Chapitre 8: Tâche marron sur chemise blanche

Mercredi matin, Central Park

Je me suis réveillée plus tôt que d'habitude ce matin. J'avais besoin de prendre du recul sur les deux derniers jours et mettre en ordre tout ce que j'avais appris.

Ma mère m'a toujours dit de faire attention, de ne pas parler à des inconnus et de me protéger de toutes sortes de préjudices. Le problème, c'était que la source directe de mes préjudices, c'était mon « adorable « patron – notez l'ironie – avec qui j'avais eu droit à un déjeuner et qui m'avait fait signer, contre mon plein gré, un contrat aux fins douteuses.

Je n'ai jamais été bonne menteuse, alors jouer le rôle de la petite amie de Monsieur le grand patron allait être drôle. Cependant, la réceptionniste Lucinda et l'homme qui avait interpellé m'avaient tous les deux prises pour sa nouvelle conquête. Peut-être que ça s'annonçait bien finalement.

Non, il y a encore un autre problème, et là, je vois rouge. Vous l'avez compris, nous étions quatre assistants aux services d'Andrew Barnes, fondateur de Mediatics et « papounet » de Caleb Barnes, notre nouveau PDG, mais celui-ci a pris sa retraite. Et puis pour une belle sortie, il a fait entrer son premier bébé en bourse et son second en tant que nouveau dirigeant le même soir. C'est beau, c'est idyllique n'est-ce pas ? Pas vraiment à vrai dire. Dorothy Jones, Dory la dorade pour les intimes, ou Dory la boule à facette pour Barnes, a été virée, car elle a rendu une pile de dossiers une minute après Merry Clarke. Injustice pure et dure à laquelle j'ai été mêlée.

Et oui, la bonne poire dévouée, c'est moi. C'est moi qui ai dû annoncer la nouvelle à ma collègue. C'est toujours moi qui l'ai apparemment appelée pour un rendez-vous avec son ancien patron, et visiblement, ça s'est mal passé. C'est encore moi, parce que l'on ne change pas une équipe qui gagne n'est-ce pas, qui me suis pris tout dans la tronche, sans broncher. Juste deux jours et tout est bouleversé.

La seule constante, c'est Ashton. Il est toujours le même et ce n'est pas plus mal d'ailleurs.

Il est sept heures et demie et la nuit caresse encore quelques minutes New York. Certains sont déjà en train de faire leur jogging matinal dans le parc tandis que je marche sans trop savoir où aller, à travers les allées, les boissons Starbucks dans les mains. Puisque Dory n'est plus, il reste un emplacement vide, ce qui me rend triste.

Mon premier Noël à New York ne ressemblera décidément pas à celui que je me faisais idée la semaine dernière encore. Merry et Dave m'ont appris hier soir avant de partir que Dory les avait invités à fêter Noël ensemble, sans me mentionner. Il était évident que Dorothy ne voudrait pas le passer avec moi, mais j'avais encore de l'espoir. Je ne suis pas sûre qu'Ashton sera là.

Une dame vient de me foncer dessus, manquant de me renverser. Je me retourne outrée lorsque je l'entends dire « Faites attention merde ! ». Quelle connasse ! C'est elle qui était concentrée sur son Apple Watch et qui m'a violemment heurtée ! Une vague de chaud me brûle un peu la peau.

« C'est à vous de faire attention merde ! hurlé-je en retour. »

La femme est déjà loin et n'a pas dû m'entendre. Je peste dans ma barbe quand je regarde l'état de ma chemise blanche. Une énorme tâche de chocolat décore le haut. Génial.

« Putain de mer-

— Je peux vous aider, madame, dit une voix masculine, à mes côtés. »

Je lève la tête, énervée, vers la voix un peu âgée. C'est un homme d'une soixantaine d'années, habillé d'un manteau noir.

« Non, merci, ce n'est pas nécessaire monsieur. Je frotte mon haut en m'éloignant rapidement.

— Madame Lawford ! Je viens vous chercher ! dit l'homme, en me suivant de près. »

Je m'arrête, surprise, comme sait-il mon nom lui ?

« Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ? »

Il toussote puis dit d'une voix claire :

« Je suis le chauffeur de Monsieur Barnes. Il m'a dit de venir vous chercher pour vous briefer sur votre journée. Je m'appelle Samuel et je suis ravi de vous rencontrer. Il tend sa main pour me saluer. Je la lui rends méfiante.

— Comment avez-vous su que j'étais ici ? Ce n'est pas une de mes habitudes de venir à Central Park.

— Disons que je vous ai un peu suivi. Je me recule, effrayée. Ne vous inquiétez pas ! J'aurais dû vous approcher pour vous ramener chez Monsieur au moment de votre sortie, mais quelqu'un m'a retenu. Ce n'est que lorsque vous vous êtes pris en pleine figure cette femme que j'ai décidé de vous aborder. »

L'explication de Samuel semble sincère et nous ressentons tous deux une immense gêne.

« Je suppose que je dois vous suivre, n'est-ce pas ? dis-je, en me positionnant aux côtés du chauffeur qui hoche la tête. Il avance et je le suis à trace. »

Nous marchons à travers les allées puis rejoignons la voiture noire qui nous attend dehors. Il est 7h50 et les routes sont déjà blindées de voitures. La Grosse Pomme est un cœur qui ne s'arrête jamais et dont le sang est fait de tôles sur roues, d'os et de chair. Je monte dans le véhicule alors que Samuel se penche pour m'ouvrir la porte, en rentrant, je le remercie et remarque une chemise blanche qui m'attend sur le siège passager. C'est de la pure sorcellerie.

« Merci pour la chemise Samuel.

— Ce n'est rien Madame Lawford.

— Appelez-moi Olivia. Nous allons être amenés à nous côtoyer quotidiennement, et ce, jusqu'au 31.

— Bien Olivia. Nous devrions arriver dans quelque temps. »

J'enfile ma chemise en faisant attention à bien me tourner pour que le chauffeur ne soit pas déconcentré par ma poitrine. Vous connaissez les hommes, hein.

Mon regard observe à travers la fenêtre le paysage new-yorkais. De grandes bâtisses semblent gratter le ciel, toucher les étoiles, tout en étant recouvertes par d'étranges fentes vitrées qui s'allument tour à tour. Sur les trottoirs, ce sont toujours les mêmes mouvements migratoires. Les hommes d'affaires, même s'il est tôt, courent dans les sens, téléphone vissé à l'oreille, attaché de case presque vide. C'est sans doute pour se faire un style plus professionnel. Certaines femmes sont là, mais elles sont plutôt en groupe de deux, trois personnes, à rire. Elles sont toutes des copiés collées de Carrie Bradshaw, wonders women modernes sur talons hauts avec comme arme leur travail et la longueur de leur salaire qui en ferait pâlir plus d'un. Et puis, mais c'est plus rare, il y a de jeunes femmes et de jeunes hommes qui arrivent pour la première fois à New York, la ville de tous les possibles, les rêves pleins la tête et la forte impression de désillusion.

Évidemment, il y a un fleuve de voiture qui claironne en rythme. Ils font comme les Français, mais en ne les insultant que par la pensée, peut-être. Le mystère restera entier.

Nous sommes dans Upper East Side tout à coup. Les rangées d'immeubles de luxe se font tout le long de chaque rue, agrémentée d'arbres et de voitures plus chères les unes que les autres. Il y a de vieilles dames qui sont avec leurs chiens purs race, plus chers qu'une maison et qui se baladent fièrement. Ça n'empêche pas que quand des canidés poussent leur petite pêche, ce sont des employés de maison qui nettoient à la place de la maîtresse. Ça démontre bien la puissance, la luxure et la richesse que porte Upper East Side en son sein.

Je suis même entièrement convaincue que l'eau de l'évier et de la douche doit être d'une clarté incroyable et qu'elle doit même avoir une douce odeur. Tant qu'à faire les choses, autant les faire bien.

« Nous sommes arrivés Olivia. Vous pouvez descendre. L'appartement de Monsieur Barnes est au dernier étage, dans l'immeuble de style Art déco. Je vous attends ici. À tout à l'heure madame.

Je le remercie en lui tapotant l'épaule et lui réponds « à tout à l'heure » avant de ne poser mes talons sur le trottoir pavé. J'avance vers l'entrée et atterris devant un réceptionniste qui me reçoit en me détaillant de haut en bas. Sur son icône en plaqué or, il y a inscrit G. Winston.

« Bonjour, je m'appelle Olivia Lawford et je dois me rendre chez Monsieur Caleb Barnes. Une affaire importante à régler. Je souris chaleureusement et espère que Winston ouvrira l'ascenseur.

Monsieur Barnes n'en avait pas prévu. Je suppose que vous êtes sa nouvelle conquête. Il passe vite à autre chose celui-là... Il se penche vers moi et glisse silencieusement. Si j'étais vous, je ne resterais pas avec lui, c'est un vrai monstre...

— Je l'avais déjà compris Winston, je l'avais déjà compris... »

Nous gloussons ensemble et il m'indique les portes de l'ascenseur qui s'ouvrent devant moi.

« Peut-être que vous êtes la bonne après tout. Mais faites attention à vous, madame, être la compagne de Caleb Barnes est une tâche difficile. »

Je rentre dans l'ascenseur et dis au moment où elle se ferme :

« Je saurais m'en souvenir, merci ! »

Les portes se ferment et j'appuie sur le bouton du dernier étage. La cage est recouverte de marbre et de moulures en plâtre peint en couleur dorée. Je ne peux m'empêcher d'émettre un sifflement devant tant de beauté luxueuse. Je n'ai que le temps pour replacer ma coiffure et vaguement arranger ma tenue lorsqu'on me permet enfin de sortir de cet endroit. Je débouche automatiquement sur une entrée minimaliste qui dénote avec le style extérieur du bâtiment. Une causeuse accoudée à une console noire, un petit mot en papier blanc plié en montagne dessus. Mes talons claquent contre le parquet, jouant une mélodie et provoquant d'immenses échos dans tout le corridor. Sur le devant de la note, il y est inscrit mon prénom. Je le prends dans les mains et l'ouvre. Dedans, il n'y a que cinq mots et une signature, écrit à la machine à écrire.

« Rejoignez-moi dans le salon. – C »

Le salon. D'accord. Mais où est le salon ? Il n'y a pas un guide touristique pour indiquer les pièces, genre plan Disneyland ? Pour vous situer, je suis actuellement dans un immense couloir blanc avec quelques tableaux qui décorent les murs et une dizaine de portes. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, tu sais que ça va te prendre des heures, mais tu essaies quand même, comme une abrutie. Non, je ne fais de discriminations pour ceux qui ont déjà essayé !

Maintenant, le jeu est de trouver la bonne porte. Au moment où je pose ma main sur la première poignée, une petite femme un peu ronde déboule, un plumeau micro fibre dans les mains. Ma sauveuse est là !

« Madame, je m'approche en trottinant vers elle, excusez-moi de vous déranger dans votre travail, mais pourriez-vous m'indiquer... »

La femme ne me laisse pas le temps de finir qu'elle dit, d'un très léger accent portoricain :

« Vous êtes la petite Anglaise de Monsieur ? Je hoche la tête, confuse. Elle tapote dans ses mains, un large sourire sur les lèvres. Oh, il n'avait pas menti...

— Menti sur quoi ? réponds-je, avant de me refaire couper par cette petite femme, qui me prend les mains.

— Sur des choses... particulières, elle cligne de l'œil et me tire vers un petit renforcement que je n'avais pas vu.

— Merci beaucoup... Elle se rapproche de moi puis passe sa main qu'elle a dégantée pour la passer sur mes cheveux.

— Madame, sachez que Caleb est un ange... Ne vous arrêtez pas à la première image que vous percevez de lui. »

Elle me pousse, me salue puis part, comme une ombre. Elle a complètement disparu, lorsque je reviens sur mes pas. Bien, je me retrouve encore seule. Je jette un regard sur ma montre, prends ma respiration et commence à avancer vers le salon. Je me fais la remarque que tout est trop blanc ici. C'est très clinique.

J'arrive enfin devant le salon, mon long manteau dans les bras. J'expire une ultime fois puis rentre entièrement dans la pièce.

Un grand canapé en angle me fait face, Caleb Barnes a une tasse fumante dans la main. Il la porte aux lèvres et sans me regarder, il dit :

« Vous êtes enfin là ? Vous n'êtes pas un modèle de ponctualité visiblement.

— À vrai dire, ce ne m'est arrivé qu'une fois en 3 jours. Et je n'étais pas réellement en retard, j'étais là comme d'habitude. Je ne savais pas qu'il y avait une réunion si tôt... Avant les réunions de Monsieur Barnes senior était à 10 heures...

— Or, et il faut que vous l'imprimiez noir sur blanc, je ne suis pas mon père. De toute façon, il était bien trop laxiste à mon goût. Regardez où cela nous a menés. S'il avait été un peu plus sévère, je n'aurais pas à faire cette moisson.

— Certes, mais c'est un homme bon. Un peu sexiste, mais bon.

— Personne n'est parfait Olivia, moi le premier. Il finit d'un trait sa tasse qu'il pose sur une espèce de guéridon. Caleb indique le canapé. Bien, commençons sur ce pour quoi vous êtes venue. »

Ça y est le drame commence.

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