Chapitre 6: Le lion l'a bouffé

La Mercedes noire est bien garée devant l'entrée, Caleb Barnes devant la porte de la plage arrière. En me voyant arriver, il ouvre la portière pour me laisser entrer.

Je m'arrête à son niveau et lui dis :

« Je ne saurais vous remercier pour ce que vous me proposez, Monsieur Barnes.

— Caleb, appelez-moi Caleb en dehors de Mediatics, je vous en supplie. Il sourit et m'indique l'intérieur de la voiture. Montez à présent, vous allez avoir froid à rester dehors. »

J'acquiesce et monte à bord, suivie de près par Caleb. Je me colle à la portière et place un maximum d'espace entre nous deux. Lui, pianote sur son téléphone tout le long de la course. Tant mieux, je transpire de gêne.

Soudain, le véhicule s'arrête. Le trajet fut excessivement rapide, je n'ai pas vu le temps passé et ne croyez pas que c'est parce que je fixe la poignée de la portière avec passion. Mon manque de sommeil doit y être pour quelque chose.

« Lawford ? Caleb claque des doigts devant mon nez. Revenez parmi nous ! Vous n'allez pas rester à l'intérieur de la voiture ? Nous allons être en retard. »

Je me réveille enfin et sors, surveillant que ma tenue soit bien présentable. Il manquerait plus que le patron voit un morceau du haut de la cuisse mal dissimulée par une jupe. En parlant de lui, il s'éloigne précipitamment pour rentrer dans le restaurant, sans m'attendre.

Connard.

« Attendez-moi ! crié-je à Caleb, trottinant vers lui.

— Vous êtes une grande fille et vous avez des jambes, utilisez-les à bon escient. Caleb se tourne vers moi, légèrement dédaigneux. Maintenant, rentrez. »

J'ouvre les yeux en grand, surprise. Quel manque de respect, bordel.

« Je ne vous permets pas ! Un peu de respect !

— Parce que vous croyez encore, vous, au respect ? Il s'esclaffe puis se reprend. Qu'est-ce vous pouvez être naïve ma chère Olivia ! »

Sur ce moment de franche rigolade, Barnes pénètre dans le restaurant. La jeune réceptionniste reste pantoise lorsque mon patron s'approche d'elle pour sa réservation. Elle a les yeux aussi gros que deux soucoupes volantes et ne tente même pas de cacher son admiration devant l'homme. Clairement, elle est en pleine période d'ovulation et ça se sent à cinquante kilomètres. Barnes est accoudé à ce petit pilier et a un espace de regard dragueur.

« Lucinda ! Comment allez-vous ? Je suis très heureux de vous voir ! »

La chère « Lucinda « commence à se tripoter une mèche de cheveux quand elle répond, tentant un excès de charme :

« Monsieur Barnes, quel plaisir de vous voir au sein de notre restaurant ! Tout va bien, je vous en remercie. Je vous emmène à votre table, vous attendez quelqu'un ? »

Je tousse pour signaler ma présence et observe le regard dégoûté de la « grande » Lucinda.

« Oh, elle se repasse sa fameuse mèche derrière son oreille, je vois... Bien, allons-s'y. Lucinda s'avance de façon provocatrice entre les tables. »

La pièce est magnifique et a une atmosphère particulièrement romantique. De grandes arches et de petites tables rondes recouvertes de nappes beiges décorent l'espace et la lumière a une teinte chaude. La moitié de la salle est pleine et, lorsque Caleb arrive, de nombreux hommes d'affaires se lèvent pour l'accueillir ou lui adresser un mot. Un d'eux se lève et le prend dans ses bras puis dit :

— Ah Caleb ! Ça fait si longtemps que nous ne nous sommes pas vus ! Il le tient par les épaules de façon fraternelle et me regarde étrangement. Eh bien, tu es rapidement passé à autre chose mon grand ! Elle ne ressemble pas du tout à Sharon !

Caleb rit de bon cœur puis lui répond :

« Oh elle ? C'est une simple assistante, ne fais pas attention à elle. Elle est juste là pour faire figuration. Des gens auraient parlé si j'étais venu seul, tu sais bien, mon vieil ami...

— Ah ! Je reconnais bien le fils d'Andrew ! Mais je pense que les tabloïds parleront plus du fait que tu sois déjà accompagné alors que ça fait seulement quelques semaines que...

— N'en parlons pas vieil ami. Cette fouine ne doit pas, ou du moins, ne plus être évoqué en ma présence. Je te salue, mon ventre appelle le repas ! Ils donnent une poignée de main puis Caleb s'éloigne en suivant la réceptionniste qui agrandit au maximum son décolleté. Pas une très grande réussite puisqu'elle ressemble à une espèce de vieux saucisson tellement elle est boudinée. »

Alors que je commence à bouillir intérieurement, Lucinda nous dépose dans un endroit plus calme et donne les menus. Barnes m'indique une chaise tandis qu'il s'assoit dans celle d'en face, n'essayant même pas d'être galant. Sa serviette dépliée, son pouce caresse tendrement le tissu. Il semble particulièrement intéressé par sa texture, car il n'écoute même pas la serveuse qui s'est hâtée comme un chien devant une saucisse pour lui demander sa commande.

« Monsieur, que souhaitez-vous commander ?

— Une perdrix rouge et... Il pointe du doigt un vin. Un verre de Pinot noir. »

La serveuse se trouve vers moi puis inscrit une note sur son bloc.

« Je prendrais...

— Elle prendra la même chose, me coupe Caleb, dans un souffle. »

Ça y est, je vois rouge. J'écarquille les yeux lorsque la femme s'éloigne en notant notre – non, la – commande de mon patron. Lui est sur son téléphone et ne me regarde pas. De longues minutes en silence placent une atmosphère de gêne qui s'ajoute à mon énervement d'être traitée comme une vulgaire merde qui n'a pas le droit de s'exprimer. Il faut que je rétablisse l'ordre.

« Bien... Si vous m'avez invité pour juste, je fais de stupides guillemets avec les doigts, faire « figuration » et ne pas avoir le droit de choisir mon plat, excusez-moi, mais je rentre au bureau. Je me lève de ma chaise, mais Barnes me jette un regard noir.

— Assis, immédiatement. »

Je reste stoïque lorsque cet homme pointe du doigt la chaise et glisse son téléphone dans sa poche intérieure de veste. Son regard et son ton m'indiquent que ma place est en jeu si je n'obéis pas dans la seconde donc, pour garder un semblant de source de revenu mensuel, j'exécute son ordre le plus lentement possible. Ma dignité s'échappe peu à peu de moi pendant que je me rassois sur cette foutue chaise à quelques centaines de dollars.

— Vous voulez que j'aboie et que je remue de la queue peut-être ? Non, parce que, au point où nous sommes, ça ne m'étonnerait même plus, dis-je, en espérant que ma pique va le faire réagir.

Barnes s'appuie les coudes sur la table et croise ses mains en me fixant intensément. S'en est limite gênant d'être sondé en un regard.

« Je ne vous ai pas invité que pour manger... »

Voilà, il y avait bien anguille sous roche.

"... À vrai dire... J'aimerais vous confier une affaire personnelle. Il se replace sur sa chaise en se touchant les cheveux.

Que voulez-vous dire par « une affaire personnelle » ?

Laissez-moi finir ! Il reprend plus calmement. J'aimerais que vous vous occupiez de mon divorce. »

Quoi ? Son divorce ?

« Votre divorce ? Vous voulez que je m'occupe de ça ? Vous savez bien que je ne suis pas avocate monsieur !

Évidemment. Vous serez là pour recevoir les appels des vrais avocats incompétents que je paie et filtrer les messages de Sharon Dawson, mon ex-femme. Aussi, j'aimerais que ce soit discret, car, visiblement, il regarde derrière mon épaule l'homme qui l'a pris dans ses bras il y a quelques minutes, certaines informations se sont déjà ébruitées. Et je n'aimerais pas perdre ce que j'ai de plus précieux à cause d'une garce. Il dit ceci froidement et s'arrête quand la serveuse arrive avec le premier plat. C'est un travail que je vous propose, incluant votre disponibilité 24/24 au bureau, et ce, jusqu'au jour du divorce, dans deux semaines, le 30 décembre. »

Lorsqu'elle repart, je lui réponds, confuse :

« Vous êtes en train de me proposer une affaire hautement secrète style 007 alors que je ne suis que votre assistante. Sérieusement, vous blaguez ? Je pique mon premier morceau de nourriture avec ma fourchette et jette un coup d'œil sur Barnes qui n'a pas encore touché à une seule bouchée. Vous devriez manger avant que ce ne soit froid, Caleb. »

Étrangement, il commence à manger dans un sourire, mais après avoir porté un morceau à sa bouche, il repose sa fourchette et recommence son regard de... Comment dire... De prédateur serait un bon mot pour définir. C'est National Geographic Channel dans ses yeux et je ne manquerais pas de le souligner.

Simple mesquinerie n'est-ce pas ?

« Vous êtes d'accord ? »

Je reste interdite à fixer son plat, évitant tout contact visuel avec le lion que j'ai en face de moi. Il risquerait de me bouffer tout cru sinon et je vous jure que ce ne serait pas bien beau à voir...

« Puisqu'il faut en arriver là... Combien ? dit-il, me sortant de mes pensées.

— Combien ? C'est-à-dire « combien » ?

— Combien voulez-vous sur votre salaire en plus ? Caleb joue dangereusement avec la pointe de son couteau et affiche une mine blasée. C'est simple comme question !

— Vous êtes sérieux là ? Vous m'achetez pour votre besogne juridique et personnelle ? C'est moi qui dois m'occuper de votre épine dans le pied ? Et puis je dois l'arracher et désinfecter votre plaie tant qu'on y est ? Je bouillonne. »

Quant à lui, il s'esclaffe de rire, seul.

« Ah Lawford... Vous n'êtes pas ma mère, et c'est mieux ainsi d'ailleurs, alors ne vous considérez pas de la sorte. Mais oui, je demande à vous un grand service que vous êtes obligée d'accepter de toute façon donc arrêtez de nous faire perdre du temps et accepter. Il redevient sérieux après son petit fou rire, qui était carrément sexy d'ailleurs.

— Que faites-vous si je refuse ?

— J'ai un billet aller simple pour Londres. Je pense qu'en cadeau de départ, ce n'est pas une mauvaise idée.

Une boule se forme dans ma gorge et je déglutis avec difficulté. Londres ? Hors de question. Ma vie est ici désormais, et ce, du moins, durant toute la durée de mon visa. Je n'aimerais pas l'écourter aussi rapidement dans l'aventure.

Dans un sens, accepter serait un gros booster financier et professionnel, mais être limite la « propriété « de Monsieur Barnes ne m'enchante guère.

» Il vous reste une minute pour vous décider. Alors ? Pactole ou cambrousse ? Travail ou chômage ? Opportunité ou retour à l'envoyeur ? Tic, tac, tic, tac... »

Il faut que je me dépêche vite ! Oui ou non ? Si j'accepte, je ne pourrais pas faire marche à arrière et je garderais ma place. Si je refuse, je retourne à Londres et je redémarre à partir de rien, mais ma famille et mes amis sont là. Mon cerveau s'agite dans tous les sens pour trouver une solution.

« Time's Up ! Votre réponse ? »

Silence.

Je souffle bruyamment et le regarde droit dans les yeux.

« J'ai des conditions. »

Une serveuse vient ramasser nos assiettes au 3/4 pleines et prend son bloc-notes.

« La sélection du chef madame ! dit « joyeusement « Barnes, un peu euphorique. Elle a dit oui !

— Félicitations, monsieur Barnes, je vous souhaite tout le bonheur du monde, murmure la jeune fille. »

Elle s'éloigne à reculons avec les plats et le silence revient calmement.

« Vous avez nécessairement besoin de jouer cette mascarade ? dis-je, introspective.

— Pas réellement, mais je vous félicite. Vous avez fait le bon choix. Et puis ça fait un peu partie du marché.

— Du marché ? Et les conditions...

— Je double votre salaire, j'ai compris, il balaie l'espace de sa main, s'il n'y a que l'argent, ce n'est pas un problème. Et puis, vous allez travailler très souvent avec et chez moi donc estimez-vous heureuse, vous avez un bellâtre à disposition. Je pense que vous êtes en pleine traversée du désert, non ? »

Ça suffit ! Je deviens écarlate ! Je me lève de ma chaise, furax.

« Vous n'avez pas honte bordel ! Monsieur Barnes, avec tout le respect que je vous dois, je ne vous permets pas de me discréditer de la sorte sur ma vie personnelle qui ne vous concerne en aucun cas ! Si c'est ainsi, je préfère...

— Stop ! Il m'arrête d'un claquement de doigts ce qui m'empêche de parler immédiatement. Les mots meurent avant même d'arriver sur ma langue. Excusez-moi, c'était indécent et pas vraiment gentleman. Mais je dois détailler votre mission. À partir de maintenant et jusqu'au 30 décembre, pour Sharon et uniquement elle, vous vous ferez passer pour ma petite-amie, une amie d'enfance qui a débarquée il y a quelque temps ou quelque chose dans le genre. Votre rôle est de jouer l'amoureuse transie de moi-même tout en gérant l'administration. Personne ne doit savoir notre magouille et Sharon ne doit rien dire de compromettant à la presse.

— Je ne suis d'un pion en quelque sorte. Je suis là en barrage. Je me rassois, tout en buvant les paroles de mon patron. Je n'ai jamais dit que je n'étais pas curieuse d'en savoir plus.

— Et c'est un plus gros salaire que vous avez à la clef. De quoi rendre jaloux plus d'un. C'est accepté ?

— Je demanderais juste d'avoir Noël pour moi. Si je dois subir ceci pendant 9 jours, il va me falloir du café. Et du chocolat chaud. Beaucoup de chocolat chaud. Je porte mon verre dans la main gauche.

— Marché conclu ? Il tend sa main vers moi pour conclure le pacte de Noël et du Jour de l'An. »

Oui, c'est un joli nom de pacte.

« Marché conclu. Je la lui tends en retour et nous nous serrons la main. »

Nous sommes liés pour 9 petits jours. 9, c'est pas grand-chose. Mais ce que je retiens maintenant...

C'est que je me suis fait manger tout cru par le lion Barnes.

Et notre duo de choc va faire mal. Très mal.

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