'avancer avec lenteur, les bras tendus parallèlement devant elle, comme une aveugle. Heureusement que le couloir était vide, et que personne d'autre que Vince n'assistait à ce spectacle ridicule.

- Ca y est, tu chauffes ! déclara le garçon, alors que le sourire de Cat s'agrandit. Tu brûles ! ... Ah... Ah non... Tu refroidis..., conclut-il avec déception.

- Si t'arrêtais de bouger, aussi ! s'énerva Cat.

Perdant patience et bouillonnant soudainement de rage, l'adolescente accéléra ses recherches en parcourant le couloir avec frénésie, d'un pas presque militaire, et gardant ses bras allongés devant elle. Vince se mit à rire.

- Si tu te voyais ! lança-t-il, hilare. Tu as vraiment l'air ridicule, à tâtonner comme ça dans le vide !

Le visage de Cat vira au rouge pivoine, tant sa furie était immense. Il se moquait d'elle ! Il la faisait tourner en bourrique ! Il lui faisait perdre son temps ! Le petit sadique ! Il savait bien que c'était impossible, pour elle, que de l'attraper, puisqu'il était totalement invisible et qu'il pouvait prendre la fuite à tout moment. La partie était désespérée. Elle n'allait jamais s'arrêter ! Et les rires, eux, continuaient, attisant de plus en plus la colère de Cat.

- On dirait une vieille momie pas réveillée ! pouffa Coincoin.

- Arrête tes conneries, c'est pas drôle !!! s'emporta la brune, en écartant ses deux bras et en se mettant à tournoyer violemment sur elle-même, comme une toupie, le tout en parcourant la longueur entière du couloir.

Cette fois-ci, c'était trop pour Vince, dont les gloussements d'agonie résonnaient dans tout le corridor.

- Arrête ! supplia-t-il. Tu me fais trop rire !

- C'est toi qui vas arrêter de rire !!! cria Cat. Tu m'énerves !!!

- Ah ! Tiens ! s'exclama l'Animagus. Tu cuis !

Mais Cat ne se prêta même plus à la plaisanterie. Complètement à bout, et la figure cramoisie de rage, elle se mit à proférer des menaces hystériques :

- COINCOIIINNN !!! hurla-t-elle avec fureur. C'EST TOI QUE JE VAIS FAIRE CUIRE, MISERABLE CANARD !!! JE VAIS TE FAIRE CUIRE EN CIVET !!! DECOUPE EN TRANCHES !!! DU RAGOÛT DE COINCOIN !!! AH AAAH AAAAAH !!! s'esclaffa-t-elle, avec des yeux de démente.

- Cathie ? Tout va bien ?

A ce moment précis, le coeur de Cat voltigea dans sa poitrine, et elle se dit que ce n'était pas possible, ça ne pouvait pas lui arriver, pas à elle, pas dans ces conditions si humiliantes, et surtout, surtout pas avec lui ! Elle reconnut sa voix unique et suave dès le premier instant. Dès qu'il l'avait appelée par son prénom, elle avait su que c'était lui. Horrifiée, la jeune fille se retourna doucement, pour venir rencontrer de ses yeux la seule autre personne visible dans ce couloir : Remus Lupin.

L'homme aux cheveux châtains et aux cicatrices sur le visage gardait ses mains enfoncées dans les deux poches de son pantalon gris, et penchait légèrement sa tête, pour dévisager Cat de son regard inquiet. Dieu qu'il était adorable et beau, comme ça ! Mais, ciel ! Qu'est-ce que Cat aurait donné pour que ce ne soit pas lui qui la découvre ainsi, criant à tue-tête des menaces culinaires et riant à gorge déployée, comme une forcenée, dans un couloir entièrement désert... Qu'allait-il penser de son élève, maintenant ? Que c'était une folle ! Une malade ! Qu'il fallait la transférer de toute urgence à l'hôpital Ste Mangouste, pour les maladies incurables. Certes, Rogue, McGonagall, Flitwick ou un autre prof aurait pu penser la même chose, en la surprenant dans une pareille attitude : ça ne l'aurait pas dérangée. Mais lui, c'était différent. Lui, c'était l'homme qu'elle aimait. Et elle ne supportait pas de s'être ridiculisée devant lui, tout comme elle ne pouvait soutenir l'idée qu'il pense du mal d'elle. La situation était catastrophique et honteuse, mais il fallait absolument trouver des excuses pour réparer les dégâts et remonter dans l'estime de Mr Lupin. Et, par pitié, pensa Cat avec exaspération, il fallait absolument que ce Coincoin invisible cesse de suffoquer de rire derrière son dos.

- Dé... Désolée..., balbutia la jeune fille, qui était rouge écarlate. C'est parce que... j'ai... j'ai faim ! Et, vous savez, quand j'ai faim, je ne contrôle plus rien ! Je me mets à crier, jusqu'à ce que j'aie l'estomac rempli ! Je sais, c'est bizarre, mais c'est comme ça ! Et là, par exemple, j'ai envie de canard, alors, euh... il me tarde d'aller dîner dans la Grande Salle ! conclut-elle dans un petit rire gêné, tandis que, derrière elle, Coincoin agonisait de rire.

- Je comprends ! dit finalement Mr Lupin, d'une voix enjouée. Moi aussi, j'ai parfois bon appétit ! Mais de là à hurler dans les couloirs...

- Je suis désolée, avoua à nouveau Cat, d'un air sincère. Je tâcherai de me maîtriser, la prochaine fois...

Le sorcier sourit amicalement.

- Allez, fit-il en riant. J'espère pour vous qu'il y aura... du « ragoût de canard en tranches », au dîner !

Cat rigola à son tour, avant que le professeur Lupin ne la quitte en lui disant bonsoir et en la laissant à nouveau seule dans le corridor.

- Eh bien ! s'exclama finalement Vince, au bout de quelques secondes de silence. Choixpeau ! Je ne pensais pas que tu allais aussi bien t'en tirer avec le professeur Lupin !

- Toi, je vais vraiment te tuer !!! grogna Cat, en reprenant les hostilités.

- Eh oh ! la stoppa Coincoin. Tu as envie que le professeur Lupin revienne pour t'engueuler, cette fois-ci ? Bon, alors calme-toi. Pour te récompenser et honorer le sang froid exceptionnel dont tu as fait preuve face au terrible professeur Lupin, je vais retirer ma cape d'invisibilité et te la donner.

Sur ce, le Serdaigle aux cheveux châtains et aux yeux verts apparut juste à la droite de Cat, découvrant sa tête, puis son corps tout entier, de son vêtement magique. La brunette resta bouche bée face à ce phénomène incroyable, qu'elle n'avait encore jamais vu. Pendant ce temps, Vince repliait soigneusement sa grande cape en soie, d'un bordeaux profond, et tissée de petites fleurs de lys en or.

- Pas étonnant que je n'arrivais pas à te trouver, avec ça, s'exclama Cat. Les chances n'étaient pas de mon côté !

- Oh, arrête ! protesta Vince. Je pouvais très bien me prendre les pieds dans ma cape, et, dans ce cas, les chances n'étaient pas non plus de mon côté. Enfin..., soupira-t-il, en tendant le manteau à Cat. Tiens !

- Ouaaah ! jubila celle-ci, en prenant la cape avec une admiration naïve. Merciii !

- Oh, de rien ! C'est naturel ! Je ne savais plus quoi en faire, de cette cape. Je ne me doutais pas qu'elle resservirait un jour ! Comme ça, tu vas pouvoir le regarder, ton grand balafré !

- Quoi ? Pardon ? rugit Cat, en saisissant brusquement la cravate de Coincoin. Comment tu l'as appelé ?

- Ben oui, tu n'as pas remarqué ses deux grandes cicatrices, sur sa figure ? se justifia le châtain. C'est ça, être prof ! C'est un métier à risques ! Les accidents de travail arrivent vite ! En l'occurrence, lui s'est endormi sur deux crayons à la fois ! Ca a laissé la marque...

- Tu te moques de la profession qu'il exerce, mais il n'empêche que c'est un prof excellent ! Le meilleur de tous, même !

- Oui, oui, oui, acquiesça Vince, sans conviction. Evite quand même d'aller l'observer pendant une heure de cours qu'il a avec ma classe...

Le jeudi suivant, Cat fut donc prête à accomplir son méfait, la cape d'invisibilité de Vince soigneusement cachée au fond de son sac. Prête était tout de même un bien grand mot, vu qu'elle passa son heure de Potions à stresser, et à enchaîner erreur sur erreur, dans la préparation de sa Pimentine, manquant même de faire exploser son chaudron, en y ajoutant un mauvais ingrédient. Axelle interpréta son anxiété comme le fait qu'elle s'en voulait d'avoir cogné le nez du professeur Rogue, et qu'elle redoutait maintenant plus que jamais ses répliques. Enfin, quand la sonnerie retentit, délivrant Cat de sa journée de cours, le coeur de la jeune fille se mit à tambouriner contre sa poitrine, et ce fut déjà pleine d'adrénaline qu'elle se leva de sa chaise et qu'elle prit congé de ses copines, avec un nouveau prétexte.

Elle n'avait qu'une peur (autre que celle, évidemment, que le professeur Lupin la découvre sous sa cape d'invisibilité pendant son cours), c'était d'arriver trop tard. Car si la porte de la salle de Défense contre les forces du mal était fermée, c'était fini pour elle. Elle ne pourrait pas frapper et entrer, puis refermer gentiment la porte, et prier pour que Mr Lupin croie qu'il s'agissait d'un courant d'air. Ce fut pour cette raison qu'elle grimpa les marches des escaliers quatre à quatre, et que tous les élèves qu'elle croisa sur son chemin la regardèrent d'un drôle d'oeil, surpris de voir une fille aussi pressée d'aller en cours. Oui mais, quel cours ! De surcroît, Cat eut une chance incroyable : aussitôt après s'être arrêtée dans un recoin désert du couloir, pour enfiler sa cape, elle fonça en courant jusqu'à la porte de Mr Lupin, et arriva juste à temps : les quatre derniers Poufsouffle de la rangée franchissaient le seuil de la porte, et leur professeur se tenait encore à côté, attendant qu'ils soient entrés pour fermer la marche. C'était le moment ou jamais. Il fallait se glisser entre le dernier élève et le professeur Lupin, et surtout ne pas laisser passer celui-ci avant elle, sinon c'était fini.

Saisie d'élan et d'audace, la brunette se précipita à la suite du petit Poufsouffle qui clôturait la file, frôlant Mr Lupin de quelques centimètres, et le devançant ainsi. Tout le problème fut que le première année devant elle n'avançait pas fort vite, et que, bientôt, Cat se retrouva coincée entre cet imbécile et le professeur Lupin, au moment même de franchir le seuil de la porte. Naturellement, l'homme derrière elle ne pouvait pas la voir, et il pensait qu'il n'y avait rien entre lui et le Poufsouffle de devant. Si jamais l'enseignant accélérait, il allait donc lui rentrer dedans. Par chance, lorsqu'elle fut pénétrée à l'intérieur de la salle, Cat réussit à se dégager de cet étau, et ce fut avec le coeur battant à tout rompre qu'elle décida de s'éloigner le plus vite possible de tout ce monde. Les jambes tremblantes, elle dépassa chaises et tables d'élèves, pour se diriger rapidement vers le bureau du professeur, à l'autre bout de la salle.

Encore essoufflée, mais peu à peu soulagée de s'en être aussi bien sortie, elle se posa entre le bureau de Mr Lupin et l'avant dernière grande fenêtre de la pièce, ayant ainsi une vue entière sur la classe de Poufsouffle déjà installés - vue assez impressionnante, et, à vrai dire, celle qu'avait quotidiennement Mr Lupin. Celui-ci arriva justement dans la direction de Cat, d'une allure presque décidée, et, subitement, toute la paranoïa de la jeune fille refit surface, pour lui dire qu'elle était fichue, que le professeur Lupin l'avait vue (malgré sa cape d'invisibilité) et allait la mettre à la porte. A cette horrible pensée, le sang de Cat se glaça, et elle ouvrit de gros yeux effrayés, lorsqu'elle vit l'enseignant se rapprocher d'elle. Mais alors elle se dit que, s'il avait percé le mystère de sa cape d'invisibilité, il l'aurait interpellée dès le seuil de la porte d'entrée. A présent, s'il s'avançait vers elle, c'était simplement pour se rendre à son bureau. Et si elle restait plantée là, en travers de son chemin, il allait assurément lui rentrer dedans et la découvrir. Il n'était plus qu'à un mètre d'elle (et comme il marchait vite, le risque était imminent), lorsqu'elle se résolut enfin à s'écarter. Légèrement paniquée, elle fit un pas sur le côté, et le châtain passa à sa gauche, la frôlant presque, pour regagner son bureau.

Encore saisie par l'émotion, et les membres décidément tremblants, la brunette poussa un soupir intérieur de soulagement : elle l'avait esquivé. Pour plus de sécurité, elle décida de s'éloigner de lui légèrement - car il restait toujours debout derrière sa table, et les chances pour qu'il refasse quelques pas dans la salle n'étaient pas inexistantes. Elle s'engagea donc un peu plus dans le fond de la pièce, précisément dans le recoin encadré par la dernière grande fenêtre et les escaliers de pierre qui conduisaient au bureau privé du professeur. Derrière elle se tenait une petite étagère, remplie de livres, et devant elle... Mr Lupin, debout derrière sa table, les mains posées dessus, pour s'appuyer légèrement. Elle le voyait de dos... Mais peu importait, maintenant qu'elle avait fait le plus gros du travail : pénétrer incognito à l'intérieur de la salle. Désormais, elle y était ! Et elle était libre de tout faire ! De se déplacer où bon lui semblait, d'observer Mr Lupin de dos, de profil, de face, de loin, de près. C'était si fantastique, qu'elle-même n'arrivait pas à le croire ! Diable, comment ces élèves qui se tenaient face à elle faisaient-ils pour ne pas la voir ? C'était impensable ! Ils étaient au moins une vingtaine, et aucun d'eux ne remarquait sa présence ? Ils avaient pourtant tous les yeux braqués dans sa direction ! Et Remus Lupin, lui, le plus brillant de tous les sorciers, le plus talentueux de tous les profs, il s'était tenu à quelques centimètres de Cat, au moment d'entrer dans sa salle, il avait failli lui rentrer dedans, au moment de rejoindre son bureau, et il n'avait rien suspecté d'anormal ? Il n'avait détecté aucune présence ? C'était impossible ! Elle était là, elle existait, elle respirait (un peu trop rapidement), elle se déplaçait (pas trop, pour l'instant), et personne ne la voyait ? C'était inconcevable !

Mais c'était, bel et bien, magique. Cat était invisible ! Pour de vrai, pour de bon ! Elle qui avait toujours rêvé de l'être, elle l'était, maintenant ! Alors elle n'allait tout de même pas se plaindre ! Elle se sentait souvent transparente, en présence des autres : souvent, personne ne lui parlait, personne ne lui jetait un regard, personne ne semblait se rendre compte de sa présence. Elle était ignorée, à tel point qu'elle trouvait tout cela incroyable (comme elle le faisait aujourd'hui), et qu'elle se demandait même si les autres allaient la remarquer si elle se mettait subitement à sauter dans tous les sens ou à chanter du Avada Kedavra à tue-tête. Malheureusement, elle savait au fond d'elle que cela n'allait pas se révéler vrai, et que, à la moindre parole d'une chanson de Avada Kedavra prononcée, tous les autres allaient se retourner vers elle, d'abord surpris, ensuite moqueurs. Hélas, oui, c'était ainsi : elle n'était jamais transparente quand il s'agissait d'être la risée de tout le monde. C'était pourquoi, lorsqu'elle se sentait ignorée, elle n'osait faire le moindre geste extravagant, et demeurait dans son état de fantôme ou de meuble, rêvant simplement à devenir, pour de vrai et pour de bon, totalement invisible.

Aujourd'hui, ce fantasme se réalisait, et à son plus grand profit. Pour un but dont, quelques mois auparavant, elle n'aurait jamais soupçonné le plaisir : observer Mr Lupin autant qu'elle le voulait, sans retenue et sans se préoccuper du regard des autres.

Mais, pour l'instant, c'étaient les élèves qui regardaient attentivement le professeur Lupin. Ce dernier leur annonçait de sa voix enjouée la leçon qu'ils allaient étudier durant cette heure, et tous les Poufsouffle, sans exception, l'écoutaient avec le plus vif intérêt, leur regard braqué sur lui. Cat était frappée de voir une classe de première année aussi sage et concentrée, aussi intéressée et admirative. Car c'était une vraie lueur d'émerveillement qui brillait au fond de leurs yeux. Cat devait-elle être jalouse de voir qu'elle n'était pas la seule à vénérer Mr Lupin ? Non. Elle savait qu'il le méritait amplement, d'être ainsi admiré par tous ses élèves. Après le petit discours de leur prof, ceux-ci se mirent alors à ouvrir leur bouquin de Défense contre les forces du mal et à sortir leur cahier de leur sac, dans le but de faire un exercice d'introduction à la leçon, d'après ce qu'en avait entendu Cat. L'enseignant, quant à lui, s'assit enfin derrière son bureau, et tourna les pages du carnet qui était posé devant lui. Il saisit ensuite sa plume, la trempa précautionneusement dans son encrier, puis se mit à rédiger quelques lignes. Sans doute tenait-il ici le registre de tous ses cours...

Voyant que tout le monde était en train d'écrire, à la fois le prof et les élèves, et que la classe était plongée dans un profond silence de concentration et d'intellect, Cat décida de faire quelques pas. Certes, elle n'allait pas faire un tour complet de la salle, ni se promener entre les rangées de tables. C'était bien mieux que ça : elle allait se poser juste devant le bureau de Mr Lupin, et le regarder de face, de près, en train d'écrire. La jeune fille invisible quitta donc sa retraite, pour s'approcher un peu de ces individus qui ne se doutaient pas de sa présence. Elle se glissa discrètement entre la table de Mr Lupin et celle du premier rang, occupée par deux Poufsouffle, à qui elle jeta un regard oblique, pour s'assurer qu'ils ne l'avaient pas remarquée. Soulagée de voir que tous les deux gardaient le nez collé contre leur cahier, absorbés par leur exercice, Cat put alors se concentrer sur le professeur Lupin.

Cela faisait tout drôle de le voir assis, face à elle, alors qu'elle se tenait debout. Il paraissait naturellement plus petit, presque inférieur, à côté d'elle. C'était comme si la hauteur de la jeune fille lui faisait prendre le dessus sur lui. Quel inversement des rôles ! L'élève qui dominait le professeur. L'élève qui regardait le professeur travailler. Cat se sentait gênée. Sans vraiment réfléchir à ce qu'elle faisait, elle se baissa et s'assit sur le sol en parquet, replia ses jambes contre elle, en les entourant de ses bras, et regarda à nouveau Mr Lupin. Cette fois-ci, c'était mieux : il avait à nouveau l'air plus grand qu'elle. Elle venait de lui restituer sa place de maître, cela la rendait contente, cela lui plaisait. Elle préférait largement le voir ainsi, sous cet angle, en contre-plongée, et l'observer en levant les yeux vers lui, dans une position de soumission subjuguante.

Oh oui, elle était véritablement subjuguée par la beauté de ses traits, maintenant qu'elle pouvait les étudier ainsi. Ses cheveux châtains, propres et soignés, dans lesquels venaient se baigner les infimes rayons du soleil, qui avaient réussi à transpercer les lourds nuages du ciel et à passer au travers des vitres de la salle. Rayons qui éclairaient ses cheveux courts, les faisaient briller, et leur conféraient des nuances charmantes, allant du brun clair au roux, en passant par une couleur caramel. Les mèches qui lui tombaient sur le front étaient définitivement les plus craquantes, lui donnant un petit air insouciant et décontracté. Ses yeux, quant à eux... Aaah, ses yeux ! Ils étaient baissés sur les pages du carnet, mais ils resplendissaient toujours de cet éclat ambré et magique. Peut-être un peu moins vivement que d'habitude, mais c'était parce que le professeur Lupin était concentré dans son travail, et qu'il écrivait sérieusement. Dans tous les cas, ses yeux avaient quelque chose de merveilleux : ils donnaient envie de les regarder sans relâche, pour l'éternité, si c'était possible, de plonger dedans jusqu'à s'y noyer et y sombrer. Une mort enchanteresse, si c'était pour Remus Lupin.

Les deux fines cicatrices qui balafraient son visage blanc, elles aussi, atteignaient le coeur de Cat. Elle avait à la fois envie de pleurer de compassion, pour la souffrance qu'avait dû endurer cet homme, et à la fois envie de passer ses doigts, son index et son majeur, sur ces deux lignes cicatrisées, de retracer leur chemin en une douce caresse sur sa peau, dans l'espoir peut-être de le guérir à jamais de ses blessures - dans un plaisir intense, aussi. Ses lèvres, enfin... Cat gardait-elle le meilleur pour la fin ? A vrai dire, tout était bon, chez lui... Ses lèvres roses, donc, surplombées de façon indissociable par sa très fine moustache. Oh, ciel, cela devait lui prendre des heures, pour obtenir une moustache pareille ! Aussi mince, aussi discrète, aussi élégante, aussi délicate, aussi bien rasée ! Car elle était très sophistiquée : n'étant presque que deux traits bruns, partant chacun d'un côté opposé, et terminant leur course aux deux coins de la bouche, laissant un petit espace nu au beau milieu du dessus de la lèvre supérieure. Et pour en revenir aux lèvres... Oh, Cat ne savait pas si elle avait le droit de les regarder de cette manière, elles qui l'attiraient tant, qu'elle aurait tant aimé effleurer des siennes et embrasser. Elles étaient si invitantes... Aaah, ciel, ce Remus Lupin était si beau ! En avait-il conscience ? Le savait-il, qu'il était magnifique ? Non ? Dans ce cas, Cat aurait pu le lui dire, elle se serait fait une joie de le lui souffler dans l'oreille ! Elle était invisible, elle pouvait le faire... Mais il ne fallait pas abuser non plus. C'était beaucoup trop risqué.

Au bout de quelques minutes (qui passèrent comme des secondes, pour la jeune fille qui ne quitta pas une seule fois son regard de Mr Lupin), le professeur se leva de sa chaise, et Cat se remit debout, elle aussi. Elle contourna son bureau, tandis qu'il s'approchait de ses élèves pour venir se poser précisément à l'endroit où la brunette s'était assise. Ici, il s'appuya légèrement contre sa table qui se tenait derrière lui, et, faisant face aux Poufsouffle, il s'adressa à eux pour savoir s'ils avaient fini leur exercice. Tous répondirent un « Oui, monsieur » à l'unisson, lorsque Cat atteignit l'endroit initial où elle s'était plantée : juste à côté de l'avant-dernière grande fenêtre, et à la droite du bureau de Mr Lupin. Elle pouvait désormais l'observer de profil, souriant de satisfaction de le voir et de l'entendre aussi bien.

Son sourire admiratif et conquis ne la quitta pas. Elle resta figée à cet endroit durant toute la continuation du cours et jusqu'à sa fin. Elle ne vit pas passer l'heure. Lorsque la cloche sonna, elle fut vraiment lente à se décider à quitter le professeur Lupin. C'était comme si elle était devenue une plante, dont les racines avaient poussé et s'étaient enfoncées dans le sol. Elle ne pouvait plus bouger. Elle ne voulait plus bouger. Pourtant, il le fallait bien : tous les Poufsouffle avaient rangé leurs affaires, et tous sortaient de la salle, enthousiastes à l'idée d'avoir encore tant appris en Défense contre les forces du mal.

Alors elle fit un pas, et déracina par la même occasion, bien malgré elle. Elle commença à avancer, et s'aperçut qu'elle titubait légèrement. L'émotion, sans aucun doute ! Elle avait vécu cette heure de cours avec Mr Lupin comme un rêve. Il était donc naturel d'avoir du mal à sortir de ce si beau songe. Le dernier Poufsouffle quitta bientôt les lieux, laissant désormais Cat seule avec Mr Lupin. Bien sûr, celui-ci, assis derrière son bureau, pensait qu'il ne restait plus personne. A contrecoeur, et ne cessant de lui jeter des regards en arrière, Cat marcha (pas très droit) jusqu'à la sortie. Lorsqu'elle atteignit la porte, elle se retourna alors une dernière fois vers le professeur Lupin, qui lui semblait maintenant bien loin, à l'autre bout de la classe.

Elle le remercia tendrement, par la pensée, de lui avoir fait passer un aussi agréable moment, grâce à sa simple personne, et lui déposa mille baisers invisibles sur les joues, sur la bouche et dans le cou. Puis elle prit enfin congé de lui, franchissant la porte, les oreilles encore bercées par le doux son de sa voix, les yeux tout pleins de lui.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top